Icher, Joseph (1896- )

Dans le livre 500 Témoins de la Grande Guerre (Éditions midi-pyrénéennes et Edhisto, 2013, 496 p.) figurent certaines notices collectives comme celle intitulée « Audois », p. 40, qui regroupe 15 témoins, hommes et femmes, du département de l’Aude, dont les témoignages, apportent des renseignements ponctuels (malheureusement pas toujours assez précis) publiés dans le petit livre de Rémy Cazals, Claude Marquié, René Piniès, Années cruelles 1914-1918, Villelongue d’Aude, Atelier du Gué, 1998, 164 p. [1ère édition 1983 en coopération avec la Fédération audoise des œuvres laïques].
Le témoignage oral de Joseph Icher, né à La Redorte le 30 avril 1896, qui a combattu avec le 30e RI, a été recueilli en 1980 par Mme Renou et ses élèves du collège Varsovie à Carcassonne. On peut souligner certains passages :
– p. 21, le jour de l’annonce de la mobilisation, à La Redorte, est celui de la fête locale : « Le bal était prêt pour recevoir les danseurs. Toutes les réjouissances ont cessé, la fête était terminée avant de commencer. »
– p. 33, les tranchées, les abris, les « mers de boue » ; la chasse aux poux au briquet, à l’épingle ; le seul moyen efficace est de faire bouillir le linge
– p. 35, la nourriture, la corvée de soupe, les roulantes, le pinard, le singe, le tabac
– p. 113, l’impression qu’en 1917 il ne reste que des ruraux dans les tranchées : « Celui qui a pu échapper au massacre ne s’en est pas privé. »
– p. 114, trois lieutenants, instituteurs, officiers d’élite
– p. 153, en occupation en Allemagne en mars 1919, il est muté au 14e régiment de tirailleurs algériens pour aller combattre les bolcheviks : « Mission ridicule, car nous n’étions pas en guerre avec cette puissance, qui était libre de se donner le régime qui lui convenait. La flotte française était au large d’Odessa : j’ai vu des cuirassés français tirer sur de pauvres villages – Tiraspol notamment – on se demande pourquoi. »

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Safon, Jean (1896-1981)

Dans le livre 500 Témoins de la Grande Guerre (Éditions midi-pyrénéennes et Edhisto, 2013, 496 p.) figurent certaines notices collectives comme celle intitulée « Audois », p. 40, qui regroupe 15 témoins, hommes et femmes, du département de l’Aude, dont les témoignages, apportent des renseignements ponctuels (malheureusement pas toujours assez précis) publiés dans le petit livre de Rémy Cazals, Claude Marquié, René Piniès, Années cruelles 1914-1918, Villelongue d’Aude, Atelier du Gué, 1998, 164 p. [1ère édition 1983 en coopération avec la Fédération audoise des œuvres laïques].
Le témoignage oral de Jean Safon, boucher à Carcassonne, a été recueilli par Claude Marquié en 1980. On peut souligner certains passages :
– p. 20, le jour de l’annonce de la mobilisation, à Belpech, il a fait partie du groupe de jeunes qui sont allés sonner le tocsin
– p. 38, mobilisé dans l’infanterie, il souffre du manque de sommeil
– p. 52, ententes tacites pour l’heure d’explosion des mines et pour effectuer les corvées à découvert ; un capitaine abat un Allemand ; « c’était de l’assassinat. Cela nous valut une dégelée de bombes à ailettes qui nous fit des morts et des blessés. »
– p. 61, refus d’être nommé caporal pour ne pas, à 20 ans, avoir à commander des hommes de 40 ans
– p. 116, un lieutenant menace de son revolver un caporal pour l’obliger à une sortie qui serait un suicide : « Tous les soldats entourèrent l’officier, baïonnette au canon, en lui disant : Si vous le touchez, on vous embroche. »

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Cazamajou, Marcellin (1897-1981)

Dans le livre 500 Témoins de la Grande Guerre (Éditions midi-pyrénéennes et Edhisto, 2013, 496 p.) figurent certaines notices collectives comme celle intitulée « Audois », p. 40, qui regroupe 15 témoins, hommes et femmes, du département de l’Aude, dont les témoignages, apportent des renseignements ponctuels (malheureusement pas toujours assez précis) publiés dans le petit livre de Rémy Cazals, Claude Marquié, René Piniès, Années cruelles 1914-1918, Villelongue d’Aude, Atelier du Gué, 1998, 164 p. [1ère édition 1983 en coopération avec la Fédération audoise des œuvres laïques].
Le témoignage oral de Marcellin Cazamajou a été recueilli par Jean-Paul Boutibou, élève de 3e au collège Le Viguier de Carcassonne pour Années cruelles. Très gravement blessé dans une tranchée à la côte du Poivre à Verdun, ce jeune homme qui voulait devenir instituteur a choisi de devenir prêtre (il a terminé sa carrière comme chancelier de l’évêché de Carcassonne). Soigné à Chamalières « par des infirmières bénévoles comme les filles Michelin », il a remarqué : « C’était le paradis après l’enfer. » Quantité de combattants blessés qui ne sont pas devenus prêtres ont pu employer les mêmes mots dans les mêmes circonstances.

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Dantoine, Roger (1896- )

Dans le livre 500 Témoins de la Grande Guerre (Éditions midi-pyrénéennes et Edhisto, 2013, 496 p.) figurent certaines notices collectives comme celle intitulée « Audois », p. 40, qui regroupe 15 témoins, hommes et femmes, du département de l’Aude, dont les témoignages, apportent des renseignements ponctuels (malheureusement pas toujours assez précis) publiés dans le petit livre de Rémy Cazals, Claude Marquié, René Piniès, Années cruelles 1914-1918, Villelongue d’Aude, Atelier du Gué, 1998, 164 p. [1ère édition 1983 en coopération avec la Fédération audoise des œuvres laïques].
Roger Dantoine fait partie de ces témoins par son cahier de souvenirs. Né à Chalabre le 8 mars 1896, il fut mobilisé en 1916 dans l’infanterie. Il participa à l’offensive Nivelle du 16 avril 1917, sur laquelle il a écrit une très belle page (Années cruelles, p. 120 qui fait penser à Victorin Bès (voir ce nom) :
« Des coups de sifflet, des hurlements, « En avant ! » Et c’est l’escalade des parapets, disciplinés, lentement, masque pendant. Nous avançons sous un rideau d’obus, on marche, on tombe, on marche… Devant nous, des formes humaines sans armes, hagards, fous : l’ennemi est sorti de terre, les bras en l’air. On le néglige, il part vers l’arrière de nos lignes, s’il réussit à passer. Pour lui, la guerre sera finie. Nous marchons toujours sous le rideau d’obus. Le tir s’allonge à mesure que nous avançons. On tombe dans des tranchées. On piétine des morts et des blessés, et ceux qui restent en vie, les bras en l’air, vont vers nos arrières. On marche comme des ivrognes. Mais soudain, le front allemand réagit. Croisement d’artillerie, explosions, la fin du monde, cris, râles, la terre se soulève, il pleut du sang, je me retrouve dans un fossé, glisse dans un trou de sape, il fait noir, j’étouffe, ne sens plus rien. C’est le néant, tout s’efface…
« Combien de temps suis-je resté ainsi ? Je repris connaissance. J’ai froid, odeur de cadavre, contact glacé. Mes yeux s’habituent, je réalise, je suis couché sur des morts. »
Roger Dantoine se retrouve ensuite à Verdun, front qui conserve sa réputation de « mangeur d’hommes ». Afin de lui échapper, il se porte volontaire pour l’armée d’Orient au début de 1918. Il est en Roumanie, en mars 1919 lorsque son unité est envoyée combattre les bolcheviks : « Arrivée à Odessa le 14 mars par la Bessarabie. Moral très bas. Ce qui nous intéresse, c’est de rentrer en France. Sympathie avec la Révolution. Nous partons d’Odessa le 5 avril. Ce fut une retraite. Le commandement n’avait plus confiance en nous. Nous regardons vers la France. Laisser les Russes à leurs affaires. »

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Colson, Joseph (1875- ?)

Dans le livre 500 Témoins de la Grande Guerre (Éditions midi-pyrénéennes et Edhisto, 2013, 496 p.) figurent certaines notices collectives comme celle intitulée « Audois », p. 40, qui regroupe 15 témoins, hommes et femmes, du département de l’Aude, dont les témoignages, apportent des renseignements ponctuels publiés dans le petit livre de Rémy Cazals, Claude Marquié, René Piniès, Années cruelles 1914-1918, Villelongue d’Aude, Atelier du Gué, 1998, 164 p. [1ère édition 1983 en coopération avec la Fédération audoise des œuvres laïques].
Joseph Colson fait partie de ces témoins (texte confié aux auteurs du livre par sa fille, Mme Paré). Lieutenant de réserve, il partit pour le front dès août 1914. Il a rédigé le récit des combats de Verdun au début de l’offensive allemande, son régiment subissant de plein fouet les terribles effets de l’artillerie lourde sur la côte du Poivre puis la cote 240. De larges extraits de ce témoignage sont publiés dans Années cruelles, p. 95-108. Ils concernent la courte période du 21 au 26 février 1916. Lorsque le lieutenant Colson est évacué, le 26, blessé par un éclat d’obus, il ne reste que 18 hommes sur les 48 que comptait sa section.

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Marquié, Camille (1906-1994)

Dans le livre 500 Témoins de la Grande Guerre (Éditions midi-pyrénéennes et Edhisto, 2013, 496 p.) figurent certaines notices collectives comme celle intitulée « Audois », p. 40, qui regroupe 15 témoins, hommes et femmes, du département de l’Aude, dont les témoignages, apportent des renseignements ponctuels publiés dans le petit livre de Rémy Cazals, Claude Marquié, René Piniès, Années cruelles 1914-1918, Villelongue d’Aude, Atelier du Gué, 1998, 164 p. [1ère édition 1983 en coopération avec la Fédération audoise des œuvres laïques].
Camille Marquié fait partie de ces témoins. Il avait 8 ans en 1914 (né à Pexiora) et vivait à Sainte-Valière où son père tenait l’exploitation d’un propriétaire viticole, par ailleurs érudit audois, le docteur Paul Cayla ; son frère aîné partit au front. Le témoignage de Camille, enregistré par son fils Claude, professeur d’histoire et de géographie, porte sur la vie à l’arrière et sur les situations inoubliables pour un enfant : la réquisition des chevaux ; la participation aux travaux agricoles ; les restrictions alimentaires. Le jeudi, il allait avec des camarades aider le boulanger du village à pétrir la farine. Il a dû abandonner l’école à 11 ans pour « aider au bêchage, au soufrage et à tous les autres travaux de la vigne ». Il put cependant obtenir le certificat d’études primaires.

Après le service militaire, il resta dans l’armée où il monta jusqu’au grade d’adjudant-chef. L’armée étant en partie dissoute après l’armistice, il entra dans la police à Carcassonne, sous les ordres d’Aimé Ramond qu’il accompagna dans la Résistance.

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Fau, Pierre (1878-1949)

Né à Castres le 26 juin 1878 dans une famille de la bourgeoisie protestante de l’industrie textile. Séjour en Allemagne (Leipzig, Berlin) de 1899 à 1901. Marié en 1907 à Mazamet dans le même milieu ; travaille alors dans l’entreprise de son beau-père. Pas d’enfants. Sa mauvaise vue le fait classer dans le service auxiliaire, mais il est repris dans le service armé le 12 novembre 1914. Après un séjour au dépôt du 143e RI à Carcassonne, il est envoyé en avril 1915 au 346e RI qui a eu de lourdes pertes.
Il a rédigé son témoignage le 1er mai 1922 afin de fixer ses souvenirs. Il ajoute qu’il s’est efforcé « de passer sous silence les heures trop pénibles de cette partie » de sa vie : « Pour celles-là je n’ai pas besoin d’aide-mémoire, je ne les oublierai pas. » Mais le lecteur de son témoignage ne les connaitra pas. Le texte n’était destiné qu’à lui-même. Ses héritiers l’ont conservé et l’ont confié pour édition à la Société culturelle de sa ville natale : Pierre Fau, Pour me souvenir, Mémoire de guerre 1914-1918 d’un bourgeois castrais, Cahiers de la Société culturelle du pays castrais, 2014, format A4, 48 p. Le fascicule contient un tableau généalogique, une liste des secteurs évoqués, avec les croquis correspondants, et des photos de l’album de Pierre Fau. Parmi les secteurs : le Bois-le-Prêtre, le tunnel de Tavannes, le Bois-le-Comte près de Baccarat, le sud de l’Alsace et Pfetterhausen.
Il reconnait que sa nomination d’agent de liaison cycliste en octobre 1915 a été pour lui un événement capital et il fait tout pour conserver un poste, certes quelquefois dangereux, mais qui le fait échapper aux attaques (p. 17) et lui permet assez souvent de bénéficier de meilleures conditions de vie que les hommes en ligne. Il ne veut surtout pas de « l’honneur vague et dangereux d’un grade quelconque » qui risquerait de modifier une « situation de 1er ordre pour ce qui était des troupes du front ».
Les moyens financiers dont il dispose rendent assez souvent possible d’échapper à la condition commune. En août 1915 (p. 12) : « Je vais prendre mes repas non à la roulante mais dans un café où l’on me fait la cuisine. » Même date (p. 13) : « Excellent vin des Vosges. » Septembre 1916 (p. 18-19) : « Le Bois-le-Comte est pour nous un vrai paradis. […] On ne se croirait pas à la guerre. Je vais tous les jours à Baccarat où j’ai pris une chambre à l’hôtel, où je déjeune tous les jours. » Et encore en janvier 1917 (p. 20) : « Je vais tous les jours à Lunéville où j’ai une chambre à l’hôtel des Vosges. Je déjeune aussi à l’hôtel où la cuisine est excellente. »
Il critique les mercantis. À Dugny en août 1916 (p. 15) : « C’est du reste là, la dernière étape avant la mort pour tant de jeunes gens, que l’on rencontre le plus de mercantis de la race la plus abjecte. » En septembre 1917, à Dannemarie (p. 26), il a affaire à « une Alsacienne qui, avec des sentiments très francophiles, exploite de son mieux les soldats ».
On trouve encore des notations intéressantes :
– p. 10 : le 75 qui tire trop court
– p. 12 : la proximité avec Fritz qui fait que, toutes les nuits, on travaille côte à côte
– p. 28 : un coup de main qui échoue à cause de l’artillerie amie qui « fait des victimes parmi les nôtres »
– p. 33 : « le Caporetto français » lors de l’offensive allemande de mai 1918, la débâcle des artilleurs et des civils, tous mêlés sur les routes
– p. 44 : un projet d’attaque criminel alors que l’armistice va être signé.
En tant qu’agent de liaison, il peut témoigner de certains faits spécifiques :
– p. 16 : apporter « le résultat de combats imaginaires, ceci étant destiné dans l’esprit du lieutenant à se faire valoir auprès du colonel »
– p. 18 : un agent de liaison « couché avec 40° de fièvre » sommé d’aller à la ville voisine envoyer un télégramme à la femme d’un capitaine pour annoncer qu’il va venir en permission
– p. 32 : l’expérience lui ayant fait comprendre l’inutilité de certaines missions, il ne les fait pas.
Ajoutons encore ce colonel en fuite, passé en conseil de guerre, mis à pied puis à qui on a rendu un commandement. Conclusion de Pierre Fau (qui n’est pas un esprit particulièrement subversif) : « Un simple soldat aurait naturellement été fusillé. »
Pierre Fau est démobilisé le 19 février 1919, cinq jours après Louis Barthas.
Rémy Cazals, janvier 2016

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Peschet, Albert (1884-1934 ?)

Claude Le Roy, poète, auteur de plusieurs ouvrages sur les Chouans, le bocage, la Normandie, signe le petit livre intitulé La guerre de mon grand-père d’après sa correspondance 1914-1918, Condé-sur-Noireau, Éditions Charles Corlet, 2014, 79 p. Dans sa présentation, il avertit le lecteur que ces quarante cartes postales apportent beaucoup de banalités, renseignements météo, nouvelles de la santé, souci du travail à effectuer à la ferme. Par exemple (page 64) : « Tu me dis que le cochon va bien, tant mieux. J’espère que tu vas avoir beau temps pour le sarrasin, car il fait chaud ici. » Ou (p. 72) : « Tu me dis que tu coupes le blé. Aie soin de bien ramasser tout le foin. Ne laisse pas la faucheuse longtemps dans le champ sans la démonter et mets-la sous les pommiers. »
Ce paysan d’Athis-de-l’Orne était né le 28 juillet 1884 ; père de quatre fillettes en 1914, il tenait la ferme de La Masure appartenant an châtelain local. Territorial, au 32e RIT, Albert Peschet n’est pas allé sur le front ; il a passé toute la guerre dans des affectations autour de Paris à garder des gares et autres points névralgiques (carte p. 15). Par erreur Claude Le Roy écrit (p. 20) qu’Albert appartenait à « l’armée de réserve » et que pour cette raison il n’avait pas à monter en première ligne.
Son service lui laisse du temps pour des activités qui lui rapportent quelque argent : il confectionne des paniers de vannerie, il jardine pour des particuliers. Il troque un panier contre des photographies. Il obtient plusieurs permissions agricoles et participe aux travaux sur sa ferme. Il s’ennuie beaucoup (p. 43, 11 janvier 1916) : « Je m’embête encore plus que d’habitude. Vivement la fin de tout ce fourbi-là ! » Une cousine, dont le frère est sur le front, écrit, de son côté (p. 60) : « Quand donc cette maudite guerre finira-t-elle ? »
Fallait-il publier ce petit livre ? Il aura peut-être peu de lecteurs, mais il rappelle aux historiens que l’expérience d’Albert Peschet est aussi une facette de la Grande Guerre. Voir aussi les notices Banquet, Blayac, etc.
Rémy Cazals, janvier 2016

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Roussillat, Louis (1897-1978)

Voici un livre curieux : Louis Masgelier, Carnets d’un Creusois dans la Grande Guerre 1916-1918, présentés par Jacques Roussillat, Neuvic-Entier, Éditions de la Veytizou, 1996. Curieux parce qu’on apprend à la dernière page de l’épilogue et du livre que le nom de Masgelier cache celui de Louis Roussillat, le père du médecin auteur de la présentation. Celle-ci est le résultat d’une recherche généalogique et livre des informations sur une famille de souche paysanne. Louis est né en septembre 1897 à Saint-Vaury, près de Guéret. Son père exerçait la profession de tailleur d’habits. Bon élève, poussé par son instituteur, Louis entre à l’École primaire supérieure puis à l’École normale en 1913. Pendant la guerre, il recherche la compagnie de ses collègues et surtout des Creusois. Il pense que les instituteurs occupent une bonne place dans la hiérarchie intellectuelle et sont supérieurs à certains gradés incultes. Il écrit aussi (p. 93) : « J’ai envié quelquefois l’instruction secondaire, j’aurais voulu recommencer ma jeunesse pour suivre les cours d’un lycée, jugeant sur quelques brillants sujets, je vous enviais un brin. Mais je vois bien par ton exemple que je m’abusais quelque peu, que toi, brillant lycéen, bachelier depuis longtemps, tu ne nous vaux peut-être pas comme caractère, comme jugement. »
Louis Roussillat a pris des notes sur trois carnets, de novembre 1916 à janvier 1919 ; il n’en a jamais parlé à son entourage et, d’une façon générale, il évoquait rarement la guerre. De novembre 1916 à octobre 1917, il reste assez loin des lignes, d’abord dans une unité non précisée, puis au 338e RI à partir de juillet 1917. Durant cette période, il décrit exercices et corvées, cours d’élèves caporaux et stage de maniement du fusil mitrailleur. Il voit tomber les premiers obus en octobre 1917 et il découvre les tranchées en novembre. Mais il n’entre dans une phase de combats que fin mars 1918, lors de l’offensive allemande.
Durant la première période, quelques notations :
– à l’annonce de la mort d’un camarade à Verdun, la douleur, puis « la colère contre ces bandits à qui nous devons cette guerre infâme » et la volonté de le venger (p. 51) ;
– le froid de janvier 1917 (p. 75) ;
– le suicide d’un officier (p. 78) ;
– le spectacle des destructions à Ollencourt et Tracy-le-Val (p. 84) ;
– la gêne du jeune gradé qui doit commander de vieux soldats (p. 90) et la remarque que des hommes en groupe se conduisent comme des gamins (p. 98) ;
– l’accoutumance : « Lorsqu’une oreille se tend pour un ordre, l’autre est prête à enregistrer le contraire » (p. 115) ;
– une corvée de barbelés dans la neige en décembre 1917 (p. 117).
Le récit des combats du printemps 1918 va de la page 124 à la page 140. On assiste d’abord à l’affreux exode des civils, puis à l’affrontement du 29 mars avec une charge à la baïonnette conforme à ce qu’en dit Jean Norton Cru. Lorsque l’ordre est donné : « La ligne hésite, oscille un instant. C’est dur de partir à la mort dans cette plaine battue de tous côtés. Puis tous partent, s’élancent, les baïonnettes se fixent au fusil et on tire à la course : la compagnie se précipite sur Fritz. Surpris par cette riposte, les Boches font demi-tour et à toutes jambes redescendent vers la vallée d’où ils montaient. » Il décrit ensuite la joie de retrouver les copains vivants (p. 130), les honteux pillages des maisons par les soldats français (p. 135). En avril, il est nommé caporal, puis sergent et adjudant.
Son fils n’a pas donné le texte du troisième carnet, contenant une dizaine de feuillets laconiques, ajoutant : « La pudeur, la lassitude, peut-être un certain dégoût ont alors arrêté sa main. » Dégoût ? Le poilu aurait-il évolué au contact de la vraie guerre ? Lui qui, sans aucune expérience, écrivait au tout début, assistant au retour des tranchées d’éléments du 202e RI (p. 41) : « On sent la confiance sous ces figures viriles que le danger a quelque peu durcies. C’est la nation en armes où les âges, les métiers les plus divers voisinent dans une même vie, dans un seul et même but : l’aspiration au repos par la victoire sur le Boche. » En décembre 1917, au cours d’une corvée désespérante, il écrit le mot « indignation », mais sans développer sa pensée. Et plus tard encore ? On ne sait.
Rémy Cazals, janvier 2016

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Herbert, Alan Patrick (1890-1971)

1) Le témoin

Né le 24 septembre 1890, d’un père irlandais catholique et d’une mère anglaise protestante, Alan Herbert grandit à Leatherhead et perd sa mère quand il a huit ans. Admiratif de l’œuvre de Robert Nichols, il s’essaie à l’écriture poétique et publie ses premiers vers en 1910 dans la revue Punch. La même année, il entre à Oxford pour y poursuivre des études de lettres classiques puis de droit.

Le 5 septembre 1914, Alan Herbert s’engage dans la Royal Naval Volunteer Reserve en qualité de marin de seconde classe. Un mois plus tard, il apprend que son frère cadet, Owen, est porté disparu au cours de la retraite de Mons. Il épouse Gwen Quilter en janvier 1915 et suit la formation pour devenir officier. Le 10 mars, il est promu sous-lieutenant et part deux mois plus tard pour les Dardanelles. Après avoir pris part à la 3e bataille de Krithia, particulièrement meurtrière, Herbert est hospitalisé pour entérite puis affecté aux services secrets de la marine à Whitehall. Au cours de l’été 1916, il est jugé apte à réintégrer le front et rejoint son bataillon à Abbeville. Après avoir été affecté au secteur de Souchez, en juillet, le bataillon retrouve la Somme et subit des pertes sévères au cours de la bataille de l’Ancre. Herbert est un des deux seuls officiers à s’en sortir indemne. Le poème qu’il écrit pour rendre compte de ces combats laisse poindre une colère à peine contenue. De retour au front, à Pozières, en février 1917, Herbert obtient le grade d’adjudant. Blessé par un éclat d’obus à Gravelle, en avril, il est rapatrié en Grande-Bretagne. Sa blessure à la fesse gauche est de celles qu’espèrent tous les combattants : suffisamment sérieuse pour justifier un traitement long mais sans séquelle permanente. Au cours de sa convalescence, il commence la rédaction de The Secret Battle et continue à publier régulièrement des poèmes dans Punch. Le recueil édité en 1918, The Bomber Gypsy, est dédié à son épouse et à toutes les épouses qui ont attendu dans l’anxiété le retour de leur mari. Un des thèmes récurrents du recueil est la force du lien qui unit ceux qui ont combattu côte à côte. Herbert évoque à ce sujet la camaraderie qui se rit de la peur.

Tout au long de son parcours de combattant, Herbert a écrit des poèmes, dont certains ont été publiés dans Punch, ce qui lui a valu une certaine renommée auprès des hommes dont il avait la charge. Il acquiert aussi une réputation de farceur et se permet régulièrement des entorses à la discipline. Il faut dire que la Royal Naval Division a un statut particulier qui favorise les comportements non-conformistes. Créée le 3 septembre 1914, cette division est composée d’hommes au fort tempérament, dont Rupert Brooke et John Asquith, le fils du Premier ministre. En juillet 1916, l’unité est incorporée à l’armée de terre. Quand le général Shute essaie d’imposer à la division la discipline qui prévaut dans l’armée de terre, souhaitant notamment interdire le port de la barbe, les officiers de la division, dont Herbert, ne s’en laissent pas conter et s’y opposent. Dans ses poèmes, Herbert s’amuse des épisodes de ce genre, mais il sait aussi être amer et évoquer avec sensibilité des conséquences des combats.

En octobre 1918, il embarque pour l’Égypte. Les deux derniers mois de la guerre seront particulièrement mouvementés pour son unité. Un des navires du convoi est coulé par les sous-marins allemands. Les tempêtes font rage en cette saison au large des côtes méditerranéennes. A cela s’ajoute l’épidémie de grippe espagnole qui sévit au sein de l’équipage. Malgré ces aléas, il débarque sain et sauf à Port Saïd pour apprendre quelques jours plus tard que l’armistice a été signé.

La production littéraire de Herbert a été abondante et diversifiée, avec toujours un talent aiguisé pour la satire. Après la publication de The Secret Battle, en 1919, il publie The House by the river, roman qui met en scène un poète des tranchées ayant commis un meurtre. Il a également exercé le métier d’avocat et a été élu député du Parti Indépendant. Comme la plupart des combattants, il continuera régulièrement à faire des cauchemars de la guerre. Dans The War Dream, il écrit : « Je voudrais tant ne pas rêver de la France / Obligé de passer mes nuits dans un état de terreur mortelle. » Il s’éteint le 11 novembre 1971.

2) Le témoignage

Publié en 1919, The Secret Battle est un des premiers témoignages de combattants publiés sous forme de roman. Le choix de la fiction s’explique en partie par le sujet traité : l’exécution d’un officier pour un simple moment de faiblesse. La condamnation du système disciplinaire de l’armée britannique et l’analyse des effets psychologiques de la guerre sur les combattants sont des sujets rarement évoqués au lendemain de l’armistice. Si le roman ne connaît pas le succès commercial, il est néanmoins encensé par de nombreux critiques et retiendra notamment l’attention de Lloyd George, qui en conseille la lecture à Winston Churchill, lequel écrira une préface pour l’édition de 1928. Le futur Premier ministre britannique évoque un cri arraché aux troupes combattantes… qui doit être lu par la nouvelle génération afin que personne ne se baigne d’illusions sur ce qu’est la guerre.

3) Analyse

Les faits relatés dans The Secret Battle sont directement inspirés de l’expérience d’Alan Herbert sur les fronts occidentaux et orientaux. Des Dardanelles, en 1915, à la bataille de la Somme en 1916, le roman suit l’itinéraire personnel de l’auteur et propose une description réaliste de la guerre du point de vue d’un sous-lieutenant. Le récit de la campagne de Gallipoli est particulièrement documenté. Oscillant entre gravité et humour, le roman possède un style typiquement britannique, qui reflète une vision ironique et désabusée de la guerre.
Jeune officier s’étant engagé dès 1914, le personnage d’Harry Penrose rêve d’héroïsme et se coule sans difficulté dans le moule militaire, mais petit à petit le doute prend le dessus. Ayant remarqué certaines faiblesses chez le jeune officier, son colonel l’assigne à des corvées répétitives et dangereuses pour le mettre à l’épreuve. Blessé à Arras, Penrose est envoyé en Angleterre, où on lui propose un poste dans les services secrets mais il préfère repartir en France. Dès son retour sur le front, à Beaucourt, le colonel lui donne l’ordre de rejoindre la tranchée de tir à la tête d’un détachement. Le bombardement nourri oblige les hommes à prendre régulièrement abri dans les fossés. Penrose décide de se replier le temps que la canonnade cesse. Il est immédiatement arrêté. Une cour martiale le condamne au peloton d’exécution pour lâcheté face à l’ennemi. La sentence sera exécutée une semaine plus tard.
Le personnage de Harry Penrose repose essentiellement sur les états de service de l’auteur mais toute la partie consacrée au procès se nourrit de l’expérience du sous-lieutenant Edwyn Dyett, l’un des trois seuls officiers à avoir été exécutés pendant la guerre, sur un total de 343 exécutions. La mort d’Edwyn Dyett, le 5 janvier 1917 a fortement marqué Herbert, même si les deux hommes appartenaient à des bataillons différents. The Secret Battle est en partie une réaction de colère au traitement injuste subi par Dyett. Des détracteurs du roman ont avancé que Herbert aurait refusé de témoigner au procès puis aurait écrit ce roman pour exorciser sa culpabilité, mais cette théorie n’a jamais pu être validée.

The Secret Battle a ouvert la voie à une nouvelle forme de littérature de guerre, où les protagonistes sont plus des victimes que des héros. Pris dans les rouages de la machine militaire, l’individu ne dispose plus que d’une marge de manoeuvre très réduite. En fait, il doit se contenter d’endurer et de souffrir.

Le style d’Alan Patrick Herbert est pour beaucoup dans l’impact du livre. Sa description ironique, voire acerbe, du procès de Penrose, en rend parfaitement compte :

« Le conseil, composé d’un général de division et de quatre autres officiers, me fit une impression plutôt favorable. Le général, qui remplissait les fonctions de Président, était un homme trapu, d’aspect bienveillant, le visage agrémenté d’une belle moustache et d’un regard d’acier bleu. Les rangées de décorations qu’il arborait étaient si nombreuses qu’en les regardant du coin sombre où j’étais placé elles me firent penser aux compagnies d’un régiment de scarabées paradant en colonnes serrées. Tous ces hommes étaient impeccablement lustrés : ce mot est le bon, car ils faisaient réellement penser à des chevaux bien nourris; leur peau étincelante, le cuir de leurs ceinturons et de leurs bottes, leurs éperons cliquetants, et l’ensemble de leur harnais, tout cela avait belle allure et scintillait à la lueur du feu de cheminée. Ces créatures lustrées qui se dirigeaient lourdement vers leur table en faisant cliqueter leur ferraille me firent penser au jour où je m’étais rendu aux écuries royales de Madrid. Ils s’assirent et piaffèrent de leurs sabots vernis, pestant intérieurement d’avoir fait un si long chemin pour « un de ces satanés conseils de guerre. » Mais tous les visages disaient aussi : « Dieu merci, j’ai au moins eu mon avoine aujourd’hui ».
C’était des hommes justes, selon leurs critères. Ils accompliraient la chose avec conscience et je ne pouvais espérer meilleure cour. Mais en tant que juges ils s’en tenaient à cette fatale hérésie militaire selon laquelle les formes et les procédures de la Loi des Armées constituent le meilleur mécanisme possible pour découvrir la vérité. Ce n’était pas de leur faute; ils avaient toujours pensé ainsi. Et leur vanité poussait l’hérésie jusqu’à se proclamer les meilleurs agents possibles dans le dévoilement de la vérité, car ils étaient des hommes honnêtes, francs et directs, n’ayant besoin d’aucune aide. N’importe lequel d’entre eux vous aurait dit : « Mais, mon bon Monsieur, rien n’est plus impartial pour le prisonnier qu’un conseil de guerre », et si vous consultez les registres ou assistez au procès d’un soldat pour un simple « délit », vous en conviendrez. Mais si le cas est complexe, avec des témoignages douteux, des interférences et des animosités cachées, alors là, les hommes « honnêtes et directs » semblent quelque peu perdus. »

Francis Grembert, janvier 2016

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