Hassebroucq, Magdeleine (1874-1951)

Le livre de Bernard Vernier, La Guerre comme spectacle et comme réalité, est sous-titré Journal à deux voix de Magdeleine Lambin-Hassebroucq et de son fils Alphonse Vernier dans Comines occupée 1914-1917 (Paris, L’Harmattan, 2018, 642 p. + 16 p. d’illustrations quadri reproduisant des pages des carnets originaux). La petite ville de Comines (département du Nord) se trouve sur la Lys, juste à la frontière belge, très proche du front pendant la guerre (croquis p. 62-63). Passage incessant de troupes allemandes, de prisonniers français, anglais et même russes, à qui les habitants donnent quelque nourriture. Les témoins s’étonnent de passer des « soirées tranquilles » si près des combats (p. 133, 26 avril 1915). Les deux témoins étaient chacun au courant de l’existence du journal de l’autre ; les deux avaient commencé à écrire avant la guerre. La masse documentaire était trop importante pour être intégralement publiée ; un choix rationnel a été effectué. Cette brève notice ne peut donner qu’une idée très insuffisante de la richesse de ces deux témoignages. Ils débutent le samedi 1er août 1914 et vont jusqu’au 29 mai 1917, date de l’évacuation des habitants de Comines vers Waregem. Avant-propos long et précis de Bernard Vernier, fils d’Alphonse et petit-fils de Magdeleine.
Voir la notice Vernier Alphonse (1897-1969).

Magdeleine Hassebroucq est née en 1874 dans une famille d’industriels du textile. Elle a fait ses études chez les Bernardines et est restée catholique très pratiquante. Pendant la guerre, elle exprime son horreur de voir que l’église devra être partagée entre offices catholiques et culte protestant. Elle critique la République anticléricale et souhaite que la France retrouve sa place de fille aînée de l’Église. Le maire, de gauche, est systématiquement critiqué et traité de  « canaille ».Certains propos de Magdeleine ont une dimension antisémite, caractéristique de la droite de l’époque. Membre de la Conférence de St Vincent de Paul, elle fait des études d’infirmière qui vont lui servir pendant la guerre. Amie de Louise de Bettignies, rencontrée à plusieurs reprises à Lourdes.
En 1896 elle a épousé Alphonse Vernier appartenant au même milieu et en a eu un fils également prénommé Alphonse. Son mari meurt en 1897. En 1907, elle se remarie avec Louis Lambin, d’une famille de notaires et de rentiers.

Très tôt, les troupes allemandes occupent Comines. On prie pour être protégé des bombardements, on distribue de l’eau de Lourdes aux blessés. Il faut se mettre à l’heure allemande et subir perquisitions et réquisitions. Celles-ci conduisent à la description des caves pleines de centaines de bouteilles de vin, ce qui rappelle le témoignage d’Albert Denisse (voir cette notice). On cache des pommes de terre et du grain. Parmi les occupants, il y a des barbares et des « gens convenables ». Certains sont odieux et atteignent « le dernier degré du sans-gêne » ; d’autres rendent des services. Alphonse offre une aquarelle à un Allemand sympathique ; certains viennent en « aimable visite ». On assiste à des disputes entre Saxons et Bavarois (20 juin 1915), à des jugements discourtois de Saxons sur les Prussiens (20 avril 1917). Un blessé allemand raconte la fraternisation de Noël 1914 (17 janvier 1915).

Les nouvelles parviennent assez rapidement : le torpillage du Lusitania ; les changements de ministère en France ; la révolution russe dès le 16 mars 1917. Celle-ci est plutôt mal perçue (p. 584) : « Mais ils élaborent aussi tout un programme de réformes à faire ! Ce n’est vraiment pas le moment. » L’offensive Nivelle du 16 avril 1917 est annoncée dès le 17. La présence des soldats allemands permet de suivre l’évolution de leur moral. Avec la durée de la guerre, leur confiance s’en va. On comprend que ça va mal en Allemagne car les occupants envoient toutes sortes de choses à leurs familles (p. 511). L’exaspération des occupés grandit aussi : « ils encombrent notre maison avec toute leur bocherie ! » (4 janvier 1917).

L’évacuation est un drame, d’abord une crainte, puis une réalité. Le lundi 28 mai 1917, Magdeleine écrit ce passage étonnant : « Puis ce sont les provisions dont nous avons encore tant ! Nous en garnissons tout un panier : riz, haricots, sucre, un peu de farine, cacao, chocolat, etc. Il en reste encore. Alphonse et Louis commencent à jeter dans les cabinets du riz, du sucre, de la crème de riz, etc. Nous en avons un vrai crève-cœur : « Jeter toutes ces provisions, tandis qu’une partie de l’Europe meurt de faim ! » Alors j’en entasse encore dans ma malle, dans les sacs, savons-nous ce que nous trouverons là où on nous enverra ! Mais l’idée fixe, c’est de ne rien laisser aux Allemands ! »
Rémy Cazals, février 2019

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Meunier, Henri (1869-1943)

1. Le témoin
Médecin pneumologue à Pau et père de famille, il a 45 ans à la mobilisation et est chargé de nombreuses responsabilités hospitalières. Il garde en même temps une activité de recherche et une petite clientèle privée. Il vient de perdre en janvier 1914 sa femme Geneviève, cette épouse disparue était une des sœurs d’Albert Deullin (voir cette notice).
2. Le témoignage
L’As et le Major, édition établie par Jacques Résal et Pierre Allorant, éditions Encrage, Amiens, 2017, 148 pages, avec une préface de Jean Garrigues, continue l’ambitieuse entreprise éditoriale qui exploite l’important fonds d’archives d’une famille bourgeoise (voir notices des frères Résal), depuis le milieu du XIXème siècle et à travers la Grande Guerre. Etablie sur la base du prêt des archives des familles Goursaud et Meunier, cette publication associe deux corpus différents, d’une part (p. 31 à p. 83), les lettres envoyées par A. Deullin à sa sœur Elisabeth, et d’autre part (p. 85 à p. 143), celles envoyées par H. Meunier à son collègue et ami Henri Meige, un neurologue hospitalier réputé. La juxtaposition de ces deux correspondances est un peu artificielle, la seule vraie rencontre citée entre les acteurs ayant lieu en septembre 1916 lorsque A. Deullin emmène son beau-frère faire un vol au-dessus du front de Champagne.
3. Analyse
Le principal intérêt du témoignage du docteur Meunier réside dans la description de l’énorme labeur qui lui échoit en août et septembre 1914 en tant que responsable du dépôt de Pau, alors qu’il pensait faire partie, à la mobilisation, « d’une équipe de vieux médecins civils plus ou moins militarisés qui seraient chargés de surveiller quelques hommes laissés à la caserne » (p. 90) ; il raconte à son ami Henri Meige qu’il cumule la responsabilité du service médical du dépôt, de la surveillance des viandes (« j’ai dû en trois jours m’improviser vétérinaire »), de la surveillance de trois hôpitaux temporaires de la Croix-Rouge, du service de l’hôpital militaire proprement-dit, de la rédaction d’innombrables certificats et examens à produire, avec en plus l’inspection individuelle d’aptitude des 4800 hommes du dépôt. Il n’est aidé que par trois confrères civils, et parle de son épuisement devant cette tâche harassante. Il décrit en décembre 1914 (p.97) une intéressante journée-type « en attendant, voilà ma vie quotidienne depuis des semaines », et suivent, pour la journée, 18 rendez-vous/horaires, qui commencent à 8 heures – «c’est tard je le reconnais, mais attends la fin » – et se finissent à minuit (« rangement, tournée aux enfants, puis coucher et récréation en lisant le journal »). On peut simplement mentionner à titre d’exemple 14 h : « A l’infirmerie, incorporation de 160 à 180 hommes, c’est-à-dire défilé de ces hommes nus comme des vers que je dois apprécier le plus exactement possible au point de vue de l’aptitude à servir (…) Pendant 15 jours cela a été la classe 1892 (hommes de 42 ans), les 2/3 invoquant une raison de ne pas servir. Depuis une semaine, c’est la classe 1915 (hommes de 19 ans). C’est mieux et ça veut marcher. Mais quand j’arrive vers 17 h, je suis abruti, idiot et je commence à ne plus savoir ce que je fais. » Suivent encore des rendez-vous vous, tournées et contre-visites, et à 20 heures : « Dîner, fatigué, abruti, table silencieuse triste, les enfants n’osent parler. » Et il conclut par « voilà le cycle habituel. » Epuisé, il obtient un allègement partiel de ses fonctions en mars 1915.
Un autre intérêt des lettres réside dans l’évocation des préoccupations morales du docteur, lorsqu’il ausculte des individus pour des visites d’aptitude au front, et c’est un rare témoignage « de l’intérieur », où il montre qu’il a bien conscience de la portée de ses décisions (février 1915, p. 99) : « et cet examen, toujours grave, puisque, pour la plupart, il s’agit de la vie ou de la mort, je m’efforce de le faire avec toute mon intelligence et avec tout mon cœur. Que de psychologie, que de philosophie préside à cette tâche journalière ! » Il raconte à son ami le repérage de simulateurs (août 1915, p. 106) et les conséquences imprévues de ce signalement : « J’ai eu deux cas épatants pour lesquels j’ai mené une enquête digne de Sherlock Holmes (ictère picrique). » Il reprend son récit dans une lettre de novembre 1915 (p. 107) : « T’ai-je dit que j’avais été appelé à témoigner au tribunal et que j’avais passé là deux sales heures en entendant le commissaire du gouvernement réclamer pour mon bonhomme… le poteau !!! Je t’avoue que j’ai eu chaud et que, si jamais une pareille condamnation avait eu lieu, je n’aurais plus, ni aucun major de France, examiné un simulateur. Ma déposition, dans ces conditions, a été tout miel et, les avocats aidant, le bonhomme (…) s’en est tiré avec dix ans de travaux. » Sa générosité honore le médecin, mais le nombre important avéré d’exécutions après expertise médicale (« Crise des mutilations volontaires ») amène évidemment à relativiser la portée de son propos.
Disposant au printemps 1915 d’un emploi du temps plus raisonnable, il essaye de reprendre un peu de clientèle privée, « c’est que depuis neuf mois que j’ai fermé les guichets des recettes, je m’aperçois que le gouffre se creuse» (p. 103). Il évoque aussi plusieurs fois son sort privilégié, et son regret de ne pouvoir servir directement sur le front. Cette gêne morale est, dit-il, partagée par quelques-uns de ses amis, mais « pas Béarnais »: en effet, il est très critique vis-à-vis de l’esprit d’embuscade qu’il constate à Pau, et à la fin de la guerre, en avril 1918, s’il partage l’émotion des Parisiens touchés par les bombardements « gothiques et berthiques », il regrette de tout cœur que Bertha ne puisse lancer quelques obus à 1000 km, « ce serait une excellent chose pour l’équilibration de la mentalité territoriale. » (p. 126)
Vincent Suard , décembre 2018

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Deullin, Albert (1890-1923)

1. Le témoin
Maréchal des logis au 8e Régiment de Dragons à la mobilisation, il fait le début de la campagne (23 août) au 31e Dragons. Promu sous-lieutenant en décembre au 8e Dragons, il passe dans l’aviation en avril 1915, et vole sur Maurice Farman (MF 62, juillet 1915 – janvier 1916), puis sur Nieuport (N3, janvier 1916 – février 1917) ; nommé commandant de la Spa 73 à cette période, il rédige aussi des synthèses théoriques (emploi tactique de la chasse). Plusieurs fois blessé, il termine la guerre avec le grade de capitaine et vingt victoires homologuées. Resté pilote dans la vie civile, il se tue lors d’un essai de prototype en 1923.

2. Le témoignage
L’As et le Major, édition établie par Jacques Résal et Pierre Allorant, éditions Encrage, Amiens, 2017, 148 pages, avec une préface de Jean Garrigues, continue l’ambitieuse entreprise éditoriale qui exploite l’important fonds d’archives d’une famille bourgeoise (voir notices des frères Résal), depuis le milieu du XIXème siècle et à travers la Grande Guerre. Etablie sur la base du prêt des archives des familles Goursaud et Meunier, cette publication associe deux corpus différents, d’une part (p. 31 à p. 83) les lettres envoyées par A. Deullin à sa sœur Elisabeth, et d’autre part (p. 85 à p. 143) celles envoyées par H. Meunier à son collègue et ami Henri Meige, un neurologue hospitalier réputé. La juxtaposition de ces deux correspondances est un peu artificielle, la seule vraie rencontre citée entre les acteurs ayant lieu en septembre 1916 lorsque A. Deullin emmène son beau-frère faire un vol au-dessus du front de Champagne ; ces deux témoignages n’en ont pas moins, l’un pour l’aviation et l’autre pour les hôpitaux de l’arrière, un réel intérêt (voir notice Meunier Henri).

3. Analyse
L’auteur utilise dans ses lettres à sa sœur un style enjoué, énergique et très oral, comme par exemple en décembre 1914 (p. 42): « nous avions combiné un coup épatant pour chiper une patrouille de uhlans ». Le ton est gouailleur, p. 35, après la Marne « Eh bien, que dis-tu de cette pile ? Est-ce soigné et appliqué à temps ? » ou en octobre 1914 (p. 40) « les Boches semblent avoir pris une bonne frottée sur l’Yser ! ». A sa sœur qui s’inquiète de le voir passer dans l’aviation, il répond qu’on n’y risque guère plus qu’ailleurs, et (p. 43) « Alors ? Et au moins, on doit s’amuser. » Un bon exemple du ton général des lettres peut-être pris dans un passage où, avant sa mutation dans l’aviation, il est observateur d’artillerie (mars 1915, p. 44) : « Et dix secondes plus tard…Bjii…ou…ou. Une bonne dégelée de mélinite me passe au-dessus de la tête et culbute mes Boches dans leur trou. La nuit, tandis que je pionce tranquillement dans mon gourbi, j’ai la volupté de les entendre réparer ce que nous venons de leur démolir. C’est très amusant et on recommence. »
L’auteur note que son sort de cavalier est plus enviable que celui de fantassin, mais la crainte d’être muté dans la « biffe » ne semble pas à la base de sa demande de mutation dans l’aviation (mai 1915, p. 47) : « J’y ai coupé la dernière fois et j’aurais été bon comme la romaine la prochaine. Remarque que je serais passé dans l’infanterie sans récriminations, mais je préfère auparavant choisir une arme bien dans mes cordes. » Il évoque ses combats, mais ne rentre dans aucun détail tactique ; son opinion sur les Allemands qu’il rencontre reste tout au long de la guerre méprisante, il les accuse de maladresse et de couardise, « c’est vraiment curieux de voir la sale mentalité de tous ces types-là. » (p. 53) ou en septembre 1915 (p.54) « (…) le Boche qui n’insiste pas dès qu’on lui court dessus, et nous sommes malades de rire, Colcomb et moi, de voir le vaillant guerrier piquer à mort vers le poulailler dès qu’il a reçu quelques balles… Immondes volailles ! » Il n’a pas de respect pour l’ennemi dans ses écrits (on pense au « couic » méprisant de Guynemer), et il n’évoque pas l’esprit chevaleresque, thème qui accompagne parfois la médiatisation de l’as dans les feuilles de l’époque ; c’est toujours un ton supérieur, sportif et détaché, qui accompagne les évocations de combat : (p. 70) mai 1916 Somme « Je ne sais pas s’ils ont [les Allemands] actuellement beaucoup de jeunes pilotes, mais la moyenne est lamentable au point de vue manœuvre, et on s’amuse de la plus charmante façon. »
Les lettres s’espacent à partir de l’été 1916 et deviennent plus concises, au moment où l’auteur fait « la chasse » à la N3 avec Brocard et Guynemer (« le gosse»), puis en 1917 où il prend le commandement de la N 73. C’est un chef énergique (4 mars 1917, p. 72) « je liquide deux pilotes qui ne me plaisent pas et je fais venir à leur place Charles de Guibert et Pandevan. Quelques jours de prison et de salle de police ont « rétabli l’ordre à Varsovie » et, somme toute, ça ne s’annonce pas trop mal. » Il est blessé en juillet 1917 après sa 17ème victoire (« boum, me voilà à l’hôpital ») et témoigne de la dépression qui touche son groupe à la nouvelle de la disparition de Guynemer (septembre 1917, p. 74) « tout le groupe est démonté depuis avant-hier par la disparition du gosse, qui n’est pas rentré de patrouille. » En 1917 et 1918, le ton est moins enjoué, et l’auteur informe souvent sa sœur des deuils de pilotes appréciés, il s’agit la plupart du temps de tués dans des combats, mais aussi à l’occasion d’imprudences caractérisées : (26 janvier 1918, p. 77) «Un Caudron de la C47 vient nous faire une visite (…). Vers 4 h nous les remettons dans leur aéro. Ils veulent nous épater par un décollage en chandelle. Perte de vitesse, vrille. Les deux types sont tués raides au milieu du terrain. On a beau être un peu cuirassé, c’est toujours très désagréable de voir de chics types se tuer bêtement. »
Pour l’exploitation historique du témoignage, il est difficile de savoir si le ton enjoué et hâbleur d’A. Deullin vise à rassurer sa sœur ou s’il est habituel et appartient au caractère énergique de son auteur; au vu de son palmarès (20 victoires) et en croisant avec d’autres lettres hors corpus, par exemple avec le capitaine Brocart des Cigognes, on optera pour le 1er degré : le pilote, issu des Dragons, adopte le style très « crâne » des jeunes cavaliers passés dans l’aviation, c’est une attitude souvent cultivée avec coquetterie, et dont l’exemple le plus célèbre est Roland Nungesser (courage, énergie et excentricité). C’est un habitus courant dans l’aviation, mais ce n’est pas le seul (voir Trémeau ou Vanier).
Vincent Suard, décembre 2018

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Prudhon, Joseph (1888-1952)

1. Le témoin
Joseph Prudhon, né dans le Jura, vit à la mobilisation à Saint-Denis (Seine) où, jeune marié, il exerce la profession de wattman. Après-guerre, il sera chauffeur de bus aux T.C.R.P. (R.A.T.P. depuis 1949). Ses différentes affectations ne sont pas établies avec certitude, mais il fait toute la guerre dans l’artillerie. Il semble qu’il serve au 104e RA jusqu’en mars 1915, au 9e d’Artillerie à pied ensuite, et il précise être passé au « 304e d’artillerie » en mars 1918. Pendant le conflit, il est successivement servant de batterie, téléphoniste puis ordonnance d’officier, chargé des soins aux chevaux. L’auteur appartient à une fratrie de quatre garçons et un de ses frères est tué en 1918 ; un frère de sa femme a été tué à l’ennemi à Ypres en 1914.
2. Le témoignage
Le Journal d’un soldat 1914-1918, sous-titré « Recueil des misères de la Grande Guerre », de Joseph Prudhon, a été publié en 2010 (L’Harmattan, Mémoires du XXe siècle, 308 pages). Eunice et Michel Vouillot, petits-enfants de l’auteur, ont retranscrit fidèlement des carnets qui tiennent dans cinq petits cahiers, rédigés avec une écriture serrée. L’ensemble est illustré de photographies diverses, étrangères au manuscrit d’origine. Les notations dans les carnets sont concises, et tiennent en général en quelques lignes chaque jour.
3. Analyse
La tonalité générale des carnets de J. Prudhon est sombre, le moral est souvent bas, et la récurrence des formules du type « je m’ennuie » ou « j’ai le cafard » est telle que l’on finit par se demander si le carnet ne joue pas un rôle thérapeutique, et si le sujet n’est pas réellement dépressif, c’est-à-dire ici plus que « la moyenne » dans des circonstances équivalentes. En effet, au début de la guerre, ce soldat est réellement exposé à la contre-batterie, puis, avec son poste de téléphoniste, il lui faut réparer les fils sous le feu ; pourtant, ensuite, ses fonctions d’ordonnance et de gardien des chevaux d’officier le préservent du danger commun aux fantassins, mais ce « filon » ne semble pas pour longtemps épargner son moral. J. Prudhon mentionne souvent son humeur noire, et les permissions appréciées auprès de sa jeune femme déclenchent logiquement, au retour, de très fortes crises de cafard.
En octobre 1914, en secteur à Amblény derrière Vingré, il signale que deux soldats du 104e d’artillerie ont été fusillés pour avoir déserté et s’être mis en civil (en fait des territoriaux du 238e RI, cf. Denis Rolland). Dès décembre, les mentions de découragement commencent (p. 53) « on s’ennuie pas mal, quelle triste vie » ; son passage à la fonction de téléphoniste est apprécié, mais les échecs français entre Trouy (pour Crouy) et Soissons en janvier 1915, ajoutés à la mort de son beau-frère, le minent:
– « 14 janvier 1915: cela devient long et n’avance guère
– 15 janvier : le cafard (…)
– 16 janvier : au téléphone à la batterie, je m’ennuie, je m’ennuie, je n’ai rien reçu de ma Finette [sa femme], quand donc finira ce cauchemar ? »
Arrivé au 9ème d’artillerie à pied de Belfort, il se plaint de manière récurrente de la nourriture : de mars à juillet 1915, il souligne que le pain est moisi, et la viande rare ou avariée. Il en rend responsable son officier, le capitaine F. Il explose le 24 mai (p. 73) « Nous sommes nourris comme des cochons. Les sous-offs ne peuvent plus nous commander, nous ne voulons plus rien faire tant que nous serons aussi mal nourris. Nous rouspétons comme des anarchistes, nous en avons marre, plus que marre. » La situation ne s’arrange pas en juin, il est exempté de service pour un furoncle, et il dit que ce sont des dartres qui « tournent au mal » à cause de la mauvaise eau infectée, et il attribue des malaises au pain moisi : « Pendant ce temps-là, nos officiers mangent bien et gagnent de l’argent, ils sont gras comme des cochons et nous regardent comme des bêtes, pires que des chiens.» La situation ne s’améliore qu’en juillet, grâce semble-t-il à la mutation de l’officier détesté (p.80) «Nous sommes mieux nourris depuis que nous avons réclamé (…) on voit que le lieutenant K. a pris le commandement de la batterie à la place de F., le bandit. ». Il décrit l’offensive de Champagne (25 septembre 1915) vue depuis les batteries d’artillerie, puis quitte son poste de téléphoniste en octobre : son travail jusqu’en 1918 sera essentiellement de soigner des chevaux d’officiers, de les accompagner, et de faire fonction de planton ou d’ordonnance.
Il insiste sur la joie qu’il a à partir pour sa première permission, qui arrive très tard (décembre 1915) « Quelle joie enfin, je pars voir ma chérie, après dix-sept mois de guerre ». A son retour, son sommeil est agité, il rêve « à sa Jolie » : « j’attrape le copain à grosse brassée, il se demande ce que je lui veux. » Après le retour de sa permission suivante, l’auteur restera sur ses gardes (p.189) : « Nous couchons les deux Adolphe Roucheaux, pourvu que je ne rêve pas à ma Finette, je tomberais sur un bec de gaz. » Le retour de chaque permission voit une nette aggravation des crises de cafard, et J. Prudhon explose de nouveau dans une longue mention le 26 janvier 1916 (p. 113) : « Je suis dégouté de la vie, si on savait que cela dure encore un an, on se ferait sauter le caisson (…) injustices sur injustices, les sous-off et officiers qui paient le vin à 0,65 et nous qui ne gagnons que 0,25, nous le payons 16 à 17 sous. C’est affreux, vivement la fin, vivement. (…) Tant que tous ces gros Messieurs [il vient d’évoquer les usines des profiteurs de la guerre] n’auront pas fait fortune, la guerre durera et ne cessera pas jusqu’à ce jour. C’est la ruine et le malheur du pauvre bougre.» Son unité est engagée à Verdun à l’été 1916 ; à partir de cette période, son propos mentionne de plus en plus des informations nationales et internationales prises dans les journaux, il est bien informé car c’est lui qui va à l’arrière chercher la presse pour son unité (parfois deux cents exemplaires). Il signale deux suicides le 10 juillet (p. 146) « encore un qui se suicide à notre batterie, cela en fait deux en huit jours, c’est pas mal. ». Au repos à côté de Château-Thierry en septembre 1917, il mentionnera encore trois suicides (19 septembre 1917, p. 233) : « un type de la première pièce se pend, et deux autres, dans un bâtiment à côté de nous. C’est la crise des pendaisons ! », joue-t-il sur une homologie avec la « Crise des permissions » ?
Avec la boue de l’automne 1916 dans la Somme, même si le danger est – en général – modéré à l’échelon, le service des écuries n’est pas de tout repos (14 décembre 1916, p. 180) : « j’ai du mal à nettoyer mes chevaux, ils sont tous les trois comme des blocs de boue. C’est épouvantable et je ne peux plus les approcher ; ils sont comme des lions. » Dans l’Aisne à partir de mars 1917, son secteur supporte, avant l’offensive d’avril, de vifs combats d’artillerie, qui s’ajoutent à la pluie mêlée de neige. Comme à Verdun, il raconte l’attaque du 16 avril vue de l’arrière, mais il n’a pas grande compréhension des événements ; l’échec global des opérations ne lui apparaît que le 23 avril. Et c’est le 26 qu’il note : « l’attaque n’a été qu’un terrible four. » Il évoque les interpellations dans la presse à propos du 16 avril : « Au bout de trois ans, c’est malheureux d’être conduits par des vaches pareilles [les généraux ? le gouvernement ?] qui empochent notre argent et nous font casser la figure. » Le 30 mai, il décrit à Fismes des poilus qui chantent la Carmagnole et l’Internationale à tue-tête et de tous les côtés. Il évoque aussi un front de l’Aisne très actif de juin à août 1917 (p. 226) : « Les Allemands déclenchent un tir d’artillerie terrible à une heure, sur la côte de Madagascar, jusqu’au plateau de Craonne. Toute la côte est en feu et noire de fumée. Quel enfer dans ce coin ! Vivement qu’on se barre. »
La tonalité sombre continue lors de la poursuite de 1918, elle est accentuée par la nouvelle de la mort de son frère en octobre. Le 9 novembre, il décrit des civils libérés dans les Ardennes, insiste sur leur pauvreté et leur maigreur. Si le 11 novembre est apprécié à sa juste valeur « Quel beau jour pour tout le monde, on est fou de joie », un naturel pessimiste revient rapidement lors de cheminements fatigants en Belgique puis avec le retour dans l’Aisne, J. Prudhon en a assez (26 novembre 1918, p. 296) : «Vivement la fuite de ce bandit de métier de fainéants, métier d’idiotie. C’est affreux, il y a de quoi devenir fou. ». Le 10 décembre 1918, la pluie qui tombe sur un village de l’Aisne ne l’inspire guère (p. 297) : « Il pleut : un temps à mourir d’ennui. C’est affreux. Les femmes du pays s’engueulent comme des femmes de maison publique, elles se traitent de ce qu’elles sont toutes : de restes de Boches ! Quel pays pourri ! » Le carnet se termine après quelques mentions plus neutres le 26 décembre 1918.
Dans les courtes citations proposées, on n’a pas insisté sur les passages neutres ou parfois optimistes – il y en a de nombreux – mais il reste que la tonalité globale est sombre : alors, caractère dépressif et introversion complaisante ou hostilité réfléchie à la guerre ? Certainement un peu des deux, mais la critique récurrente des officiers, l’allusion au fait que ceux-ci gagnent bien leur vie et l’idée que la guerre arrange des entités supérieures qui ont intérêt à sa poursuite donnent à ce témoignage l’aspect global d’une dénonciation formulée avec un caractère de classe récurrent : ce sont toujours ceux d’en haut qui oppriment ceux d’en bas. Il exprime cette révolte avec encore plus de force le 13 février 1918 (p. 256), avec il est vrai 39° de fièvre; il est, dit-il, malade sur la paille, à tous les vents : « Si, au moins, la terre se retournait avec tout ce qu’elle porte, la guerre et les misères, au moins, seraient finies pour les martyrs, et les plaisirs aussi pour nos bourreaux, nos assassins. »
Vincent Suard, décembre 2018

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Camondo (de), Nissim (1892-1917)

Né à Boulogne-sur-Seine le 23 août 1892. Puissante famille juive de Constantinople établie en France sous le Second Empire. Son père Moïse, riche banquier, fait construire un splendide hôtel particulier au parc Monceau, légué à la République pour devenir musée à la mémoire de Nissim, ce qu’il est aujourd’hui.
Études au lycée Janson-de-Sailly jusqu’au bac. Service militaire dans la cavalerie (3e hussard) de 1911 à 1913. Maréchal des logis. Après le service, ses études de Droit sont interrompues par la mobilisation. Il passe ensuite au 21e dragon comme mitrailleur et combat comme l’infanterie (« C’est un sale truc au fond que d’être fantassin », écrit-il en octobre 1915). Enfin il est transféré à l’escadrille MF33 d’abord comme observateur, puis comme pilote. Son avion est abattu par un Fokker le 5 septembre 1917 au-dessus de la Lorraine.
Le musée conserve les lettres envoyées principalement à son père, son journal de campagne, des coupures de presse et 1200 photos. Le courrier reçu par Nissim est perdu.
Le livre (Nissim de Camondo, Correspondance et Journal de campagne 1914-1917, aux éditions Les Arts décoratifs, 2017, nombreuses illustrations), après des pages de présentation générale de Sophie d’Aigneaux-Le Tarnec et Philippe Landau, est divisé en quatre chapitres :
– 1914 Un hussard patriote
– 1915 Les désillusions d’un dragon
– 1916 La cinquième arme
– 1917 Vie et mort d’un pilote aviateur
Un précieux index des noms de personnes termine l’ouvrage.

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Blunden, Edmund (1896-1974)

La Grande Guerre en demi-teintes. Mémoires d’un poète anglais. Artois, Somme, Flandres (1916-1918), par Edmund Blunden
Traduit de l’anglais par Francis Grembert
Editions Maurice Nadeau
Prix public : 25€

Le livre
Undertones of war est un classique anglais de la Grande Guerre. Salué comme le meilleur récit de son genre, ce texte a été publié à Londres en 1928. Le voici enfin traduit pour la première fois en français. Le poète Edmund Blunden y relate son expérience dévastatrice de la guerre de tranchées en France et en Belgique. Il prend part aux batailles meurtrières de la Somme, Ypres et Passchendaele, où il décrit cette dernière comme “le massacre, non seulement des soldats mais aussi de leur foi et de leurs espoirs”. Dans une écriture poétique mais sans emphase, il raconte la ténacité, l’héroïsme et le désespoir des hommes de son bataillon. Ce texte est enrichi de 31 poèmes de l’auteur composés sur le front. Edmund Blunden a été sélectionné six fois pour le prix Nobel de littérature.

À propos de l’auteur
Edmund Blunden (1896-1974) est un poète, auteur et critique anglais. Il a été professeur de poésie à l’Université d’Oxford. Pendant la Première Guerre mondiale, il a été sous-lieutenant au Royal Sussex Regiment jusqu’à la fin de la guerre. Enrôlé à dix-neuf ans, il a participé à de lourdes offensives à Ypres et sur la Somme. Il a été décoré de la Military Cross.
Contact presse : Laure de Lestrange : 01 46 34 30 42 / editions.mauricenadeau@orange.fr

Extraits de critiques parues :

Aux idéologies figées de la Grande Guerre, le livre d’Edmund Blunden oppose une attention sidérante aux paysages dévastés et une empathie exemplaire pour toute forme de vie atteinte par la destruction.
(…)
Edmund Blunden ne généralise pas, n’explique rien. Le peu de vérité atteignable par sa remémoration ne semble susceptible d’apparaître qu’à travers l’exposition de singularités. Si elle comporte un enjeu référentiel direct, l’accumulation des détails concrets procure une émotion intense, déclenche la narration chez son auteur en même temps que le recueillement chez son lecteur.
(Pierre Benetti dans En Attendant Nadeau)

Il ose écrire dans la chute d’un chapitre :« Mais malgré tout, ce monde était beau » ; et cette pensée d’un survivant des combats de Beaumont-Hamel, d’un rescapé du piège de la Redoute des Souabes, d’un revenant de l’enfer de Thiepval, seul un poète pouvait oser l’écrire.
(Pierre Assouline dans La République des livres)

Ces mémoires sont d’une précision absolument démente, au taillis près, à la minute près parfois.
(Manou Farine – France-Culture – La compagnie des poètes)

Extraits de la préface (Francis Grembert) :

Inédit en français, La Grande Guerre en demi-teintes compte au rang des classiques du témoignage britannique de 14-18. Tout comme les ouvrages de Siegfried Sassoon, Robert Graves, Wilfred Owen et Vera Brittain, il n’a cessé d’être réédité depuis sa parution en 1928. Ces mémoires sont à bien des égards atypiques. La Grande Guerre en demi-teintes se démarque par son rejet du sensationnalisme et une démarche qui refuse tout didactisme. Dans cette chronique douce-amère, l’auteur a délibérément choisi l’euphémisme pour retracer son parcours de combattant. Qualifié de « long poème en prose » à sa sortie, l’ouvrage surprend par ses partis-pris, sur la forme comme sur le fond. La Grande Guerre en demi-teintes procède par la juxtaposition d’éléments disparates, reflets fidèles de la réalité. L’ironie qui s’en dégage n’est jamais complaisante. La première phrase du livre – « Je n’étais pas impatient d’y aller. » – résume bien le ton choisi pour évoquer la guerre.
La dénonciation de la guerre n’est pas son propos, du moins n’est-elle pas explicite. L’auteur préfère nous faire entrer sans commentaires superflus dans la routine de la vie des tranchées, avec ses codes, ses bizarreries et son quota de morts dans les duels d’artillerie quotidiens. Observateur scrupuleux des paysages, il s’imprègne des vergers, des marais et des maisons de Festubert et de Richebourg, des vallées dévastées de la Somme et du bourbier de Passchendaele pour les restituer avec une surprenante profusion de détails. L’art subtil d’Edmund Blunden consiste à allier les descriptions précises de villages et d’aménagements militaires à un détachement ironique permanent. Un des grands mérites de l’ouvrage est de nous montrer que le théâtre des opérations militaires n’est pas un vaste ensemble uniforme. Le combattant vit dans un secteur et non un autre. Il évolue dans des configurations de tranchées, de boyaux et d’abris à chaque fois différentes. Ce paysage temporaire est la référence unique du combattant, dont la survie dépend de sa capacité à s’adapter à un environnement hostile.
La Grande Guerre en demi-teintes est aussi, et peut-être avant tout, un livre d’une écriture dont la richesse n’est que rarement attestée dans les mémoires de combattants. On y goûte une langue généreuse, inventive, à la syntaxe méandreuse et hardie, qui n’hésite pas à puiser sans vergogne dans le riche passé des lettres britanniques. Shakespeare, Byron, Tennyson, Keats sont convoqués parmi d’autres. La réponse à la guerre est la littérature, semble nous dire Edmund Blunden. En recourant à un style complexe, nourri d’échos anciens, il affirme la persistance d’un héritage littéraire que la barbarie des tranchées n’a pas réussi à balayer.
(…) Cette volonté quasi obsessionnelle du mot juste pour dire l’indicible est ce qui fait l’originalité de ces mémoires, mélange subtil de topographie militaire, d’instants de camaraderie, de combats sauvages, d’absurdités administratives et d’érudition. L’objectif est clairement de rendre compte de la complexité de la réalité combattante et de dire la résilience des troupes. On se perd parfois dans ses longues phrases, agrémentées de chausse-trappes, de bizarreries et de ruptures en tous genres, mais cet égarement est porteur de sens : la guerre est multiple et tentaculaire, elle glisse entre les mains, mais il faut tenter de la dire.
La Grande Guerre en demi-teintes regorge de noms de camarades, qui associés aux lieux, personnalisent le récit. Les Doogan, Penruddock, Kapp, Cassels et autres Clifford ponctuent le récit et donnent lieu, au détour d’une phrase, à de petites notations qui en disent autant qu’un long portrait. Quand l’un d’eux meurt, Blunden ne s’attarde pas, par pudeur, par volonté aussi de ne pas tomber dans un pathos facile. Les « excellents compagnons » et les « parfaits amis » suffisent amplement à dire la force du lien, et le cas échéant la douleur de la perte. (…)
Tout au long de sa vie, Edmund Blunden, reviendra régulièrement sur la guerre, dans ses poèmes comme dans ses essais. Il sera nommé au poste de conseiller littéraire auprès de la Commission des Sépultures de Guerre et publiera des « poètes de tranchées » tels que Wilfred Owen et Ivor Gurney. Siegfried Sassoon affirmait que de tous les écrivains-combattants, il était sans conteste celui que son expérience combattante avait le plus obsédé. Il n’a jamais caché que la guerre le hantait et que le passage du temps n’y faisait rien. Peut-être n’a-t-il jamais vraiment compris pourquoi il avait survécu. Son jeune âge explique aussi la force de l’impact qu’a exercé la guerre sur lui. Il a tout juste 19 ans quand il arrive en France. Surnommé Le Lapin par ses camarades, en raison de sa vivacité, il possède une force intérieure que ne laisse pas supposer ce sobriquet. La Médaille Militaire obtenue pour bravoure dans la Somme sera d’ailleurs passée sous silence dans La guerre en demi-teintes. Blunden n’est jamais sorti de la guerre. Les fantômes du passé l’ont accompagné jusqu’à sa mort. La culpabilité de s’en être sorti tandis que bon nombre de ses camarades avaient laissé leur vie dans la boue continentale est une constante dans sa vie et son œuvre.
Auteur typiquement britannique, grand amateur de soirées au pub et de matchs de cricket, Edmund Blunden a bâti une œuvre de premier plan, essentiellement axée sur la poésie, la critique littéraire et les biographies. Professeur à l’université de Tokyo pendant les années 20 et à Hong Kong pendant les années 50, chroniqueur au Times Literary Supplement, ce Britannique si attaché à la culture de son pays a toujours fait preuve d’un grand souci d’universalité. Quand en 1958, il publie une anthologie de poètes de la Grande Guerre, ce n’est pas pour exploiter un filon mais bien pour dire que quarante ans après l’Armistice, avec une autre guerre mondiale venue s’intercaler au passage, ce qui s’est passé entre 1914 et 1918 reste la matrice, mystérieuse et incontournable, à partir de laquelle s’est construite sa vie d’homme et d’écrivain.

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Richards, Frank (1883-1961)

Réserviste de l’armée coloniale, Franck Richards a combattu sur le front occidental pendant toute la durée de la guerre. Il a connu de très nombreux secteurs : Ypres, Houplines, Bois-Grenier, Laventie, la Somme, Arras. Ses mémoires forment un récit alerte et riche en informations, notamment pour ce qui est des relations entre Français et Britanniques. On y trouve également beaucoup de colère contre les planqués.

Né Francis Philip Woodruff en 1883 et devenu orphelin à l’âge de neuf ans, le jeune garçon est adopté par son oncle. Après avoir travaillé dans les mines du Pays de Galles, Frank Richards s’engage dans les Royal Welsh Fusiliers en 1901. Pendant sept ans, il sert dans les forces impériales en Inde et en Birmanie, avant de devenir réserviste en 1909. Rappelé en août 1914, il se bat pendant quatre ans sur le front occidental sans subir de blessure notable.

Après la guerre, Richards doit vivre de petits boulots, des problèmes de santé lui interdisant de travailler dans les mines de charbon. Publié en 1933, Old soldiers never die a été écrit avec l’aide non créditée de Robert Graves, l’auteur de Au-revoir à tout cela. L’ouvrage donne le point de vue d’un combattant de l’armée régulière, resté simple soldat durant tout le conflit, ce qui en fait l’originalité Le succès sera au rendez-vous. En 1936, Frank Richards publiera Old Soldier Sahib, qui relate son expérience militaire en Inde.

Old soldiers never die est par certains aspects un livre de mémoires type, qui rassemble l’ensemble des thématiques de la vie quotidienne du combattant britannique de la Grande Guerre. Les cantonnements, le no man’s land, les cadavres, les aumôniers, les Françaises, l’alcool, les corvées, le chapardage, les médailles, les services sanitaires, la trêve de Noël, la nourriture, la combine, l’incompétence de l’État-major, les coups de main, les rumeurs, la prostitution, la désertion, les superstitions, la censure du courrier… rien ne manque au catalogue, ni les anecdotes cocasses ni les personnages hauts en couleur. Tout cela est inséré dans le parcours personnel d’un soldat de métier qui sait allier l’art du coup de gueule à un humour parfois cynique. Robert Graves est passé par là ! Du moins, le livre est-il très bien écrit et la crédibilité de l’auteur ne fait aucun doute. Les états de service de Frank Richards parlent pour lui. Il est l’un des seuls écrivains-combattants à s’être battu d’août 1914 à novembre 1918. Si le trait est parfois un peu forcé, les coups de colère et la dénonciation des injustices ayant cours au front nous apportent un éclairage d’autant plus précieux sur le quotidien des combattants qu’il n’est relayé par aucune idéologie, pacifiste ou patriotique.
Plus d’un critique a vu dans Old soldiers never die un des meilleurs témoignages britanniques de la Grande Guerre. Si le livre est effectivement d’une lecture très agréable, il souffre néanmoins de son regard rétrospectif et de son approche parfois didactique.

Francis Grembert, décembre 2018

L’extrait qui suit a pour thème l’alcool. L’auteur tient à rétablir la vérité par rapport à ce qu’il a pu entendre ou lire sur les fameuses rations de rhum qu’on donnait aux combattants avant un assaut.

J’ai lu dans un journal que les troupes étaient gavées d’alcool avant de monter à l’assaut. Dans mon bataillon, la quantité de rhum qu’on nous donnait n’aurait pas réussi à soûler un pou. Bien sûr, certains d’entre nous se débrouillaient parfois pour en avoir un peu plus mais la ration réglementaire était d’une cuiller et demie, et nous devions nous estimer heureux si nous en avions une entière. Le rhum arrivait en même temps que la nourriture et était remis au sergent-major de la compagnie. Si le cœur lui en disait, il se servait. Puis les sergents de section prenaient les bonbonnes pour chaque section en s’octroyant naturellement une petite rasade en passant. Parfois, les caporaux prenaient le relais et agissaient de même, si bien qu’à la fin il ne nous restait pas grand-chose. Il arrivait que des sergents de section servent le rhum eux-mêmes et la majorité de ceux que j’ai connus étaient honnêtes, mais nous en avions un dans la compagnie qui était un véritable requin. Les sous-offs et les hommes que j’ai vus ivres au combat ne l’étaient pas du fait de leur propre ration mais bien de celles des autres. Notre ration ordinaire nous était très bénéfique et nous aidait à nous réchauffer, mais celui qui en buvait davantage avant une patrouille, un coup de main ou une attaque prenait des risques. Quand il participait à une quelconque action militaire, le soldat avait besoin de tous ses esprits et la goutte supplémentaire pouvait le rendre imprudent.

Old Soldiers Never Die, Frank Richards, Faber and Faber, 1933, nombreuses rééditions, dont Parthian Books, 2016

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Duffy, Francis (1871-1932)

Pendant la Grande Guerre, ce prêtre catholique canadien a été l’aumônier du 69e régiment d’infanterie de la Garde Nationale de New York, composée majoritairement d’immigrants irlandais. Il est l’ecclésiastique le plus décoré dans l’histoire de l’armée américaine.

Né en 1871 au Canada, dans l’Ontario, Francis Duffy émigre à New York. Ordonné prêtre en 1896, il enseigne la « psychologie philosophique » au séminaire de Yonkers et édite la New York Review, que l’archevêque de New York réussit à faire interdire en raison de son contenu jugé trop « moderniste ». Nommé dans une paroisse récemment créée dans le Bronx, Francis Duffy devient également aumônier militaire, ce qui lui vaut d’accompagner les troupes américaines lors de la guerre hispano-américaine de 1898 à Cuba.

Quand le 69e régiment de New York est envoyé en France, en 1917, Francis Duffy accompagne les hommes dont il a la charge spirituelle. Après la période d’entraînement militaire, pendant laquelle il célèbre de nombreux mariages, il débarque à Brest avec son régiment le 12 novembre. Le régiment rejoint les Vosges puis les secteurs de Lunéville et de Baccarat, en Meurthe-et-Moselle. Viendront ensuite la bataille de l’Ourcq, l’offensive de Saint-Mihiel, la bataille de l’Argonne puis l’occupation en Allemagne. Francis Duffy ne se contente pas d’assurer les services religieux et de veiller au moral des troupes, il accompagne également les brancardiers au cœur même des combats. Le lieutenant-colonel Donovan considère que le rôle de Francis Duffy dépasse celui d’un simple aumônier. Il est même question de lui attribuer le poste de commandement du régiment.

Les mémoires de guerre de Francis Duffy regorgent d’informations précises sur les localités françaises où stationne le 69e régiment et de commentaires sur la population civile. On y suit la vie quotidienne du régiment, avec pour fil conducteur l’esprit irlandais qui unit ces fils et petit-fils d’émigrés de la verte Erin. L’ouvrage remplit à la fois les fonctions d’histoire régimentaire et de récit personnel. Cette double orientation s’explique par la genèse du livre. Francis Duffy a en fait repris le manuscrit de son ami, le poète Joyce Kilmer, converti au catholicisme, qui avait entamé la rédaction de l’histoire du régiment avant d’être tué en 1918 au cours de la bataille de l’Ourcq. Duffy avait au départ l’intention de continuer dans la veine du manuscrit de Kilmer, mais on l’avait incité à y relater également ses propres souvenirs. Comme de nombreux autres mémoires d’aumôniers, l’ouvrage de Patrick Duffy est un témoignage très documenté qui se distingue par la qualité de son écriture.

Après la guerre, il prend en charge la paroisse de Holy Cross, à New York, et y restera jusqu’à sa mort en 1932.

Extraits :

Dimanche 17 mars 1918

Nous n’avions pas de cathédrale pour notre messe de la Saint Patrick mais le lieutenant Austin Lawrence a demandé aux médecins Jim McCormack et George Daly de me trouver un coin dans les arbres où ma soutane blanche ne risquerait pas d’être repérée. Les hommes qui en avaient l’autorisation se glissèrent hors des tranchées pour assister à l’office.
Plus tard dans la matinée, j’ai également célébré une messe en arrière, au camp New York, pour le 2nd bataillon. Là aussi nous étions dissimulés par de jeunes bouleaux sur un terrain en pente. Les hommes n’ont pas bougé quand le clairon a retenti pour signaler un aéroplane ennemi. Je leur ai décrit les anciennes fêtes de la Saint Patrick en leur disant que nous étions mieux ici. Les dirigeants de notre pays nous avaient appelés pour que nous nous battions au nom de la liberté et du droit des petites nations. Nous combattons pour cette noble cause au nom de notre pays et de l’humanité toute entière, sans oublier le cher petit pays d’où venaient tant d’entre nous et que nous aimions tous.

(…)
Après la bataille / Forêt de Fère – Août 1918
En une seule bataille, presque la moitié de nos forces a disparu. Cinquante-neuf officiers et mille trois cents hommes ont été mis hors de combat. Parmi ceux-ci, treize officiers et deux cents hommes sont morts. Les blessés graves sont nombreux. Mais en dépit de ces pertes, de la douleur qu’elles occasionnent et des maladies, les hommes sont étonnement enthousiastes. Ils ont obtenu ce qui compte le plus pour un soldat : la victoire. Et ils savent maintenant que les adversaires qui ont dû se replier faisaient partie de la célèbre Garde Prussienne, la fine fleur de la machine de guerre allemande. Le 69e a de nouveau été à la hauteur de sa réputation.
Je suis allé interroger les survivants pour la chronique que j’écris sur le régiment. Je peux avouer, tandis que je réécris ces chapitres, que j’ai dû attendre des mois pour obtenir des informations détaillées auprès des blessés. Au lendemain de la bataille, ceux qui étaient le plus en mesure de me livrer le récit des événements étaient allongés sur des lits d’hôpitaux, souffrant atrocement, mais toujours animés du courage et de la dévotion de leur race, attendant avec impatience le jour où ils pourraient reprendre leur dangereux poste au sein de leur cher régiment. Ce sont les véritables héros de la guerre. Il est facile de s’engager sur le coup de l’émotion mais l’heure de vérité sonne quand, après avoir fait face à la perspective d’une mort brutale et avoir enduré des douleurs sans nom, le combattant insiste, malgré les offres de service allégé que lui proposent des officiers prévenants, pour reprendre sa place en ligne auprès de ses camarades. Et maintenant que la guerre est terminée, rien ne me remue autant le sang que l’arrogance mesquine de certains majors qui rejetaient les requêtes de ces hommes souhaitant endosser à nouveau l’uniforme (dont beaucoup avaient été blessés plusieurs fois).

Francis Grembert, décembre 2018

Father Duffy’s Story, Francis Duffy et Joyce Kilmer, George H. Doran Company, New York, 1919
Duffy’s War: Fr. Francis Duffy, Wild Bill Donovan, and the Irish Fighting 69th in World War I. Stephen L. Harris, Potomac Books, Washington, 2006

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Balmelle, Marius (1892-1969)

Les Archives départementales de la Lozère et les éditions Sutton ont publié en 2018 le livre Chroniques de la Lozère en guerre 1914-1918 : Carnets de Marius Balmelle, présentés par Thomas Douniès et Yves Pourcher. C’est le troisième témoignage important sur la vie dans ce département loin du front, après ceux d’Émile Joly et d’Albert Jurquet (voir les notices « Joly » et « Jurquet » dans 500 témoins de la Grande Guerre et dans le présent dictionnaire). Je mentionne mon léger désaccord avec les auteurs de la présentation à propos de Jean Norton Cru (voir la notice « Cru » dans les mêmes ouvrages). On ne peut pas dire que « les seuls témoins qui comptent [pour JNC] sont les combattants, les hommes qui ont connu l’épreuve du feu ». L’objectif du travail de JNC était d’analyser les récits des combattants ; il n’avait donc à se préoccuper que des combattants et pas des autres contemporains, même s’ils pouvaient être des témoins intéressants sur la vie à l’arrière. D’autre part, la référence à l’œuvre de JNC aurait gagné à signaler le grand livre Témoins et non le petit livre Du témoignage, d’ailleurs dans une édition amputée. Cette réserve faite, le livre de Marius Balmelle apporte beaucoup.
Le témoin
Il est né à Mende le 22 septembre 1892. Son père était agent voyer. Il a reçu une bonne éducation qui lui a permis de devenir un érudit passionné par son département natal. Même dans les années de guerre, il en décrit les beautés et il publie son premier livre sur « les richesses du sous-sol et les richesses hydrauliques du département de la Lozère ». Il écrit aussi de la poésie et « un conte moyenâgeux » (p. 231). « Je suis croyant » (catholique), dit-il. Avec le curé de Mende, il se plaint que la guerre « nous prend aussi la vertu des femmes et des filles » (p. 76). Le passage du 18 septembre 1914 sur les missionnaires dont « certains se trouvaient perdus dans les forêts équatoriales au milieu de tribus sauvages parfois anthropophages », qui sont « revenus accomplir leur devoir de Français » est trop long pour être repris ici en entier (p. 56).
Le 12 juin 1915 (p. 88), il décrit ses « cultes » : la famille ; la volonté ; la solitude ; la Nature natale ; l’étude ; les fleurs. On est étonné de ne pas y trouver la patrie, alors que de nombreuses pages stigmatisent la barbarie des Allemands. Les auteurs de la présentation soulignent le fait que, classé service auxiliaire et affecté à Mende, il n’exprime jamais le regret de ne pas combattre.
Le témoignage
Les présentateurs constatent aussi que, chez Balmelle, la guerre n’a pas déclenché l’écriture d’un journal, mais qu’elle lui a donné un nouveau sens. Il a commencé à tenir son journal en 1911 et l’a poursuivi jusqu’en 1948. Le livre ne reprend que les pages allant de Noël 1913 au 31 décembre 1919. Plusieurs feuillets ont été arrachés, des phrases effacées ; on en ignore les raisons. La partie sur 1918-1919 est très brève : lassitude ? coupures ? temps consacré à d’autres formes d’écriture ? Travaillant à l’intendance, il était bien placé pour donner des renseignements sur la vie matérielle en Lozère ; il a aussi tenu compte du récit d’un combattant venu en permission (sur huit pages en janvier 1916). Le journal de Marius Balmelle a été déposé par la fille de l’auteur aux Archives départementales qui ont organisé en 2016 une exposition sur le thème « Marius Balmelle, un érudit au service de la Lozère ».
Contenu
Dès la fin de juillet, les habitants de Mende font des provisions, échangent les billets de banque pour de l’or, retirent leurs fonds de la Caisse d’épargne. La mobilisation s’accompagne d’angoisse et de pleurs. Les soldats affluent et boivent. Le départ se fait dans l’enthousiasme. Marius pense, dès le 6 août, que les Allemands sont des brutes féroces, pires que des animaux. La presse locale aspire au moment « où la bête malfaisante sera écrasée, afin que la menace allemande ne plane plus constamment sur la paix du monde pour enrayer tout envol vers l’idéal, vers la science, vers l’art et la bonté ». Bientôt arrivent des réfugiés, des blessés, des prisonniers allemands. Des hôpitaux doivent être installés dans les établissements scolaires et la rentrée est difficile. Il signale l’espionnite, les lettres anonymes de dénonciation, les rumeurs, une vaccination collective contre la typhoïde, les emprunts de la Défense nationale, la hausse des prix. En 1915, quatre déserteurs sont arrêtés par la gendarmerie (p. 131). Plus loin (p. 141), figure la liste des entreprises qui travaillent, en Lozère, pour la défense, avec mention particulière des mines du Mazel. Il effectue plusieurs voyages, mêlant l’utile (visite des poudreries de Bergerac et de Toulouse) et l’agréable (tourisme archéologique à Cordes, Carcassonne, etc.).
Le livre donne des index (lieux, personnes, thèmes), sources et bibliographie locales, important encart d’illustrations.
Rémy Cazals, décembre 2018

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Rama, Auguste (1883-1973)

Le livre d’Auguste Rama, Souvenirs 1914-1919, Une traversée de la Grande Guerre (2018) fait partie des ouvrages produits par la piété familiale. Il est disponible chez ses petits-enfants : cecilerama@laposte.net.
Auguste Rama est né à Quintenas (Ardèche), près d’Annonay, dans une famille paysanne. On comprend qu’il est catholique et qu’il a reçu une certaine instruction qui lui a permis de devenir imprimeur à Romans en 1911, associé avec ses frères. À 80 ans, il a écrit 700 pages de souvenirs ; les p. 433 à 565 concernent la période de la guerre ; ce sont celles qui sont reprises dans le livre. S’il se souvient bien de « la vie quotidienne au front » (titre d’un chapitre), il avoue un trou dans sa mémoire en septembre-octobre 1917 (p. 210) et il place l’offensive de la Somme en février 1917. Sur les mutineries, il écrit : « Le général Pétain eut le mérite de calmer les esprits, de remettre de l’ordre au moindre prix. Mais la période avait été plus que critique. Tous les régiments d’infanterie n’avaient pas été touchés par cette vague de rébellion. Le 99e entre autres avait été épargné. Jamais je n’avais perçu le moindre symptôme. » Or Denis Rolland (La grève des tranchées, Les mutineries de 1917) signale un trouble au 99e RI le 1er juin à Œuilly.
Son mariage, prévu le 8 août 1914, ne put être célébré qu’en février 1916. Il décrit l’angoisse lors de la mobilisation, la pagaille à la caserne du 261e RI à Privas, les départs « à Berlin ». Caporal, son état de santé lui vaut un emploi de bureau jusqu’en juillet 1916 ; il expose ses craintes d’être considéré comme un embusqué.
Il part en juillet 1916 vers le front de Verdun, au 99e RI, et il découvre « un autre monde », celui des tranchées, des bombardements, du gaz. Deux phrases significatives :
– p. 97, sous le bombardement : « cette attente de celui [l’obus] qui va peut-être vous mettre en bouillie » ;
– p. 137, avant de sortir pour une attaque : « ce dernier quart d’heure d’attente est quelque chose d’inhumain ».
Auguste Rama n’aime pas Mangin (« le nom seul de Mangin faisait frémir », p. 104). Il parle d’un « complot de politiciens » qui « manœuvrait pour faire monter Nivelle » au détriment de Pétain (p. 89). Thème repris p. 168 à propos de l’offensive du 16 avril 1917 : « Attaque voulue par le sinistre général Nivelle qui avait, grâce à des influences politiques, remplacé le général Pétain, et qui, par ambition, fit massacrer inutilement une partie de l’armée française, et de ce fait accentua le malaise et le découragement des troupes pour en arriver à la période noire des désertions, des rébellions collectives. »
Rémy Cazals, décembre 2018

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