Dromart, Marie-Louise (1880-1937)

Le chemin du Calvaire, Paris, La Maison Française d’Art et d’Edition, 1920, 167 p.
Résumé de l’ouvrage :
Marie-Louise Dromart demeure à Haybes, petite commune aux confins des Ardennes, à l’entrée de la pointe de Givet, en bordure de La Meuse. En 1914, elle est vice-présidente du Comité des Dames Françaises de la Croix-Rouge de Fumay, Haybes et Revin. A ce titre, elle témoigne des terribles journées d’août, à partir du 16, qui voient l’invasion de son village par les troupes allemandes. Après quelques jours d’exode des habitants des localités voisines auxquels sont mêlés des ressortissants belges, qui témoignent d’exactions, résolue, elle dit : « Vice-présidente d’une société locale de la Croix-Rouge, j’avais assumé la tâche rigoureuse et difficile de tenir tête à l’orage et, si je ne songeai pas un seul instant à déserter mon poste, je jugeai que mon premier devoir était d’écarter ma mère et mes deux enfants du péril imminent » (p. 3). Hélas, le 24, alors qu’elle s’apprête à traverser le fleuve avec sa famille, son fils et son père, « les Hussards de la Mort (du 19e) arrivaient comme une trombe » (p. 3), notamment « sur le Chemin du Calvaire, tristement symbolique, et ainsi nommé parce qu’un beau Christ de pierre le domine et le protège de toute sa détresse miséricordieuse » (p.11) qui donne son titre à son livre testimonial. Dans la tourmente, elle perd un temps sa fille et sa mère, séparée d’elles par la guerre. Devant cette détresse qui la dépasse, elle dit : « Je glissai dans ma poche deux paquets de sublimé, bien décidée à partager le poison avec les miens si les choses tournaient au pire » (p. 17), envisageant ainsi d’assassiner sa famille. Rassérénée, elle va dès lors se démultiplier pour tenter d’influer, en pleins combats, sur l’attitude des allemands qui vont multiplier les répressions et les exactions envers la population. Elle relate par le détail tant son action devant les troupes, et notamment les officiers, qu’en tant qu’infirmière, au château de Moraypré, tout en tentant d’éviter que sa propre famille ne subisse le même sort que son village, centre de combats de résistance, et où les destructions s’accumulent. Se démultipliant, également comme interlocutrice, voire médiatrice, elle assiste au simulacre d’un procès et rapporte (elle n’en n’est pas le témoin direct) celui d’une Cour martiale à l’encontre d’un des prêtres du village. Début septembre, elle constate son village en ruines, qui s’est résolument enfoncé dans l’occupation, la guerre ayant poursuivi son chemin vers le sud. Mais il faut gérer les blessés. Omnipotente, elle organise l’évacuation de ceux de l’hôpital de fortune qu’elle avait créé avec l’instituteur local vers l’hôpital de Fumay, commune limitrophe au sud, par-delà la rivière. Elle dit pour cela bénéficier de l’aide du docteur Mangin, lorrain de Château-Salins, manifestement francophile et francophone (p. 91). La suite de son récit est une succession de tableaux, le plus souvent issus de faits rapportés. Elle dit parfois : « Je n’ai pas vu l’autre scène, celle que je vais rapporter, mais elle me fut contée par des témoins avec une telle minutie de détails impressionnants que j’en ai gardé la macabre obsession » (p. 114), ce qui minore la matérialité testimoniale de ses récits. Ainsi, la description de la mort christique d’un soldat dans un ambulance n’amène pas à la nomination de ce soldat. Elle dit enfin « être rapatriée après un internement de six longs mois en pays occupé » (p. 129), donnant un ouvrage composite construit entre Haybes (le 24 août 1914) et La Guerche (Indre-et-Loire) (le 24 août 1916). L’ouvrage s’achève sur des appendices rapportant les atrocités à Haybes, issu du rapport Bédier (p. 158 à 165), et sa citation pour son attitude courageuse dans les tragiques journées d’août 1914.

Commentaires sur l’ouvrage :

Marie-Louise Grès, épouse Dromart, née à Haybes le 29 juillet 1880, est connue comme poétesse [elle obtient en 1924 le prix Archon-Despérouses puis le prix de l’académie des jeux floraux de Toulouse en 1931]. Son père, Pierre Lambert Édeze Grès, évoqué dans l’ouvrage, est fabricant de pavés en ardoise et sa mère est Adèle Maria Sulin. Marie-Louise Grès est le second enfant du couple qui aura 4 filles. Elle évoque d’ailleurs l’une de ses sœurs, Louise, morte à 20 ans (page 17). Après des études secondaires à Charleville-Mézières, elle se destine au métier d’infirmière. Elle se marie à 19 ans avec François Joseph Dominique Dromart, directeur d’usine. Elle aura une fille (née en 1900) et un garçon (né en 1903), tous deux également cités dans le livre, notamment dans leur tentative avortée de fuite devant l’invasion (p. 19). Elle se fait une place dans la littérature, obtenant quelques critiques encourageantes, notamment de Georges Duhamel, dès avant la Grande Guerre, ce en publiant un premier livre de poésie dès 1912. Elle témoigne également dans un livre recueillant la parole de femmes parisiennes, en compagnie par exemple de Mme Alphonse Daudet ou la duchesse d’Uzès, collectés par Camille Clermont, actrice et autrice. Après la guerre qu’elle a passé réfugiée dans la capitale ou le centre de la France, elle revient à Haybes en 1919, y fait partie des notables (elle narre ainsi succinctement la réception du président Poincaré à Haybes le 1er décembre 1919) (p. 156) et son action au cours des journées terribles d’août 1914 lui valent deux citations à l’Ordre de la Nation, la médaille de la Reconnaissance française et la Légion d’Honneur. Elle meurt à Paris le 23 octobre 1937. Son témoignage, dense et haletant, est issu de son expérience directe sur la période allant du 16 août à octobre 1914 soit un peu plus de la moitié de l’ouvrage. Son style, pétri de patriotisme et d’emphase, mêlant devoir et religion, est un modèle de la littérature emphatique et martyrologe. Elle y multiplie ce style à l’envi : « La voilà bien l’exaltation patriotique des martyrs et des héros qui seront morts sans gloire, mais qui donneront aux siècles futurs la mesure du délire sacré dont notre époque aura frémi » (p. 93) ou un peu plus loin : « De ces riens s’exhale le parfum de la délicatesse française, fleur vivace de la chevalerie et de la loyauté » (p. 95). Son sujet reste toutefois l’histoire du village de Haybes. Dès lors, ce style, ses envolées lyriques (lire à ce sujet le 2ème paragraphe, héroïco-mystique, de la page 116), destinées au lecteur à laquelle elle s’adresse (p. 110) et une certaine centralité omnipotente du personnage dans les faits qui se sont déroulés des 24 au 26 août éludés, l’ouvrage reste référentiel pour l’historiographie de la pointe de Givet et pour les secteurs d’Haybes, de Fumey et de la frontière avec les Ardennes belges. Le livre concourt bien entendu à la littérature martyrologe, mettant en avant les exactions allemandes, la pratique des otages, des boucliers humains, les balles explosives, jusqu’au viol, supposé toutefois (celui de Julie Dévosse p. 94). L’ouvrage s’ouvre en effet sur les 11 soldats tombés au champ d’honneur à la bataille d’Haybes, et sur quatre soldats tombés en formations sanitaires à Haybes (Ambulance de Moraypré) ou Fumay. Toutefois la vérification ponctuelle de quelques patronymes (par exemple Jean-Baptiste Urbain) ne confirme pas toujours les lieux et dates de décès sur les simples noms avancés par Marie-Louise Dromart et invite donc à la prudence et à une vérification plus poussée. Le cas de Jean Marie Ternynck, sous-lieutenant au 245e RI, décédé des suites de ses blessures le 13 septembre (p. 97) et dont elle témoigne de l’enterrement par l’ennemi est par contre conforme à la réalité.

Renseignements tirés de l’ouvrage :

P. 2 : Enfants endimanchés pour l’exode : « on sauvait ce que l’on avait de mieux »
17 : Songe à suicider et à empoisonner sa famille
23 : Cadavre brûlé
30 : A perdu puis retrouvé sa mère et sa fille
33 : Evoque un roulement d’otages
35 : Balle explosive
40 : Croix d’ardoise pour un sépulture
75 : Dans les accusations des prêtres : « Vous avez prêché la revanche »
77 : Acte d’accusation et procès des prêtres puis Cour martiale pour l’abbé Hubert
80 : Allégations allemandes (population hostile, oreille coupée, enfant tirant sur les troupes ou mutilant les soldats, etc.), formulées par un général !
81 : Proclamation
84 : Trou du Diable
94 : Viol supposé de Julie Dévosse, figue johannique
: Allemands se ravitaillant sur le stock de nourriture du fort de Charlemont tombé le 29 août
97 : Mort en enterrement avec le respect de l’ennemi du sous-lieutenant Jean Ternynck
100 : Installation dans l’occupation
103 : Entend le canon du front sur la roche de l’Uf à Fumay (100 km du front)
104 : Soldats français toujours derrière les lignes allemandes plusieurs mois après les combats dans les Ardennes (noms cités) (vap 128 à 130 M. Dutil, parisien, prisonnier puis évadé retrouvé à Paris)
106 : Prix des denrées
108 : Tambour de Raffet, version napoléonienne du Debout les morts de Péricard
112 : Tableau surréaliste de la mort christique d’un soldat
133 : Histoire d’un homme fusillé enterré avec la sacoche postale (vap 154)
134 : Pièce d’or donnée comme Talisman d’un père à son fils
141 : Balle retournée (Dum-dum)
155 : Capitaine Evrard, natif de Fumay, aviateur espion qui a atterri à Bourseigne (Belgique) pour faire sauter le pont ferroviaire Saint-Joseph de Fumey

Table des chapitres
Les Boucliers vivants (p. 1) – Mon village en ruines (p. 55) – Devant la Cour Martiale (p. 61) – Les jours qui suivirent (p. 88) – Figures de désespoir (p. 111) – La dernière classe (p. 117) – La rencontre (p. 126) – La pièce d’or du Poilu (p. 131) – Jeanne Craque (p. 136) – Au temps des Cornouillers (p. 142) – Anniversaire (p. 148) – Appendices (p. 153) dont Rapport des atrocités commises à Haybes par les Allemands, du 24 août au 27 août 1914 (p. 158) et Citation parue au Journal Officiel du 24 octobre 1919 (p. 165)

Yann Prouillet, août 2024

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Quentin, Émile (1888-1961) et Amélie (1892-1981)

Lorsque la guerre éclate, Émile (né le 14 septembre 1888) et Amélie (née Chaudion, le 29 mars 1892) forment un couple de jeunes mariés creusois. Lui est issu d’une famille de « cultivateurs » à Semnadisse, commune de Rimondeix Creuse. Ils savent tous deux lire et écrire, mais il ne semble pas avoir atteint le niveau du certificat d’études (sur la fiche militaire d’Émile, est indiqué pour l’instruction le chiffe 3, qui indique un niveau scolaire très acceptable). Il est sabotier. Amélie est couturière. Sa mère tient un petit café à Crépon tout près de Boussac. Ils ont convolé le 25 mars 1913 et leur premier enfant, Émilienne, naît le 6 août 1914, quelques jours à peine après la mobilisation d’Émile. Le père ne pourra voir sa fille qu’à la toute fin de l’année, bénéficiant d’une permission après une première blessure. Le couple, juste avant que la guerre n’éclate, a loué un atelier, boutique et logement à Parsac.

Émile est incorporé au 78e régiment d’infanterie. Il est nommé sergent en septembre 1914. Première blessure, légère, à Rouvroy-en-Santerre, le 5 décembre de la même année. Le 19 octobre 1915, il est muté au 201e RI (le doublon réserviste du 1er RI, régiment de Paris replié sur Limoges). Le 16 avril 1917, il est très grièvement blessé sur le Plateau de Californie et restera handicapé d’une jambe. Ses longs séjours d’hôpitaux se poursuivent jusqu’en 1919.

Amélie élève sa fille auprès de ses parents, non sans avoir des difficultés relationnelles importantes avec sa mère, jusqu’à ce qu’elle décide, en 1916, de partir avec sa petite fille occuper seule le logement de Parsac, et d’y ouvrir et faire par elle-même fonctionner la boutique de sabots et chaussures. Elle réalise aussi, sur commande, des couvertures en piqué.

Après la guerre et la naissance d’une seconde fille, Odette, le couple s’installe à Gouzon et y ouvre une boutique de sabots et chaussures. Ils passeront toute leur vie dans cette localité. Il reçoit la croix de guerre en 1921 et la légion d’honneur en 1946. (Décès d’Emile le 19 novembre 1961, d’une infection relative à son ancienne blessure de guerre, et d’Amélie, le 18 mai 1981.)

Le témoignage est constitué par la correspondance du couple (lettres, souvent longues, surtout de sa part à elle et cartes postales), dont la conservation de part et d’autre est exceptionnelle. S’y ajoute une centaine de lettres reçues d’autres personnes (famille, camarades d’Émile…), pour un total de 1385 pièces. L’auteur de la notice est dépositaire du fonds, reçu fortuitement de la famille, qui sera remis aux archives départementales de la Creuse. Une publication partielle de la correspondance est prévue aux éditions Maïades (19).

Dès les premiers jours Émile et Amélie s’écrivent à un rythme très soutenu, quasi quotidien et leurs lettres (surtout celles d’Amélie) sont longues et fournies. Cette correspondance est presque entièrement préservée et s’avère d’une richesse et d’un intérêt hors du commun.

Le couple possède un niveau scolaire équivalent au certificat d’études et développe une forme d’écrit qui s’appuie sur des formes standards de la correspondance amoureuse et familiale pour s’en affranchir entièrement à travers la production d’une langue écrite décomplexée, sans rature ni remord, visant l’oralité, recherchant un substitut écrit à la conversation de vive voix. L’influence du parler marchois, que l’un et l’autre pratiquaient, s’y fait fortement entendre, dans le lexique, mais aussi la syntaxe. Émile, de son côté, initie Amélie à l’argot des tranchées : « Le pinard ses [= c’est] le vin »… Par la magie de cette fiction d’oralité la correspondance est un espace et temps de relations intimes. Au delà de formules amoureuses que l’on pourrait trouver convenues (mais l’intensification par l’oralité et la variation brisent la convention), la correspondance est toute vouée à célébrer un bonheur conjugal entrevu dans « le doux nid d’amour » de Parsac (leur boutique de sabotier en location), un bonheur sans cesse appelé, sans cesse repoussé par la guerre. Le sujet central est sans doute le bébé, puis l’enfant que le père ne peut voir grandir et dont la mère décrit par le menu et avec une grande délicatesse les attitudes et les progrès. Mais la sexualité, le désir amoureux, sont aussi présents, appréhendés sous le voile des formules amoureuses mais aussi sur le mode « dire des bêtise » (faire des allusions sexuelles). Les époux se racontent également certains de leurs rêves, où s’éprouvent le désir du corps et l’attente du retour, mais aussi la hantise de la mort suspendue. Ils adoptent également un rituel spécifique dans la pratique à deux de la ménomancie : divination à partir du jour et de la date de survenue des règles.

L’intimité implique la mise en forme d’un pacte de véracité, qui dans la situation exceptionnelle de la guerre est extrêmement difficile, et en fait impossible à tenir pour Émile, qui cherche d’abord à rassurer sa femme et les siens. Il insiste ainsi pour souligner que, bien que les obus sifflent sur sa tête, sa main, comme peut constater sa destinataire « ne tremble pas ». Aussi, comme beaucoup d’autres, se concentre-t-il sur les scènes de repos, qu’il ne cherche nullement à enjoliver : prise exagérée d’alcool, jeux de cartes incessants, désœuvrement déprimant… Le récit est ainsi entièrement pris dans la tension entre la répétition incessante de « je vais très bien », « je ne porte pas peine », « je ne me fais pas de souci » et l’horizon noir et sanglant du lendemain. Aussi, ce sont les mots de « cauchemar » et d’« enfer » qui leur servent à tous deux à qualifier la guerre, car l’arrière est aussi plongé dans la déréliction, avec la liste des morts aux combats, des suicides (Amélie ne décrit pas moins de trois suicides de soldats) et des blessés, qui s’allonge de jour en jour. La situation est telle, très vite (fin 14) que l’accord se fait entre la tranchée et l’arrière : « cela ne peut plus durer comme cela », sans pourtant qu’aucune perspective rationnelle de résolution rapide ne se présente ; d’où la recherche de signes prémonitoires et le bon accueil fait aux propos des devins et « prophètes » dans les journaux que lisent l’un et l’autre et qui vaticinent une prompte victoire.

Nonobstant la vie continue et une part non négligeable de la correspondance d’Amélie est dédiée à la geste quotidienne des travaux et des jours à Boussac et Parsac : fête du cochon, moissons à la batteuse, jours de foire, commerce familial, etc. La précision et les talents de narratrice d’Amélie sont impressionnants et son mari, qui sur le front cherche toujours et partout les camarades du pays, se repaît de tous ces « détails », et en redemande. De même la chronique des mœurs de Boussac constitue un point fort des échanges, des histoires grivoises et tristes en fait, de femmes volages et de jeunes filles engrossées par des soldats de passage, qui attirent sur elles la réprobation générale, à commencer par celle d’Amélie, qui de son côté, ne rassure jamais trop son Émile sur sa fidélité. Cette chronique « des femmes de Boussac » comme ils disent, fait échapper un instant à la vague morbide qui semble tout emporter sur son passage, Émile trouve tous ces détails scabreux « épatants », mais ils sont aussi pour lui le signe d’une sorte d’effondrement moral produit par la guerre, et il est vrai en tout cas qu’en fait, ces chroniques ramènent invariablement au cœur de la guerre (jeunes veuves, cocus au front, soldats en convalescence logés chez l’habitante…) et en sont aussi la pure expression.

Jean-Pierre Cavaillé, juillet 2024

Bibliographie :

Jean-Pierre Cavaillé, « Une correspondance au quotidien : Amélie et Émile Quentin, 1914-1919 », in Agnès Steuckardt, Corinne Gomila et Chantal Wionet (dir.), Gens ordinaires dans la Grande Guerre Correspondances, récits, témoignages, Maison des Sciences de l’Homme, 2024, p. 89-108.

– « La correspondance de guerre d’un sabotier et d’une couturière en pays marchois : Amélie et Émile Quentin (1914-1919) », Lemouzi, n° 224, 2019-2, p. 88-140.

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Masquelier, Marie (1895-1975) et Masquelier, Sophie (1896-1989)

Professeur à l’université de Picardie-Jules-Verne, Philippe Nivet dirige la collection « Vécus ». Le 18e titre, en 2022, est un nouveau témoignage de jeune fille de famille bourgeoise du Nord sous l’occupation allemande lors de la Première Guerre mondiale : Une famille roubaisienne sous l’occupation de 1914 à 1918, Journal de Marie Masquelier, édité par Philippe Nivet, Amiens, Encrage édition, 2022, 622 pages, 39 euros.

La famille Masquelier composée d’une mère, veuve, et de cinq enfants dont quatre filles, vivait à Lys-les-Lannoy, commune limitrophe de Roubaix. Ces notables avaient une belle maison et géraient une pépinière. Le témoignage de deux des filles révèle une famille catholique très pratiquante. Un oncle des diaristes, monseigneur Henri Masquelier, dirigeait le journal La Croix du Nord ; un autre était jésuite. Dans cette famille, on pensait que la guerre était une punition de Dieu infligée aux dirigeants anticléricaux de la France : « la France a beaucoup péché ; mais Dieu, qui aime les Francs, pardonnera » (28 mars 1915). On priait pour la victoire, avec la certitude d’être entendu : « Je suis bien sûre que le bon Dieu écoute de meilleure oreille nos prières que les leurs. La cause allemande est injuste et le bon Dieu ne manquera sûrement pas de donner une sévère leçon au vieux Guillaume » (13 janvier 1915). Autre pratique typique, lors d’une grande réquisition : « Ils font plus peur que le diable ; tout le monde les attend anxieusement et nous avons promis [de faire dire] plusieurs messes si tout se passait bien chez nous » (29 septembre 1918).

La principale diariste est Marie Masquelier, 19 ans en 1914, élevée dans une école catholique en Belgique. Son témoignage est complété, pour une partie perdue, par celui de sa sœur Sophie, d’un an plus jeune. Il est vraisemblable que les deux jeunes filles aient écrit de concert. Leur objectif était de fournir à leur frère mobilisé dans l’armée française un témoignage sur la vie locale en son absence, objectif élargi pour informer les Français « de l’autre côté » ignorants des réalités de l’occupation allemande : « De l’autre côté, on ne songe pas que chez nous nous souffrons de l’invasion, de l’oppression, de la ruine, du pillage et surtout d’inquiétude cruelle pour les chers nôtres toujours au danger et dont nous ne pouvons recevoir de nouvelles » (24 octobre 1915). D’après Philippe Nivet, des indices laissent penser que les textes ont été réécrits après un premier jet. Les huit cahiers de Marie et les sept de Sophie ont été conservés dans de mauvaises conditions, ce qui explique quelques lacunes. La transcription (sur 555 pages aux lignes très serrées) a représenté un énorme travail, complété par des centaines de notes de bas de page.

De nombreux témoignages de femmes en territoire occupé, déjà publiés, y compris par Philippe Nivet, sont présentés dans le livre collectif du CRID 1914-1918, 500 témoins de la Grande Guerre, et sur notre site. Les récits des sœurs Masquelier reprennent les thèmes bien connus : l’omniprésence des soldats et officiers allemands qu’il faut loger (avec des appréciations nuancées sur leurs comportements) et dont il faut supporter les pillages et les réquisitions qui ne sont que pillages déguisés ; la mise des ressources du pays au service des occupants et le démantèlement de l’industrie roubaisienne ; le travail forcé et la prise d’otages ; les pénuries alimentaires et l’augmentation de la mortalité qui en est la conséquence ; les attitudes diverses des occupés, depuis l’acceptation et la collaboration jusqu’aux actes timides de résistance.

Ne négligeant aucune source d’information, Marie livre de nombreux détails concrets sur la situation et sur ses propres sentiments. Ainsi, le 13 août 1916 : « Hofmann, être de la pire espèce, vient de faire afficher que tous les cuivres doivent être déclarés et portés à la Commandature. En voilà un ordre ! Est-ce permis, voyons, de commander à de pauvres occupés de porter à leurs occupants ce qui doit servir à fabriquer des obus contre leurs alliés, contre les chers leurs ? C’est abominable de nous forcer ainsi à mettre dans les mains de nos maudits exécrables ennemis des armes, des munitions qui tueront nos braves héros de France ! » Elle a su remarquer l’opposition entre Bavarois et Prussiens, les premiers beaucoup plus sympathiques, et elle a même su déceler le mépris des vrais combattants allemands pour ceux de l’arrière, portant un uniforme mais n’allant pas aux tranchées. Marie et Sophie expriment vivement leur réprobation pour les « femmes à boches » et signalent, lors de la libération, leur punition méritée : « la plupart ont eu les cheveux coupés » (28 avril 1918).

On trouve encore, dans ce témoignage, une étonnante critique des bombardements alliés qui font trop de dégâts chez les civils (16 juin 1918). Et, lors du terrible hiver de 1917, ce détail qui renvoie aux remarques sur les pratiques religieuses de la famille : « Dans nos chambres, l’eau est gelée dans les lavabos et les bénitiers » (4 février 1917).

Pour terminer, je me permets un désaccord sur la méthode d’édition de ce livre. Une introduction de 45 pages aux lignes très serrées, agrémentée de larges citations, dit dès le départ tout ce qu’on pourrait trouver dans le témoignage. Il me semble que le lecteur préfèrerait découvrir, au fur et à mesure, dans le texte de Marie et de Sophie, les détails concrets les plus personnels. D’un autre côté, on peut répondre que la très longue et très complète introduction dispense de la lecture directe du témoignage. Mais c’est regrettable.

Rémy Cazals, avril 2024.

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Hémar, Marguerite-Marie (1881 – 1949)

« Journal »

1. La témoin.

Marguerite-Marie Hémar née Flourez, mariée en 1909 à Marcel Hémar, exploitant de la ferme de La Motte, sise au Bizet (Nord), au bord de la Lys à proximité d’Armentières et de la frontière belge. Après la mobilisation de son mari en septembre 1914, c’est elle qui devient chef d’exploitation, alors qu’enceinte, elle a déjà 3 enfants en bas âge. Elle aura 13 enfants au total jusqu’en 1925, dont un mort-né et un autre décédé à 2 ans. Jean-Louis Decherf la décrit comme une femme de tête, instruite et capable de diriger l’exploitation.

2. Le témoignage

La Société d’Histoire de Comines-Warneton a publié dans le volume 44 de ses Mémoires (2014) ce Journal de Marguerite-Marie Hémar, présenté par Jean-Louis Decherf (p. 143 à 162) ; le récit va du 3 septembre 1914 au 13 juin 1916. Le rapporteur signale n’avoir rapporté dans ces pages que les faits de guerre en omettant volontairement les travaux agricoles.

3. Analyse

Ce récit de guerre continue un carnet commencé en 1906, nommé « Éphémérides des principaux ouvrages de la ferme de La Motte et annotation des faits les plus saillants. ». Marcel Hémar consignait des travaux à la ferme, l’évolution du cheptel et des transactions commerciales, l’exploitation avant-guerre disposant de quatre chevaux et employant plusieurs ouvriers. À partir du 3 septembre 1914, c’est sa femme Marguerite-Marie qui gère l’exploitation et tient ce journal, jusqu’à l’évacuation en 1916. Les mentions sont courtes, et comme souvent ont tendances à s’espacer (10 pages denses pour 1914, deux pages 1915 et ½ page 1916) : en fait ce recueil d’informations est surtout significatif pour le début de la période, avec l’arrivée des Français, des Allemands puis des Anglais (octobre – décembre 1914).

L’inquiétude grandit en septembre 1914 avec l’incertitude sur la position du front, mais le travail continue, avec un premier exemple de description d’ambiance à la ferme (28 septembre 1914, p. 147, avec autorisation de citation) : « Reçu lettre recommandée de Marcel. Répondu de même, envoyé mandat de cent francs. Journée fort chargée, un peu triste à cause de la grande inquiétude que témoigne Marcel dans sa lettre et des différents ennuis : vols de poires et de raisin ; le vacher boit une bonne partie de l’après-midi ; inquiétude pour Henri ; pas de nouvelles rassurantes au sujet de la guerre. »

Arrivée des Allemands

Le 4 octobre les uhlans sont annoncés, mais c’est l’infanterie française et des chasseurs à cheval qui surgissent, allant combattre vers Ploegsteert, puis repassant devant eux : « Ils ont dispersé la patrouille, fait deux ou trois blessés prisonniers. La foule les hue au passage. » Le 7 octobre, les troupes françaises ont quitté les lieux, les Allemands menacent, l’incertitude domine : « Vers onze heures une panique… (…) des femmes, des enfants chargés de paquets s’en vont en courant vers Armentières. Ici, on rassemble ce qu’il faut sauver ; puis on attend l’arrivée de l’ennemi, mais encore une fausse alerte. Le soir, le poste de cuirassiers est renforcé. Les braves sont heureux qu’on leur porte à souper. Ils ont élevé une barricade en face de la ferme.» Le 9, les hommes valides de 18 à 50 reçoivent l’ordre préfectoral d’évacuer vers l’arrière, et le 10 on voit les premiers Allemands. «Il est passé des Uhlans (50 à 60). Leur tenue était correcte, ils ne se sont pas arrêtés à la ferme. » Ces Allemands restent une petite semaine, exigent des livraisons d’avoine, demandent des œufs en les payant, puis font sauter les ponts sur la Lys, ils se retirent le 16 octobre.

Arrivée des Anglais

17 octobre 1914 p. 151 « On a fait du pain hier, on a recommencé aujourd’hui car la population a faim et on ne trouve pas de pain. Vers neuf heures grande nouvelle ! Les Anglais occupent la ville ». Le récit évoque alors le travail qui continue dans les champs malgré les bombardements, les demandes anglaises répétées (foin, vivres…) et l’inquiétude pour les absents. Le front est stabilisé et il bougera peu à cet endroit jusqu’à l’offensive allemande de 1918. Un passage illustre cette vie quotidienne sous la menace les obus (18 octobre 1914) au moment de « la grand’messe de 10 h, à 10 moins le ¼ le voici (Monsieur le Curé) qui se sauve avec sa bonne, le sacristain et tous les habitants de la place de l’église. (…) nous nous réfugions dans la cave jusque midi ; puis voyant que tout le monde circule, on remonte et on se met à travailler. » Marie-Marguerite Hémar est très croyante, et les mentions du carnet évoquent souvent des prières, des remerciements liés aux événements vécus, et elle implore protection pour les siens (1er nov. 1914) « Nuit et jour terribles. Mon Dieu ayez pitié de nous, mettez un terme à cette épouvantable calamité. Que vous êtes bon de nous avoir préservés de tout mal jusqu’à présent. (…) Ses enfants subissent aussi la situation, « Les petites filles parlent sans cesse de leur cher petit papa, Madeleine surtout. Quant à Marie-Louise elle se met parfois à pleurer et dit que son papa est trop longtemps sans revenir. Marie-Thérèse répète tout ce que disent ses aînées. Ces chers enfants sont nos anges protecteurs… et notre consolation. »

Une vie de cultivatrice en troisième ligne

Le mois de novembre 1914 est le plus fourni en mentions, décembre manque et des notes espacées reprennent en 1915. La diariste mentionne comment s’est passée la nuit (terrible ou très calme), le bruit du canon, des mitrailleuses, la difficulté à aller aux champs malgré les obus, les impacts proches de la ferme… ainsi le 3 novembre « épouvantable pluie d’obus sur la ville pendant vingt minutes environ. On descend dire son chapelet à la cave, puis on se remet au travail. Les Anglais font rentrer Jérémie [l’ouvrier agricole]» Fin 1914, beaucoup d’évacués, c’est-à-dire des individus qui ont fui l’avance allemande et qui ne peuvent rentrer chez eux, n’ont pas encore trouvé de point de chute, ils sont sans ressources (8 novembre 14) : « Beaucoup ont misère : souvent ils demandent du pain ; tous les soirs on en abrite plusieurs. » Des errants sont embauchés pour remplacer les absents mobilisés : « Nous avons deux évacués de Bondues qui travaillent pour la nourriture depuis huit jours. Ils s’appellent Ducatillon et sont bien convenables. » Les relations avec les Anglais sont correctes, mais même alliées, ces troupes représentent une gêne, et il faut s’en accommoder, ainsi que peut le monter ce long extrait d’ambiance (21 novembre 1914) : « Quelle journée de fatigue et de tracas !… Environ 250 soldats anglais sont arrivés hier soir vers 7 heures. Ils se sont casés un peu partout dans toutes les places de la ferme. Ils nous ont pris une lanterne. On a beau se mettre en peine tour à tour pour la redemander. Ils ne veulent pas la rendre. Ce matin, il a fallu faire le travail à moitié dans l’obscurité. Tous les soldats en se levant sont venus demander du café. On en a fait une bonne portion. Certains ont bu sans payer. D’autres ont payé 1 sou la jatte. Puis ils se sont mis à circuler partout, cherchant du bois, brûlant des bons piquets, des perches à haricot, etc. etc. Il y en a sans cesse dans les étables. Il y en a qui se rasent, qui se lavent à grande eau. On remarque qu’ils ont tous de bonnes flanelles et de bons tricots en laine couleur naturelle. Ils sont bien gais. Ils font la lessive tour à tour. A midi la pompe est vide. » À la fin de novembre, les parents de la narratrice arrivent à la ferme après un périple de plusieurs semaines, ils ont dû fuir leur ferme située elle-aussi sur la ligne de front (Lorgies), et c’est à nouveau l’occasion d’une action de grâce. En novembre 1915, les Anglais commencent à détruire la grange, en empilant et récupérant systématiquement les briques qu’ils emmènent. Le père de M.M. Hémar écrit au général Huguet pour protester, ce qui semble efficace (13 déc. 1915) : « Il semble que les travaux sont suspendus nous n’avons plus vu les démolisseurs. » Les rares mentions de 1916 font mention de l’aggravation des bombardements, et c’est en juin de cette année que les habitants doivent être évacués vers Bailleul, le 10 pour les enfants, puis c’est l’occasion de la dernière mention (13 juin 1916) : « Amené toutes les vaches et génisses à Bailleul. »

Donc un témoignage intéressant, certes pour une période assez courte du conflit, mais représentatif de ces exploitations agricoles, situées à la fois suffisamment loin de la première ligne pour tenter de continuer l’exploitation, mais aussi trop près pour ne pas présenter un risque sérieux. C’est aussi l’expérience d’une fermière, qui prend la direction de l’exploitation, négocie avec les Anglais et nous livre une restitution vivante de son quotidien.

Vincent Suard, janvier 2024

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Pireaud, Paul (1890 – 1970) et Pireaud, Marie (1892 – 1978)

Martha Hanna Ta mort serait la mienne

1. Les témoins

Paul Pireaud, agriculteur à Nanteuil-de-Bourzac (Dordogne), est marié à Marie Pireaud, née Andrieux, en février 1914. Il quitte son foyer à 24 ans le 3 août 1914, et sert d’abord au 12e escadron du Train [des équipages militaires] puis devient en 1915 canonnier au 112e régiment d’artillerie lourde, qui vient d’être créé. Il reste dans cette unité toute la guerre, passant notamment par Verdun et l’Italie. Marie accouche de leur fils unique Serge en juillet 1916. Paul, démobilisé en juillet 1919, reprend alors son activité agricole à Nanteuil.

2. Le témoignage

Matha Hanna, professeure émérite à l’université du Colorado (Boulder), a publié en anglais en 2006 « Your Death Would Bee Mine ». La traduction française a paru en 2008 avec le titre « Ta mort serait la mienne » (Éd. Anatolia, 428 pages). Ce travail est construit à partir des lettres échangées par les époux Pireaud, cette correspondance étant conservée au Service historique de la Défense à Vincennes (cote 1Kt T 458, correspondance entre le soldat Pireaud et son épouse, 1910 – 1927). L’autrice propose une histoire de ces paysans et de ce village dans la guerre, en expliquant, contextualisant et illustrant cette correspondance : à partir du dialogue échangé par ce jeune couple très épris, elle met en valeur des thèmes d’histoire sociale et des mentalités, en relation avec l’irruption du conflit dans cette Dordogne rurale, qui est aussi une irruption de la modernité. M. Hanna choisit d’approfondir certains aspects, sans négliger l’histoire militaire, et elle convoque beaucoup d’outils extérieurs (carnets, recensements, rapports administratifs, contrôle postal, etc…). Ces approfondissements s’accompagnent de nombreux extraits de lettres qui justifient tout à fait la présence de « Ta mort serait la mienne » dans notre corpus de témoignages.

3. Analyse

Le couple, qui n’est marié que depuis quelques mois en août 1914, a déjà un bon entraînement à la correspondance, car Paul a servi un an au Maroc (1912), alors qu’il était déjà fiancé. Les deux correspondants maîtrisent suffisamment l’écrit pour mener des conversations épistolaires, même si persistent des fautes d’orthographe ou de syntaxe, mais qui ne gênent pas la compréhension.

Se voir à l’arrière

Au début du conflit, l’affectation protégée de Paul (train des équipages) atténue l’angoisse de la séparation. Il fait partie d’une équipe mobile de boulangers et Marie est bien consciente de la situation privilégiée du couple : (octobre 1914, p. 78, avec autorisation de citation) « pour m’encourager je me dis que les autres sont toutes pareilles et que bien mieux je suis un peu favoriser puisque tu ne risque pas trop et que tant d’autres sont a la mort ou la vie. Si tu pouvais toujours y rester avec ces boulangers que je serais contente. » Le père de Paul est maire du village, et curieusement, lui et son fils sont d’accord pour que Marie ne demande pas l’allocation de femme de mobilisé ; d’après M. Hanna, ils sont persuadés que la guerre sera courte et surtout ils ne veulent pas prêter le flanc à l’accusation de favoritisme dans l’attribution des aides ; Marie doit s’y résoudre mais elle est furieuse, signalant (p. 88) qu’une femme au village, elle, «mange tranquillement ses 25 sous par jour. » Jusqu’à l’affectation de Paul en février 1915 au 112e RAL, une grande partie des échanges est consacrée à échafauder des stratégies pour se retrouver à l’arrière du front. C’est pour lui assez facile mais les problèmes viennent plutôt des familles, qui ne veulent pas laisser Marie voyager seule. En septembre 1914 son père lui interdit d’aller à Melun (p. 106) « Je ne suis poin contente j’aurais voulu y aller seule jamais je n’ai pu etre maitresse ni des miens ni des tiens jamais ils n’ont voulu disant qu’il y avait trop de danger (…) Je me maudit d’avoir était faible de ne pas avoir partit malgré tout. ». En octobre le père de Paul cède, mais à condition d’accompagner sa bru dans la Nièvre. Et c’est seulement à la fin de 1914 que les époux peuvent se retrouver seuls quelques jours. On constate donc ici que le processus de prise d’autonomie de la jeune femme, réel, n’en demeure pas moins particulièrement balisé.

L’artillerie lourde

Paul doit quitter son « filon » en 1915 pour une batterie d’artillerie lourde. Cette affectation, si elle est moins dangereuse que l’infanterie, n’en demeure pas moins une exposition ponctuelle au danger. Marie pose beaucoup de questions, sur son rôle, sur le danger, sur les gaz. Paul souligne la dureté des engagements ; à Verdun, par exemple, le combat est très pénible et conduit rapidement à l’épuisement physique et nerveux (mai 1916, p. 152) : « Ici c’est l’extermination sur place sans voir l’ennemi. » et « Je me demande comment je reste debout après tout cela on est hébété. Les hommes se regardent avec des yeux effarés. Il faut faire un effort considérable pour tenir une conversation. » On le voit, Paul fait peu d’autocensure, et donne à sa femme les éléments du combat tels qu’il les vit. Cette description restitue très bien le bombardement allemand, avec une précision qui ici peut rassurer Marie, quoique… (p. 153) « Je profite non pas d’un moment d’accalmie pour t’écrire au contraire ça tombe tellement fort et si près que nous sommes obligés de rester à plat ventre donc j’en profite pour t’écrire couché entre deux rondins ils tombent quelques uns a 15 mètres ça nous couvre de terre et de fumée mais là ils ne peuvent pas nous attraper car il y a un petit talus devant étant plus haut nous nous risquons rien. S’ils dépassent avec la pente du talus ils sont obligés de tomber entre 12 et 20 mètres de nous donc couchés nous risquons rien mais c’est bien terrible nul être qui ne l’a pas vu ne peut se l’imaginer

Puériculture à la ferme

Lorsque Marie tombe enceinte, elle fait l’acquisition d’un livre de puériculture, fait à part à Paul de l’évolution de sa santé, de ses interrogations ; lui suit de près, autant qu’il le peut, l’évolution de la grossesse, donne des conseils médicaux ou diététiques. M. Hanna développe avec bonheur ce chapitre très réussi : comment nos témoins vivent la grossesse et les premiers jours du nourrisson dans une situation de guerre et d’éloignement, mais aussi en quoi ces acteurs, par leurs préoccupations médicales et hygiénistes, sont en décalage avec la famille et le reste du village. Paul croit aux bienfaits de la science et de la médecine et prend son rôle de futur père très à cœur : il insiste pour que Marie boive beaucoup de lait pendant la grossesse, revenant sans cesse à la charge, et finissant par faire céder les deux pères qui achètent une vache laitière ; de même, il insiste pour que Marie consulte un médecin en visite prénatale, ce qui ne se fait pas au village ; enfin il lui répète de ne pas aller aux champs, de s’économiser, conseils à contre-courant dans cette société rurale traditionnelle. L’autrice montre que les Pireaud profitent de leur éducation pour tenter d’accéder aux progrès médicaux dans lesquels ils ont foi : à cet égard, le « j’ai vu sur le livre… » (p. 206) de Marie est emblématique.

L’accouchement est difficile (13 juillet 1916, et elle le décrira plus tard en détail par écrit, ce qui est aussi une rareté) : le petit Serge est chétif, souvent malade, et Marie tait ses inquiétudes à son mari. Ce sont des lettres ultérieures qui raconteront les coliques convulsives, les dangers de l’allaitement au lait de vache, et les recours au médecin contre l’avis de la famille (mère et belle-mère, pourtant ni « hostiles ni indifférentes »). Atypique aussi est la décision de faire peser le bébé, ou la demande à Paul (p. 226) « de se renseigner sur les enfants des camarades de sa batterie, pour savoir s’ils étaient allaités par leur mère, ou s’ils prenaient des biberons ». Sur le moment elle lui cache la gravité de la situation, et contre l’avis des siens dépense de l’argent en consultations médicales et en médicaments, qui finissent par mettre enfin l’enfant hors de danger. C’est dans ce combat contre les habitudes séculaires, dans la confiance dans la médecine et dans cette complicité de couple que réside la véritable modernité, avec la prise d’autonomie de cette femme contre son milieu (juillet 1916, p. 231 ) : « Et dire qu’on ose me dire que s’etait rien que sa serait tres bien passer sans soin que tous ceux qui ont des enfants malades n’ont pas vite medecin est sage femme, aussi je t’assure que je ne repond pas tout ce que je pense, quoique quelque fois il s’echape quelques mots je ne veux plus penser a sa je le soignerer comme bon me semblera (…) » et en août 1916 p. 232 « si sa me plait d’appeler encore le medecin je le ferais et je parie que tu me blamera pas au contraire. » Avec la guerre qui durait, le mari et le père ont accepté que Marie touche l’allocation, et ce n’est pas en « colifichets et rubans » – critique commune des envieux – que l’argent est dépensé, mais en sage-femme, médecin, médicaments et nourrice. L’autrice montre qu’avec cet argent venu de l’extérieur « des services considérés comme trop coûteux pour la plupart des budgets étaient désormais à portée », l’allocation représentant ici une ébauche de protection sociale.

Un non-conformisme atypique

La question de la représentativité de ce couple paysan dans la guerre se pose évidemment et le prénom Serge, totalement absent au village ou chez les grands-pères, ainsi que le refus du baptême, lui aussi assez minoritaire, plaident pour l’exception. Paul est socialiste et incroyant, et c’est lui qui refuse le baptême pour son fils, contre l’avis de Marie, qui pense que cela peut protéger la santé de l’enfant (septembre 1916, p. 237) : «Quand à la question de baptiser tu dois savoir mon idée ce n’est nullement ça qui peut l’empêcher d’être malade. Je ne te demande qu’une chose c’est de ne pas le faire baptiser tant que je serais en vie Si je viens à passer de l’autre monde fais comme tu voudras. Toutefois si à sa majorité il fait partie des croyants il sera pour lui toujours temps de se faire baptiser. »

Divers

Paul souffre de son éloignement en Italie, du manque de permissions, de l’attente interminable de la démobilisation (p.406 « c’est une sorte d’esclavage ignoble. »). En témoignent aussi les choix de titres de chapitre, extraits de passages de lettres : ch. 4, « Nul n’est heureux à la guerre », ou ch. 5 « Nous sommes les martyrs du siècle ». Intéressant est aussi le fait qu’il signale non pas se mettre à boire, mais avoir découvert le vin (p. 295) « je me suis bien habitué au « pinard ». Il doit rassurer Marie, consternée car elle pense qu’il va revenir alcoolique (p. 307) « J’ai appris à boire j’aime bien boire en mangeant tu te rappelles que je ne pouvais pas boire 1 litre à un repas et maintenant j’en boirais bien deux mais j’ai appris à boire je n’ai pas appris à me saouler et sois tranquille je ne ferais jamais cet apprentissage.»

On notera en conclusion que beaucoup de correspondances entre couples au village sont moins denses, plus convenues, parfois moins complices que dans ce corpus. Il manque aussi souvent les lettres des femmes, non ramenées du front. Pour Martha Hanna, nos témoins montrent ici l’importance de la révolution cognitive entraînée par l’acquisition de la lecture et de l’écriture, elle-même liée à l’obligation scolaire de la fin du XIXe siècle. C’est la richesse et l’originalité de cette source épistolaire qui lui permet, autour de ces paysans de Dordogne, de construire cet intéressant travail d’anthropologie.

Vincent Suard, décembre 2023

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Maquet, Marie-Thérèse (1879 – 1919)

Journal de guerre 1914 – 1918

1. La témoin

Marie Thérèse Maquet née Caulliez appartient à une famille de gros négociants en lin, elle est alliée par son mariage et son milieu à la bourgeoisie industrielle du textile de la région lilloise. En août 1914, elle a 5 enfants et habite dans le quartier Vauban à Lille. Lors de l’occupation, elle est séparée de son mari Émile Maquet mobilisé à Dunkerque; évacuée via la Suisse avec ses enfants en décembre 1915, elle habite ensuite Versailles, puis diagnostiquée tuberculeuse à la fin de 1916, elle doit résider sur la côte d’Azur jusqu’à son décès au Cannet en 1919 à l’âge de 40 ans.

2. Le témoignage

Ce journal de guerre de Marie-Thérèse Maquet, qui court du 2 août 1914 au 11 novembre 1918, a été restitué dans une transcription soignée, fruit d’un travail familial qui a associé notamment Pierre-Yves Tesse d’abord, puis Xavier et Philippe Maquet. Des photographies et des explications généalogiques apportent des outils de compréhension. Un exemplaire est disponible à la Bibliothèque Municipale de Lille, et ce témoignage a été présenté au public en octobre 2018 par Paul-Nicolas Maquet, en collaboration avec le service des Archives municipales de Lille.

3. Analyse

La diariste partage son temps entre l’éducation de ses enfants, une sociabilité faite de visites essentiellement familiales, proches ou éloignées, et la piété : culte, prières et œuvres charitables occupent une grande importance dans sa vie. Le journal, tenu très régulièrement au début du conflit, voit ses mentions s’espacer à partir de 1916. À la fois journal intime et aide-mémoire, ces notes ont aussi pour but d’être montrées à son mari pour témoigner de ce qu’elle a vécu.

L’occupation

M. T. Maquet raconte le bombardement de Lille, avec la journée du 12 octobre 1914, passée dans les caves de la grande maison de ses parents rue Desmazières, ils sont « 60 ou 70 », enfants, domestiques et voisins ayant été regroupés ; elle note que l’observation, la nuit, de tous ces petits enfants couchés, lui faisait penser aux catacombes. L’occupation est rapidement éprouvée comme insupportable, d’abord à cause des occupants, qu’il faut loger, ceux-ci exigent «bains, feu, bon repas parfois. », et [avec autorisation de citation] en décembre (p. 51) : « Chacun arrive avec des histoires sur la muflerie des Allemands. On en ferait des bibliothèques». L’absence de son mari, le manque de nouvelles des proches en 1914, et le manque de perspectives éprouvent l’autrice, malgré son patriotisme. Elle souffre des mesures de couvre-feu, habituelle sanction de l’occupant, tout en étant bien consciente, avec son grand jardin, d’être une privilégiée (p. 79) «chez nous, cela n’a pas de conséquences comme pour les pauvres, les employés, les instituteurs, enfants des écoles, etc…. ». Si la correspondance est très difficile, le réseau professionnel de la famille permet d’avoir plus de nouvelles au début 1915, via « la Suisse, le bureau de Leipzig, la Banque Meyer, Schönberg… ». Ces « réseaux » constituent un grand luxe par rapport à d’autres nordistes qui restent sans nouvelles, mais elle n’en a pas conscience (3 mai 1915 p. 88) « un mot au crayon me dit que tu allais bien le 15 avril. Que c’est loin. » : le délai moyen – lorsque quelque chose passe – est plutôt de trois ou quatre mois.

Si les désagréments de l’occupation sont réels, ils sont somme toute supportables pour cette famille fortunée, mais les vexations, la durée de la guerre, et surtout l’inquiétude pour tous les hommes au front ou prisonniers la minent : ces soucis se transforment progressivement en une dépression personnelle marquée. Cet état est tu aux proches, mais confié au journal qui devient un confident. Très découragée en juillet 1915, elle note : « Je suis certainement au premier degré de la folie ou de la neurasthénie et tous mes efforts tendent à le cacher. Il y a des moments où je me fous de tout et désire la Paix, ce qui est stupide. » Auparavant, ébranlée par l’annonce régulière de tués au front, elle a admis aller très mal, et devoir par exemple se forcer à prier (p. 94) «je voudrais la paix à tout prix ou un pays universel, une seule patrie pour tous les hommes. J’aimerais mieux devenir Turque tout de suite et que cela finisse. Que vas-tu penser de moi en lisant ces mots ? »

Un habitus catholique

M. T. Maquet est très pieuse, et son journal offre un témoignage intéressant de ce que peut-être l’intimité d’un catholicisme féminin au sein de cette bourgeoisie textile, avec ses pratiques et ses préoccupations. Au début, l’occupation est attribuée à la culpabilité de la France décadente, et la Vierge de Lourdes, Notre Dame de la Treille ou Jeanne d’Arc sont régulièrement invoquées. Pour avoir des nouvelles de son mari, des frères et cousins, la prière aux âmes du Purgatoire et des neuvaines à Saint Joseph semblent efficaces, et pour les maladies des enfants, c’est plutôt Sainte Philomène. Cet univers lui apporte un cadre rigoureux dont la régularité la tranquillise, elle se réjouit des messes matinales et des saluts en fin de d’après-midi. Dans ses œuvres de charité, la fréquentation de l’Asile des Cinq Plaies, établissement catholique pour jeunes filles faibles d’esprit et nécessiteuses lui apporte beaucoup, même si ce lieu n’a rien de gai (avril 1915, p. 85), « nous nous rendons aux Cinq Plaies pour voir la petite Louise [gravement malade] : que c’est consolant en ces tristes jours de pouvoir aider les pauvres. C’est ma seule joie. ». Elle se désole profondément de ce que son mari ne verra pas la première communion de sa fille Marie-Lucie. Sa religion l’aide lors de ses épreuves ultérieures, mais en même temps, sur la durée du conflit, les marques d’une piété traditionnelle se sont un peu érodées, on a l’impression que le fatalisme s’est imposé : Dieu est toujours central pour elle, mais tout l’arsenal sulpicien (Saints, Purgatoires, Neuvaines…) est beaucoup moins évoqué. C’est un témoignage qui corrobore les travaux de Guillaume Cuchet sur la marginalisation du Purgatoire dans le culte catholique pendant et surtout après la Grande Guerre.

Le rapatriement

Classiquement, les propos qualifient d’abord les rapatriements par la Suisse de monstruosité : les Allemands chassent cruellement les indigents ; elle y est sensible, puisqu’elle s’occupe d’une famille concernée et un extrait (p. 85) nous éclaire sur cette perception des évacuations au début de l’occupation (avril 1915) : «Ce soir dans mon bureau si tranquille, je pense à ces pauvres femmes comme moi qui pleurent en attendant demain, où elles devront laisser leur pauvre chambre, leurs pauvre mobilier, et le souci du lendemain ? On va probablement en France les parquer dans des camps de concentration, sans compter que leurs chambres seront pillées dès leur départ. Comme le Sauveur qui est né dans une étable par la suite de l’orgueil d’un Empereur, que de pauvres petits vont naître là-bas loin du logis familial (…) et les mères qui vont mourir en laissant leurs chers petits sans personne à qui les confier, la raison de cette iniquité nous échappe, on se sent devenir fou. » Elle dit plusieurs fois vouloir rester pour ne pas abandonner ses parents, mais on voit bien ensuite que cette possibilité d’évacuation, comprise alors comme une libération, devient une tentation. Elle finit par s’y résoudre, mais dès qu’en France non occupée elle reprend son journal (fin décembre 1915), c’est pour y mentionner sa torture morale d’avoir laissé ses parents, ses amis et ses pauvres : elle l’a fait pour ses cinq enfants. La description du voyage est précise et intéressante, et à son arrivée à Annemasse, elle se précipite sur l’Écho de Paris, mais «Hélas, il était idiot. »

À Versailles

Après son rapatriement, M.T. Maquet retrouve son mari en permission pour Noël 1915 et elle s’installe à Versailles. L’autrice est déçue par l’indifférence des gens qu’elle fréquente pour le sort des habitants des régions occupées ; elle dit en tomber de haut, et son moral reste morose  (p. 140, janvier 1916) : « Versailles avec ses grands boulevards et ses rues désertes donnerait le spleen à un comique. » Le drame intervient dans le courant du mois de février 1916, sa fille Marie-Lucie (8 ans) tombe malade et la médecine est impuissante (infection du foie ? méningite ?). Son enfant meurt dans ses bras, c’est son deuxième deuil de mère car un petit Pierre est mort à un an en 1902. La mort de Marie-Lucie est détaillée dans un récit très douloureux (24 février 1916) « Comment raconter ce qui s’est passé depuis 10 jours ? », et sa mère ne se remettra pas de cette épreuve qui aggrave sa neurasthénie, même si elle prend sur elle à cause de ses autres enfants.

Souffrance morale et maladie

M.T. Maquet souffre comme mère endeuillée, comme épouse séparée de son mari, et comme fille qui pense au triste sort de ses parents : il est probable que la tonalité très noire des écrits, si elle traduit l’état réel de son moral, est aussi une soupape qui lui permet de se soulager, pour pouvoir faire face devant les autres, et notamment ses quatre enfants, dans la vie quotidienne : août 1916 (p. 176) « Le soir, cache-cache monstrueux que je ne sais arrêter tant la joie des enfants fait du bien… Ils auront le temps de souffrir plus tard. » Elle évoque les 14 ans de la disparition du petit Pierre et constate : « après si longtemps (…) cet anniversaire m’a toujours été si douloureux et maintenant en voilà 2 par an. » Puis une nouvelle épreuve s’annonce : elle apprend en octobre 1916 qu’elle est tuberculeuse. L’angoisse est redoublée par le souvenir de sa sœur Cécilia, morte de cette maladie à 16 ans en 1908, et par le fait qu’elle se sait enceinte au moment où elle apprend sa maladie. Son état et une mutation de son mari Émile, affecté dans la police, les font déménager au Cannet dans le Var, et les notations s’espacent. Les événements extérieurs de la guerre restent présents dans le journal, mais ce sont des extraits de la presse, des reprises de dépêches ; cette guerre qui est cause de tous ces bouleversements, se voit un peu marginalisée dans les mentions. Au Cannet, M.T. doit prendre des précautions avec ses enfants que l’on éloigne d’elle, et elle n’a plus la liberté des exercices spirituels qui faisaient sa vie d’avant (Toussaint 1916) « et combien je regrette mes messes matinales et mes visites de pauvres. Les Cinq plaies m’apparaissent comme un des seuls endroits où j’étais heureuse pendant l’occupation. Cette « immortification » de ma vie me pèse, ce repos me dégoute. » À la fin de l’année, ses père et mère sont à leur tour évacués par la Suisse. Son enfant Paul nait le 24 mai 1917, mais lui aussi est tenu éloigné d’elle. Le journal s’arrête à la date du 11 novembre 1918.

On ajoutera que sa fille Isabelle (14 ans) meurt au Cannet en décembre 1918 (Grippe espagnole?), que son père meurt en février 1919, et Marie-Thérèse décède, elle, le 13 mai 1919.

Il s’agit donc ici d’un document intéressant pour appréhender la guerre vue par cette femme du milieu patronal lillois, avec un conflit qui la déséquilibre, révélant peut-être une fragilité latente avant-guerre. Ce texte montre ce que sont les représentations sociales d’une femme de la classe dominante, avec sa mentalité structurée par un catholicisme actif, et sa vision paternaliste (maternaliste?) de « ses pauvres » et des jeunes filles débiles dont elle s’occupe, cette action de charité représentant pour elle une de ses raisons de vivre. C’est enfin un éclairage sur la maladie après la révolution pasteurienne, mais avant l’arrivée des sulfamides : cette riche famille, qui a les moyens de consulter les meilleurs médecins, n’est en rien épargnée par des maux alors sans remède, et qui font au total dans cette famille plus de victimes que le front des combats.

Vincent Suard, mai 2023

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