Portes, Jules (1890-1914)

Il y a quelque temps, la revue en ligne « Patrimoines du Sud » de la région Occitanie m’a demandé un article sur le livre d’or des tués 1914-1918 de la paroisse Notre-Dame de Mazamet (Tarn). Il a paru dans le n° 14, de 2021. Un soldat de la liste s’appelait Louis Portes. Ce garçon de 22 ans, du 81e RI, est mort de ses blessures à Toul, le 1er octobre 1914. Et voici qu’un de mes amis, collectionneur passionné de livres, me confie un exemplaire d’un ouvrage qui permet de classer Jules Portes, frère de Louis, parmi nos témoins.

Le témoin

Jules Portes est né le 20 février 1890 à Payrin, près de Mazamet, où la famille vient bientôt s’installer. Le père est employé de l’entreprise textile Boudou. Après le primaire, Jules suit pendant deux ans les cours de l’École pratique de commerce et d’industrie. À l’âge de 15 ans, il entre à son tour comme employé de bureau dans la même entreprise que son père. Des amis protestants lui font partager leurs activités au sein de l’Union chrétienne de jeunes gens et le persuadent de se convertir, décision courageuse « dans une petite ville provinciale où les partis confessionnels sont si tranchés et les abjurations si rares » (Gaston Tournier).

Il effectue son service militaire au 81e RI de Montpellier de 1911 à 1913 et devient sergent. Il se marie en décembre 1913. Devenu chef de la section des éclaireurs unionistes (scouts protestants), il prononce, le 25 janvier 1914, lors de la remise d’un drapeau à sa troupe, un discours dans lequel je retiens ce passage qui établit une distinction entre deux patriotismes : « Le premier se compose de tous les préjugés, de toutes les haines, de toutes les antipathies qu’un peuple, quelquefois par ignorance, nourrit contre un autre peuple. « Je déteste bien, je hais bien le peuple qui se trouve au-delà des frontières et qui est mon rival. Donc je suis patriote. » Voilà le patriotisme de beaucoup. Ce patriotisme-là ne coûte pas cher ; il ne doit pas être le tien. Il en est un autre qu’il n’est pas aussi facile de réaliser mais qui est plus digne de toi ; il est fait de toutes les vérités, de tous les droits qui sont communs à tous les peuples ; il veut que tout en aimant passionnément ton pays, tu laisses déborder ta sympathie au-delà des races, des langues et des frontières. » C’est un patriotisme « fait d’amour et non de haine ». Jules Portes rejoint son 81e en août 1914. Il affronte de durs combats en Lorraine. Le 24 septembre, il aide son frère blessé à rejoindre un poste de secours, en se faisant des illusions sur une rapide guérison. Lui-même est tué le 5 octobre ; il est enterré au bord de la route de Toul à Bernécourt. Le 12 octobre, son fils nait à Mazamet. Le livre laisse imaginer ces journées d’octobre pour la famille.

Le témoignage

Gaston Tournier, d’une autre famille active dans l’industrie de la laine, protestant militant, a publié à ses frais le livre : Jules Portes, Souvenirs et Correspondance de Guerre, Comité national des éclaireurs-unionistes de France, Paris, 1915, 184 pages, avec un portrait de Jules. Une phrase précise : « Cet ouvrage, tiré à un nombre restreint d’exemplaires, est vendu au profit des soldats français blessés. » Il comprend quatre parties : I. Souvenirs (sur Jules Portes, par Gaston Tournier) ; II. Correspondance de guerre (60 lettres de Jules principalement adressées à sa femme ; le 31 août, il écrit qu’il vient de perdre son carnet de notes) ; les parties III et IV apportent quelques compléments et appendices.

Les lettres témoignent d’abord de l’amour conjugal. Jules demande à sa femme enceinte de ne pas s’épuiser au travail. Il dit à quel point les lettres de celle-ci sont un réconfort. Le 23 août, il lui avoue qu’il ne pourra pas lui dire tout, et il est vrai que ses évocations de « l’horreur » existent mais ne sont pas chargées de précisions. Par contre, les lettres fourmillent d’observations concrètes sur la vie du soldat, qui sont intéressantes pour nous. Il signale aussi diverses rumeurs, mais beaucoup moins systématiquement que le sergent Arnaud Pomiro (voir ce nom dans notre dictionnaire). Et son rapport à Dieu est une dimension qui mérite examen.

Le départ

Le trajet de Mazamet vers Montpellier s’est fait dans un mélange d’enthousiasme patriotique, de tristesse et de « joie intérieure faite d’espoir ». « Il faisait très chaud et, vers la fin du trajet, de nombreux camarades ayant profité largement des distributions gratuites de vin que les habitants des villes faisaient dans les gares, il y avait un supplément d’enthousiasme. » La ville de garnison du 81e RI et d’autres régiments est remplie de soldats : « on ne voit qu’uniformes dans les rues. » Arrivé le 7 août près de Chalon-sur-Saône, il note : « Pas plus que vous qui êtes dans le Midi, nous ne sommes au courant de ce qui se passe devant nous ; il parait que les nouvelles sont bonnes et que le drapeau français flotte à Strasbourg. » En passant à Mirecourt : « Sur la place se trouve une statue de Jeanne d’Arc ; le bataillon a présenté les armes ; cela a fait plaisir à tout le monde. »

« Se revoir ainsi loin du pays »

Jules emploie cette expression le 24 août en signalant qu’il a rencontré des camarades de Mazamet. Il demande l’envoi des journaux locaux, Le Réveil du Tarn, La Dépêche. Les lettres qu’il reçoit sont comme « un peu du « pays » qui me vient jusqu’ici ». Il réagit favorablement lorsque sa femme lui apprend l’arrivée à Mazamet de 60 petits Parisiens réfugiés (peut-être acheminés par l’œuvre de la Sauvegarde dont s’occupe une protestante apparentée à Gaston Tournier, Marie-Louise Puech-Milhau – voir ce nom dans notre dictionnaire des témoins). Ces enfants sont hébergés dans les locaux de l’Union chrétienne. Mazamet a aussi reçu des soldats blessés ou malades : « On a eu la bonne idée d’installer les blessés chez les Allemands », note Jules Portes qui fait allusion au domicile de familles allemandes venues à Mazamet dans le cadre du commerce international des laines.

Nouvelles formes de guerre

Dès le 29 août, il signale le rôle principal joué dans la guerre par l’artillerie. Le 6 septembre, il décrit le creusement des tranchées qui permet d’éviter de sacrifier des hommes, et il revient là-dessus le 14 : « Nous avons perdu beaucoup de monde en attaquant à découvert ; nous les attendrons sans doute dans des retranchements pour ne pas perdre trop de monde. » L’entrainement des éclaireurs protestants rend supportable la vie à la dure (3 septembre). Le 22 septembre, après une marche sous la pluie : « Heureusement nous avons été cantonnés convenablement ; moi j’ai couché entre deux vaches qui m’ont tenu chaud la nuit et fourni du lait au réveil. » Il serait cependant utile de recevoir un colis contenant un passe-montagne, de fortes chaussettes et du chocolat (28 septembre). Comme beaucoup, il craint de plus fortes souffrances dans une campagne d’hiver (voir une entrée dans l’index des thèmes du livre 500 témoins de la Grande Guerre). Pour un sergent fourrier, il est émouvant de recevoir des lettres destinées à des camarades disparus (3 septembre). Et encore, le 30 septembre : « Beaucoup de paquets qui arrivent n’ont plus hélas leur destinataire ; il est disparu. Que faire de ces paquets de chocolat, de tabac et de chaussettes ? Je ne les renvoie pas, ça ne vaut pas la peine et serait d’ailleurs volé en route. Je les distribue à ceux de la compagnie qui en sont dépourvus. » En même temps, les rumeurs les plus folles se répandent : gros succès russes ; Kronprinz assassiné ; révolution en Allemagne ; Berlin bombardé.

L’ennemi

Le 26 août, passant dans un village de Lorraine qui a été brièvement occupé par les Allemands, Jules Portes note : « Ils ont fait là du bel ouvrage ; ils n’ont pas eu le temps de mettre le feu, mais c’est tout ; ils ont pillé, volé, violé, tout ce qui leur est habituel. Vraiment il n’est pas croyable que Dieu soit avec des gens qui comprennent ainsi la guerre. » De son côté, la France se bat « pour la défense du droit et de la civilisation (3 septembre). Ce même jour, il ajoute : « Non certes que le peuple allemand soit plus mauvais que celui d’un autre pays ; les prisonniers que nous faisons nous disent bien ce qu’ils en pensent et combien chez eux cette guerre est pénible, mais il est certain que le parti militaire allemand est au-dessous de tout ce que l’on peut penser. » Le 14 septembre, encore une position nuancée : « Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de nous rendre compte que les Allemands, contrairement à ce qui a été dit, soignent bien les blessés français. Cela ne les empêche pas de se conduire en parfaites brutes envers les populations qu’ils ont sous leurs mains. Ils ont pour principe d’inspirer la terreur par des incendies et des fusillades. »

La lettre du 24 septembre contient un passage remarquable : « Jusqu’ici j’ai eu le privilège non seulement de ne pas être touché, mais, ce que j’apprécie, j’ai pu, tout en faisant mon devoir d’agent de liaison, ne pas faire une victime. J’ai tellement horreur de ce carnage qui se trouve tellement coupable, que je serais privilégié et béni de Dieu s’il en était ainsi jusqu’à la fin de la guerre. Tant de fois déjà j’ai pu me rendre compte que ce sentiment-là est partagé par la plus grande partie de mes camarades et de combien d’Allemands aussi. Je veux te raconter un fait caractéristique : avant-hier soir, un homme de ma compagnie se trouvant face à face avec un Allemand, celui-ci le renversa à bras-le-corps, le désarma et lui tendit la main. »

Et Dieu, là-dedans ?

Comme pour Gaston Tournier, Dieu compte beaucoup pour Jules Portes. Au témoignage du premier, le second aurait dit juste avant la guerre : « Dieu ne permettra pas un tel fléau, ce serait trop affreux ! » Mais la guerre est là. Le 6 septembre, Jules cherche à comprendre : « Chaque jour je me demande pourquoi l’homme, après avoir connu pendant vingt siècles le commandement d’amour du Christ : « Aimez-vous les uns les autres » est encore si mauvais pour son semblable. » (Je me permets de citer ici deux phrases du dernier article de Jaurès paru le 30 juillet 1914 dans le journal toulousain La Dépêche : « Quoi ! C’est à cela qu’aboutit le mouvement humain ? C’est à cette barbarie que se retournent dix-huit siècles de christianisme, le magnifique idéalisme du droit révolutionnaire, cent années de démocratie ! ») La réponse de Jules Portes n’est évidemment pas celle de Jaurès : « J’ai la certitude que nous avions trop offensé Dieu et ses enseignements ; il fallait sans doute cette épreuve. »

Notre témoin est parti en guerre en emportant un exemplaire de la Bible : « Dans la compagnie je suis seul à avoir pris ma Bible ; j’ai trouvé plusieurs protestants qui ont été heureux de lire quelques passages dans la mienne. Elle passe même de mains en mains et quelquefois je lis à haute voix quelques chapitres. Plusieurs élèves ecclésiastiques catholiques prennent part à nos causeries et c’est je crois de façon bénie que nous nous groupons autour du Livre et devant notre Père commun. » Le 9 septembre, dans un engagement, Jules Portes a eu la certitude que le bras de Dieu le protégeait. En fait, il a reçu une blessure insignifiante (« une égratignure ») et il a regretté qu’elle ne soit pas plus grave car il aurait pu être soigné dans « une salle d’hôpital avec des lits bien blancs, entouré de visages amis ».

Il dit qu’il s’habitue aux horreurs de la guerre, mais elles restent des horreurs. Le 25 septembre, il écrit : « Ce sont des moments bien affreux, je vous assure, et il faut avoir bien confiance en Dieu pour ne pas être abattu tout à fait. » Son frère a été blessé : « Certes, les voies de Dieu nous sont cachées, mais j’ai la ferme assurance que nous reviendrons tous deux. » Et encore, dans la longue lettre du même jour : « Si Dieu voulait que ce fût un des derniers efforts que l’on nous demande, ce serait une grande bénédiction, et pour tant que les hommes soient mauvais, je ne pense pas que Dieu veuille prolonger cette horrible épreuve. »

Le 28 septembre, le doute se précise : « Que Dieu ait enfin pitié de nous tous et fasse finir bientôt cette horrible guerre ! Je suis toujours confiant et j’espère que ce n’est pas en vain, mais à certains moments je suis écœuré. » Enfin, dans sa dernière lettre, celle du 4 octobre : « C’est à la volonté de Dieu, je ne souhaite plus rien. Lui sait mieux que nous quels sont nos besoins. » Jules Portes est tué le lendemain et il est impossible de savoir si sa pensée aurait évolué comme ses dernières évocations de la volonté divine pourraient le laisser envisager.

Rémy Cazals, janvier 2022

Share

Droit, Jean (1884-1961)

Témoin d’Outre-Guerre

1. Le témoin

Jean Droit (1884 – 1961) passe son adolescence en Belgique. À la mobilisation, il rejoint comme caporal le 226e RI de Nancy. Trois fois blessé, il combat au Grand Couronné, en Artois, à Verdun, au Chemin des Dames et termine la guerre lieutenant, en Belgique. Il est illustrateur et peintre de profession : durant la guerre, il a réalisé des dessins inspirés par le front, certains étant publiés dans « l’Illustration », et utilisés pour des affiches d’emprunts de guerre.

2. Le témoignage

C’est son fils Michel Droit (l’académicien) qui a pris l’initiative de publier les notes de guerre de son père, aux éditions du Rocher en 1991 (Témoin d’outre-guerre, 183 pages). Il mentionne en préface qu’il a découvert le matériau qui compose ce livre plusieurs années après la mort de son père, et on ne sait rien sur l’élaboration du livre, qui a une forme de journal de guerre (avec notes préliminaires ? avec recomposition tardive ?). L’ensemble est plus approfondi sur les deux premières années de la guerre, plus rapide ensuite.

3. Analyse

La rédaction, et le ton général, surtout dans la première moitié de l’ouvrage, donnent une impression de travail soigné, fini, et l’on soupçonne volontiers une intention de publication. L’ensemble est rédigé dans un style qui est celui des articles ou des récits barrésiens, des évocations marquées par un ton patriotique, et rédigées pendant la guerre ou très peu après celle-ci. La sensibilité Action Française de l’auteur après-guerre peut aussi expliquer un style raciste caractéristique, dans lequel les Allemands sont toujours présentés avec les tares qui caractérisent les défauts de leur race. Pas de description d’un prisonnier sans allusion à cette apparence déplaisante, par exemple p. 81 : «un colosse au cou gras, au crâne tondu. Une paire de lunettes à verres ronds n’arrive pas à rehausser le peu d’éclat de ses deux yeux trop petits, séparés par un nez trop gros et tout luisant. ». Pas d’officier allemand (Somme 1916) qui ne soit hautain, arrogant, n’évoque, avec son torse aristocratique, le hobereau… « Il a de la race et surtout du mépris ». Il dit à un autre moment, dans une description de prisonniers qui défilent (p. 146), « si affirmés dans leur nationalité et leur caractère ethnique que jamais je n’oserais les dessiner sinon pour une charge mordante. »

Dans une progression chronologique à partir d’août 1914, il évoque, avec un récit vivant, la violence du premier choc (Courbesseaux, Bataille du Grand Couronné), avec une attaque massive de l’infanterie, sur des positions allemandes préparées ; l’auteur évoque l’état d’esprit du groupe lors du premier assaut (p.30) « Quel honneur, quel bonheur ! Nous grimpons, ivres de joie, la pente qui monte au plateau. » Juste avant le choc, il évoque son impression en se retournant : « A perte de vue la division se rue à l’attaque. Un mur compact et mouvant s’avance vers les bois sombre et muets. » Ce premier contact est un échec sanglant, sur seize caporaux, ils reviennent à trois. Il évoque à plusieurs reprises des blessés français achevés par des Allemands. (p. 37) : « Nos ennemis se partagent pour eux en deux catégories : la première achève, la seconde donne à boire.» A un autre moment, il signale des Allemands corrects : parce qu’un village a enterré avec les même égards deux Français et deux Allemands, le chef allemand fait écrire sur les portes des maisons du village « Gute Leute » [braves gens] (p. 52) : «le colonel, qui a eu cette clémence doit, à l’heure actuelle, passer auprès de ses collègues pour un détraqué notoire. ». Plus loin, il évoque les trophées saisis par les fantassins français (p. 48), « sur presque tous nos havresacs, un casque allemand solidement arrimé attend le retour au foyer. » ; sachant que ces entorses au règlement n’ont dû être tolérées qu’un temps, et que les soldats n’ont revu leur foyer qu’à l’été 1915, se pose la question du devenir de ces pièces. L’auteur signale qu’un grand nombre ont été échangées avec des civils lors de passage dans les gares (p. 59), et l’échelle de valeur des conversions peut surprendre : « Le moindre casque à pointe, voire de simples chargeurs munis de leurs cartouches, sont vite échangés contre une quantité de chocolat, de boîtes de pâté, de cigarettes, d’une autre valeur pour nous que ces trophées encombrants. »  

Le récit se borne volontairement à n’évoquer qu’une description au ras du sol, dans ce que le fantassin peut percevoir, mais le caractère bienvenu de ce choix est annulé par le refus de réfléchir (p. 81) : « Un simple sergent de demi-section n’a pas à juger les batailles. Le poids d’un sac de troupe fait ployer à la fois ses épaules et sa pensée. L’or grossier de ses galons poussiéreux ne l’autorise qu’à noter des faits strictement personnels. » Aussi les évocations font ici souvent penser aux articles de la grande presse et aux récits édifiants ou héroïques publiés dans les années de guerre, avec par exemple une attaque qui échoue à Carency sur un réseau intact (p. 81, 18 déc. 1914): « invraisemblable et joyeuse débauche de mitraille allemande (…) nos hommes ont un grand courage et une infinie confiance (…) les ordres étaient précis, l’exécution louable. Ce sont les réalités qui sont fautives. Simplement. » Certaines évocations, par exemple des portraits de soldats, sont plus réussies. L’évocation de Verdun, assez rapide, est intéressante dans sa description du bombardement continu, mais le refus d’aborder la psychologie individuelle des hommes reste constant : «30 mars 1916 Une avalanche ininterrompue, d’une fréquence inouïe. Rien ne s’apaise dans le torrent d’obus qui fond sur nous de tous côtés. Les hommes ont acquis un mépris absolu de l’existence. »  Lorsque le poilu de Verdun est décrit, on reste dans les approches traditionnelles, bien que se voulant un peu plus élaborées : « Le soldat ne dit pas emphatiquement, entre deux rafales : « Ils ne passeront pas. Nous sommes là ! ». Il craindrait d’emprunter les propos de gazettes. » L’auteur, passé sous-lieutenant au moment de la Somme, y décrit ses hommes ayant un excellent moral (Frise, mi-septembre 1916), notamment à cause du déploiement de forces et de l’afflux de moyens, « Quand je croise les yeux de mes hommes, je sens une confiance en soi, un surplus d’énergie, une gaîté qui m’assurent de leur concours illimité. » C’est un point de vue intéressant, la poussée française a donné des résultats, mais on peut aussi être aussi dubitatif, l’offensive étant déjà enlisée à ce moment et certains témoins de septembre 1916 (1ère DI par exemple) évoquent parfois une Somme pire que Verdun. Le récit s’accélère ensuite pour les deux dernières années de la guerre, et l’auteur, devenu officier d’État-major, avec sa vie loin de la troupe, avoue avoir abandonné ses carnets ; il se contente de rapides évocations, de petits chapitres sous forme de contes, et la phrase et l’emphase remplacent de plus en plus souvent les faits, avec par exemple cette évocation  (p. 161) « Ô soldat de 1916, vieux « papa », fils imberbe, tu es le seul qui, lorsque tout sera fini de quelque manière que cela finisse, tu es le seul en France qui n’aura rien à se reprocher. Tu pourras dresser ta tête qu’enfonce à présent, entre tes épaules meurtries par le sac, le souffle brutal de ton destin, tu pourras la dresser, auréolée de tous tes héroïsmes, de tes sacrifices, de tes amères souffrances. » Plus loin un essai sur les animaux dans la guerre, lié au souvenir de Louis Pergaud, ou une évocation des chants effectués avec des enfants dans l’Alsace libérée, sont plus intéressants.

Il est difficile en définitive de se prononcer sur ce témoignage de Jean Droit : soit il a été rédigé très tôt, et il est conforme à la majorité de la production de l’époque, avec une vision du conflit qui reste marquée par le style héroïque, soit, chez cet homme marqué politiquement à droite, il est plus tardif, et cette même tonalité lui donne alors, à sa parution en 1991, un caractère un peu « archaïque »; en effet, dans ces années quatre-vingt-dix, les nouveaux témoignages qui paraissent ont souvent abandonné ce style et présentent des auteurs qui ont en général plus de distance réflexive par rapport à leur expérience.

Vincent Suard décembre 2021

Share

Astruc, Jules (1889-1975)

Le collectionneur Bernard Azéma, de Mazamet, a acheté dans une brocante un cahier format écolier portant le titre « Campagne 1914 à 1919 » et un sous-titre « Résumé de mes carnets de route 10 octobre 1914 – 19 février 1919 ». L’auteur est Jean Astruc, de Cahors, brancardier-musicien au 344e RI de Bordeaux, 136e brigade, 68e division. Bernard Azéma a appris qu’il existait une dizaine de carnets qui auraient été confiés par la famille à l’écrivain Georges Blond. Il est regrettable qu’ils n’aient pas été conservés car le « résumé » ne reprend pas les sentiments que le poilu aurait pu exprimer sur le moment. Il faut donc se contenter d’analyser le contenu du « résumé ».

Celui-ci contient une série de cartes : cartes de France pour représenter les parcours entre Cahors et le front, et les retours dans le cas des 11 permissions obtenues ; croquis précis des secteurs tenus par le 344e RI. Le récit est laconique. Astruc mentionne le nom des villes et villages traversés. Il compte avec précision les kilomètres parcourus : 24 804 km au total général, dont 19 669 km à l’occasion des permissions.

Il note le froid terrible de janvier 1915 quand pain, vin et café sont gelés. Il reçoit la tenue bleu horizon en février, le casque Adrian en décembre 1915, la première permission en février 1916. Il note les pertes du régiment en Woëvre en 1915, à Verdun en 1916, à Cerny en 1917. Il évoque la boue de Verdun, les creutes de l’Aisne, les brancardiers allemands participant au transport des blessés lors de la deuxième bataille de la Marne en août 1918, l’accueil des troupes françaises à Mulhouse après l’armistice. Mais tout cela trop brièvement. Les carnets originaux contenaient peut-être des récits plus développés.

L’originalité du cahier résumé tient à ce qu’il dit des activités des musiciens du 344e. Concerts épisodiques pendant la guerre, nombreux concerts publics à Mulhouse après l’armistice, un concert de nuit sur la glace du canal à Montbéliard, le 11 février 1919. Il donne la liste complète des morceaux joués pendant la période, et la liste des musiciens avec leur instrument, mais aussi avec leur profession dans le civil. Jules Astruc jouait de la clarinette ; il était commerçant en fers à Cahors. Quelques photos sont collées sur les pages ainsi qu’un extrait du Poilu déchaîné, journal du 344.

Belle écriture, bonne orthographe.

Rémy Cazals, novembre 2021

Share

Pascaud, Martial (1894-1980)

Une vie, un exemple Mémoires

1. Le témoin

Martial Pascaud (1894 – 1980) est né à Saint-Junien (Haute-Vienne) dans une famille de cultivateurs pauvres. Classe 14, il sert au 42e RI, étant engagé dans l’Aisne et dans l’offensive de Champagne en 1915. Convalescent au moment de Verdun, il passe au 116e RI de Vannes en 1916, et est en ligne en 1917 au Chemin des Dames. Il est fait prisonnier en juin 1918 lors de l’offensive allemande sur ce même Chemin des Dames. Blessé trois fois durant la guerre, c’est sa captivité qui s’avère la plus éprouvante pour sa santé. Après la guerre, redevenu ouvrier (papetier-sachetier), il se syndique, fonde avec d’autres une coopérative ouvrière de fabrication, et adhère au parti communiste en 1933. Résistant proche des F.T.P., il devient après la guerre maire de Saint-Junien sous l’étiquette communiste de 1945 à 1965.

2. Le témoignage

Une vie, un exemple, Mémoires, de Martial Pascaud a paru en 1981, avec une préface de Marcel Rigout, aux éditions S.P.E.C. – L’Écho du Centre (198 pages). Le récit de sa participation à la Grande Guerre occupe les pages 33 à 89 ; la première moitié de l’ouvrage va de l’enfance à 1919, et a été terminée en 1943 ; la suite (luttes syndicales, participation à la Résistance) a été rédigée vers 1965.

3. Analyse

Le récit de Martial Pascaud est marqué par la volonté de décrire la réalité vécue, c’est la narration de l’expérience du combat d’un jeune « classe 14 », au contact de secteurs souvent exposés, des offensives ou de l’hôpital et de la captivité. Le ton général n’est pas antipatriotique, mais est très réservé par rapport à la guerre elle-même, et l’auteur fait, dans la description de chaque bataille où il est engagé, le constat de l’horreur et de l’absurdité de ces sanglants affrontements.

Après son baptême des tranchées sur le front de Vingré, il est engagé dans la bataille de Crouy en janvier 1915, dans une action de résistance, avant de repasser l’Aisne. La mort brutale à ses côtés de son capitaine lui montre rapidement la réalité : (p. 38) « Avec un frisson dans le dos, j’ai alors compris que la guerre n’était pas une promenade joyeuse où les héros meurent le sourire aux lèvres. » Il raconte la défense devant Soissons: isolé de sa section avec un camarade, il a perdu le contact avec son unité, et on le voit faire tout son possible pour se couvrir, pour prouver sa bonne foi : p. 41 « Je pensais aux soldats de Vingré qui avaient été passés par les armes au sujet d’un motif futile. » Plus loin, toujours devant Soissons, il contemple au loin les cadavres verts [des Allemands], et repense aux taches rouges [des Français] devant Vingré deux mois auparavant : p. 42 « N’ai-je pas l’occasion d’être satisfait de ce qu’on pourrait appeler une juste revanche ? Positivement, je ne peux avoir la même pitié pour cette dernière vision ; mais cela est tout de même atroce de voir que des victimes s’ajoutent à d’autres victimes ; de voir que la haine appelle la haine. ». Au repos en janvier 1915 à Saint-Pierre-Aigle, il doit participer à un bataillon qui encadre le peloton d’exécution d’un homme qui, ivre, avait mis en joue un gradé, puis s’était enfui des arrêts peu après. (p. 45) « J’ai vu partir la salve qui a désarticulé son corps, puis le coup de grâce. Malgré la faute de ce soldat (entraîné malgré lui dans la fournaise), cela nous a paru cruel et des larmes ont coulé sur nos visages impassibles. »

Son combat le plus dur de toute la guerre est celui de Quennevière en juin 1915 (Moulin-sous-Touvent) dans l’Oise, une bataille localisée pour réduire un saillant allemand, acharnée et sanglante et sans autre résultat que 600 m de progression sur 1.2 km de large, pour plusieurs milliers de pertes : « Bientôt le plateau sera arrosé de sang innocent et couvert de cadavres. Pour servir qui ?…Pour défendre quoi ?… C’est encore une question qui met en contradiction mon idéal et la réalité.» Il tente de décrire ce « lieu infernal », dans des tranchées bouleversées, où il faut résister, sous le bombardement, à une violente contre-attaque allemande avec des effectifs qui fondent. Son récit, fait presque 30 ans après les faits, trouve des accents qui permettent de bien se représenter ce qu’a éprouvé l’auteur.

Lors de l’offensive de Champagne, il décrit l’assaut du 25 septembre, sous une pluie fine. Ils franchissent sans obstacle les deux premières lignes allemandes, mais la troisième est intacte et se défend : « En quelques instants la bataille se transforme en un affreux massacre dont nous ne sommes pas exclus. (…) en un clin d’œil, j’enregistre des scènes incroyables dont je ne frémirai que plus tard.» Agent de liaison, au moment où il essaie de déployer au sol un calicot blanc visible par l’aviation, un projectile fait exploser sur lui ses fusées de signalement, et il est blessé, surtout à la tête. Il met toute son énergie à rentrer, se retrouve seul dans un entonnoir avec un Allemand désarmé (p. 61 et 62) : M. Pascaud essaie de le ramener prisonnier, mais l’Allemand refuse ; mis en joue, celui-ci pleure, agenouillé. L’auteur pense qu’il avait peur d’être massacré dans les lignes françaises. Il l’abandonne (« je ne suis pas un barbare ») et rejoint sa ligne de départ. Plus tard, un camarade lui avait dit : « fallait le zigouiller ». « Non, l’idée de tuer un homme blessé et désarmé ne m’est pas venue. Je l’ai laissé en pensant qu’il était aussi malheureux que moi. » En 1916, il signale qu’un concours de circonstance lui permet d’échapper aux débuts de la fournaise de Verdun. Il passe au 116e RI, refait des séjours à l’hôpital, et en 1917, il est en secteur au Moulin de Laffaut, puis vers Heurtebise. Il ne parle pas du 16 avril, mais centre un chapitre sur le 9 mai, jour qui voit sa 2ème blessure et son évacuation. Il a évoqué pour cette période le fait que (p. 69) : « le grand élan du début faisait place au découragement et aux actes de révolte dans plusieurs unités. J’étais moi-même ébranlé, et il m’arrivait de penser que le néant était une douce chose à côté de cette réalité cruelle», mais il n’entre pas dans les détails.

Soufflé par une torpille, alors qu’il tentait avec quatre camarades de réoccuper un petit poste abandonné, il est hospitalisé à Amiens. Il évoque le repos, et l’idylle qui s’ébauche avec Marthe, une infirmière avec qui il fait de lentes promenades, à petits pas, lorsqu’elle a fini son service. Il souligne qu’ils sont conscients de la folie de ce rêve, et au 53ème jour d’hôpital, il est envoyé chez lui (p. 74) : « Marthe est venue m’accompagner à la gare où, sans retenue et sans honte, nous avons mêlé nos larmes. Bien longtemps nous avons échangé des correspondances, mais ma captivité de juin 1918, devait rompre le dernier lien et ne laisser en moi qu’un bien doux souvenir. » Ayant rejoint son unité, il est à nouveau blessé légèrement en octobre 1917 lors des préparatifs de l’attaque de la Malmaison. Convalescent jusqu’à janvier 1918, le début de l’année est calme pour lui, mais son unité est engagée contre la poussée allemande de mai 1918. Il raconte le quotidien du combat de résistance en rase campagne, avec le décrochage tous les soirs, pour éviter l’enveloppement. Lui et sa section sont faits prisonnier le 2 juin 1918. Il évoque ensuite le triste sort des prisonniers français, qui doivent suivre le repli allemand, condamnés à des travaux de défense toujours recommencés par le déplacement des lignes, et très rapidement épuisés par ces travaux forcés et la sous-alimentation (p. 82) « En peu de jours, nous allons ressentir les morsures de la faim, de la maladie, de la vermine. Amaigris et épuisés, nos corps prendront bientôt, des formes squelettiques et la dysenterie creusera de grands ravages dans nos rangs. ». Le 11 novembre le trouve en Belgique, et lui et un camarade s’échappent dès le 12, et rentrent à pied en France (Sedan) par Bouillon.

Il est à noter que malgré le contexte de rédaction, pendant la dure année 1943 et la menace de la Gestapo, il n’y a jamais de haine des Allemands, sauf peut-être à l’occasion de la description de l’esclavage famélique auquel il est condamné à l’automne 1918 (p. 85) « Non ! Je ne pouvais, si tôt, pardonner à ceux, à tous ceux qui avaient été les fomentateurs et les bourreaux de tant de souffrances, de larmes et de deuils.» Dans ce récit intéressant se pose globalement la question de l’influence que la conscience politique de l’auteur et son engagement communiste des années 30 – 40, ont pu avoir comme empreinte sur son écriture de la Grande Guerre. S’il est probable que ses convictions politiques ultérieures ont influencé son témoignage, la seule certitude, en inversant les termes, est que c’est son vécu de la guerre qui a déterminé, au moins en partie, ses engagements d’après, avec par exemple son expérience Espérantiste des années 20. Cette guerre vécue a ainsi été déterminante pour la suite de son existence : (p. 86) : « Je m’efforce de renouer avec la vie normale, mais je n’arrive pas à chasser de mes pensées les scènes d’épouvante vécues au cours de ces quatre dernières années. »

Vincent Suard septembre 2021

Share

Bastide, Auguste (1896-1983)

Né à Castelnaudary (Aude) le 16 janvier 1896. Fils ainé, il doit interrompre ses études en classe de seconde pour aider son père dans son commerce d’épicerie. En janvier 1915, il s’engage et il est affecté dans un bataillon de chasseurs alpins à Die. Il fait toute la guerre, notamment dans les Vosges (La Chapelotte) et dans l’armée d’Orient. Il en ramène le paludisme. Il termine la guerre comme caporal à Carcassonne, secrétaire d’un capitaine.

Démobilisé, il reprend le commerce familial et se marie. Il s’intéresse à l’aviation et fait partie des fondateurs de l’aéro-club de Castelnaudary. Retraite à Fendeille (Aude) où il meurt le 31 décembre 1983 après avoir vu son témoignage de 14-18 publié en août 1982.

C’est tardivement qu’il a rédigé son texte : « J’ai écrit ce cahier l’hiver 1980-81. Pourquoi ? Parce que, sous l’empire des souvenirs, j’ai pris peu à peu conscience que je devais les soustraire à l’oubli. J’ai jugé que quatre ans terré dans les tranchées, avec la mort pour compagne, était quelque chose de barbare et d’impensable. J’ai pensé que je devais porter ces faits, ainsi que l’héroïsme et les souffrances des « Poilus », à la connaissance de mes enfants, de mes petits-enfants et de mes arrière-petits-enfants. J’aurais dû l’écrire plus tôt, cela aurait été plus précis et plus détaillé car, à bien des moments, la mémoire me fait défaut. » Confié à la FAOL, il porte comme titre Tranchées de France et d’Orient, et prend le n° 4 dans la collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc ».

Il s’agit d’une série d’anecdotes personnelles sur la guerre des tranchées, les souffrances des combattants, les rats, les poux, les heurts avec les officiers, etc. En 1917, longue description de la traversée de l’Italie pour aller s’embarquer sur le Charles Roux, transport de troupes escorté par trois bateaux de guerre car, peu de temps avant, l’Amiral Magon avait été coulé par un sous-marin allemand. Description de Salonique, bonnes relations avec les Serbes.

Comme Auguste Bastide l’a reconnu, il s’agit de souvenirs lointains ; ajoutons les risques de confusion avec les jugements politiques de l’entre-deux-guerres.

En plus : le témoignage de Mme Bastide qui se trouvait à Narbonne lors de l’arrivée des premiers blessés. Sa description est à mettre en parallèle avec celle de Louis Barthas.

Une originalité intéressante de ce petit livre est constituée par l’échange entre l’auteur et l’animateur de la collection, celui-ci posant des questions pour susciter compléments et précisions. Par exemple :

– Texte d’Auguste Bastide : « Je ne me hasarderai pas à raconter ce que furent dans les tranchées ces deux années de ma jeunesse, précédant mes deux années d’Orient. Des écrivains de talent l’ont essayé. Mais ce n’était pas ça ! Ce ne pouvait pas être ça ! Car ces souffrances, ces héroïsmes, ces horreurs ne peuvent pas se décrire. »

– Question : « Vous avez fait allusion à des écrivains de talent. Pouvez-vous préciser ? »

– Réponse : « J’ai lu Au seuil des guitounes de Maurice Genevoix, Le Feu d’Henri Barbusse, Les Croix de bois de Roland Dorgelès. Mais je l’ai dit : ce n’était pas ça. Le seul livre vrai est Les derniers jours du fort de Vaux, par le commandant Raynal. Il ne traite pas de la vie des tranchées, mais de celle toute particulière qu’il a passée dans le fort. Celle des tranchées, et d’ailleurs toute la guerre, est décrite d’une façon simple et totalement vraie par Louis Barthas, tonnelier. Ce livre est une merveille, c’est une véritable fresque de 14 à 18 par un poilu qui l’a vécue. Ce livre est tellement beau et tellement vrai que j’ai pleuré à plusieurs reprises en le lisant. »

Rémy Cazals, août 2021

Share

Mussolini, Benito (1883-1945)

Une biographie complète du militant socialiste ultra gauche devenu interventionniste (partisan de l’entrée en guerre de l’Italie en 1915), directeur du journal Il Popolo d’Italia, chef du parti fasciste et dictateur de l’Italie ne peut trouver ici sa place. On peut renvoyer aux 985 pages du livre de Pierre Milza, Mussolini, Paris, Fayard, 1999.

            Qu’en est-il du témoignage de Mussolini sur la guerre de 1915-1918 ? Dans sa biographie du Duce, Pierre Milza donne cette information : « Selon sa fille Edda qui en fera la révélation en 1950, il [son père] aurait tenu un journal intime, non destiné à la publication et par conséquent non soumis à la censure, que la comtesse Ciano remit au docteur Ramiola avant de se réfugier en Suisse et qui disparut après l’arrestation de celui-ci. ». Ce document étant perdu, on doit donc se contenter de Mon Journal de guerre, dont les pages ont d’abord paru en feuilleton dans Il Popolo d’Italia, puis ont été réunies dans le premier volume des œuvres du Duce, traduit en français chez Flammarion dès 1923. Le texte est clairement travaillé pour servir à une propagande patriotique (puisque c’est le nouveau choix politique de Mussolini) et personnelle (puisque Mussolini a des ambitions). Si un « journal intime » a existé, cela renforce l’idée qu’il faut prendre le témoignage officiel avec quelque précaution.

            La partie la plus fiable concerne la dureté de la guerre dans les Alpes. « Quelle autre armée tiendrait dans une guerre comme la nôtre ? » demande Mussolini qui fait dans ce texte très peu de remarques négatives sur l’organisation militaire et les chefs. Au contraire il signale à plusieurs reprises des contacts familiers entre gradés et simples soldats ; il insiste sur le bon moral des troupes italiennes. Juste avant de mourir, les bersagliers prennent le temps de crier « Vive l’Italie ! » et Mussolini lui-même termine ses pages sur la guerre par la victoire et la phrase : « Qu’un cri immense s’élève des places et des rues, des Alpes à la Sicile : Vive, Vive, Vive l’Italie ! »

            En lisant ce journal de guerre, j’ai été frappé par le très grand nombre de noms de soldats italiens cités. Comme s’il s’agissait de faire appel à des témoins. Si Mussolini peut désigner Tommei, Failla, Pinna, Petrella, Barnini, Simoni, Parisi, di Pasquale, Bottero, Pecere, Bocconi, Strada, Corradini, Bascialla et des dizaines d’autres, ils pourraient témoigner de sa présence dans les tranchées. Je remarque aussi que Mussolini mentionne la ville ou la province de presque tous ces soldats, une façon de montrer l’engagement des Italiens de toute origine géographique, y compris ceux revenus d’Amérique pour défendre la Mère-Patrie.

            Tous les historiens ont montré l’évolution remarquable de l’antimilitariste ayant manifesté violemment contre la guerre de Libye puis ayant poussé à l’intervention dans la guerre européenne en 1915. Et l’antimonarchiste s’est présenté au roi, après la marche sur Rome (lui-même étant venu de Milan en train à l’appel de Victor-Emmanuel) en prononçant la phrase : « Maestà, vi porto l’Italia di Vittorio Veneto. Majesté, je vous apporte l’Italie de Vittorio Veneto. » Le régime fasciste s’est présenté comme l’héritier unique de l’expérience de guerre et de l’héroïsme, en particulier dans l’enseignement, comme l’a montré la communication de Stéfanie Prezioso au colloque de Sorèze, Enseigner la Grande Guerre qui a réuni en 2017 plusieurs membres du CRID 14-18 et de la Mission du Centenaire.

Share

Plantié, Léon (1878-1917)

Léon Plantié est né à Fauguerolles (Lot-et-Garonne) le 23 décembre 1878 dans une famille de cultivateurs. Il est allé à l’école jusqu’au niveau du certificat d’études ; il n’est pas certain qu’il l’ait obtenu. Dans ses lettres il fait beaucoup de fautes d’orthographe. Mais il sait écrire de belles pages sur le rôle du courrier (p. 122), sur la nature (p. 177), sur son arrivée par surprise lors d’une permission (p. 478). Il n’est pas dépourvu du sens de l’humour. Il sait aussi parfaitement gérer son exploitation : une toute petite propriété et une terre en fermage ; la culture du tabac et l’embouche de jeunes bovins… Service militaire à Agen de 1899 à 1902 ; il reste 2e classe (photo p. 42). Le 28 juin 1909, il épouse Madeleine, du même milieu paysan, mais sur laquelle nous ne sommes pas renseignés. Le couple a un fils, Étienne, né en novembre 1913. Un travail intense et le sens des affaires ont donné quelque aisance aux Plantié. Avec leurs économies, il ont acheté des titres d’emprunts russes. Dans ses lettres, Léon parait détaché de la religion catholique. En août 1914, il est mobilisé au 130e régiment d’infanterie territoriale. Pendant une partie de la guerre, il occupe des postes relativement peu exposés, mais il doit passer dans un régiment d’active en 1917 (le 5e RI) en première ligne d’un secteur « mauvais » où il est tué le 16 août près du Chemin des Dames à Paissy. C’est une époque où le couple était occupé à planifier une nouvelle situation pour l’après-guerre. Il est toujours émouvant de découvrir le courrier d’une femme écrivant à son mari dont elle ignore encore la mort, lettre portant la mention brutale : « Retour à l’envoyeur. Le destinataire n’a pu être atteint. »

Écrire

Madeleine s’est remariée en 1920. Elle a cependant conservé la correspondance de 1914-1917 dans une caisse en bois, arrivée entre les mains de son arrière-petite-fille, Cécile Plantié, professeure de français dans un collège de Bordeaux, qui l’a publiée : Que de baisers perdus… La correspondance intime de Léon et Madeleine Plantié (1914-1917), préface de Clémentine Vidal-Naquet, Presses universitaires de Bordeaux, 2020, 520 p. La séparation du couple a produit une abondante correspondance (1500 lettres). Au début, Léon a dû insister à plusieurs reprises pour que sa femme prenne la plume régulièrement. Le 28 novembre 1914, il se comparait à un alcoolique qui serait privé de sa dose habituelle : « si moi je n’ai pas de tes lettres, je suis malheureux ». Et le 1er mai 1915 : « Nous avons besoin du pain, c’est la nourriture des corps, mais actuellement les lettres sont une nourriture de l’âme. » Léon demande à Madeleine de conserver ses missives : « plus tard, il me semble que je serai content de repasser ces longues lettres » (14 mars 1915). Le 24 mars, à propos des lettres de Madeleine, il décrit une situation fréquente : « Quant à moi ne m’en veux pas, je les ai gardées longtemps mais quand je m’en suis vu encombré j’ai fait comme tous les autres et je les ai faites brûler. » En août 1915, le couple trouve une solution pour que soient sauvegardées les lettres dans les deux sens. Léon écrit à la suite des textes de Madeleine, ou dans les marges, ou par-dessus même comme le montrent quelques illustrations.

L’amour

L’étude de nombreux témoignages d’origine populaire a montré que la plupart des combattants ne sont pas devenus des brutes, que la guerre a permis de découvrir ou de redécouvrir l’amour conjugal et l’affection pour les enfants (voir notre livre collectif 500 témoins de la Grande Guerre et les notices sur notre site). Dans la correspondance Plantié, l’amour est le thème principal, exprimé parfois de façon romantique (p. 395, envoi d’un poème), ou avec des points de suspension de pudeur mais explicites, et même avec les mots les plus précis (p. 162, 468). Le manque rend les lettres indispensables. Elles disent le regret de Léon de ne pas voir grandir son fils, de ne pas pouvoir jouer avec lui (5 janvier 1915). Elles abordent aussi un thème précis (5 décembre 1914) : « Dis à notre fils que jamais quand il sera homme il ne soutienne le parti, n’importe quel qu’il soit, qui veuille faire la guerre. » Il faut lui apprendre à crier « À bas la guerre ! » (18 août 1915).

À bas la guerre !

Par ordre d’importance des thèmes de cette correspondance, la condamnation de la guerre vient en deuxième position. Il est vrai que Léon regrette en août 1914 de ne pas partir tout de suite pour aller tuer « quelques Prussiens » (p. 49). « Je ne peux lire les atrocités qu’ils commettent sans frémir », précise-t-il, le 2 septembre. Par la suite, on ne trouvera qu’une seule mention des « sales Boches » criminels et barbares (p. 192). Mais, dès le 8 septembre 1914, Léon affirme : « Ma Patrie, c’est toi et mon enfant. » La critique de la guerre revient sans cesse, accompagnée d’imprécations contre les responsables : les Grands, riches, spéculateurs, capitalistes, nobles réactionnaires qui voulaient « foutre la République de jambes en l’air » (p. 207). « J’en ai assez de ces gens-là, partisans de la guerre, de ces tueurs d’hommes, de ces mangeurs d’enfants de 20 ans » (18 avril 1915). Tous ces patriotes jusqu’au-boutistes préfèrent causer « au coin d’un bon feu » (12 octobre 1914) ; qu’ils viennent dans les tranchées ! La guerre est « maudite » (27 novembre 1914), « putain » (10 mai 1915), « déshonneur du siècle » (2 août 1915). Léon voit plus haut en affirmant qu’il y a un seul genre humain, il ne devrait y avoir qu’une seule patrie qui rassemblerait Français, Allemands, Russes, Anglais. Aucun de ces peuples ne veut la guerre « car ils aiment eux aussi et ils sont aimés par leurs familles, alors ils veulent vivre » (17 décembre 1914). S’il ne fallait que la signature des poilus, la Paix serait vite là (13 janvier 1915). L’indignation de Léon Plantié s’exprime avec force contre l’emprunt de la Défense nationale.

Ne pas souscrire !

En décembre 1915, les lettres de Léon reviennent à plusieurs reprises sur l’emprunt de la Défense nationale (p. 308 à 338). Cet argent est collecté pour faire durer la guerre et tuer des hommes : « Nos assassins, sans mentir, versent de l’or et de plus font une propagande ignoble pour le faire verser. […] Vous autres, derrière, vous n’hésitez pas non plus à leur fournir de l’argent et de l’or pour acheter et faire des choses qui peut-être serviront à tuer un des vôtres. Ah ! si vous entendiez toutes les malédictions qui vous pleuvent dessus et vous tombent sur la tête, sûrement vous ne le feriez pas, mais on vous berne et on vous bourre le crâne et vous vous laissez faire, les uns bien volontairement et les autres innocentement. » En versant, Madeleine est devenue la complice de ceux qui veulent « nous » faire tuer. Léon lui pardonne, mais souhaite que ses camarades ne l’apprennent pas « car ils me mangeraient tout vif ». L’attitude de Léon Plantié rappelle celle de l’instituteur Émile Mauny et les reproches qu’il adressait à sa femme (voir ce nom dans notre dictionnaire). Ici, le thème du refus de verser est exposé en même temps que se déroulent des fraternisations.

Fraternisations

Au cours du même mois de décembre 1915, Léon fournit un témoignage de plus sur les fraternisations entre soldats ennemis. Bien que Cécile Plantié place ces lettres dans une partie sur la Somme, divers indices montrent qu’il s’agit des fraternisations en Artois, après des pluies torrentielles, celles qu’a merveilleusement décrites le caporal Barthas. Les indices sont la présence du 280e RI, régiment de Barthas, devant le 130e territorial, et le lieu-dit Le Labyrinthe. Léon relie les fraternisations au fait que « les troupes n’en veulent plus » (11 décembre 1915) : « Et pour preuve, c’est qu’ils fraternisent tous ensemble, en effet il n’est pas rare de les voir tant d’un côté comme de l’autre, faire échange de pain, de conserves ou de tabac, et pour cela ils montent sur les tranchées et se promènent comme sur un champ de foire, sans qu’un coup de fusil soit tiré de part ni d’autre. » Léon ne peut participer directement à ces fraternisations, n’étant pas en première ligne, mais il les voit : « Je travaillais à 400 mètres des 1ères lignes et j’ai pu m’en rendre compte. » Madeleine répond que les Allemands des tranchées sont « des hommes comme vous autres » (15 décembre). On ne peut retenir le commentaire de Cécile Plantié affirmant que le phénomène des fraternisations « s’est répandu comme une trainée de poudre simultanément sur tout le front ouest » (p. 364). Elle aurait eu une meilleure idée si elle avait cité le fameux texte de Louis Barthas, son appel à la construction d’un monument fraternel, et la réalisation de celui-ci en 2015 près de Neuville-Saint-Vaast, inauguré par le président Hollande.

Autres aspects de la vie sur le front

Sur la vie dans les tranchées, Léon Plantié n’apporte pas de nouveau, mais il décrit les bleus baissant la tête chaque fois qu’ils entendent un obus (p. 87), il évoque les vaches de son exploitation mieux traitées que les poilus (p. 119), les rats qui ont tellement proliféré que leurs ressources sont devenues insuffisantes (p. 204), les poux, eux aussi de plus en plus nombreux (p. 417 : « les veinards, ils ont fait l’amour, eux, et nous autres nous nous en passons »). La nourriture est exécrable, les envois familiaux sont indispensables ; on manque cruellement de légumes. Un moment, cependant, en janvier 1915, étant « bien avec le cuisinier des officiers », il peut écrire : « Souvent ils mangent les bons morceaux, auxquels je ferais bien honneur et qu’il faut que je m’en passe, mais souvent aussi avec les restes je prends quelques bons régals. » Plus tard (10 mai), son escouade fait chauffer sa popote « en puisant du charbon chez les officiers ». La boue est bien sûr présente dans le témoignage ainsi que les frissons en voyant venir une nouvelle campagne d’hiver (4 juillet 1915). Ce thème avait été souligné dans 500 témoins de la Grande Guerre.

Léon condamne les offensives stériles qui font tuer tant de monde (le 27 juin 1915, puis le 28 avril 1917). Lors d’un retour de permission, il décrit, le 28 mai 1917, les soldats cassant les vitres des trains par désir de vengeance, et criant : « Vive la Russie, vive la Révolution, à bas la guerre. » Tandis que les femmes, à Paris, réclament la paix et le retour de leurs hommes.

Un thème encore : dès le 8 octobre 1915, Léon comprend qu’après la guerre « des touristes ou des curieux viendront visiter les tranchées » et que des familles essaieront de retrouver les tombes de leurs morts.

Le travail des femmes

Cette correspondance renseigne également sur le travail des femmes à l’arrière avec le cas de Madeleine. Une des rares lettres conservées du début de la guerre (26 septembre 1914) raconte « une rude journée » à labourer et à curer l’étable. Léon lui donne des conseils, mais en précisant (p. 150) : « Tu feras ce que tu pourras et tu laisseras le reste. » Parce que c’est trop dangereux, il lui interdit de mener seule un taureau à la foire (p. 181). Il s’indigne de rester lui-même sans rien faire au camp de Mourmelon alors qu’il pourrait soulager sa femme dans ses multiples travaux. En effet, Madeleine écrit le 30 novembre 1916 qu’elle mène « une vie de galérienne ». Elle se débrouille cependant assez bien, sachant prendre ses responsabilités dans la vente du tabac et le commerce des jeunes bovins, par exemple. Le 14 mai 1916, elle écrit : « Laisse-moi maîtresse je t’en prie jusqu’à la fin de la guerre, et après comme tu voudras je te cèderai la place bien volontiers. »

Regrets

Sur la forme, Cécile Plantié a voulu respecter l’authenticité des lettres. Mais la seule véritable authenticité réside dans les documents originaux ou dans une reproduction en fac-similé d’excellente qualité. Qui peut prétendre retranscrire exactement des textes à l’orthographe imparfaite ? Une mauvaise lecture peut supprimer des fautes ou en ajouter. L’orthographe des Plantié étant ce qu’elle est, certaines notes me paraissent inutiles (par exemple préciser que le mot « espectateur » doit être lu comme « spectateur », ou « assasins » comme « assassins », ou encore « aluminion » comme « aluminium »). Je regrette aussi quantité de « (sic) » tout à fait intempestifs. En toute logique, il aurait fallu en placer après toutes les fautes (mais aussi, alors, après les quelques coquilles décelées dans les commentaires de la présentatrice). Surtout, beaucoup de « (sic) » proviennent de la méconnaissance d’un procédé d’écriture qui consiste, pour l’épistolier quand il tourne la page, à reprendre en haut le dernier mot de la page précédente. Alors, dans ce livre, on a profusion de formules comme « te te (sic) », « et et (sic) », « c’est de m’en c’est de m’en (sic) », etc. Dans cette notice, j’ai choisi pour mes transcriptions de rectifier l’orthographe.

Maladresses et erreurs historiques

Des commentaires « historiques » sont maladroits. Par exemple lorsque Léon critique « le commandement », Cécile pense qu’il vise les caporaux (p. 107). Page 126, elle écrit cet étonnant passage : « Du 23 janvier au 3 février [1915], Léon et ses camarades sont aux tranchées. Jamais au front, ils sont malgré tout en première ou deuxième ligne pour effectuer diverses tâches d’intendance. » En annonçant la mort de son arrière-grand-père, Cécile Plantié écrit (p. 497) : « Un obus français mal calibré l’a atteint. » Le cas s’est produit assez souvent mais, ici, on n’a pas la source de cette information. Et que signifie « mal calibré » ? Voici encore un commentaire (p. 108) qui n’a aucun rapport avec le texte original, et même aucun sens : « Parfois même, il [Léon] tiendra un discours rigoureusement anticommuniste, accusant ces derniers d’avoir fomenté la guerre afin de parvenir au pouvoir. » Je n’arrive pas à comprendre d’où peut venir cette phrase aberrante.

Pour terminer :

La présentatrice du témoignage d’un lot-et-garonnais aurait pu s’appuyer sur 500 témoins de la Grande Guerre et le dictionnaire des témoins sur le site du CRID 14-18 pour découvrir d’autres combattants lot-et-garonnais. Son arrière-grand-père y figure à présent à son tour.

Rémy Cazals, mai 2021

Share

Ciumbrudean, Dumitru (1890-1985)

Le témoin

Dumitru Ciumbrudean est né à Alba Iulia en Transylvanie, Empire austro-hongrois, dans une famille de paysans roumains pauvres. Il apprit le métier de barbier et travailla comme tel dans plusieurs villes de Transylvanie. Entre 1908 et 1911, il vécut à Budapest, puis il fut incorporé au 50e régiment d’infanterie à Alba Iulia, où il se spécialisa dans les transmissions téléphoniques et dans le domaine sanitaire et obtint le grade de caporal. Au moment où il devait être libéré de l’armée, a commencé la Première Guerre mondiale et il a été forcé de rester et de participer aux batailles de l’armée austro-hongroise sur les fronts de Galicie, puis de l’Isonzo. Il fut blessé et il perdit trois doigts de sa main droite.

Attiré par les idées socialistes, il devint membre du Parti socialiste de Transylvanie en 1907 alors qu’il faisait partie de l’Empire austro-hongrois. À ce titre, il était noté comme un participant actif dans la lutte pour le rattachement de la Transylvanie à la Roumanie, un phénomène désigné dans l’historiographie roumaine comme la Grande Union. Après la guerre, il travailla comme barbier à Alba Iulia, Bucarest et Cluj entre 1921 et 1944 En 1921, il participa à la formation du Parti communiste de Roumanie, et fut arrêté pour cela.

Toujours suivi par les services secrets roumains, il se marie et a deux enfants: un garçon Tiberiu, une fille qu’il appelle Lenina, et c’est un scandale. La presse nationale écrivit à ce sujet qu’il faudrait « forcer le père misérable à changer d’urgence le nom de l’enfant ». En 1944-1947, il a été impliqué dans la création d’organisations communistes et syndicales de travailleurs à Alba Iulia. En 1948, il a dirigé l’activité culturelle du comté d’Alba Iulia. Entre 1949 et 1956, il a été directeur du Musée d’histoire de cette même ville, puis il a pris sa retraite. Il est décédé le 15 avril 1985. (Les informations sur la biographie de Dumitru Ciumbrudean sont synthétisées de Marius Rotar, « Communistes albaiuliens jusqu’au 23 août 1944. Le cas d’une ville de province », dans la revue Terra Sebus, n° 10/2018).

Le témoignage: Caporal Dumitru Ciumbrudean, 1914-1918, Journal de Guerre, Maison d’édition politique, Bucarest, 1969, 376 pages.

En général, l’historiographie roumaine exploitait et citait peu les écrits des soldats qui ont combattu dans l’armée austro-hongroise, parce que l’intérêt était centré sur les journaux intimes des soldats qui avaient combattu dans l’armée roumaine et avaient contribué à la naissance de la Grande Roumanie. Dans les témoignages des anciens combattants de l’armée austro-hongroise, seuls les événements de la fin de la guerre et leur implication dans la lutte pour l’union de la Transylvanie avec la Roumanie étaient d’intérêt. Le Centenaire de la Première Guerre mondiale a connu un peu le même silence et c’est le mérite de l’Université Babes-Bolyai et de l’Institut d’Histoire « George Baritiu » à Cluj qui ont réédité ou mis dans le circuit scientifique les témoignages de Roumains ou de Hongrois dans l’armée austro-hongroise.

L’œuvre de Dumitru Ciumbrudean est une exception dans le sens indiqué ci-dessus, et c’est parce que l’auteur avait été un membre important du mouvement socialiste et communiste. Le livre a été publié un an après que la Roumanie communiste avait célébré le 50e anniversaire de la Grande Union de 1918, à la Maison d’édition politique, la maison d’édition du Parti communiste roumain. Mais Dumitru Ciumbrudean avait également publié des extraits de son journal sous la forme d’une série de 250 épisodes dans le journal « Nouvelle Roumanie » à Cluj en 1936-1937. Un destin étrange a fait que dans les deux moments de la publication de 1937 et de 1969 ses fragments de journal n’ont pas été entièrement rendus, et la préface de l’œuvre est intensément politisée, soulignant pour les lecteurs les aspects qu’il fallait comprendre: les soldats regardaient avec admiration le monde russe et sa révolution ; le socialisme et le communisme étaient contre la guerre impérialiste et capitaliste. D’une part, le journal « Nouvelle Roumanie » avait censuré les références des soldats à la révolution russe et à Lénine, puis la censure communiste avait fonctionné avec la même mesure, coupant certains passages qui n’étaient pas d’accord sur le mouvement socialiste et ses dirigeants. Son journal est actuellement dans les archives du Musée National de l’Unité d’Alba Iulia. Sa notoriété en tant que communiste le met très probablement dans une zone d’ombre après la chute du communisme et son journal n’a jamais été réédité à l’occasion du Centenaire de la Grande Guerre comme cela a été fait pour d’autres œuvres d’anciens combattants.

Analyse du livre

Le journal du caporal Ciumbrudean Dumitru contient ses notes pendant 1619 jours, du 28 juin 1914 au 1er décembre 1918. Dans son avant-propos, Ciumbrudean avertit le lecteur que « mes notes sont souvent des vérités cruelles, comme l’étaient les gens dans les vagues de secousse morale et physique, perdant parfois leur sang-froid du jugement humain. Pas de tendance ou un grain de passion que je n’ai marqué dans mon carnet. Je le pensais pour moi, sans penser qu’il verrait la lumière de l’imprimé. Mon but est que mes sentiments soient connus des autres, en particulier ceux qui n’ont pas prêté attention au cauchemar mondial; pour connaître les affaires de la guerre, à ceux qui n’avaient aucune idée de la façon dont les jours amers se sont écoulés entre la vie et la mort de millions d’êtres envoyés à l’abattoir » (p.34).

Au-delà de ce qu’il déclare au départ, le journal de Ciumbrudean regorge de ses convictions socialistes et nationalistes. Ses souvenirs sont écrits avec une coloration pacifiste selon la déclaration du mouvement socialiste européen qui avait à cette époque appelé à la « Guerre à la Guerre ». Ensuite, l’autre note est celle du nationalisme roumain qui milite pour l’union de tous les Roumains sous l’égide de la Roumanie. Comme tous les Roumains de Transylvanie contraints de se battre pour une cause qui n’est pas la leur, Ciumbrudean ne participe pas avec enthousiasme à la guerre et veut la paix, mais aussi la désintégration de l’empire. « Nous n’avons pas de droits, pas de pays à combattre. Vous, mon enfant, vous ne devez pas mourir pour la stupidité des dirigeants de l’empire. » Il enseigne une leçon sur la façon de se comporter sur le front, une leçon qu’il donne en décrivant l’attitude de tous les soldats enrôlés presque par la force dans l’« armée sans âme » comme il appelle l’armée de l’empire austro-hongrois.

Le journal commence par la description de l’atmosphère de Budapest le 28 juin 1914, après l’annonce de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand. Ciumbrudean est témoin des manifestations guerrières des citadins qui descendent dans la rue et crient : « À bas la Serbie ! Mort à la Serbie ! » Suivent des chansons guerrières et nationales hongroises. Il est forcé de retourner à Alba Iulia et le 2 août est mobilisé au 50e Régiment, compagnie 12. Le 15 août, le régiment part pour le front. Sur la paroi du wagon, il est écrit: pour six chevaux ou 40 personnes… Destination du front galicien. Sur le chemin tous les soldats murmurent: Galicie, Galicie, brûler votre feu!

Le 27 août 1914, le caporal connaît le baptême du feu : « Ah je ne vois plus. Un brouillard de peur joue dans mes yeux, mais mon arme fonctionne. Je me tords pour tirer plus vite. Nettoie ceux qui veulent me tuer. Je tire, je tire, je tire… Nous tirons car nous devons tirer … Pour l’idéal et l’humanité, plus de guerre, ne tirez plus », note Ciumbrudean. Le 16 janvier 1915, un professeur hongrois, un Roumain et un volontaire polonais parlent de littérature sur les grands poètes, et un soldat illettré demande : « Mais ces gens, célèbres comme vous le dites, n’ont rien écrit sur la paix ? À cette question, tout le monde se regarde et se ferme. »

Le 27 septembre 1915, après plus d’un an de guerre, en permission, il quitte sa maison. Dans la rue, écrit-il, tout le monde regarde mes décorations et m’interroge à leur sujet : « Je souris et je leur dis que je ne suis pas un héros et que les héros meurent. » Il retourne au front et se bat à nouveau en Galicie.

Encore une fois son journal enregistre l’absurdité de la guerre. Le 23 janvier 1916, il note une discussion dans le même esprit contestataire : « Je crache sur ton art ! », dit encore un soldat qui assiste à une discussion sur Léonard de Vinci, Le Titien, Van Dyck, etc., « Si vous ne pouviez pas arrêter la guerre pour sauver l’art. Il fallait apprendre aux gens à ne pas faire la guerre ! » leur dit le même soldat en colère.

En juin 1916, son régiment est transféré sur le front italien. De là, il apprend que la Roumanie a déclaré la guerre aux Puissances Centrales, les soldats de nationalité roumaine sont un peu confus. Qu’est-ce qu’ils font ici ? Les dirigeants leur donnent des rations plus importantes et des cigarettes pour renforcer leur attachement à l’armée impériale, mais le mal est déjà fait: le combat n’est plus le leur.

En 1917, le caporal Ciumbrudean décrit les violents combats menés sur le front italien, mais aussi la situation de plus en plus difficile des Roumains en Transylvanie, familles affamées et persécutées. Les soldats parlent de plus en plus des bolcheviks et de Lénine, et sur leurs lèvres l’adage est: « laisser combattre les rois entre eux ».

Dans la ville où il y a trois ans les gens criaient : « Nous voulons la guerre ! Vive la guerre ! Mort à la Serbie ! », il chuchote: Nous voulons la paix! On n’a plus besoin de guerre ! écrit avec ironie Ciumbrudean le 5 janvier 1918 dans son journal lors de son passage à travers Budapest après un congé militaire. En juillet, il a subi une blessure à la main et a été hospitalisé à Belgrade où il séjourna jusqu’au 18 septembre, date à laquelle il fut transféré en Hongrie, puis a été déclaré inapte à la guerre. L’armistice le trouve à Alba Iulia, où il est de nouveau impliqué dans le mouvement socialiste et participe le 1er décembre 1918 à l’Assemblée Nationale des Roumains qui ont voté pour unir la Transylvanie à la Roumanie.

Le journal de Dumitru Ciumbrudean, c’est le journal d’un socialiste, il a évidemment une portée politique, mais c’est aussi le journal d’un pacifiste, d’un homme qui condamne la guerre. Il conclut le récit de son expérience personnelle de participation à la Grande Guerre: «J’ai connu des nations et des coutumes. J’ai appris à connaître l’âme humaine. J’ai vu des milliers de morts et de blessés. Tout cela m’a terriblement secoué, car maintenant je ne peux plus regarder un animal mort sans me faire mal. J’ai été blessé plusieurs fois et de la main droite je suis devenu invalide de guerre. Combien j’ai traversé! Pourquoi avons-nous été incités? Qui a semé la haine dans les âmes de la foule? Pourquoi avons-nous été aveuglément poussés à tuer? Sur la ruine du vieux monde, j’ai rêvé d’un autre monde après tant de souffrances et de misères. Nous qui avons vécu la guerre ne devrions pas être accusés de la haïr. Au nom de la paix, je condamne la guerre et je veux rendre hommage à travers mes notes à tous ceux qui se sont révoltés contre elle. »

Dorin Stanescu, mai 2021

Share

Gorceix, Septime (1890-1964)

Le témoin

Septime Gorceix est né à Limoges le 7 octobre 1890. Il est devenu professeur d’histoire et de géographie dans sa ville natale. Pendant la guerre, il sert dans l’infanterie au 67e RI ; il est capturé sur les Hauts de Meuse le 24 avril 1915. La plus grande partie de son livre de témoignage concerne sa captivité et ses tentatives d’évasion. Il est possible que la décision de publication doive à la lecture de Témoins de Jean Norton Cru : il en a fait un compte rendu dans le Bulletin de la Société des Professeurs d’Histoire et de Géographie en mars 1930 (n° 63). Tout en affirmant que son intention est simplement d’attirer l’attention des collègues sur l’ouvrage, Septime Gorceix reconnait son importance considérable : Témoins est « sans précédent dans toute la littérature historique ». Il en décrit la méthode rigoureuse ; il invite les professeurs à bannir les légendes militaires de leur enseignement ; il remarque que, parmi les témoins les mieux classés par JNC, figurent plusieurs universitaires et ajoute : « Plutôt qu’à une simple coïncidence, c’est à une certaine formation de l’esprit critique qu’il faut rapporter cette place de distinction. Il est juste d’ajouter que certains professionnels de l’Histoire sont relégués dans des classements inférieurs. » La même année 1930, Septime Gorceix a publié son propre témoignage sous le titre Évadé et a obtenu le prix Marcel Guérin de l’Académie française.

Septime Gorceix est mort à Paris le 15 mai 1964.

Le témoignage

Évadé (Des Hauts de Meuse en Moldavie), a été publié (233 pages, 7 croquis intéressants) en 1930 par les éditions Payot  dans la collection de mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la Première Guerre mondiale.

L’avant-propos signale que le livre aurait pu être publié dès la fin de la guerre, mais que l’auteur avait préféré passer à autre chose. Cependant il a fini par considérer que l’expérience des générations de la Grande Guerre ne devait pas être perdue. Pour la faire connaitre, sa rédaction définitive pouvait s’appuyer sur des carnets remplis quotidiennement.
Le premier chapitre (Sur les Hauts de Meuse) raconte les combats du 67e RI dans ce secteur du front où, dit-il : « durant la semaine de Pâques 1915, nous ne sommes plus des soldats, mais de vivants blocs de boue ». Les combats ne sont plus une bataille, « mais une boucherie hideuse ». Septime Gorceix devient sergent. Il est capturé avec plusieurs de ses hommes lors d’une attaque allemande, le 24 avril. Deux Allemands menacent de le tuer mais un sous-officier le protège (situation semblable dans le témoignage de Fernand Tailhades, voir ce nom). Plus tard et plus loin, un général s’adresse aux prisonniers en français : « Bon ! Bon ! La guerre est finie pour vous. Elle sera bientôt finie pour tous ! »

2e chapitre : Au camp de Wurzburg-Galgenberg, les prisonniers sont débarrassés de la vermine, mais mal nourris (jusqu’à l’arrivée des premiers colis venant de France). La plupart expriment ouvertement leur satisfaction « d’être tirés de la mêlée », mais Septime nous dit qu’il prend la résolution de s’évader pour retourner au combat. Il y a des gardiens gentils et d’autres brutaux. L’un d’entre eux, qui doit partir au front, se fait signer des attestations de bons traitements à l’égard des Français car « son rêve serait d’être prisonnier en France ».

En juillet, les PG partent en kommando pour faire les moissons ; ils sont très bien accueillis ; c’est l’Angleterre qui est détestée. Retour au camp pour parler de l’information : quelques coupures de presse arrivent dans les colis de nourriture, mais on trouve aussi des journaux français à Wurzburg. On joue à la manille ou au football, on lit, on apprend l’allemand, on chante, on représente des pièces de théâtre, on rédige un journal hebdomadaire. Plusieurs pages du livre évoquent cette feuille, tolérée parce qu’elle peut servir la propagande allemande en pays neutre en montrant cette preuve de tolérance.

3e chapitre : Septime Gorceix a soigneusement préparé son évasion. Il s’est fait envoyer une boussole, une carte, un couteau à cran d’arrêt ; il a acheté en ville un sac tyrolien et une lampe électrique… En août 1916, il choisit de partir en kommando « dans les houblonnières bavaroises » (titre du chapitre) pour avoir moins de distance à parcourir. Mais c’est un échec, décrit sur plusieurs pages. Repris, il est convoyé par un seul gardien qu’il pourrait tuer car il est sans aucune méfiance tandis que Septime a toujours son couteau. Mais il ne peut s’y résoudre. Dans le train qui le ramène au camp, on lui dit que si les Allemands et les Français étaient alliés ils seraient les maitres du monde. Sa punition est légère.

Une deuxième tentative d’évasion conduit Septime Gorceix « à travers la Bavière du Sud » mais se termine « dans les prisons autrichiennes » puis « au camp de Deutsch-Gabel » en Bohême (titres de chapitres). Là, le professeur d’histoire et de géographie organise des conférences, tandis que des Tchèques introduisent « des gazettes allemandes d’extrême gauche ». Des conflits se produisent avec des prisonniers russes particulièrement mal traités.

La troisième évasion se fait lorsqu’il est en kommando en Autriche, en avril 1918. Avec un camarade, le voici à Vienne où ils achètent un plan de la ville. Le prof d’histoire se met en tête « une folie » : « Je veux visiter le Versailles autrichien, me promener dans Schönbrunn et contempler le paysage du haut de la Gloriette. » Il le fait. Passage à Budapest, ville qui semble ne pas connaitre les pénuries alimentaires. Puis « à travers les Carpathes » (titre de chapitre) et en Valachie où les évadés se procurent de faux papiers auprès de Roumains francophiles. « À Bucarest, sous le règne de Von Mackensen », les évadés croisent de beaux embusqués allemands, puis ils se dirigent « vers la Moldavie libre ». Le 7 juin, ils entrent en gare de Iassy et se présentent à la Légation de France.

Rémy Cazals, avril 2021

Share

Lanois, Lucien (1891-1980)

Né le 14 août 1891 à Villeroy-sur-Méholle (Meuse). Sa famille tient un café-tabac-épicerie dans le village. Il fait de bonnes études primaires et, au « certif », il est classé 1er du canton, comme Louis Barthas. Comme lui encore, Lucien Lanois reste artisan, menuisier, puis cultivateur. Il passe toute sa vie à Villeroy, en dehors de son long service militaire. En effet, entré au 155e RI à Commercy en 1911, dans le cadre de la loi des 2 ans votée en 1905 à l’initiative de Jaurès, il doit effectuer une année de plus à cause de la loi des 3 ans. Le 30 juillet 1914, il écrit à ses parents : « Malgré tout la classe vient et dans une cinquantaine de jours je serai de retour avec vous. » Ce sera dans une cinquantaine de mois. Il est donc resté plus de sept ans sous les drapeaux.
Baptême du feu le 21 août, il s’en tire « sans une écorchure », mais il est blessé au pied le 6 septembre 1914 ; la balle de shrapnel n’est extraite que le 20 octobre. Dans la deuxième quinzaine de novembre, sa famille reçoit des autorités militaires l’annonce de son décès. Heureusement, Lucien n’avait pas cessé d’écrire depuis l’hôpital de Moulins. Suit une période de soins, de convalescences. En septembre 1915, il est classé inapte à retourner au front et remplit diverses tâches à l’arrière, par exemple matelassier ou gardien de prisonniers. En avril 1916, il est « récupéré » comme ravitailleur au 25e d’artillerie et participe à l’offensive de la Somme. Dans l’Aisne en avril 1917, puis en Meurthe-et-Moselle. Il connaît également une longue période dans les Vosges de juin 17 à février 18 avant d’être à nouveau hospitalisé en août.
Le témoignage qu’il a laissé est énorme, un « hyper-témoignage » dit Yann Prouillet, comme celui de Gaston Mourlot que sa maison d’édition, Edhisto, a déjà publié en 2012 : La Grande Guerre d’un « récupéré », Journal et correspondances de Lucien Lanois de 1914 à 1918, présentés par Gisèle Lanois, Senones, Edhisto, 2020, 635 pages, 362 illustrations, 2 millions de signes. La correspondance occupe les pages 14 à 466. Elle comprend 317 lettres de Lucien et 257 cartes postales marquées de la date de son passage et de sa signature, parfois plus précisément personnalisées par une croix de situation ou par un bref commentaire. Sur certaines légendes de cartes, la censure avait noirci les noms des villages ; Lucien les a rajoutés de sa main. Le livre compte aussi 163 lettres reçues par le soldat. Celui-ci, en 1976, âgé de 85 ans, a rédigé un récit à partir de ses carnets de guerre (qu’il a ensuite détruits) et de sa correspondance. Le texte des cahiers occupe les pages 469 à 621 du livre.
L’appareil critique comprend une présentation par sa petite-fille Gisèle qui explique comment elle a rassemblé les documents que Lucien avait distribués à ses enfants et petits-enfants ; une chronologie précise de la guerre de Lucien ; un index des noms de lieux ; un glossaire iconographique. Comment Yann Prouillet réussit-il à abattre une telle besogne de recherche, composition, relecture, diffusion ? Je pense que l’expression sportive « mouiller le maillot » doit être ici retenue. Comment réussit-il à vendre un tel monument au prix unitaire de seulement 29 euros ?
Une suggestion : achetez et faites acheter ce livre par les bibliothèques.

Rémy Cazals, mars 2021.

Share