Plérieur (ou Plérieux), F.

Ce soldat est l’auteur d’un poème dédié à Pierre Jeukens (1880-1938), grand-père maternel de Jean Robin qui a confié le manuscrit à Guy Durieux (gdurieux07@orange.fr) lequel en a tiré un bref tapuscrit tiré à quelques exemplaires.
On ne sait rien de ce Plérieur, on ne connait pas son prénom, on ne sait pas si son nom est correctement transcrit. On peut seulement dire que son camarade Jeukens appartenait comme maréchal des logis à l’ambulance 12/6.
« Ce petit souvenir d’une nuit noire, avec filet rouge, vécue ensemble » avec Pierre Jeukens concerne la nuit du 24 au 25 août 1914, l’ambulance stationnant au village d’Azannes, à une quinzaine de kilomètres au nord de Verdun.
Tableaux réalistes du champ de bataille. Cris des blessés : « Maman ! » ; « A boire ! » « Tuez-moi car je veux mourir, je souffre trop ! »
Un des derniers passages évoque les « hobereaux » responsables des massacres, qui sont très certainement les junkers prussiens :
De leurs manoirs maudits, ils ont pris leur essor
Et de l’Europe entière ils déchirent le sort.

Rémy Cazals, juillet 2020 (d’après Guy Durieux)

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Blunden, Edmund (1896-1974)

La Grande Guerre en demi-teintes. Mémoires d’un poète anglais. Artois, Somme, Flandres (1916-1918), par Edmund Blunden
Traduit de l’anglais par Francis Grembert
Editions Maurice Nadeau
Prix public : 25€

Le livre
Undertones of war est un classique anglais de la Grande Guerre. Salué comme le meilleur récit de son genre, ce texte a été publié à Londres en 1928. Le voici enfin traduit pour la première fois en français. Le poète Edmund Blunden y relate son expérience dévastatrice de la guerre de tranchées en France et en Belgique. Il prend part aux batailles meurtrières de la Somme, Ypres et Passchendaele, où il décrit cette dernière comme “le massacre, non seulement des soldats mais aussi de leur foi et de leurs espoirs”. Dans une écriture poétique mais sans emphase, il raconte la ténacité, l’héroïsme et le désespoir des hommes de son bataillon. Ce texte est enrichi de 31 poèmes de l’auteur composés sur le front. Edmund Blunden a été sélectionné six fois pour le prix Nobel de littérature.

À propos de l’auteur
Edmund Blunden (1896-1974) est un poète, auteur et critique anglais. Il a été professeur de poésie à l’Université d’Oxford. Pendant la Première Guerre mondiale, il a été sous-lieutenant au Royal Sussex Regiment jusqu’à la fin de la guerre. Enrôlé à dix-neuf ans, il a participé à de lourdes offensives à Ypres et sur la Somme. Il a été décoré de la Military Cross.
Contact presse : Laure de Lestrange : 01 46 34 30 42 / editions.mauricenadeau@orange.fr

Extraits de critiques parues :

Aux idéologies figées de la Grande Guerre, le livre d’Edmund Blunden oppose une attention sidérante aux paysages dévastés et une empathie exemplaire pour toute forme de vie atteinte par la destruction.
(…)
Edmund Blunden ne généralise pas, n’explique rien. Le peu de vérité atteignable par sa remémoration ne semble susceptible d’apparaître qu’à travers l’exposition de singularités. Si elle comporte un enjeu référentiel direct, l’accumulation des détails concrets procure une émotion intense, déclenche la narration chez son auteur en même temps que le recueillement chez son lecteur.
(Pierre Benetti dans En Attendant Nadeau)

Il ose écrire dans la chute d’un chapitre :« Mais malgré tout, ce monde était beau » ; et cette pensée d’un survivant des combats de Beaumont-Hamel, d’un rescapé du piège de la Redoute des Souabes, d’un revenant de l’enfer de Thiepval, seul un poète pouvait oser l’écrire.
(Pierre Assouline dans La République des livres)

Ces mémoires sont d’une précision absolument démente, au taillis près, à la minute près parfois.
(Manou Farine – France-Culture – La compagnie des poètes)

Extraits de la préface (Francis Grembert) :

Inédit en français, La Grande Guerre en demi-teintes compte au rang des classiques du témoignage britannique de 14-18. Tout comme les ouvrages de Siegfried Sassoon, Robert Graves, Wilfred Owen et Vera Brittain, il n’a cessé d’être réédité depuis sa parution en 1928. Ces mémoires sont à bien des égards atypiques. La Grande Guerre en demi-teintes se démarque par son rejet du sensationnalisme et une démarche qui refuse tout didactisme. Dans cette chronique douce-amère, l’auteur a délibérément choisi l’euphémisme pour retracer son parcours de combattant. Qualifié de « long poème en prose » à sa sortie, l’ouvrage surprend par ses partis-pris, sur la forme comme sur le fond. La Grande Guerre en demi-teintes procède par la juxtaposition d’éléments disparates, reflets fidèles de la réalité. L’ironie qui s’en dégage n’est jamais complaisante. La première phrase du livre – « Je n’étais pas impatient d’y aller. » – résume bien le ton choisi pour évoquer la guerre.
La dénonciation de la guerre n’est pas son propos, du moins n’est-elle pas explicite. L’auteur préfère nous faire entrer sans commentaires superflus dans la routine de la vie des tranchées, avec ses codes, ses bizarreries et son quota de morts dans les duels d’artillerie quotidiens. Observateur scrupuleux des paysages, il s’imprègne des vergers, des marais et des maisons de Festubert et de Richebourg, des vallées dévastées de la Somme et du bourbier de Passchendaele pour les restituer avec une surprenante profusion de détails. L’art subtil d’Edmund Blunden consiste à allier les descriptions précises de villages et d’aménagements militaires à un détachement ironique permanent. Un des grands mérites de l’ouvrage est de nous montrer que le théâtre des opérations militaires n’est pas un vaste ensemble uniforme. Le combattant vit dans un secteur et non un autre. Il évolue dans des configurations de tranchées, de boyaux et d’abris à chaque fois différentes. Ce paysage temporaire est la référence unique du combattant, dont la survie dépend de sa capacité à s’adapter à un environnement hostile.
La Grande Guerre en demi-teintes est aussi, et peut-être avant tout, un livre d’une écriture dont la richesse n’est que rarement attestée dans les mémoires de combattants. On y goûte une langue généreuse, inventive, à la syntaxe méandreuse et hardie, qui n’hésite pas à puiser sans vergogne dans le riche passé des lettres britanniques. Shakespeare, Byron, Tennyson, Keats sont convoqués parmi d’autres. La réponse à la guerre est la littérature, semble nous dire Edmund Blunden. En recourant à un style complexe, nourri d’échos anciens, il affirme la persistance d’un héritage littéraire que la barbarie des tranchées n’a pas réussi à balayer.
(…) Cette volonté quasi obsessionnelle du mot juste pour dire l’indicible est ce qui fait l’originalité de ces mémoires, mélange subtil de topographie militaire, d’instants de camaraderie, de combats sauvages, d’absurdités administratives et d’érudition. L’objectif est clairement de rendre compte de la complexité de la réalité combattante et de dire la résilience des troupes. On se perd parfois dans ses longues phrases, agrémentées de chausse-trappes, de bizarreries et de ruptures en tous genres, mais cet égarement est porteur de sens : la guerre est multiple et tentaculaire, elle glisse entre les mains, mais il faut tenter de la dire.
La Grande Guerre en demi-teintes regorge de noms de camarades, qui associés aux lieux, personnalisent le récit. Les Doogan, Penruddock, Kapp, Cassels et autres Clifford ponctuent le récit et donnent lieu, au détour d’une phrase, à de petites notations qui en disent autant qu’un long portrait. Quand l’un d’eux meurt, Blunden ne s’attarde pas, par pudeur, par volonté aussi de ne pas tomber dans un pathos facile. Les « excellents compagnons » et les « parfaits amis » suffisent amplement à dire la force du lien, et le cas échéant la douleur de la perte. (…)
Tout au long de sa vie, Edmund Blunden, reviendra régulièrement sur la guerre, dans ses poèmes comme dans ses essais. Il sera nommé au poste de conseiller littéraire auprès de la Commission des Sépultures de Guerre et publiera des « poètes de tranchées » tels que Wilfred Owen et Ivor Gurney. Siegfried Sassoon affirmait que de tous les écrivains-combattants, il était sans conteste celui que son expérience combattante avait le plus obsédé. Il n’a jamais caché que la guerre le hantait et que le passage du temps n’y faisait rien. Peut-être n’a-t-il jamais vraiment compris pourquoi il avait survécu. Son jeune âge explique aussi la force de l’impact qu’a exercé la guerre sur lui. Il a tout juste 19 ans quand il arrive en France. Surnommé Le Lapin par ses camarades, en raison de sa vivacité, il possède une force intérieure que ne laisse pas supposer ce sobriquet. La Médaille Militaire obtenue pour bravoure dans la Somme sera d’ailleurs passée sous silence dans La guerre en demi-teintes. Blunden n’est jamais sorti de la guerre. Les fantômes du passé l’ont accompagné jusqu’à sa mort. La culpabilité de s’en être sorti tandis que bon nombre de ses camarades avaient laissé leur vie dans la boue continentale est une constante dans sa vie et son œuvre.
Auteur typiquement britannique, grand amateur de soirées au pub et de matchs de cricket, Edmund Blunden a bâti une œuvre de premier plan, essentiellement axée sur la poésie, la critique littéraire et les biographies. Professeur à l’université de Tokyo pendant les années 20 et à Hong Kong pendant les années 50, chroniqueur au Times Literary Supplement, ce Britannique si attaché à la culture de son pays a toujours fait preuve d’un grand souci d’universalité. Quand en 1958, il publie une anthologie de poètes de la Grande Guerre, ce n’est pas pour exploiter un filon mais bien pour dire que quarante ans après l’Armistice, avec une autre guerre mondiale venue s’intercaler au passage, ce qui s’est passé entre 1914 et 1918 reste la matrice, mystérieuse et incontournable, à partir de laquelle s’est construite sa vie d’homme et d’écrivain.

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Aldington, Richard (1892-1962)

Richard Aldington débute sa carrière littéraire en 1911 au sein du mouvement poétique des Imagistes, qui connaît son heure de gloire entre 1910 et 1917. Après avoir fait la connaissance d’Ezra Pound, le principal initiateur de ce mouvement d’avant-garde, il épouse en 1913 l’auteure américaine Hilda Doolittle, plus connue sous les initiales H.D., laquelle fait également partie des Imagistes. Tournant le dos au romantisme, ces poètes prônent un traitement précis de l’image, loin de toute abstraction, avec recours au vers libre. Ils sont également influencés par la littérature extrême-orientale, notamment les haïkus japonais. Le premier recueil d’Aldington, Images 1910-1915, paraît en 1915.
Après avoir été rejeté par l’armée en 1914 pour avoir été récemment opéré d’une hernie, Richard Aldington essaie à nouveau en 1915 de se faire incorporer dans un centre de formation pour officiers mais sans plus de réussite. Il se consacre dès lors à sa carrière naissante, écrit pour la revue The Egoist, travaille en collaboration avec Ford Madox Ford pour des ouvrages de propagande et côtoie la bohème imagiste, soucieux de se faire un nom sur la scène littéraire. La guerre ne fait plus partie de ses préoccupations. Mais la Grande-Bretagne instaure la conscription au début de l’année 1916. Il doit rejoindre les rangs de l’armée en juin. Le passage entre la vie d’artiste et la discipline de la caserne ne va pas sans quelques difficultés d’adaptation, mais quand il arrive en France à la fin de l’année il parvient à se fondre dans la masse et à exercer sans état d’âme le métier de soldat. Son sens aigu de la satire l’aide à affronter la réalité des combats. Ainsi, il écrit en français à son ami Flint : « Ne crois pas que je veux de tes nouvelles ; c’est que je manque diablement de torche-culs. C’est un manque dont M. le Commissaire-Général se s’est point aperçu, sans doute. » Il pose sur le spectacle de la guerre un regard distant. « C’est d’une emphase qui vaut la peine d’être vue, ne serait-ce que pour s’imaginer ce que fut Pompéi au moment où les éruptions l’engloutissaient. » Il souffre cependant du mal du pays. Au printemps 1917, il accomplit sa mission de signaleur en marge de la bataille d’Arras puis revient pour plusieurs mois en Grande-Bretagne afin de suivre une formation d’officier. Il ne contient pas toujours sa colère contre les planqués et les profiteurs : « Je souhaiterais que les capitalistes se révoltent. Nous aurions alors l’occasion de les écraser définitivement. Ce jour-là, je ne serais pas armé d’un fusil mais d’une mitrailleuse. » Il craint également qu’à son retour au front ses nerfs lâchent : « Je crois que je vais me jeter au sol et pleurer comme un gosse si je dois vivre un autre barrage d’artillerie ».
De retour en France en avril 1918, dans le secteur de Loos, il déplore la piètre qualité des nouvelles recrues et continue d’écrire des poèmes de guerre, même s’il juge que sa sensibilité littéraire s’est émoussée. Son recueil, War and Love, vient de paraître et n’a pas l’impact qu’il espérait. La poésie de guerre est encore majoritairement patriotique et le public rejette pour l’instant les plumes acerbes. Recourant au style imagiste qui privilégie le détail évocateur, le poète Aldington sait pourtant mieux que nombre de versificateurs peu inspirés évoquer les instants de guerre avec une sobriété bienvenue. Dans une lettre à Hilda, il confie avoir essayé de se suicider en se plaçant délibérément dans la ligne de tir de l’ennemi. Il participe à l’offensive alliée de l’automne 1918 dans les secteurs de Doullens, Lens et Cambrai. Son unité se trouve à Wargnies-le-Grand quand sonne l’Armistice. Il n’est démobilisé que quelques mois plus tard. Comme beaucoup de ses camarades, il est épuisé par le combat et en porte les séquelles : symptômes post-traumatiques avec crises d’angoisse, insomnies et troubles psychiques.
L’expérience de combattant de Richard Aldington a été compliquée par une anxiété permanente liée à sa vie sentimentale, qui l’a miné tout au long de sa présence en France et pendant sa période de formation en Angleterre. Après la naissance d’un enfant mort-né en 1915, Hilda a vécu avec Cecil Gray, un ami de D.H. Lawrence, pendant qu’Aldington se battait en France. Elle a accouché d’une fille issue de cette liaison et vers la fin de la guerre a entamé une relation homosexuelle avec Annie Winifred Ellerman, qui publiait sous le nom de Bryther. Malgré cet imbroglio sentimental digne d’un roman à sensations, Richard Aldington ne souhaite pas rompre avec son épouse. En 1919, le couple essaie de surmonter ses difficultés mais la séparation s’avère très vite inévitable. Ils ne divorcent cependant qu’en 1938 et resteront amis tout au long de leurs vies.
Pendant près de dix ans, Aldington essaie de retrouver la position qu’il occupait sur la scène littéraire britannique au début de la guerre. C’est l’époque où T.S. Eliot monte en puissance et où le courant imagiste devient obsolète. Il écrit des critiques et une étude sur Voltaire, son modèle, et publie des traductions, notamment des correspondances de Voltaire et de Madame de Sévigné. En 1928, Aldington quitte l’Angleterre pour s’établir en France. C’est en Provence, sur l’île de Port-Cros, qu’il écrit Death of a Hero à partir d’un premier manuscrit rédigé dix ans auparavant. Roman d’un désenchantement total et d’un humour souvent exubérant, Death of a Hero est une réussite littéraire évidente qui établira durablement la réputation de l’auteur.
En 1930, Aldington publie une traduction du Décaméron et en 1933 un roman intitulé All men are enemies, qui reprend le thème de la désillusion engendrée par la Grande Guerre. En 1942, exilé aux États-Unis avec sa nouvelle épouse, Netta Patmore, il entame un cycle de biographies sur Wellington, D.H. Lawrence, Robert Louis Stevenson et T.E. Lawrence. Celle consacrée à T.E. Lawrence causera un scandale retentissant. Le milieu littéraire ne pardonnera jamais à Richard Aldington de s’être attaqué à la figure légendaire de Lawrence d’Arabie et de l’avoir en partie montré sous les traits d’un imposteur. Si par la suite les historiens donneront raison à Aldington, l’effet du livre n’en est pas moins désastreux pour son auteur dans les années 50.
Il meurt en France, à Sury-en-Vaux, en 1962. Le Times écrit alors : » Il fut un jeune homme en colère avant que ce concept ne devienne à la mode… et est resté jusqu’à la fin un vieil homme en colère. »

Francis Grembert, novembre 2016

2) L’oeuvre
Mort d’un héros, publié en 1928, est considéré dès sa sortie comme une oeuvre importante. Le roman est traduit en français en 1987 (Actes-Sud). En 1930, Aldington publie Roads to Glory, une série de nouvelles traitant également de la guerre. Ses poèmes de guerre sont publiés sous les titres Images of War (1919) et Love and War (1919). An Imagist at War: The Complete War Poems of Richard Aldington (2002) regroupe l’ensemble de sa production poétique de guerre.

3) Analyse.

Les deux premières parties de Mort d’un Héros retracent la jeunesse et le mariage moderne de George Winterbourne, ce qui nous vaut un portrait dévastateur de l’Angleterre du début du siècle. Les petits bourgeois et le monde de la bohème artistique font l’objet d’une satire féroce. La troisième partie est centrée sur la guerre.
Ce roman est le portrait d’une génération perdue. L’amertume peut parfois laisser supposer que l’auteur fait preuve de misanthropie, mais il s’agit avant tout de colère. Celle-ci est exprimée avec un humour ravageur, très britannique, et une verdeur de langue qui vaut à son auteur quelques problèmes avec la censure. La première publication en Angleterre a d’ailleurs été tronquée.
Mort d’un héros a occulté les autres oeuvres d’Aldington consacrées à la guerre. Ses poèmes de tranchées et Roads to Glory présentent pourtant un intérêt similaire et attestent de l’impact durable qu’a eu la guerre sur leur auteur. Le texte suivant, publié une première fois dans la revue The Egoist puis dans Roads to Glory, donne une idée de son style.

Je suis hanté par les aubes. Non ces aubes lointaines où je vis pour la première fois les clochers de Florence dans l’air pur de la Toscane ou les collines violettes de Ravello, auréolées de brume sous l’or du ciel ; ni ces aubes où je me réveillais à côté d’un corps aimé, aux courbes délicates, l’esprit encore fiévreux de désir, les lèvres et les yeux lourds de baisers, et contemplais la lumière glisser sur les toits de Londres tandis que les moineaux du petit matin gazouillaient dans les platanes. Ce ne sont pas ces aubes-là qui me hantent, mais d’autres, tragiques et pitoyables.
Je me souviens de réveils pénibles en hiver dans des granges françaises. Il manquait toujours quelques tuiles au toit, ce qui nous permettait de pouvoir observer le scintillement morose des étoiles, et à l’aube le chatoiement stérile de la neige. Notre haleine gelait sur les couvertures et le contact avec l’air nous était une angoisse.
Je suis hanté par les aubes sombres, dont certaines avaient un charme ironique, qui naissaient sur les champs de manœuvres, les aubes brumeuses de printemps, quand les formes indistinctes des fils barbelés ressemblaient à des ennemis qui rampaient, les aubes d’été, où le bleu profond et la fraîcheur incommensurable du ciel étaient comme un blasphème, une insulte à la misère humaine.
Mais parmi toutes ces aubes une me troubla à jamais. Tandis que les formes émergeaient petit à petit de l’obscurité et que la lente progression de la lumière en définissait les contours, de petits groupes d’hommes portant brancards à l’épaule avançaient laborieusement le long de la rue en ruines. Chaque groupe se détachait sur l’orient qui blanchissait : les casques d’acier (comme ceux portés par les soldats du Moyen-âge), les fusils en bandoulière, les corps tendus par l’effort, les cadavres qui vacillaient inutilement sous la couverture sépulcrale. Au fur et à mesure qu’ils arrivaient à leur destination, les brancardiers criaient les noms des choses qu’ils transportaient – des choses qui hier encore avaient été des vies d’homme.

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West,Arthur (1891-1917)

1. Le témoin
Arthur West est né à Norwich en 1891. Après la mort de leur mère en 1899, Arthur et ses trois frères et sœurs sont élevés par leur grand-mère paternelle et leur tante. Pensionnaire dans un lycée du Devon, il connaît une scolarité difficile. Timide et réservé, peu doué pour le sport, il se refugie dans les livres et cultive son goût pour la solitude. Arthur West intègre Oxford, où il entame des études classiques de lettres et suit la formation universitaire des officiers. Les Corps Universitaires de Formation d’Officiers (O.T.C, Officers’ Training Corps) avaient été créés en 1908 pour garantir à l’armée britannique une réserve potentielle d’officiers de qualité. Sur la base du volontariat, les étudiants pouvaient suivre une ou deux heures par semaine un entraînement militaire et participer à des camps pendant les vacances. Les étudiants ayant suivi cette formation pendant l’année universitaire 1913-1914 ont pu facilement terminer leur entraînement à l’automne pour partir au front en 1915 en qualité de sous-officiers. C’est le parcours que souhaite suivre Arthur West mais il est refusé en raison de sa mauvaise vue. Déterminé à servir son pays, il se porte volontaire en tant que simple soldat au sein du bataillon des Public Schools en février 1915.
Arthur West arrive en France en octobre 1915 et se bat dans les tranchées jusqu’en avril 1916. Il part ensuite en Écosse pour parachever la formation d’officier entamée à l’université. Il est promu sous-lieutenant en août, dans le régiment d’infanterie légère de l’Oxfordshire et du Buckinghamshire. Mais avant de rejoindre ce régiment, il perd toute foi dans la validité du combat à mener. Influencé par des amis pacifistes et la lecture des œuvres de Bertrand Russel (1), il écrit une lettre à l’officier qui commande son bataillon pour lui annoncer son refus de continuer à se battre. Mais au dernier moment, il n’a pas le courage de poster la lettre et repart finalement pour la France, où il est tué dans le secteur de Bapaume le 3 avril 1917.
(1) Pendant la guerre, le célèbre philosophe et mathématicien Bertrand Russel se déclare ouvertement pacifiste, ce qui lui vaut d’être renvoyé de Trinity College puis d’être condamné à six mois de prison en 1918.
2. Le témoignage

Diary of a dead officer est publié en janvier 1919 par Cyril Joad, jeune intellectuel qui avait également milité pour le pacifisme pendant la guerre. L’ouvrage comprend des extraits du journal de bord tenu par Arthur West entre 1915 et 1917, des poèmes et des lettres. Une introduction de Cyril Joad dresse un portrait de l’auteur.

3. Analyse

Diary of a dead officer nous permet de suivre le parcours de combattant d’Arthur West sur deux ans. La première partie, de novembre 1915 à début 1916, ressemble à un journal de bord classique, celui d’un jeune civil en uniforme qui vit la guerre comme un mal nécessaire. Arthur West s’est engagé pour défendre une cause qu’il estime juste mais précise toutefois : « Je n’ai de haine ou d’animosité contre personne, à part contre les soldats en général et quelques sous-offs en particulier. Pour les boches, je ne ressens qu’un sentiment de fraternité : les pauvres gars font les mêmes choses horribles que nous alors qu’ils pourraient être chez eux avec leurs femmes ou leurs livres. » La deuxième partie du journal correspond à sa formation en Écosse pour devenir officier. C’est à la fin de cette période qu’un changement profond s’opère en lui. La discipline militaire l’oppresse de plus en plus et le pousse à définir un nouveau système de valeurs. Rejetant en bloc la religion et la notion de patrie, il verse dans un nihilisme qu’il cherche à analyser le plus précisément possible. « Je suis de plus en plus attiré par l’idée que rien n’existe et j’en retire un douloureux plaisir. » Il songe dès lors à déserter ou à se suicider. Mais ne pouvant se résoudre à aucune de ces deux extrémités, il repart au combat avec l’uniforme d’officier. La troisième partie du journal, qui va de l’automne 1916 à sa mort, en avril 1917, reflète sa tension intérieure. Convaincu du bien-fondé du pacifisme, il ne peut toutefois exprimer ouvertement ses convictions. La guerre n’est plus pour lui qu’une préoccupation secondaire, une série de gestes mécaniques à accomplir.
Ce journal assez court retrace une évolution radicale sur moins de deux ans et témoigne des tiraillements qu’implique une prise de position pacifiste qui ne se traduit pas dans les faits par l’objection de conscience.
Les poèmes inclus dans l’ouvrage, notamment God, how I hate you et Night Patrol, sont dans le style de ce qu’a publié Siegried Sassoon pendant la guerre : des moments de colère non contenue, qui rendent compte avec immédiateté des interrogations et de la rage des combattants. Cette « poésie de dénonciation », minoritaire dans l’ensemble de la production poétique des tranchées, lui permettait d’exprimer sans détour son aversion pour toute réalité militaire.
Francis Grembert, juin 2016

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Wilson, Cameron (1888-1918)

1. Le témoin
Fils et petit-fils de pasteur, Theodore Percival Cameron Wilson est né à Paignton, dans le Devon, en 1888, quatrième enfant d’une famille qui en comptera six. Son grand-père, Theodore Percival Wilson, avait été en son temps un romancier à succès. Après une scolarité en dents de scie, il suit des cours à Oxford en 1907 sans toutefois pouvoir intégrer un des prestigieux Colleges de l’université. Il quitte l’établissement trois ans plus tard sans diplôme et enseigne dans une école primaire. Son premier roman, The Friendly Ennemy, est publié en 1913.
Cameron Wilson s’engage en 1914 dans les Grenadier Guards et devient sous-officier l’année suivante dans le régiment des Sherwood Foresters. Arrivé en France en février 1916, il fait partie de ces nombreux combattants qui condamnent le principe de la guerre tout en étant convaincus qu’il est de leur devoir de se battre. Son poème Des pies en Picardie est publié dans la Westminster Gazette en août 1916. C’est à cette époque qu’il est muté au Grand Quartier Général. Après avoir été promu capitaine, il repart au front et trouve la mort le 23 mars 1918 à Hermies, dans le Pas-de-Calais. Son nom est gravé sur le mémorial d’Arras à côté de 35 000 autres soldats portés disparus dans ce secteur.
Marjorie Wilson, la soeur de Cameron, qui avait été aide-soignante bénévole pendant la guerre, publie en octobre 1918 dans le Spectator un poème intitulé A Tony, âgé de 3 ans – en mémoire de T.P.C.W. Ce type de « poème-hommage » était une façon d’honorer les soldats tués au combat en dédiant leur sacrifice aux jeunes enfants qu’ils ne verraient jamais grandir.
2. Le témoignage
L’ensemble des poèmes de Cameron Wilson est publié en 1919 sous le titre Magpies in Picardy par le poète Harold Monro, qui était aussi son ami. Un autre ouvrage, intitulé Waste Paper Philosophy, paraît l’année suivante. Plusieurs de ses lettres ont également été publiées, notamment dans War Letters of Fallen Englishmen.
3. Analyse
Le poème éponyme du recueil Magpies in Picardy est présent dans la plupart des anthologies de poésie consacrées à la Grande Guerre. Tout comme John McCrae, Noel Hodgson, Julian Grenfell et Alan Seeger, Cameron Wilson fait partie de ces auteurs-combattants passés à la postérité pour un seul de leur poèmes. Si le style de Magpies in Picardy est un peu suranné, il faut toutefois reconnaître qu’il possède une originalité séduisante et un charme pastoral évident. Son aspect documentaire est également à prendre en compte. Les commentaires sur la faune et la flore sont récurrents dans les témoignages britanniques de la Grande Guerre, et les oiseaux y ont une place de choix. L’image de l’alouette volant au-dessus du no man’s land est notamment une notation incontournable dans les écrits de combattants. Les autres poèmes du recueil évoquent les combats, les périodes de repos et les paysages français. Si Song of Amiens et quelques autres poèmes sont des instantanés réussis de « vie française », on peut cependant déplorer des faiblesses de style à bien d’autres endroits du recueil.
Les lettres de Cameron Wilson sont moins connues mais méritent tout autant l’attention que ses poèmes. Son dégoût de la guerre y est énoncé à plusieurs reprises, en des termes plus ou moins semblables, comme s’il voulait à tout prix persuader ses proches de ne pas se laisser leurrer par les discours officiels : « La guerre est incroyablement dégoûtante. Tout homme qui y a participé et l’encense est un dégénéré » (Lettre de mars 1916 à sa tante). « Quand on a vu un beau gars aux yeux bleus se transformer en un stupide pantin désarticulé, avec sa propre cervelle qui lui dégouline sur les yeux, comme je l’ai moi-même vu, on devient soit un pacifiste soit un dégénéré » (Lettre du 27 avril 2016 à sa tante). « Les corps désarticulés sont obscènes, quoique puissent écrire les correspondants de guerre. La guerre est une obscénité. Mais Dieu merci nous nous battons pour qu’il n’y ait jamais plus de guerre » (Lettre du 3 mai 1916 à sa mère). Le ton est radicalement différent de celui des poèmes. La mise en parallèle des deux types d’écriture nous renseigne sur les différentes attitudes, parfois opposées, qui cohabitent chez de nombreux combattants. Pour de nombreux jeunes officiers britanniques, la poésie a été un moyen d’expression privilégié leur permettant d’une part de conserver un lien avec le monde d’avant – pour beaucoup d’entre eux l’université – et d’autre part d’échapper momentanément aux prises de position pour aboutir à une vue distanciée et multiple de la réalité combattante.
Sources :
Magpies in Picardy, T.D Cameron Wilson, The Poetry Bookshop, 1919
Waste paper philosophy, T.D Cameron Wilson, George H. Doran Company, 1920
War letters of fallen Englishmen, Victor Gollancz Ltd, 1930

Francis Grembert

(Tel que publié dans le recueil Magpies in Picardy, 1919)

DES PIES EN PICARDIE

Les pies de Picardie
Sont plus que je ne saurais dire.
Elles planent au-dessus des routes poudreuses
Et ensorcellent les hommes
Qui traversent la Picardie,
La Picardie, prélude à l’enfer.

(Le merle, farouche, s’envole au moindre bruit,
L’hirondelle la lumière inlassablement suit,
Les pinsons ont des allures de dame,
La chouette flotte dans l’air du soir.
Mais la grande et radieuse pie
Vole à la manière des artistes.)

Une pie, quelque part en Picardie,
m’a révélé ses secrets :
La musique qu’abritent ses plumes blanches,
La lumière qui chante
Et danse dans la profondeur des ombres.
De ses ailes, elle me l’a dit.

(Le faucon, cruel et austère,
Toujours nous regarde du haut du ciel ;
La morne corneille traîne de l’aile,
Le rouge-gorge aime la bagarre ;
Mais la grande pie radieuse
A le vol gracieux de l’amour.)

Elle m’a dit qu’en Picardie,
Une génération ou deux auparavant,
Quand ses pères étaient encore dans l’œuf, Toutes ces grandes routes poussiéreuses
Charriaient des soldats qui partaient à la guerre,
La guerre en chantant,
Le long des prés et des champs de Picardie,
Prélude à l’enfer.
MAGPIES IN PICARDY

The magpies in Picardy
Are more than I can tell.
They flicker down the dusty roads
And cast a magic spell
On the men who march through Picardy,
Through Picardy to Hell.

(The blackbird flies with panic,
The swallow goes like light,
The finches move like ladies,
The owl floats by at night ;
But the great and flashing magpie
He flies as artists might.)

A magpie in Picardy
Told me secret things –
Of the music in white feathers,
And the sunlight that sings
And dances in deep shadows –
He told me with his wings.

(The hawk is cruel and rigid,
He watches from a height ;
The rook is slow and sombre,
The robin loves to fight ;
But the great and flashing magpie
He flies as lovers might.)

He told me that in Picardy,
An age ago or more,
While all his fathers still were eggs,
These dusty highways bore
Brown singing soldiers marching out
Through Picardy to war.

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