Rostin, Marcel (1877-1952)

1. Le témoin

Né à Sassenage (Isère) le 18 février 1877, le jeune Marcel Rostin fait son collège à Grasse, en pension chez son oncle (capitaine au 23e bataillon de chasseurs alpins), avec lequel il entretiendra toute sa vie une relation privilégiée. Engagé volontaire le 14 octobre 1896, il sert au 75e RI jusqu’en 1903, date à laquelle il intègre Saint-Maixent (promotion El Moungar). Nommé sous-lieutenant au 30e RI d’Annecy le 1er avril 1904, il passe lieutenant deux ans plus tard. Provençal d’adoption, il est incorporé sur sa demande au 112e RI le 14 octobre 1910.

A la mobilisation, le lieutenant Rostin commande une section de la 5e Cie. En août 1914, en Lorraine, il participe aux combats de Moncourt et de Dieuze, ainsi qu’à la fameuse retraite du même nom. En août et septembre, son unité est engagée dans la bataille de la Trouée des Charmes, puis dans celle de la Marne (région de Bar-le-Duc). Le 8 septembre, à Vassincourt, il est blessé à la main gauche et évacué, quatre jours après avoir été nommé capitaine à titre temporaire (nomination définitive en janvier 1915).

Le 5 décembre, il est de retour à la tête de la 9e compagnie dont il avait pris le commandement fin août 1914 : son régiment couvre le secteur d’Avocourt-Malancourt (Verdun) jusqu’en juin 1915. En mars de la même année, nommé à la tête de la compagnie de mitrailleuses du régiment, il est contraint de quitter sa chère 9e compagnie. Le 15 juin 1915, désormais rattaché à la 251e brigade de la 126e DI, le 112e RI quitte Verdun pour l’Argonne (secteurs du bois de la Gruerie puis du bois de Lachalade). En août, à Craonne, le 112e RI participe aux préparatifs de l’offensive de Champagne, avant de rejoindre les secteurs de Pontavert (septembre-octobre 1915), puis de Sillery, près de Reims. En novembre, le régiment part au grand repos à Hautvillers (Marne). De retour en décembre, le 112e occupe les tranchées de la Butte-du-Mesnil (Champagne) jusqu’en mai 1916, date à laquelle il est envoyé couvrir la Cote 304 et le Mort-Homme.

Evacué le 16 juillet 1916, le capitaine Rostin ne retournera plus au 112e RI. Début 1917, il est nommé instructeur au Centre des mitrailleurs de la IVe région. Après un nouveau séjour à l’hôpital, il rejoint la direction du centre régional d’instruction de mitrailleuses des XVe et XVIe régions à Brignoles. Le 25 avril 1919, il est nommé instructeur au Centre d’instruction pour élèves aspirants (CIEA) de Montélimar, quelques jours avant d’être affecté au 140e RI. Nommé à la Commission militaire interalliée de contrôle (CMIC) en septembre 1919, il demeure en Allemagne jusqu’en janvier 1923 (24e puis 167e RI), où il participe au désarmement allemand. Réaffecté au 140e RI en mars 1923, il est mis en non-activité par retrait d’emploi le mois suivant. Rappelé en 1925, on lui confie le commandement de la 2e Cie du 3e bataillon de mitrailleurs. En novembre, il est envoyé en Syrie pour contenir l’insurrection dans le Djebel druze. Le 16 juillet 1926, il est nommé adjoint au chef de secteur du Liban sud. Après un court passage au 18e RI, il est rapatrié et affecté, en mars 1927, au 3e bataillon du 3e RI d’Antibes. Hospitalisé pour paludisme aigu, il finit sa carrière au 141e RIA de Nice. Atteint par la limite d’âge le 18 janvier 1930, il est admis à la retraite et se retire à Nice, où il décède le 1er juin 1952.

2. Le témoignage

Un officier du 15e corps, Carnets de route et lettres de guerre de Marcel Rostin (1914-1916), présentés et annotés par Olivier Gaget avec une postface de Jean-Marie Guillon, Saint-Michel l’Observatoire, C’est-à-dire éditions, 2008.

La présente édition compile les carnets de guerre de Marcel Rostin pour la période allant du 7 août au 13 septembre 1914 (la douzaine de carnets postérieurs n’ayant pas été retrouvés) et la correspondance (117 lettres), irrégulière et parfois lacunaire, entretenue par Rostin et son oncle, le commandant en retraite François Meurs, entre le 6 décembre 1914 et le 1er juillet 1916.

Le témoignage de Rostin est issu du fonds Belleudy (bibliothèque de Cessole, musée Massena de Nice) ; selon Olivier Gaget – l’initiateur de la publication du témoignage de Rostin –, il représente 231 pièces manuscrites décomposées comme suit : un feuillet recto-verso et 71 feuillets recto pour la partie carnets, 130 pour les lettres, ainsi que quelques annotations de Belleudy et autres lettres de Rostin au préfet.

Jules Belleudy, journaliste, écrivain et préfet, a été l’un des plus fervents défenseurs du 15e Corps – essentiellement composé de méridionaux –, injustement accusé de lâcheté et jugé responsable, en août 1914, de l’échec de la bataille de Lorraine. En 1916, il fait paraître une brochure censurée intitulée La Légende du XVe Corps d’Armée. L’Affaire de Dieuze. Avec l’aide du général Carbillet, ancien commandant d’une des deux divisions du 15e CA, Belleudy recueille les pièces qui constitueront bientôt le fonds éponyme.

Dans la première lettre qu’il écrit à Jules Belleudy, en date du 3 mai 1917, le capitaine Rostin propose au préfet de lui confier ses carnets (il lui remet ainsi les deux premiers entre le 8 et le 11 mai 1917) afin qu’il puisse compléter sa brochure au jour du vécu d’un officier du 15e Corps : « Je sais, écrit Rostin, que je suis le seul des officiers de mon régiment qui ait eu la constance de noter les faits à leur heure, durant deux années de combats presque ininterrompus. Je possède donc un journal exact, émaillé, il est vrai, de réflexions personnelles parfois délicates mais toujours sincères. » (p. 23) La famille ayant dispersé les archives de Rostin à la mort de ce dernier, les carnets conservés dans le fonds niçois ne sont pas des originaux, mais des copies de Jules Belleudy lui-même. Pour O. Gaget, seule la partie relative aux évènements relatifs à la retraite du 15e CA à Dieuze avait sans doute vocation à être publiée, et ce en tant qu’acte de défense. Dans cet optique, Belleudy avait d’ailleurs rédigé une préface, conservée dans le fonds et intégralement reproduite dans la présente édition : « Nous saurons ainsi, écrit J. Belleudy, les défaites d’une action et en particulier comment le soldat français de Provence s’est comporté au feu dans cette période du 14 août au 14 septembre 1914. » (cité p. 27) La publication du témoignage de Rostin demeurera cependant à l’état de projet, J. Belleudy se contentant d’en citer quelques passages dans son Que faut-il penser du XVe corps ? publié en 1921.

Les carnets reproduits dans la présente édition n’ont donc pas été retravaillés par Rostin après le conflit, puisque immédiatement recopiés par Belleudy. En revanche, s’il est à peu près certain que le fonds de ces carnets ait été rédigé au jour le jour – c’est du moins ce qu’il écrit à son oncle le 29 janvier 1915 : ces carnets sont composés de « descriptions vécues et faites sur le vif » (p. 113) –, difficile de savoir s’ils ont été retravaillés ou non par leur auteur entre septembre 1914 et mai 1917, Rostin ayant été évacué deux fois, du 9 septembre au 5 décembre 1914 et du 16 juillet 1916 à la mi-janvier 1917, et ayant eu par conséquent le loisir de reprendre son texte. Tenant à ses carnets « comme à mes yeux » (lettre du 25 juillet 1915, p. 154) et, afin qu’ils ne se perdent pas, les faisant régulièrement parvenir à son oncle, l’on est cependant conduit à douter de cette éventualité.

Les lettres que Rostin écrit à son oncle ont une tonalité notablement différente des carnets. Cherchant la complicité de son parent, vétéran de la guerre de 1870, semblant lui confier ses expériences afin de les exorciser, il s’y livre de manière plus sensible, notamment en  parlant ouvertement de ses peurs et angoisses, comme ici dans sa lettre du 6 janvier 1915 : « Vous dirais-je que le moral s’en ressent et que l’enthousiasme se meurt ? Et puis, malgré que notre tempérament sache s’adapter à tout, nous souffrons d’un tel état : nous ne sommes pas faits pour cette lutte de patience, d’entêtement et de boucherie passive. Personnellement, je vis dans les transes, dans l’appréhension de l’heure horrible où je recevrai l’ordre de marcher tête basse contre une muraille bastionnée. » (p. 107).

3. Analyse

L’intérêt du témoignage du capitaine Rostin réside notamment dans le fait qu’il est un militaire d’active, officier issu de la troupe et fantassin de première ligne. Pour l’historien Jean-Marie Guillon, auteur de la postface, Rostin « voit la guerre en militaire » (p. 247). Officier répondant de ses hommes, enfant adoptif de la petite patrie provençale, il se sent par exemple « humilié lorsque les Méridionaux sont vilipendés ou lorsqu’ils ne se montrent pas à la hauteur » (Id.). A l’inverse, le 11 juillet 1915, il confie à son oncle sa fierté et son émotion à la vue du colonel épinglant « sur les poitrines de certains des miens l’emblème de la bravoure. […] Cela, plus que la mitraille et les charniers, donne la chair de poule. » (p. 151) Mais voyant effectivement la guerre en militaire, Rostin semble plus encore la voir en guerrier. Le 10 mai 1915, il avoue ainsi sa fébrilité à l’idée de la prochaine attaque allemande : « Ah ! tuer des Boches, en tuer beaucoup, loyalement, proprement, comme ce doit être bon ! On doit, après toutes leurs cruautés, éprouver un divin plaisir à exterminer cette vermine comme on écrase une punaise ou une araignée velue. Je deviens sanguinaire et vindicatif et, paré dans mon service pour l’attaque que l’on soupçonne, j’éprouvais ce matin une joie de bourreau à vérifier dans les tranchées, le jeu de mes engins blottis pour leur œuvre de mort. » (lettre du 10 mai 1915, p. 133)

Le 28 août 1914, il fait le point sur les combats depuis l’entrée en guerre et constate le puissant décalage entre guerre imaginée et guerre vécue. Et si pour lui des « erreurs graves » (carnets, p. 56) ont été commises, il doute de la capacité du commandement à en tirer des leçons : « Nous avons confondu l’offensive avec une vitesse grisante et folle, nous avons considéré les premiers engagements comme de grandes manœuvres, n’oubliant qu’une chose : les balles des fusils et surtout les obus et les canons. » (Id.) Quelques jours plus tard, il enfonce le clou, sa guerre n’est pas celle à laquelle on l’armée l’a préparé : « tous les enseignements dont on me nourrit, dont on me gave depuis 18 ans que je suis militaire, tout cela trouve ici, à chaque instant, sa contradiction même » (carnets, 2 septembre 1914, p. 75).

Mais la guerre n’en est pas pour autant laide. Non, pour Rostin, elle est aussi belle que féroce. C’est ce qu’il écrit à son oncle, le 14 décembre 1914 : « Au fond, c’est beau la guerre, car si près de la mort, l’homme se révèle tel qu’il est. Notre race possède des trésors de vertus que la guerre seule pouvait révéler. Comme on est fier ici d’être Français ! » (p. 100) ; puis à nouveau le 24 juin 1915, au bois de la Gruerie : « Horreurs et beautés, tueries sans nom d’où s’élève la gloire. » (p. 146) ; puis encore le 17 juillet suivant : « C’est terrible la guerre, mais c’est aussi beau. […] Vous pouvez être jaloux, les non-combattants, vous n’avez pas vu, espéré, souffert, ri, pleuré ; vous n’avez pas connu les grands frissons. » (p. 153) Car la guerre, il l’attend depuis longtemps, et si parfois elle le surprend, le déprime, ou même l’effraye, elle ne le déçoit fondamentalement pas : il vit pour connaître ces moments. En revanche, ce qui chez Rostin s’effondre bel et bien, c’est son espoir d’une guerre courte, et surtout celui d’une guerre noble, d’une guerre de mouvement, à découvert, là « où la lutte est loyale » (carnets, 8 septembre 1914, p. 82) : « Dans les luttes du début, on succombait, c’est vrai, mais on mourait noblement, on avait de l’air, on voyait devant soi ; tandis qu’à cette heure, où sur un front réduit, des milliers d’hommes, séparés de 20 à 50 mètres, se jettent les uns contre les autres, dans l’enchevêtrement des fils de fer et des embûches, sous une mitraille que l’imagination a peine à concevoir : c’est une boucherie ! » (lettre du 6 juillet 1915, p. 149) Mais si pour Rostin la guerre perd en noblesse, sa cause, elle, n’en est que plus belle. Il en en persuadé et n’a de cesse d’en convaincre ses hommes : « j’ai toujours cru et je crois encore fermement que la victoire sera pour nous qui défendons la seule, la vraie, la bonne, la grande cause. Et je le dis autour de moi, j’insuffle tout mon espoir à ces hommes que le pays m’a confié » (carnets, 2 septembre 1914, p. 76). Le 20 janvier 1915, il écrit à son oncle : « Je m’efforce d’enfoncer cette idée réconfortante dans l’âme de tous les braves gens qui m’entourent et qui croient à la parole de leur capitaine comme à l’Evangile. Mais parfois leurs forces physiques épuisées laissent faiblir leurs espoirs. […] Par instant j’ai peur. Puis, vite, je me secoue, je reprends le dessus et connaissant bien la mentalité du soldat, je le remonte, je le ravigote et, quand je le peux, je le comble de tous les soins matériels qui sont en mon pouvoir. » (p. 112)

Dans ses carnets comme dans sa correspondance, le paternaliste capitaine Rostin, volontiers condescendant, n’a ainsi de cesse de parler de ces puissants leviers moraux que sont le regard et l’affection de ceux qu’il appelle fréquemment ses « braves gens ». Dès le début du conflit en effet, il décrit ce « bien-être infime à me réchauffer dans cette promiscuité touchante du champ de bataille. […] Mes hommes sont mes frères, j’ai besoin d’eux autant qu’ils ont besoin de moi ; ils veillent plus à ma vie qu’à leur sécurité personnelle. » (carnets, 16 août 1914, p. 42) Le 29 mars 1915, revenant d’une visite à son ancienne compagnie, il s’écrie : « Ah ! les braves gens ! Non, une telle affection n’est pas possible, j’en suis tout bouleversé. Il est heureux que les grades ne se donnent plus à l’élection ; ces gens-là dans leur fois aveugle, feraient des folies. » (lettre du 29 mars 1915, p. 126). Mais si cette affection agit chez Rostin comme un puissant levier moral, elle représente également une pression terrible… Dans sa lettre du 2 janvier 1915, il confie ainsi à son oncle : « Je ne dors presque jamais, surtout la nuit. Tous mes nerfs sont tendus : ma responsabilité est grande, mais j’ai une grande confiance dans ma compagnie » (p. 106). A nouveau, le 29 mars 1915 : « Mes nerfs sont un peu malades, non parce que je tremble pour ma pauvre carcasse, mais la vie de mes gens m’est précieuse et je ne voudrais pas les perdre. » (pp. 142-143) Le 24 août 1914, à l’heure d’une réorganisation des compagnies, Rostin exprime ainsi sa crainte de ne pas retrouver les hommes de sa 5e Cie. Une crainte qu’il dissipe le jour même, se livrant alors à une description des retrouvailles des plus théâtrales : malade, cela suffit à le guérir ; quant à ses hommes, ce ne sont que « cris de joie » (carnets, p. 50), « explosion de joie » (Id.), et Rostin et sa troupe de se retrouver à nouveau en « famille » (Id.)… Ses hommes, il écrit ainsi les aimer, en bon père de famille voire en bon roi : « Mon attachement aux miens me tue : quand je perds un de mes gars, j’en ai pour des jours à me consoler. Je tremble pour eux, car je les aime. » (lettre du 16 juin 1916, p. 202) En échange de ses soins et de sa protection, ses hommes, écrit-il, lui vouent un véritable « culte » (carnets, 27 août 1914, p. 61) et semblent à son service comme à celui d’un seigneur : « les escouades défilent ; les unes m’apportent du café chaud, de la soupe ou de belles tranches de viande rôtie embaumée parfois – quel luxe ! – d’un parfum d’ail ou d’oignon. Je n’ai jamais vu répartir des aliments sans qu’ils m’aient été présentés pour en prélever ma part. » (carnets, 3 septembre 1914, p. 78) Mais tout ceci a un prix : attachant l’homme au chef, l’incitation par l’exemple expose aujourd’hui l’officier à une mort quasi-certaine. Ainsi les hommes en arrivent-ils, écrit Rostin, « à gronder leurs chefs imprudents » (lettre du 8 novembre 1915, p. 165) : « ce qu’ils n’oublient jamais c’est la physionomie, le mot, le geste du chef qui les conduit. Leurs yeux sont autant d’oreilles qui nous rentrent dans l’âme et cela nous explique la mort de tant d’officiers qui, pour prêcher d’exemple, se sont fait tuer peut-être inutilement en fait, mais utilement pour la galerie. C’est bien français ça, mais nous finissons par comprendre que dans cette guerre méthodiquement, scientifiquement meurtrière, c’est trop crâne, trop cocardier, trop chevaleresque. Nos hommes sont les premiers à nous le crier. » (Id.)

La lâcheté, pour lui, est l’apanage quasi-exclusif des Allemands, qu’il dénigre énergiquement, les traitant tour à tour de « boches », de « vandales », de « pillards » et même de « cochons » (carnets, 29 août 1914, p. 65), d’ « assassins » (lettre du 1er juillet 1915, p. 147) ou de « bêtes casquées » (lettre du 8 novembre 1915, p. 164), etc. : « leurs capitaines, écrit-il à son oncle le 29 octobre 1915, font des chaînes pour attacher leurs mitrailleurs peureux à leurs pieds. Quelle différence entre eux et nous ! Nos mentalités, nos races, nos conceptions de la discipline sont aux antipodes les unes des autres. Et c’est là une garantie de notre supériorité, une certitude, pour nous, de vaincre. » (p. 161) Rostin écrit ainsi inlassablement toute son admiration pour ses hommes, qui sont pour lui une source d’orgueil inépuisable : le soldat français est tout à la fois intelligent, curieux, courageux, gaiement résigné, etc. Selon lui, c’est même par cette dernière « vertu qu’on tiendra et qu’on les aura. » (lettre du 1er novembre 1915, p. 163). Avec de tels soldats, confie-t-il à son oncle, la discipline de guerre est bien plus forte que la discipline de paix, d’autant que la guerre représente pour lui la meilleure école d’ « instruction du peuple » (lettre du 8 novembre, p. 165).

Mais quand il décèle un laisser-aller dans les rangs français, la bonté cède alors la place à la sévérité. Lors du recul de l’armée française, à Dieuze, il écrit ainsi avoir été obligé d’employer « tous les moyens inconnus du temps de paix » (carnets, 22 août 1914, p. 45) pour maintenir sa troupe calme et ordonnée sous le feu ennemi. Et le 31 décembre 1914, il confie à son oncle : « Cette fois, je suis à 25 mètres des Boches et les fusils crépitent du matin au soir. Les brigands ont toutes les audaces. A l’instant où je vous écris dans mon trou, on me rend compte que les misérables font des signes d’amitié à mes hommes et leur crient, en leur montrant des cigares : « Komm ! Komm ! Viens, viens ! » Je suis indigné, furieux, et je donne l’ordre de fusiller toute tête boche qui se montre. Ils répondent les gredins, mais je préfère de la casse à un relâchement dans la discipline. » S’interdire de voir l’homme derrière l’ennemi et entretenir à tout prix la combativité de ses hommes, tels sont deux des principaux leitmotivs du capitaine Rostin. Le 6 janvier 1915, il confie ainsi à son oncle : « Je prendrai mon revolver et je ferai moi-même justice des flancheurs, s’il en existe autour de moi. Voilà où il faut en venir ou du moins voilà à quel geste il faut se préparer pour essayer de sauver l’honneur. » (p. 109) Cependant, affirmant à plusieurs reprises avoir toute confiance en sa troupe et en sa faculté de les tenir en main, Rostin doute devoir un jour avoir recours à ce genre de procédé.

Sa manière de commander, telle qu’il la décrit, est d’ailleurs exemplaire de la formation des officiers d’avant-guerre. Il part au combat avec une troupe qu’il – et qui – le connaît, et qu’il – et qui – l’aime. Certains de ses soldats ont ainsi l’honneur de figurer dans ses carnets : il en connaît le nom et en apprécie la valeur. Mais ses effectifs fondant, Rostin avoue connaître quelques problèmes de discipline. La cause, pour lui, est évidente : il se retrouve à devoir commander à des hommes qu’il n’a pas formés et qu’il connaît à peine… Rostin peste également contre ce nouveau type de guerre auquel il est confronté et qui représente un handicap certain pour diriger ses hommes : « Tout commandement effectif est impossible de mon poste placé sous terre à la lisière du bois. Je ne sais rien de mes unités réparties sur un front de 1500 mètres. » (lettre du 14 décembre 1914, pp. 99-100)

Dès le premier mois de la guerre, il écrit déjà ressentir l’habitude de la mort : « Le spectacle est devenu familier. […] A cette heure-là, la vie vaut si peu ! On en fait le sacrifice presque inconscient » (carnets, 22 août 1914, p. 47). Mais le 23 août, quand vient le moment de s’enterrer, il confie être déprimé : la guerre de tranchées, replongeant les combattants au Moyen-Âge, va pour lui à l’encontre du tempérament français. Le 8 décembre 1914, il confie ainsi à son oncle son profond désarroi face à cette « vie de taupes plutôt que de troglodytes, puisque tout mouvement à l’air libre et lumineux étant dangereux est, par suite, interdit. […] Cette guerre de tranchées nous ramène des siècles en arrière. On se jette des pétards de mélinite, des grenades à main. Bientôt on se versera sur la tête de l’huile bouillante, on se jettera des cailloux. » (p. 99) En 1914, Rostin éprouve ainsi des difficultés à se résoudre à cette guerre qui, consacrant les progrès de l’armement, semble nier un quelconque progrès de l’art de la guerre.

Durant la bataille de la Trouée des Charmes, il confie également à ses carnets sa révolte face au manque d’informations dont souffrent les officiers et au handicap que cette carence représente pour établir et maintenir leur autorité sur leurs hommes. Après l’épisode du recul de Dieuze, il prend la défense des gens du midi, mais également des officiers, selon lui injustement décriés avant-guerre et aujourd’hui arbitrairement tenus pour responsables des échecs du champ de bataille. Il déplore les « coûteuses tentatives » (lettre du 6 janvier 1915, p. 107) improductives, les « ordres incohérents » (lettre du 25 octobre 1915, p. 160), les déplacements incessants, et ce système d’ordres et de contre-ordres, cause notamment d’une fatigue inutile pour la troupe. Sur le papier, il s’indigne également de l’infâme besogne administrative, de l’excessive méfiance des médecins-majors, de la propagande des journaux, qu’il juge néanmoins utile « parce que ces mensonges qui ne coûtent pas cher rassurent les familles » (lettre du 21-22 décembre 1915, p. 177), etc. Dans ses carnets, il se révolte même contre certains de ces chefs, tantôt qualifiés de « gâteux » (29 août 1914, p. 63) ou de « chien de quartier » (6 septembre 1914, p. 80), et dont la futilité des exigences l’exècre. Au fond, ce qui heurte son âme de chef de guerre, ce sont les préventions prises à l’égard de la troupe et les brimades que des officiers trop tatillons font subir aux hommes, qui rappellent par trop la vie de caserne. Pour de tels officiers, « la confiance et l’affection sont mortes » (lettre du 22 novembre 1915, p. 169) ; ils ne valent dès lors pas mieux que les « brutes » d’en face. Il rapporte les effets dévastateurs d’une artillerie française qui tire trop court, et massacre ses fantassins et le moral des survivants. Quelques mois plus tard, le 13 mai 1915, il célèbre pourtant la « liaison entre les deux armes » (lettre du 13 mai 1915, p. 135). En bon chroniqueur, Rostin raconte ses rencontres avec les civils de la zone de front, leur inquiétude, leur inconscience, la chaleur ou la froideur de leur accueil, etc. Il raconte également les souffrances liées à la pluie, au froid, à la boue, à la soif, aux rats, « pire que les Boches » (lettre du 7 décembre 1915, p. 172)…, mais aussi au spectacle des cadavres français pourrissant entre les lignes. Le 30 mars 1915, il demande ainsi à son oncle de bien vouloir lui envoyer une série de petits drapeaux à planter sur les tombes françaises, afin tout à la fois d’honorer les morts et d’évangéliser les troupes (vœu qui sera bientôt suivi des faits) : « Mon idée mériterait d’être répandue. L’effet moral de ces drapeaux symboliques flottant sur nos morts serait grand » (p. 127).

Le 13 septembre 1914, évacué, il se livre à une condamnation ironique des planqués, assimilés aux citadins, et à une apologie lyrique des paysans-combattants. Le deuxième carnet s’achève ainsi sur ces mots : « l’on se bat là-bas et l’on se tue, mais la majorité de ceux qui luttent et qui meurent n’est pas composée, ô Patrie, de tes citadins : ce sont tes glorieux paysans (…). Ô Patrie, tes vrais défenseurs, les voilà : c’est par eux surtout que tu seras sauvée, grande et plus que jamais glorieuse. » (p. 90) « Ainsi, écrit-il à son oncle le 29 octobre 1915, dans un pays d’égalité, la guerre sera impuissante à amener cette égalité. » (p. 162) Cette inégalité, il la dénonce avec plus de force encore lorsqu’il s’agit de décrire certains officiers d’état-major, qualifiés de « loques humaines » (lettre du 22 mai 1915, p. 138). Pour Rostin, le sort de ces officiers « planqués » n’est pas enviable, bien au contraire… Car pour lui le front est une école morale, d’où l’on sort grandi : « L’officier et le soldat : même danger, même litière, même gamelle, mêmes souffrances, mêmes angoisses, mêmes espoirs. Et quelle camaraderie sublime les serre l’un près de l’autre, alors que le premier voit dans cette promiscuité grandir son prestige et le second se décupler sa confiance et son affection. » (p. 174)…

4. Autres informations

La présente édition comporte une présentation générale, un épilogue et deux introductions (carnets de route et lettres de guerre) d’Olivier Gaget, ainsi qu’une postface de Jean-Marie Guillon, rapprochant les expériences de guerre de Marcel Rostin, Jean Norton Cru et Jules Isaac.

L’ouvrage comporte également trois annexes. La première, particulièrement intéressante pour se faire une idée de l’imaginaire professionnel d’un officier de carrière avant-guerre, reproduit le texte de la conférence intitulée Le soldat français et le soldat allemand : deux mentalités, deux dressages et tenue par le lieutenant Rostin aux officiers de réserve et territoriale de l’arrondissement de Grasse, à Cannes, le 8 février 1914 (Cannes, Imprimerie F. Robaudy, 1914). La deuxième annexe présente une série d’extraits de l’ouvrage de Maurice Mistre, Des Républicains diffamés pour l’exemple, La légende noire du 15e corps d’armée (Edimaf, 2004). La troisième annexe reproduit enfin le Journal des marches et opérations de la 57e brigade d’infanterie, du 10 au 28 février 1915.

Outre une série de photographies, on trouve également, insérés dans le texte, sept encarts :

–         un tableau présentant l’encadrement du 112e régiment d’infanterie à la mobilisation ;

–         une carte matérialisant l’avancée, puis la retraite du 112e RI autour de Lunéville entre le 11 et le 26 août 1914 ;

–         un tableau présentant la reconstitution du régiment après la bataille de la Trouée des Charmes ;

–         un court texte, à la toute fin des carnets, discutant la dimension « de masse » conférée par la presse aux exécutions de septembre 1914 ;

–         une transcription du compte-rendu du capitaine Rostin sur la journée du 23 décembre 1914 ;

–         un tableau présentant la répartition des mitrailleuses à partir du 11 mai 1915 ;

–         une chronologie 1915-1916 des diverses positions occupées par la compagnie de mitrailleuses devenue 1ère compagnie de mitrailleuses ;

–         un compte-rendu du capitaine Rostin en date du 29 avril 1916 au sujet des planchettes de tir auprès des mitrailleuses.

A noter : le livre comporte enfin deux précieux index des noms de personnes et de lieux évoqués dans l’ouvrage, ainsi qu’une bibliographie et un état des sources utilisées.

Rapprochements bibliographiques (témoignages publiés sur le 112e RI) :

–        Un Haut-Provençal dans la Grande guerre : Jean Barruol, Les Alpes de Lumière, collection « Les Cahiers de Haute-Provence » n°1, 2004.

–        François Mazel, Le Journal d’un poilu, « au fil du rasoir… », Nîmes, Editions Lacour, 2005.

Julien Mary, février 2009

Autre notice « Rostin Marcel » dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 398, par Rémy Cazals.

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Floirac, Marcelin Prosper (1874-1915)

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1. Le témoin
Né à Couzou (Lot) le 23 octobre 1874, Prosper Floirac, est agriculteur et travaille à la ferme familiale située à Bélugue. Il est âgé de 40 ans et n’a pas d’enfants lorsqu’il part à la guerre. Son frère et ses beaux-frères sont également mobilisés. Soldat à la 22e compagnie du 207e RI, Il disparait à Perthes-les-Hurlus le 17 février 1915.

2. Le témoignage
Archives départementales du Lot, Lettres de Marcelin, Prosper Floirac à sa femme Joséphine (1914-1915), Gramat, 2000, 135 p. ; préface de Jules Maurin.

Il s’agit d’une cinquantaine de lettres de Prosper Floirac adressées à sa femme, celles qui ont été retrouvées chez la nièce de Joséphine Floirac, née Bergougnoux.

3. Analyse

Les lettres de Prosper Floirac sont précédées d’une longue partie concernant le Quercy, le village de Couzou et présente le parcours du témoin à la mobilisation ainsi que sur le front jusqu’à son décès.

Prosper Floirac raconte la mobilisation à Cahors, son affectation temporaire au Payrat (Lot) et enfin son départ pour le front. Mobilisé à 40 ans et affecté dans la réserve d’un régiment d’active, il vit d’abord la guerre à l’arrière, puis part au front en novembre 1914 en Champagne.
Dans sa correspondance, il se montre très attaché à sa femme et à tous les siens ainsi qu’au gens de sa condition et de son causse. Le paysan qu’il est, s’intéresse au concret, aux éléments, à la vie à la ferme et manifeste une foi profonde. Quant à la guerre, il n’arrive pas à croire à une guerre courte ; il se montre un soldat à la fois déterminé et résigné.

Marie Llosa, mars 2009

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Benoist-Méchin, Jacques (1901-1983)

1. Le témoin
Jacques Gabriel Paul Michel Benoist-Méchin est né à Paris le 1er juillet 1901 d’une famille bourgeoise. Ayant très tôt une propension à la culture, il intègre rapidement le sérail intellectuel. Ami de Proust, Jünger ou Claudel, il devient journaliste et mène des recherches en histoire et en musicologie. Spécialiste de l’époque napoléonienne puis du monde arabe, ce serait alors qu’il effectue son service militaire lors de l’occupation rhénane qu’il cultive un rapprochement franco-allemand tendant à une germanophilie qui lui sera reprochée lors de la montée du nazisme (il évoque d’ailleurs la question juive dans sa préface – page VIII : sur le sentiment juif, recrutement, volonté de création d’une légion juive et d’un état juif). Pro-hitlérien des premières heures, il sombre dans la collaboration, sera arrêté en septembre 1944 et condamné à mort, notamment pour la création de la Légion Tricolore, à l’issue de son procès en 1947. Sa peine sera commuée en travaux forcés et, libéré le 24 septembre 1953, il reprend ses travaux d’historien sur le monde arabe. Jacques Benoist-Méchin meurt à Paris le 24 février 1983 en laissant une œuvre littéraire considérable.

2. Le témoignage
Jacques Benoist-Méchin, Ce qui demeure. Lettres de soldats tombés au Champ d’Honneur (1914-1918), Bartillat, 2000, 274 pages, non illustré.
Dans une anthologie de textes de soldats morts lors de la Grande Guerre, l’auteur à colligé les « lettres de 39 officiers, sous-officiers, hommes de troupe, dont 24 tombés en 14 et 15 ; 8 en 16 ; 3 en 17 ; 4 en 18. Ultima verba d’un échantillonnage de Bretons, Corses, Champenois, Tourangeaux, Savoyards, Gascons et Basques, d’extractions, classes sociales, professions et métiers les plus divers » précise Guy Dupré dans la longue préface. S’ils sont parfois anonymes, on retrouve quelques grandes signatures ante bellum telles celles de Charles Péguy, Henri-Alban Fournier ou Louis Pergaud. En dehors de la portée littéraire, philosophique ou du message sacrificiel de ce qui apparaît pour Benoist-Méchin comme l’exemplification de l’esprit d’un peuple d’élite, les renseignements sommaires accompagnant les lettres sont sujets à caution. La vérification systématique – restant empirique – des épistoliers fait ressortir les éléments suivants :
Georges Le Balle (18 août 1893 à Vichy) (151ème R.I.), signalé tué à Barlieux le 12 août 1914 est mort le 15 décembre 1914 à Longuyon (Meurthe-et-Moselle).
Charles Péguy est mort le 5 septembre et non le 3.
Aucun Jean-Marie Le Guen n’est signalé mort en octobre 1914, ce qui se conçoit puisque Yves Le Guen, objet de la lettre (26 octobre 1882 à Plouvorn, Finistère) (19ème R.I.) est quant à lui mort le 5 octobre 1915 (et non 1914) à Tahure.
Glatigny, dont la lettre du 21 octobre 1914 est reproduite pages 72-73 est prénommé Jules (15 mai 1887 à Brezolles, Eure-et-Loir) (301ème R.I.) ; il décède à l’hôpital de Verdun le 30 octobre 1914.
Marcel Drouet (19 août 1888 à Sedan, Ardennes) (sergent de la 6ème compagnie du 165ème R.I.) est bien mort le 4 janvier 1915 à Consenvoye (Meuse).
Charles Marius Dominique dit « Pierre » Dupouey est bien mort le 3 avril 1915 à Nieuport (brigade de fusiliers marins).
Eugène-Emile Lemercier (7 novembre 1886 à Paris) (106ème R.I.) est bien tombé aux Eparges le 6 avril 1915.
Louis Pergaud (22 janvier 1882 à Belmont, Doubs) (166ème R.I.) est mort le 8 avril 1915 à Fresnes-en-Woëvre.
Fernand Froidefond (25 avril 1895 à Salon, Bouches-du-Rhône) du 8ème zouaves (et non du 2ème) est mort le 9 juillet 1916 à Barleux (Somme).
Paul Drouot (21 mai 1896 à Vouziers, Ardennes) (3ème B.C.P.) est tué le 9 juin 1915 à Noulette (Pas-de-Calais). Il était bien secrétaire du commandant Madelin Léon dont il décrit la mort le 8 mai précédent. Ainsi, la lettre ne peut être datée du 23 juin.
Laurent Pateu (18 novembre 1877 à Bordeaux, Gironde) (141ème R.I.) est bien mort le 15 juin 1915 à Notre-Dame-de-Lorette (Pas-de-Calais).
Robert Dubarle (16 octobre 1881 à Tullins, Isère) (68ème B.C.A.) est bien mort le 15 juin 1915 à Metzeral (Haut-Rhin).
Pierre Henri Achalme (9 juin 1894 à Paris) (148ème R.I.) est bien mort le 16 juin 1915.
Roger Couturier (15 octobre 1897 à Paris) (36ème R.I.) est bien mort le 23 juillet 1915 à Avesne-le-Comte (Pas-de-Calais).
Le sous-lieutenant Guérin, du 269ème R.I., objet de la lettre pages 157-158, n’a pas pu être retrouvé.
Edouard Chiésa (30 janvier 1887 à Marseille, Bouches-du-Rhône) (2ème R.A.M. et non 65ème R.A.M.), est bien mort le 7 août 1915 à Gallipoli
Georges-Adolphe Oudet (22 mars 1873 à Paris) (46ème R.I.T.) est bien mort le 24 août 1915 à Nisslesmath (Alsace).
Eugène Jean Emile Lacassagne (né le 19 février 1894 à Bordeaux, Gironde) (18ème R.I.) est le seul de la classe 14 pouvant être l’auteur de la lettre. Il est mort le 3 juin 1917 à l’ambulance de Romain (Marne).
Joseph Louis Bieler (ne le 28 avril 1885 à Paris) (23ème R.I.C et non 238ème R.I.C.) est bien mort le 25 septembre 1915 à Massiges (Marne).
Pierre Filippini (28 mai 1896 à Saint-André-de-Cubzac, Gironde) (7ème R.I.C et non 7ème R.I.) est bien mort le 25 septembre 1915 à Ville-sur-Tourbe (Marne).
Jacques Etienne Benoist de Laumont (26 août 1891 à Paris) (66ème R.I.) est bien mort le 25 septembre 1915 à Agny (Pas-de-Calais).
Léopold dit « Léo » Latil (10 mai 1890 à Aix (Bouches-du-Rhône) (67ème R.I.) est bien mort le 27 septembre 1915 à la tranchée de Lubeck (Marne).
Joseph Ferdinand Belmont (13 août 1890 à Lyon, Rhône) (11ème B.C.A.) est bien mort le 28 décembre 1915 à Moosch (Haut-Rhin).
Louis Emile Clermont (1er août 1880 à Aizat-Saint-Allier, Puy-de-Dôme) (67ème R.I.) est bien signalé tué le 5 mars 1916 (dans le secteur de Saint-Soupplet, Marne).
Le lieutenant Pierre-Alexandre Maurice Masson (4 octobre 1879 à Metz, Moselle) (261ème R.I.) est mort le 16 avril 1916 à Flirey (Meurthe-et-Moselle).
André Chapelle (1er décembre 1889 à Paris) (13ème R.A.C., services automobiles) est en fait mort le 27 mai 1916 à Verdun.
Le capitaine Augustin Cochin (22 décembre 1876 à Paris) (146ème R.I.) est bien mort le 8 juillet 1916 à Maricourt (Somme).
Aucun Fadhuile, auteur de la lettre page 223 n’est signalé mort pour la France.
Henri Gustave Veuillet (1er avril 1882 à Lyon, Rhône) (23ème R.I.) est bien mort dans la Somme le 26 août 1916.
Marie-Roche-Philippe Guy Boyer de Fontcolombe (né le 15 août 1889 à Marseille, Bouches-du-Rhône) (303ème R.I.) est bien décédé le 4 septembre 1916 à Vermandovillers (Somme).
Jean de Langenhagen (et non Langenhager) (21 décembre 1893 à Nancy, Meurthe-et-Moselle) (23ème R.I.) est mort le 16 avril 1916 à Loivre, Marne.
Georges Guynemer (24 décembre 1894 à Paris) (3ème escadrille du 2ème groupe d’aviation) est bien mort le 11 septembre 1917 à Poelcapelle (Belgique).
Marc Boas Boasson (5 avril 1886 à Lyon, Rhône) (414ème R.I.) est bien mort le 29 avril 1918 à Locre (Belgique).
Raphaël Laporte (16 mars 1895 à Buffon, Côte-d’Or) (21ème R.I. et non 215ème) est bien mort à Crugny (Marne) le 28 mai 1918.
Joosh van Vollenhoven (21 juillet 1877 à Rotterdam, Pays-Bas) (R.I.C. du Maroc) est mort dans l’Aisne (devant Longpont) le 20 juillet 1918 (et non le 19).
Gabriel Victor Léon dit « Gabriel-Tristan » Franconi (17 mai 1887 à Paris) (272ème R.I.) est bien mort le 23 juillet 1918 à Sauvillers (Somme).
Sur les 39 auteurs dont les lettres ont été reproduites et leurs auteurs introduits par Benoist-Méchin, 13 comportent des erreurs factuelles (unité ou date de décès erronée) voire n’ont pas été identifiés. Au final, si l’ouvrage n’est pas basé sur des lettres fictives, archétypiques de la littérature de bourrage de crâne, il comporte nombre d’erreurs de sources.

3. Résumé et analyse
Une longue préface de Guy Dupré rend hommage au beau travail d’anthologie et de mémoire réalisé par Benoist-Méchin en présentant les plus beaux textes d’écrivains de métier comme de simples soldats.

A l’issue, Benoist-Méchin, alors qu’il écrit sous la menace d’une autre guerre, fait une introspection de « ce qui demeure » de la première guerre mondiale. La littérature épistolière est pour l’historien l’image de l’esprit d’un peuple d’élite. Il y démontre des caractères divers, connus ou anonymes ayant dans leur diversité sociologique ou d’expérience de la guerre une admirable unité de qualité, de poésie et surtout d’âme. Le tout formant un vibrant hommage aux soldats de la grande boucherie qui, accablés des milles misères d’une guerre ayant dépassé l’inhumain, ont su conserver jusqu’à leur mort la voix pure des héros. Dès lors, la tâche des survivants, selon la prosopopée colligée par Benoist-Méchin, est d’abord de reconstruire le sang de la France, de rééduquer et de protéger la famille, de la réunifier comme doit se réunifier le continent afin de le préserver d’autres cataclysmes.

L’auteur ne se contente pas d’un travail anthologique ; il en retire des enseignements premiers. Toutefois, le second conflit mondial au bord duquel il écrit, lui démontre cruellement que ceux-ci n’ont pas été tirés (« que des hommes jeunes et sans motif personnel de haine peuvent et doivent se précipiter sur des gens qui les attendent pour les tuer » page 106). « Ce qui demeure » donc est la victoire remportée par les combattants de la Grande Guerre sur eux-mêmes en démontrant les plus belles qualités morales (page 23, il relève ainsi l’honnêteté morale des scripteurs).

A l’issue de cette longue introduction, Benoist-Méchin reproduit quelques-unes des plus belles lettres de soldats tombés au front de 1914 à 1918. Très courtes ou très denses, anonymes ou émanant d’écrivains, leur présentation chronologique mêle officiers et soldats, hommes politiques et paysans, athées et fervents (Dupouey devient « de plus en plus enthousiaste à la guerre » page 84). On peut y lire la vision personnelle de chaque soldat appuyée sur sa sensibilité, son vécu et son environnement guerrier (Dubarle parle de la bataille comme d’une « infernale chimie » page 40 et Boasson s’exclame : « Un gendarme, voilà l’arrière ! » page 243). Certes, quelques textes se reflètent au miroir du bourrage de crâne (telle cette attaque vosgienne gagnée… au caramel pour Dubarle, page 151 ou ce pari du cigare fumé le plus lentement pendant l’attaque pour Augustin Cochin, page 218). Pourtant sa lourde préface, écrite aux portes cédantes d’une autre guerre, déforme la vision de l’auteur quant au véritable hommage qu’il a voulu offrir. Certes, les textes qu’il a choisis sont superbes mais la longueur de leur présentation se révèle superflue. L’ouvrage apporte toutefois à l’historien la vision comparative de styles et de sensibilités différentes. On y relèvera quelques belles descriptions (Léo Latil décrivant « dans les profondeurs de l’immense grange, plusieurs lumignons qui éclairent des soldats penchés sur des lettres » page 175), de beaux textes (Pour Boasson, Verdun « c’est une artère de sang français qui a été coupée le 21 février et qui coule toujours à grands jets » ou des réflexions opportunes (Marc Boasson qualifiant ainsi la presse ; une « déesse aux pieds de canard, un estomac d’autruche, un cerveau d’oie et un groin de porc », page 246). Le lecteur y trouvera également quelques renseignements sociologiques (Boasson déplore le 30 août 1916 : « Un fossé se creuse, de jour en jour plus large et plus profond, entre l’arrière et nous » page 246) ou techniques et nombre de visions intéressantes de combattants (notamment ces soldats, « braves gens de Lorraine », qui souffrent en silence selon Pierre-Maurice Masson, page 203). Un livre à lire comme une anthologie sans s’attarder outre mesure sur sa présentation liminaire et l’aspect superficiel et épuré de la littérature retenue.

4. Autres informations

Bibliographie de l’auteur en lien avec la Grande Guerre
Benoist-Méchin, Jacques, Ce qui demeure. Lettres de soldats tombés au Champ d’Honneur (1914-1918). Paris, Albin Michel, 1942, 248 pages.
Benoist-Méchin, Jacques, Histoire de l’armée allemande depuis l’Armistice. Tome I : 1918-1919. Paris, Albin Michel, 1938, 379 pages.
Benoist-Méchin, Jacques, Histoire de l’armée allemande depuis l’Armistice. Tome II : La discorde : 1919-1925. Paris, Albin Michel, 1938, 672 pages.
Benoist-Méchin, Jacques, Lawrence d’Arabie ou le rêve fracassé. Paris, Perrin, 1975, 275 pages.
Benoist-Méchin, Jacques, Le loup et le léopard. Ibn Seoud ou la naissance d’un royaume. Paris, Albin Michel, 1955, 428 pages.
Benoist-Méchin, Jacques, Le loup et le léopard. Mustapha Kemal ou la mort d’un empire. Paris, Albin Michel, 1954, 461 pages.

Bibliographie des auteurs cités en lien avec la Grande Guerre (nous ne reportons pas ici la bibliographie complète de chaque auteur cité).

Drouet, Marcel, Le tombeau de Marcel Drouet. Paris, Le Divan, 1923, 193 pages.

Dupouey, Pierre (Lt de vaisseau), Lettres, Paris, éditions du Cerf, 1922, 201 pages.
Dupouey, Pierre (Lt de vaisseau), Lettres et essais. Lettres du lieutenant de Vaisseau Dupouey. Paris, éditions du Cerf, 1934, 317 pages.
Dupouey, Pierre (Lt de vaisseau), Lettres du lieutenant de vaisseau, Liège, Soledi, 1945, 179 pages.

Lemercier, Eugène-Emmanuel, (paru sous anonymat), Lettres d’un soldat. Août 1914 – avril 1915, Paris, Chapelot, 1916, 200 pages.
Lemercier, Eugène-Emmanuel, Lettres d’un soldat. Août 1914 – avril 1915, Paris, Berger-Levrault, 1924, 191 pages, (réédition Paris, Bernard Giovanangeli, 2005, 192 pages)
Lemercier, Eugène-Emmanuel, Notes 1905-1914, suivies de lettres inédites, Paris, Berger-Levrault, 1924, 108 pages.

Les amis de Louis Pergaud, Louis Pergaud : Correspondance. 1901-1915, Paris, Mercure de France, 1955, 292 pages.
Piccoli, Bernard, Les tranchées de Louis Pergaud, Verdun, Connaissance de la Meuse, 2006, 432 pages.

Dubarle, Robert (Cpt), Lettres de guerre de Robert Dubarle. Capitaine au 68ème bataillon de chasseurs alpins, mort au champ d’honneur, Paris, Perrin, 1918, 283 pages.

Latil, Léo, Lettres d’un soldat. Léo Latil. 1890-1915, Paris, Bloud et Gay, 1916, 50 pages.

Belmont, Ferdinand (Cpt), Lettres d’un officier de chasseurs alpins (2 août 1914 – 28 décembre 1915), Paris, Plon, 1916, 309 pages.
Crenner, Pierre (Col), Les belles lettres du capitaine Belmont, Colmar, association du Mémorial du Linge, 1998, 14 pages.
Dussert, A., Ferdinand Belmont d’après les lettres d’un officier de chasseurs alpins (2 août 1914 – 28 décembre 1915), Grenoble, Allier Frères, 1917, 41 pages.

Clermont, Louise, Emile Clermont. Sa vie. Son œuvre. Journal de route. Notes et fragments inédits, Paris, Grasset, 1919.
Collège d’auteurs, Etudes et souvenirs sur Emile Clermont. 15 août 1880 – 5 mars 1916, Saint-Etienne, Les Amitiés, Paris, Grasset, 1927, 265 pages.

Masson, Pierre-Maurice, Lettres de guerre. Août 1914 – avril 1916, Paris, Hachette, 1917, 262 pages.

Bucaille, Victor, Augustin Cochin, Paris, Art Catho, 1918, 62 pages.
Cochin, Augustin, Le capitaine Augustin Cochin. Quelques lettres de guerre, Paris, Bloud et Gay, 1917, 64 pages.

Mortane, Jacques, (Romanet, Jacques), Guynemer Georges. 1894-1917. Lettres et pages, Paris, Georges Crès et Cie.

BOASSON, Marc, Au soir d’un monde. Lettres de guerre. (16 avril 1915 – 27 avril 1918), Paris, Plon, 1926, 330 pages.

Franconi, Gabriel-Tristan, Untel de l’armée française, Paris, Payot, 1918, 265 pages (réédition Amiens, Librairie Edgar Malfère, 1926, 271 pages).

Yann Prouillet

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Andrieu, René Charles (1891-1963)

1. Le témoin.

René Charles Andrieu est issu d’une famille de petit propriétaire terrien du Lot-et-Garonne, cultivant notamment de la vigne. Après des études de droit, il résilie son sursis et est incorporé au 9e RI à Agen en 1913. C’est en qualité de simple soldat qu’il est mobilisé en août 1914 dans l’armée d’active. Il est blessé une première fois au bras en janvier 1915 dans la Marne, et échappe ainsi au front durant cette terrible année. Il passe sergent dans une compagnie de mitrailleurs à son retour sur la ligne de feu. Il se porte volontaire pour plaider au conseil de guerre de la 10e armée. 1916 voit René Charles Andrieu circuler du Grand Couronné de Nancy, à la Marne, puis s’installer durablement autour de Verdun de juillet 1916 jusqu’au début de l’année 1917. Au mois de mars, son unité se déplace en Champagne et participe à l’offensive Nivelle, en avril, à l’est du dispositif, en face du Mont sans Nom : il passe alors plusieurs jours au feu. Après une permission, il prend son cantonnement à Pont-sur-Meuse et finit l’année comme sous-lieutenant. Retour sur Verdun et Bar-le-Duc, enfin, avant de combattre au printemps de 1918, après 70 jours loin des tranchées (lettre du 6 avril 1918), d’abord sur la Meuse puis sur l’Aisne du côté de Soissons et Saint-Quentin (octobre 1918). Il est finalement blessé une deuxième fois le 5 novembre à Guise. Il participe au défilé du 14 juillet 1919 à Paris avant d’être démobilisé à Agen en août de la même année.

2. Le témoignage.

Celui-ci se compose d’environ 400 lettres écrites pour la grande majorité d’entre elles entre 1914 et 1918. Tour à tour adressées à sa mère et à sa sœur, plus rarement à son père, elles composent un corpus cohérent qui permet de suivre le parcours de ce jeune fantassin. Souvent longues, elles ont eu pour première fonction de renseigner sa famille sur son état. Comme la majorité des correspondances de guerre, elles permettent de tisser un lien, même ténu, entre le soldat et sa famille. Le vocabulaire utilisé et les thèmes abordés dénotent une adaptation progressive du jeune soldat au temps de guerre, tout en trahissant derrière des préoccupations toutes militaires, le souci de rester attaché à son identité civile (demande de renseignements sur le village, les travaux agricoles). La présentation du secteur, du confort matériel, des situations vécues occupent la majeure partie du courrier envoyé : il s’agit bien de rassurer ceux qui recevront les lettres, de matérialiser aussi sa position pour signifier que l’on est en vie.

Cette correspondance, écrite dans un style simple mais direct, complète, est en outre publiée accompagnée de plusieurs mises en contexte bien venues, surtout lorsqu’elles sont accompagnées de cartes claires permettant de mieux comprendre le déroulé d’une bataille ou d’une offensive.

3. Analyse.

La correspondance de René Charles permet de retrouver certains thèmes bien connus de la littérature du témoignage combattant : le sentiment du devoir à accomplir au début du conflit (« c’est pour la France ! »), qui se transforme peu à peu en un sentiment d’indifférence, avec la paix comme point de fuite, le quotidien fait d’ennui et de périodes de fortes activités guerrières, les liens gardés avec l’arrière, les conseils donnés aux parents pour continuer à faire fonctionner les exploitations, les demandes d’argent… Confronté au nomadisme de la vie combattante dans les tranchées, entre premières lignes, secondes lignes, repos à l’arrière front et grand repos, l’intérêt de René Charles se porte massivement sur la nourriture (recevoir des « colis ») et la réception de « la gazeuse », nom donné à l’eau-de-vie. On découvre ainsi un véritable trafic de produits frais en bocaux et boîtes de conserve entre le front et Port Sainte Marie. L’important pour lui étant de pouvoir éviter autant que possible de tout partager avec la « popote » de ses camarades. Le soldat évoque aussi beaucoup les secteurs dans lesquels il se retrouve au gré des changements, fréquents et où il faut se faire sa place. Les permissions, enfin, apparaissent à partir de 1915 comme le grand horizon temporel qui conditionne le moral du soldat. « On parle aussi de supprimer les permissions, ou du moins les restreindre dans une forte proportion, et ça ne me fait guère plaisir » (25 février 1917). Les rumeurs hantent les pages des lettres de René Charles, même si, loin de chez lui, il tente dans chacune d’entre elles de rassurer son entourage. A suivre son témoignage, on pourrait croire que René Charles traverse la guerre sans réelle difficulté, si ce n’est une première blessure en 1915 qui l’éloigne heureusement du front, et une autre reçue le 5 novembre 1918, en toute fin de conflit, lors des combats autour de Guise (Aisne). Le courrier apparaît bien comme un moyen de confirmer qu’il est vivant (lettre du 17 juillet 1917), pour rassurer, même lorsque lui-même se sent en sécurité, « voilà pourquoi il me semble inutile de vous tranquilliser chaque jour » (lettre du 21 octobre 1914). D’autant que sa mère en particulier, souffre de le savoir à proximité du danger à la faveur des gros titres de la presse comme au printemps 1918 (lettre du 23 mars 1918). Le danger se trouve le plus souvent « à droite » ou « à gauche », alors que le secteur gardé par le 9e R.I. reste « calme ». Il ne raconte donc pas la violence des combats, mais profite des permissions pour en faire le récit, a posteriori.

La place des camarades perd de l’importance au fil des missives. Quand certains noms apparaissent, notamment au début de la campagne, ce sont les mêmes qui reviennent. Ceux-ci disparaissent peu à peu, soit à cause de la mort de l’un d’entre eux, soit parce que la lettre ne reste pas le support du récit de la guerre, mais le fil ténu qui relit le front à l’arrière. Les propos se recentrent sur soi, notamment quand René devient officier. Les autres deviennent « les poilus » indifférenciés. Le combattant profitant de sa correspondance pour rompre avec son univers de guerre et se recentrant sur les liens familiaux et sur le « pays ».

Sur le déroulé de la guerre, la correspondance de René Charles couvrant l’ensemble du conflit, permet de suivre une grande partie des temps forts vécus par son unité, de la Marne et l’Argonne, à Verdun, inscrivant notamment l’année 1918 dans un temps de combats très violents (impression renforcée par les encarts explicatifs de Gilbert Andrieu). Comme le souligne René Charles le 8 novembre : « Nous n’avons jamais été aussi secoués que ces derniers temps ». On devine alors dans les mois précédents une forte activité guerrière dans des secteurs « agités ». Cette alternance de périodes de fortes tensions et de calme laisse entrevoir des moments de doute mais aussi de remobilisation des troupes. Ainsi, avant avril 1917, les soldats attendent « le grand coup », expression utilisée par René Charles comme par Valéry Capot, autre soldat du 9e RI dont les carnets sont accessibles aux Archives départementales de Lot-et-Garonne. Réinvestissement et confiance dans la victoire, notamment en raison de la mobilisation de l’artillerie, se lisent alors, avant de laisser la place, devant la prise de conscience rapide de l’échec global de l’offensive, à une morne résignation : la guerre va encore durer longtemps.

Alexandre Lafon, février 2009.

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Boylesve, René (1867–1926)

1. Le témoin

De son vrai nom, René Tardiveau. Ecrivain français, né à La Haye-Descartes (Indre-et-Loire) le 14 avril 1867, mort à Paris le 14 janvier 1926. Fils du notaire François Pierre Auguste Tardiveau, issu d’une famille de petits cultivateurs beaucerons et de Marie Sophie Boilesve, issue d’une vieille famille angevine installée en Touraine. Perd sa mère en 1871 et est élevé par sa grand-tante Clémence Jeanneau. Celle-ci meurt à son tour en 1876 et son mari se suicide. René et sa sœur Marie retournent alors habiter chez leur père, qui s’est remarié en 1874 avec une jeune femme et qui ne va pas tarder à se ruiner dans une spéculation immobilière.

Pensionnaire chez les frères des Écoles chrétiennes à Poitiers à la rentrée 1877, il entre au collège de la Grand’Maison en 1880, qu’il quittera en 1882 à la suite de sa fermeture consécutive aux décrets Ferry pour entrer au lycée René Descartes de Tours. Son père, ruiné, se suicide en 1883. René Tardiveau obtient son baccalauréat en 1884-1885 et s’installe à Paris, rue Monge, en novembre 1885, pour suivre des études d’histoire et de droit à la Sorbonne. Il est licencié en droit en 1889.

En 1888, il publie sa première nouvelle dans une revue tourangelle dirigée par Auguste Chauvigné et, vers la fin de l’année, rencontre Jane Avril. Jusqu’en 1896, il publie sous plusieurs pseudonymes dans des revues telles que La Plume ou L’Ermitage qu’il co-dirigera à la demande d’Henri Mazel, d’abord avec Adolphe Retté puis avec Stuart Merrill puis avec son ami Hugues Rebell.

En 1893, il adopte définitivement le nom de plume de Boylesve, dérivé du nom de jeune fille de sa mère. Il habite alors rue Pasquier, près de l’église de la Madeleine. En 1896, il publie ses premiers romans : Le Médecin des Dames de Néans et Le Bel avenir. Suivront des textes comme : Mademoiselle Cloque (1899), La Becquée (1901), La Leçon d’amour dans un parc (1902), L’Enfant à la balustrade (1903), Le Meilleur ami (1909), Élise (1921), Nouvelles leçons d’amour dans un parc (1924), Souvenirs d’un jardin détruit (1924). La mort de son demi-frère pendant la guerre lui inspire en 1917 Tu n’es plus rien.

Fait la connaissance d’Anatole France, d’Henri de Régnier, d’André Gide, de Francis Vielé-Griffin, de Jean Moréas, de Charles Guérin, de Maurice Maindron, de Jacques des Gachons, de Paul-Jean Toulet, de Paul Valéry, de Maurice Barrès dont il s’éloignera, rebuté par ses idées politiques, de Paul Souday et surtout d’Hugues Rebell qui exercera sur lui une influence majeure.

En 1901, il épouse Alice Mors, fille de son beau-frère, riche industriel de l’automobile et de dix-sept ans sa cadette. Disposant désormais de moyens financiers solides, le couple reçoit beaucoup et mène une vie mondaine. Pendant la Première Guerre mondiale, il s’installe à Deauville où Alice se dévoue comme infirmière et se consacre à un grand blessé de guerre tandis que Boylesve rencontre Betty Halpérine qui devient sa secrétaire et sa maîtresse.

Boylesve est élu en 1918 à l’Académie française. Il meurt d’un cancer le 14 janvier 1926, à la clinique des sœurs de Sainte-Marie, boulevard Arago.

2. Le témoignage

Tu n’es plus rien, Albin Michel, 1917, 324 p. Nous utiliserons ici la réédition de 1919 (sans donc savoir si l’édition de 1917 fut ou non censurée).

Une dédicace : « A la mémoire de mon frère, le capitaine Pierre Tardiveau, tué à l’ennemi devant Verdun, le 7 juillet 1916. »

L’ouvrage présenté ici est une œuvre proprement littéraire qui évoque le deuil d’une veuve de guerre perçu par un homme de lettres.

Cette spécificité – œuvre littéraire et récit d’un deuil féminin vu par un homme – doit être soulignée et sans cesse gardée à l’esprit si l’on veut intégrer ce récit dans la catégorie des témoignages sur la Grande Guerre. L’auteur n’est ainsi pas exempt de véhiculer certains clichés de l’époque sur le rôle attendu de la femme aisée : insouciance féminine confinant à la naïveté, dévouement sans faille des « belles dames » à la bonne cause des blessés de guerre (mais quid de leur réelle efficacité et de la durée de leur engagement ?), épouse inconsolable durablement affectée par un deuil de guerre mais dont on sait aujourd’hui que derrière ce topos se cache une réalité éminemment plus complexe…

Au-delà de cette particularité, le roman de Boylesve s’efforce également de brosser un tableau assez précis de l’implication de la société bourgeoise (et de l’ancienne noblesse) dans l’effort de guerre.

L’entrée de son héroïne dans les hôpitaux de l’arrière pour  y soigner les blessés est l’occasion de décrire les motivations diverses qui habitent ces femmes appartenant aux classes aisées, plus ou moins impliquées dans différentes œuvres de guerre.

Bien qu’évoluant et appartenant à ce milieu social, Boylesve sait ici conserver un regard critique fournissant une description assez décapante du monde de l’arrière, tant parisien que provincial. L’évocation des blessures de guerre et des mutilés tranche avec l’habituelle littérature produite par les auteurs non combattants durant la guerre. Cette forme de réalisme donne assurément à ce roman une valeur atypique.

Enfin, la pression sociale que subissent les jeunes veuves sur les questions du remariage et de la procréation n’est pas occultée. Elle est même au centre de cet ouvrage, renforçant ainsi l’intérêt qu’on peut lui accorder.

3. Résumé et analyse

Odette, jeune épouse du sous-lieutenant de réserve Jacquemin, semble appartenir à la moyenne bourgeoisie française. Jusque qu’ici, sa vie fut plutôt aisée et heureuse : elle appartient à ces êtres élevés « dans l’unique religion du bonheur. » (p 16)  L’implication de son mari dans la vie militaire l’affecte peu et se cantonne à des séparations dues aux périodes de manœuvres.

A la fin de l’été 1914, les choses basculent lorsqu’elle apprend que l’unité du sous-lieutenant Jacquemin fait partie des troupes de couverture. Peu curieuse des réalités militaires, elle découvre soudain que celui-ci appartient à un corps d’armée de couverture qui pourrait être l’un des premiers engagé si la guerre venait à éclater. Le 15 juillet 1914, ayant obtenu un congé de sa maison de commerce et s’étant rendu en vacances avec son épouse à Surville, Jean Jacquemin apprend qu’il doit rentrer d’urgence à Paris pour y accomplir une période d’instruction. Il quitte donc sa jeune épouse qui demeure sur leur lieu de villégiature car cette dernière, comme l’immense majorité de la population, n’a toujours pas perçu la gravité de la situation.

Le 1er août, les choses se précisent quand le tambour du garde-champêtre de Surville annonce la mobilisation. « Odette fut suffoquée, d’abord, et pleura, comme une enfant nerveuse qui assiste à une alerte. » (p 29) Un couchant de soleil exceptionnel sur la mer semble annoncer « les pages incendiées du grand livre de l’Histoire qui venait de s’ouvrir. » (p 35)

La guerre éclate. Jean Jacquemin écrit régulièrement à son épouse. Les nouvelles sont plutôt bonnes : « Jean supportait les fatigues, et tout en lui était modifié. » (p 36) De retour à Paris, Odette commence à sentir dans la correspondance que son mari n’est plus tout à fait le même : « (…) il lui répondait comme un homme qui n’a pas d’existence propre, comme un homme emporté par quelque chose de plus grand que lui, et qui seul, compte. » (p 37) Odette reprend alors confiance en sa bonne étoile.

Dans la seconde quinzaine de septembre, l’une de ses amies, Madame de Prans dont le mari est revenu en mission, lui apprend brutalement la mort se son mari. « Elle poussa un grand cri, et les personnes réunies dans la pièce voisine accoururent. Mais ne voilà-t-il pas, à présent qu’Odette se refusait à croire l’événement affreux qu’elle avait elle-même deviné ! Elle le déclarait invraisemblable, « par trop injuste !… – Pourquoi Jean tué et non pas un autre ?… Elle se révoltait, avec une colère farouche, contre le destin (…) » (pp 39-40)

Cette mort précoce oblige son entourage à des manifestations publiques de soutien. « Odette accueillait ces mots comme faisant partie d’une phraséologie de condoléances adoptée. » (p 42) L’héroïsation du défunt ne parvient à calmer sa douleur et ce, d’autant moins, que ces paroles paraissent toutes empreintes d’une forme d’hypocrisie en phase avec l’air du temps : « Elle en jugeait tous les termes [de condoléances] exagérés, et elle n’osait pas dire qu’ils portaient à faux ; ils avaient trait à la France, à la gloire, à l’honneur ; c’est à peine s’ils faisaient allusion à son amour, à elle, qui était tout. » (p 49) S’ensuit une phase de repli volontaire sur elle-même, accompagné d’une absence de communication avec le monde qui l’entoure. Il faut attendre la mort du mari de l’une de ses amies, Madame de Blauve, pour qu’elle commence à voir imparfaitement qu’elle n’est pas l’unique veuve d’une nation en guerre : « Elle en voulait à ces morts qui venaient troubler sa douleur, sa personnelle douleur (…) Elle les détestait comme des accidents intrus venus s’interposer entre elle et sa propre douleur. »  Les deuils s’accumulent autour d’elles mais elle semble demeurer imperméable à ceux qui ne sont pas le sien.

Désirant à tout prix quitter Paris, elle retourne à Surville. Après quelques semaines de vie monotone et cloîtrée, elle constate qu’un hôpital temporaire a été installé dans le Grand-Hôtel de la ville balnéaire. Une rencontre fortuite avec une connaissance, Madame de Calouas, lui permet de prendre un premier contact avec le monde des hôpitaux de guerre. Invitée à venir en visiter un, elle se laisse finalement convaincre d’y apporter les soins aux blessés. L’expérience est dure mais ne décourage pas pour autant cette nouvelle infirmière sans expérience qui s’investit complètement dans cette nouvelle vie. Nous sommes ici dans une œuvre de fiction qui semble ignorer combien le dévouement bénévole de ces « belle dames » était souvent rendu inopérant en terme d’efficacité pratique et de rendement face à l’afflux incessant des blessés… Nouvelle vie qui n’altère pas pour autant l’affection causée par le deuil : « Elle [Madame de Calouas] savait d’Odette elle-même qu’elle était venue ici pour « pleurer » son mari. » (p 103) Dans ce lieu de souffrance, « Odette ne parlait jamais de la mort de son mari, quoiqu’elle y pensât sans cesse (…) La mort du lieutenant Jacquelin, au début de la guerre, c’était une disparition pareille à tant d’autres, dans une déchaîne d’événements incommensurables. Un homme tombait ; un homme nouveau surgissait ; presque tous les officiers de carrière étaient morts, et il y avait toujours des officiers. – Qu’est-ce qu’un homme ? lui dit un jour un simple soldat sur la plage. » (pp 126-127)

De retour à Paris, en 1916, la ville lui paraît remplie « de tous les échos de Verdun [qui y] retentissaient dans quelque lieu qu’on se trouvât. » (p 132) Pour autant, cinémas, concerts classiques et « ce qu’il reste de music-halls, ne présente[nt] que la nécessité pour certains de s’arracher au cauchemar de Verdun. » (p 133) Le retour dans la capitale, au cours duquel Odette renoue avec ses connaissances, permet à l’auteur de dresser quelques  chapitres « acidulés » de la haute société parisienne face au deuil. Faisant fi de la mort de Jean, Madame de Bauve ne songe qu’à la remarier. Madame de Cardoulas, elle-même veuve, ne pense qu’à l’engagement volontaire de son plus jeune fils et souhaite marier au plus vite ses enfants afin qu’il aient une descendance… Une amie, Germaine, bien qu’en grand deuil est « éperdument amoureuse d’un médecin-major dans le service duquel elle avait travaillé » et, qui plus est, « était marié et père de famille. » (p 139)  Une autre, Clotilde, « semblait presque ignorer la guerre ; peu s’en fallait qu’elle ne la fît oublier » (p 156) car cette guerre la « barb[ait]. » (p 162) Madame Leconque ne sait lui parler que de chiffons et autres futilités… Même les militaires en permission ne font guère mieux : « Odette eut l’occasion de dîner avec des officiers qui en revenaient, qui y retournaient. Et ces hommes parlaient comme tout le monde de futilités, ou par retour bienveillant à des convenances d’antan. » (p 165) Un vieil ami, La Villaumer, malgré ses cheveux grisonnants, tente le siège de la volonté d’Odette avec une dextérité insistante et persuasive. Aux yeux de l’endeuillée, l’air de la capitale semble décidément propice à toutes les amnésies et à toutes les audaces…

La fin du roman accorde une place privilégiée à la question centrale qui est celle de la pression sociale à laquelle sont soumises les veuves de guerre lorsqu’elles sont en âge procréer. Après un bref séjour à Surville où l’activité de l’hôpital temporaire est en baisse, Odette rentre définitivement à Paris. La capitale est désormais un lieu où sont soignés les grands blessés qui vont renforcer la cohorte des grands mutilés. La jeune veuve est alors assaillie par ses relations qui s’efforcent de produire, à chaque rencontre, un discours feutré mais insidieux, l’invitant à se remarier et à avoir des enfants. Ce souhait insistant de l’entourage ne vise d’ailleurs pas n’importe quel mariage. Ainsi, Madame de Blauve organise-t-elle un dîner au cours duquel elle invite Odette et l’un des amis de son mari, un officier de chasseurs devenu aveugle. Leur souci est moins de lui faire retrouver le bonheur que de l’obliger par pure convenance à rendre heureux un mutilé. Par ce moyen, la haute société parisienne semble vouloir régler une dette envers les mutilés dont la veuve – privée à jamais de celui qu’elle aime – deviendrait une monnaie d’échange. « Mais nous ne nous appartenons plus. Imitons nos maris ! » lui a déclaré Madame de Calouas qui entendait marier sa fille de 16 ans à un mutilé de la face. Aux mariages de convenance propres à ce milieu, l’époque a logiquement substitué ceux de charité. L’amour et l’oubli du défunt doivent céder face au devoir, tel est le message dont on l’assaille sans cesse… Odette, toujours profondément éprouvée par son deuil, se cabre et tient fermement sur sa position, refusant de jouer le rôle qu’on attend d’elle. Elle en sera d’autant moins comprise. Le titre du roman, Tu n’es plus rien, a donc ici une double valeur : il évoque autant la perte du mari que la disparition de statut social attendu de sa veuve.

4. Autres informations

Charles Albert, « Fidélité ? Deux romans sur les jeunes veuves de guerre », Etudes, t. CLVI, 20 septembre 1918 (pp 641-666).

Stéphanie Petit, Les veuves de la Grande Guerre. D’éternelles endeuillées ?, Editions du Cygne, 2007, 166 p.

Françoise Thébaud, La femme au temps de la guerre de 14, Stock, 1986, 319 p.

J.F. Jagielski, février 2009

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Baros, Léon (1877-1941)

1. Le témoin

Léon Baros est né à Fontaines (Territoire de Belfort) le 27 février 1877 d’une famille bourgeoise – son père fut maire du village. Après des études médicales, il s’installe en mai 1903 à Bussang (Vosges) et se marie le 15 février 1904 avec Lucie-Alphonse Bleck, issue d’une famille catholique alsacienne optante. Lorsque la guerre survient, il est mobilisé comme médecin-major de 2e classe (352e puis 217e RI), fait toute la campagne et revient à Bussang où il collaborera à plusieurs revues. Ecrivain-témoin de la Grande Guerre, il écrit également dans la Revue Médicale de l’Est sur les sources minérales de Bussang (en 1930), la revue Le Pays Lorrain (en 1933 sur le Théâtre du Peuple de Bussang) ou l’expansion scientifique française (1938). Dans l’autre guerre, il est président des Anciens Combattants de 14-18 de sa commune. Conseiller municipal, il sera conseiller d’arrondissement de 1937 à 1940. Il décède le 9 décembre 1941 à Bussang. Il a écrit deux livres de souvenirs de guerre correspondant à des fronts et des unités différentes.

2. Le témoignage

Docteur Léon Baros, Souvenirs de mobilisation et de dépôt, Nancy, imprimerie Humblot, 1924, 147 pages, non illustré. Le livre est achevé le 1er février 1924.
Dès la préface, Léon Baros prévient le lecteur : « Cet opuscule raconte la guerre à la façon de M. Paul Souchon, dans Les Tranchées de Pélissanne, celles-ci n’étant que le « Roman de guerre sous le soleil du Midi ». Il dépeint la guerre de l’arrière par opposition à la guerre de l’avant ». En effet, l’histoire qu’il raconte présente la guerre de l’arrière et est destinée aux siens et à ses amis. Cet envoi est heureux car l’ouvrage répond tout à fait à ce « cahier des charges ». L’auteur ne voit rien, ne fait rien et présente une succession de banalités. Mis à part quelques phrases relevées sur l’ambiance et les sentiments qui assaillent les cœurs des mobilisés et de leur famille et une description sommaire des soldats partant du dépôt, rien n’est apporté dans cette succession de pages de remplissage constituées de descriptions de lieux ou de portraits sans aucun intérêt. Ainsi en est-il à Langres où quatre pages tirées d’une plaquette de syndicat d’initiative décrivent la ville ! alors qu’une succession de personnages dénommés L…, P… ou Th… sont présentés à l’envi. Mais par delà ce constat d’impuissance littéraire, Léon Baros illustre à son corps défendant l’inaction d’une immense partie du corps médical, alors que meurent faute de soins d’innombrables blessés dans les combats de la bataille des frontières.

3. Résumé et analyse

Quand la guerre éclate, l’auteur est mobilisé comme médecin de réserve du 352e régiment d’infanterie et se trouve à Gérardmer dans les Vosges. Il y témoigne de l’effervescence de la mobilisation des troupes, mêlant l’inquiétude à la calme résignation des Vosgiens (page 3) et au courage des femmes (page 6). Il effleure une description de l’activité naissante du service sanitaire de l’arrière, mobilisant les énergies civiles (organisations caritatives et hôtelières) et militaires (page 14). Il n’échappe pas toutefois au colportage systématique des thèmes récurrents de la littérature d’août 1914, de l’espionnite (pages 26 et 54 puis 62 pour le traditionnel libelle contre Kub et Maggi) aux atrocités supposées (à Baccarat en Meurthe-et-Moselle page 141). Pourtant, sa présence si près du front naissant n’est pas indispensable et il est envoyé au dépôt régimentaire commun au 352e et 152e à Langres en Haute-Marne. Là, son activité n’étant pas débordante ; il décrit les lieux et les hommes qu’il côtoie avant d’apprendre la mort de son beau-frère, Charles Bleck, lieutenant au 158e RI, blessé au bois de la Rappe à Sainte-Barbe lors des combats de la Chipotte. Cette nouvelle met fin à ses « souvenirs de mobilisation et de dépôt » d’août – septembre 1914.

4. Autres informations

Bibliographie de et sur l’auteur
Baros Léon, (docteur), Quelques impressions de guerre. Largentière, Imprimerie Mazel, 1921 (réédition Paris, Eugène Figuière, 1936), 123 pages
Grasseler, Michel, « Le docteur Baros de Bussang : un médecin aux Armées », in Bulletin de la Haute-Moselle, n°25, 1999, p. 4.

Yann Prouillet

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Bourguet, Samuel (1864-1915)

On trouvera la notice BOURGUET Samuel dans Témoins de Jean Norton Cru, p. 501-503. Je donne ici quelques renseignements complémentaires tirés de documents des Archives du Tarn et d’une visite sur le terrain en Champagne, sous la conduite de Michel Godin.

« Mémoire des hommes » nous donne sa date et son lieu de naissance. Les registres d’état-civil confirment qu’il est né à Berlats, canton de Lacaune, département du Tarn, le 1er janvier 1864 (l’approximation de Jean Norton Cru était 1865). Son père était pasteur dans cette région du sud du Massif Central marquée par le calvinisme. La famille Bourguet vécut ensuite à Puylaurens, même département, également haut-lieu du protestantisme. Le feuillet du registre matricule précise que Samuel Bourguet est entré à Polytechnique en 1884, puis à l’école d’application de Fontainebleau dans l’artillerie en 1886. Nommé capitaine en 1902. Pour la suite de sa carrière et pour son témoignage : voir Jean Norton Cru. Celui-ci avait compris que l’édition en 1917 de L’aube sanglante était très incomplète et il ajoutait : « Une édition rétablie serait intéressante car cet officier a fait bien des remarques originales. » Le livre en cours de réédition chez Ampelos va restituer les parties inédites du témoignage.

La tombe de Samuel Bourguet se trouve dans le petit cimetière de Laval-sur-Tourbe, Marne.

Le livre annoncé ci-dessus a été publié : Samuel Bourguet, L’Aube sanglante, Un artilleur visionnaire dans les tranchées, préface de Marie-Noëlle Bourguet, Ampelos éditions, 2017, 177 p. La présentation donne de nouvelles informations sur la vie de S. Bourguet, en utilisant des correspondances familiales. Les passages censurés par les autorités militaires sont restitués surlignés. On constate que la « pré-censure » ou censure préventive par la veuve de l’officier a été encore plus importante : les passages sont également restitués et marqués. Un exemple : une lettre dans laquelle l’officier dit qu’il a à lutter encore plus avec « l’ignorance ou la mauvaise volonté des grands chefs qu’avec l’ennemi ».

Ce livre souhaité par Jean Norton Cru est fondamental pour mieux connaître un officier atypique et pour contribuer à une histoire de la censure.

Rémy Cazals, février 2009, complété avril 2018

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Duhamel, Georges (1884-1966)

1. Le témoin
Georges Duhamel est né à Paris le 30 juin 1884. Troisième enfant d’une famille normande et malgré une enfance difficile, il devient médecin et entre en guerre en tant que chirurgien dans des ambulances d’immédiat arrière front. Véritables laboratoires d’écriture et de réflexion sur la condition humaine, Vie des Martyrs et Civilisations sont érigés au rang d’autopsies des souffrances de l’Homme en guerre. Elu à l’Académie française en 1935, il s’oppose dans l’autre guerre à l’occupant qui interdit ses écrits. Ambassadeur de la littérature française dans le monde, il décède à Valmondois le 13 avril 1966.

2. Le témoignage
Duhamel, Georges, Vie des martyrs. Mercure de France, 1917, 229 pages, non illustré.
Basant ses réflexions sur son vécu de médecin de guerre (Ambulance 9/3 du 1er Corps d’Armée), l’ouvrage est un témoignage sur la souffrance et de nombreux passages reflètent très exactement les sentiments rencontrés dans les ambulances de l’immédiat arrière front. La période couverte comprend les années 1914 à 1916 sans datation précise. Nous parcourons toutefois successivement les arrières du front vers Verdun (dont le corps d’armée est « un long serpent dont la tête combat alors que la queue serpente sur la route », page 111), Reims ou l’Artois.

3. Résumé et analyse
Georges Duhamel est médecin dans une ambulance de l’immédiat arrière front. Il va côtoyer pendant les deux années considérées la mort, la souffrance et l’héroïsme de centaines de blessés qu’il va magnifier au rang de martyrs. Dès lors vont se succéder les tableaux successifs de personnages, d’histoires simples, touchantes alliant humour, tendresse et naïveté malgré le tragique de la souffrance, parfois dépassée. Et dans cette vision infinie des blessés et de morts, l’auteur érige un martyrologe plus que touchant dans lequel il dépeint la douleur avec une diversité et un réalisme saisissants (cf. la vue des morts de l’ambulance et de leur traitement administratif page 140), lui qui en a si souvent côtoyé les visages. Mais cette souffrance renouvelée, qui pourrait refléter la plus profonde détresse humaine et le désespoir, est pourtant portée au pinacle de l’héroïsme et du courage. Duhamel réussit alors à transfigurer la désolation et l’horreur en sacrifice quotidien et en espoir formidable, rendant ainsi l’ouvrage d’une gaîté, d’une vivacité et d’un optimisme singuliers. Des pages terribles qui relatent l’horreur mais où le lecteur, plus qu’attendri se surprend maintes fois à sourire.

Un ouvrage profond qui, relatant l’immense tragédie physique et humaine de la guerre, la dépeint dans un héroïsme naïf et touchant de simplicité. Duhamel nous donne à lire des pages émouvantes et vraies et il réussit à nous faire aimer au-delà du respect ces simples hommes écrasés par la guerre (les deux camarades s’endorment donc de cet affreux sommeil où chaque homme ressemble à son cadavre, page 12). Pas de soucis majeur de chronologie ou de positionnement géographique pour ne conserver que l’hommage à la souffrance. Cette « Vie des Martyrs » est sans conteste l’un des hommages les plus intenses et les mieux transmis qui aient jamais été écrits sur les blessés et les morts de la Première guerre mondiale.

4. Autres informations

Bibliographie de et sur l’auteur
Collège d’auteurs Georges Duhamel. Médecin, écrivain de guerre. Abbaye de Créteil, 1995.
Duhamel Georges Vie des martyrs. Mercure de France, 1917, 229 pages (rééditions Guilhot, 1946, 136 pages et Club du Livre du Mois, 1953, 235 pages).
Duhamel Georges Mémorial de Cauchois. Ed. de la Belle Page, 1927, 62 pages
Duhamel Georges Œuvres de Georges Duhamel. Tome I : Vie des martyrs. Mercure de France, 1922, 250 pages.
Duhamel Georges Œuvres de Georges Duhamel. Tome II : Civilisation. Mercure de France, 1923, 281 pages.
Duhamel Georges Récits des temps de guerre. Tome I : Vie des martyrs. II : Civilisation. III : Lieu d’asile. Mercure de France, 1949, 380 pages.
Duhamel Georges Récits des temps de guerre. Tome II : IV : Entretiens dans le tumulte – V : Les sept dernières plaies – VI : Quatre ballades. Mercure de France, 1949, 333 pages.
Duhamel Georges La pesée des âmes. 1914-1919. Mercure de France, 1949.
Duhamel Georges Elévation et mort d’Armande Branche. Grasset, 1919, 45 pages.
Thevenin Denis (Duhamel Georges) Civilisation. 1914-1917. Mercure de France, 1918, 280 pages (réédition Hachette, 1944, 232 pages).
Duhamel Georges Guerre et littérature. Les cahiers des amis du livre, 1920, 52 pages.
Duhamel Georges Entretiens dans le tumulte. Chronique contemporaine. 1918-1919. Mercure de France, 1919, 271 pages.
Duhamel Georges La possession du monde. Mercure de France, 1930, 299 pages.
Duhamel Georges Elégies. Mercure de France, 1920.
Duhamel Georges Les sept dernières plaies. Mercure de France, 1928, 265 pages.
Duhamel Georges La chronique des Pasquier. Mercure de France, 1999, 1373 pages.
Duhamel Georges Récits de guerre. Vie des martyrs. Les sept dernières plaies. Correspondance inédite. Omnibus, 2005, 900 pages.
Duhamel Georges et Blanche, Correspondance de guerre. 1914-1919. Tome I (Août 1914 – Décembre 1916), Paris, Honoré Champion, 2008, 1632 pages.
Lafay Arlette Témoins d’un temps oublié. Roger Martin du Gard – Georges Duhamel, correspondance, 1919-1958. Minard (Paris), 1987.
Vildrac Charles Correspondance de guerre avec Georges Duhamel. Abbaye de Créteil, 1995.

Yann Prouillet

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Cassagnau, Ivan (1890-1966)

1. Le témoin

Ivan Cassagnau et son frère jumeau Marcel, sont nés à Sainte-Radegonde (Gers) le 11 novembre 1890. C’est son grand-père, instituteur, qui élève Ivan et lui donne une solide éducation classique, sanctifiée par le bac, obtenu en 1907. A 19 ans, il s’engage par amour des chevaux dans l’artillerie mais ne pourra y faire carrière comme officier. C’est donc au grade d’adjudant-chef que la guerre le trouve. Il venait de se marier en mai 1914 et son épouse décèdera en couches à l’été 1917, lui laissant un fils, Jules. Il est donc chef de la 30e batterie de renforcement du 57e régiment d’artillerie de campagne de Mirepoix, dans l’Ariège. Sa campagne l’emmène en Alsace le 17 août 1914. Il participe alors à la campagne des Vosges, (août-septembre 1914) puis connait la Meuse (1914 à 1916) l’armée d’Orient (1917-1918) puis le retour en Champagne (avril 1918). Sa guerre s’achève en convalescence pour paludisme. Mais elle se poursuivra sur les théâtres extérieurs (Orient, Roumanie, Bulgarie, Palestine, Egypte) jusqu’à Noël 1920. Il continuera sa carrière militaire après s’être installé dans les Vosges, à Raon-l’Etape, où il épousera sa seconde femme, Marie Ferry. En 1924, il quitte l’armée et devient employé de banque puis de papèterie. Il décède à Raon-l’Etape le 22 février 1966 et est enterré à Saint-Jau, hameau du village natal.

2. Le témoignage

Ivan Cassagnau, Ce que chaque jour fait de veuves. Journal d’un artilleur. 1914 – 1916. Paris, Buchet-Chastel, 2003, 139 pages, non illustré, portrait en couverture.
L’auteur a tenu ses carnets dès le 20 août 1914, et repris ses souvenirs entre 1934 et 1942. La publication a été mise en forme par sa petite-fille, Florence, auteure elle-même et présentée par son petit-fils, Nicolas. Souvenirs hachés et sommaires, le journal d’Ivan Cassagnau fournit au lecteur une vision épisodique de la Grande Guerre dans une chronologie ponctuelle, dictée par les grandes heures, tragiques ou anecdotiques et diversement diluées. L’auteur se souvient des grandes lignes de sa guerre en Alsace et en Lorraine, voyageant ainsi entre journal et souvenirs. Ainsi, il fait le bilan de ses premiers jours de guerre le 20 août 1914 à Heiwiller en Alsace pour reprendre sans transition à Anglemont en Lorraine. Là, par tableaux, il évoque plutôt que ne décrit la bataille de la Chipotte, ponctuant de quelques dates le mois de septembre 1914, pourtant si intense dans les Vosges. On le retrouve sous Saint-Mihiel où l’année 15 s’écoule par bribes, d’anecdotes en descriptions. C’est Verdun qui déclenche véritablement l’intensité d’un récit en prise directe avec la boucherie. Ivan Cassagnau en fait un récit qui n’est plus ponctué que par deux dates : février 1916, début de l’enfer et 9 avril 1916, date de sa blessure. Entre celles-ci, est un long tableau des souffrances universelles, des bêtes et des hommes, du paroxysme de la lutte d’artillerie où plus rien ne compte que la résistance, jusqu’à la mort de l’ennemi. La préface filiale sur l’inconnu initiatique d’un enfant sur la Grande Guerre est agréable et opportune. L’est aussi le titre, tiré d’une citation d’Ivan Cassagnau (page 119). Au final, cet ouvrage révèle un témoignage ténu et mal daté mais intense et correctement présenté.

3. Résumé et analyse

Ivan Cassagnau est artilleur quand débute la Grande Guerre et c’est par un retour sur sa jeune vie qu’à Heiwiller, en Alsace, alors que sont déjà tombés nombre de jeunes soldats, il débute son carnet de guerre le 20 août 1914. Ils lui semblent déjà loin, les premiers jours de la mobilisation de la 30e batterie du 57e régiment d’artillerie, partie de Toulouse le 9. Débarqué à Belfort le 17, il constate bientôt les premières traces de la guerre, au moment où il entre en territoire pas tout à fait ennemi ; en Alsace reconquise. Comme souvent, le baptême du feu est terrible, mélange de pagaïe, d’impuissance, d’impréparation, d’inefficacité et d’inutilité ; la batterie n’a pas tiré un coup de canon. Ce baptême est subi ; rien de glorieux dans cette opération d’Alsace bien vite avortée. Rembarquée à Belfort ; la batterie de Cassagnau débarque dans les Vosges, à Lachapelle-devant-Bruyères et prend position à Anglemont, au nord-est de Rambervillers ce 24 août. La bataille des frontières est engagée et c’est très vite, le second baptême du feu, donné celui-ci. Dès lors, les heures s’accélèrent et le temps manque pour coucher sur le calepin cette terrible bataille de Chipotte qu’il couvre d’acier. Les Allemands ont déjà donné leur nom aux artilleurs de 75 ; les « bouchers noirs » (page 24). Le 4 septembre, l’ennemi reflue, battu, suivi par l’artilleur qui goûte quelques jours de relatif repos dans une ferme de Laneuveville. Il y remarquera une jeune fille triste qui deviendra après guerre son épouse. Pour l’heure, il est déplacé au sud de Saint-Mihiel, à Varnéville où il prend corps avec la guerre de position et la lutte d’artillerie, mélange de missions statiques et d’attente ponctuée. Le temps s’étire ainsi dans une inactivité d’immédiat arrière front ; un temps de séances de photographies et de mascottes.

Février 1916 l’affecte dans la forêt de Esnes-en-Argonne, à l’ombre du Mort-Homme, où « la batterie dévore littéralement les munitions » dans cette frénésie d’artillerie qui couvre d’une chape d’acier tout le front de la bataille de Verdun. Pièces, hommes et bêtes soufrent dans un commun calvaire et Ivan Cassagnau prend plus qu’ailleurs corps avec une guerre mutée en boucherie sans âme. On laisse gémir les blessés car la batterie doit tirer, même réduite à une seule pièce d’un seul servant ! Sans repos, sans roulement possible, au mépris des taux d’usure des pièces, la grande bataille d’artillerie dure jusqu’au mois d’avril quand le front devant Esnes cède. Ivan Cassagnau voit les Allemands avancer « lentement mais irrésistiblement ». La batterie est sacrifiée, il faut se faire tuer sur place. Il sort son revolver, prêt à défendre chèrement sa vie quand sa chair est atteinte de plusieurs shrapnels. Il est évacué au château d’Esnes, achevant ainsi un martyr qu’il ne dépeindra plus désormais par l’écriture. Les souvenirs d’Ivan Cassagnau s’achèvent sur une blessure – encore est-il sauvé par son livret et son carnet de notes (page 124) – qui termine son récit sur le front de l’ouest. Quelques pages résumant la Grande Guerre clôturent ce « journal d’un artilleur ».

Au détour des pages, il évoque les tirs amis (page 39), l’espionnite, à laquelle il ne veut pas céder (pages 42 et 59), la mort prémonitoire (pages 54 et 122), la folie d’un Marsouin, attaché et emmené à l’ambulance (page 54), le bruit de l’obus « comme si le ciel était peuplé de chats sauvages » (pages 62 et 77). Il décrit la naissance de l’artisanat de tranchée (page 82) et ses accidents (page 95), évoque la dotation, le 27 juin 1915, des premiers casques Adrian « dont le port nous cause des migraines » (page 97), la réprobation du soldat devant la création du censeur postal (page 99), l’horreur de la tranchée, botte et pied portemanteaux (page 101) et les soldats attaquants à la gnôle (page118).

4. Autres informations

La mort d’Ivan Cassagnau dans Parlange, Anne, Petite, Moyenmoutier, Edhisto, 2008, 287 pages.

Yann Prouillet

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Porchon, Robert (1894-1915)

1. Le témoin.
Robert Porchon, originaire du Loiret, est né le 23 janvier 1894 dans une famille bourgeoise. Intégré à l’école des officiers de Saint-Cyr en 1913, il est rapidement affecté comme sous-lieutenant d’active au 106e RI où il se trouve en compagnie d’un ancien élève du même lycée que lui du nom de Maurice Genevoix. Participant aux combats dans la Meuse autour de Verdun à partir de la fin août 1914, il s’enterre rapidement avec son unité dans les tranchées face aux Allemands. Il décède le 19 (ou 20) février 1915 à la suite d’une blessure par éclat d’obus reçue aux violents « combats des Eparges ». Combats qui durèrent durant près de deux mois pour la conquête d’une crête au Sud-Est de Verdun dominant la plaine de la Woëvre. Le corps de Robert Porchon repose dans le cimetière militaire du Trottoir, au pied de la crête où il est tombé.

2. Le témoignage
Pour Michel Bernard, Robert Porchon apparaît comme «l’un des morts les mieux connus de la Grande Guerre » (Préface de Carnet de route du sous-lieutenant Robert Porchon, p. 9). En effet, Maurice Genevoix, que Jean Norton Cru place au rang de grand témoin, a su dans les cinq livres de ce qui forme l’œuvre Ceux de 14, élever un monument du souvenir à ses camarades de misère, dont le principal, « le frère de sang » comme il le rappelle dans une lettre à Mme Porchon, fut son ami Robert. Le carnet et les lettres publiées viennent heureusement éclairer et compléter le témoignage littéraire de Genevoix. C’est encore une fois le deuil qui frappa par deux fois la belle-mère de Robert Porchon (le plus âgé, Marcel, mourut la même année, le 6 avril en Argonne), qui poussa celle-ci à rassembler les témoignages de la guerre et de la mort de son jeune fils : tout d’abord en recopiant ses écrits, puis en collectant les récits et témoignages des camarades ou supérieurs de son fils et les circonstances de sa mort. Comme beaucoup de soldats, Robert a tenu un carnet de guerre mais sur une courte période du 25 août au 3 octobre 1914 et a écrit à sa famille (avant la guerre et jusqu’en février 1915), la correspondance prenant rapidement le pas sur tout autre forme d’écriture.
Cette volonté de conservation de la mémoire du défunt, que l’on retrouve dans le cas du combattant Henri Despeyrières par exemple, permet de pouvoir aujourd’hui lire l’expérience de guerre du sous-lieutenant Porchon, qui, de personnage de littérature, s’incarne désormais à travers ses propres écrits publiés.
Il faut souligner ici la qualité de l’édition de cet ensemble documentaire (lettres et carnets de Robert Porchon, lettres de camarades réunies par sa belle- mère après sa mort), Une partie « Mise en perspective historique » replace heureusement le parcours du jeune Porchon et celui de son régiment (106e RI) en évoquant les différents combats auxquels il a pu prendre part. Les cartes proposées sont d’une grande clarté et d’une grande utilité, notamment pour comprendre les « combats des Eparges ».
PORCHON Robert (sous-lieutenant), Carnet de route suivi de lettres de Maurice Genevoix et autres documents, Paris, La Table Ronde, 2008, 207 p.

3. Analyse
Une lecture attentive de ses lettres, parfois mises en relation avec les pages de son carnets plus personnel et plus « réaliste », révèle une importante autocensure (« les boches sont de mauvais tireurs », lettre du 7 novembre), sans que la description des corps meurtris ne soit épargnée au destinataire (quand il s’agit des Allemands). Car il veut faire montre d’un détachement certain face à son quotidien de fantassins, entre combats et période de vraie tranquillité, afin de rassurer sa principale correspondante : sa mère. Il n’en reste pas moins que la fraîcheur de l’écriture de Porchon rend son témoignage attachant et traversé par une grande sincérité.
Robert Porchon témoigne dans ses lettres comme dans son journal de deux identités fondamentales : il est un soldat, et un officier saint-cyrien de l’active, soucieux du service. Il affirme plusieurs fois son appartenance à ce corps qui construit un « nous » solide, opposé aux réservistes. L’officier Porchon développe un discours propre à son action dans la guerre, différent de celui d’un caporal ou d’un sergent comme Valéry Capot, qui fustige les multiples revues que l’on inflige aux hommes. Pour le lieutenant Porchon : « Si l’on n’y veillait pas, tout ne tarderait pas à être inutilisable » (lettre du 23 janvier 1915, p. 136). Mais il reste pour lui des points aveugles, il ne connaît par exemple que bien plus tard de la bataille de la Marne et de son résultat.
Il ne manque pas de s’élever contre les officiers « pommadés » qui reculent devant la boue et offre des modèles peu scrupuleux et disciplinés (p. 69). Il peut développer également un regard assez dur sur « ses hommes », mais se plaint du traitement qui leur est fait lorsqu’ils sont en réserve et corvéables à merci. Il trouve des astuces tout de même pour faire travailler, tout en soignant son air « détaché ». Il prend à cœur son rôle « social », d’écoute et de conseiller qu’il incarne pour des hommes parfois plus âgés que lui. Les soldats qu’il commande reconnaissaient dans ce jeune officier un cadre efficace (les lettres en fin de volume, après la mort de Porchon, sont à ce sujet tout à fait éclairantes).
Il n’en reste pas moins officier, et à ce titre, logé dans de meilleures conditions que ces hommes, que ce soit en première ligne, en réserve ou au repos. Il partage le quotidien avec les officiers de la compagnie ou du régiment, et notamment avec Maurice Genevoix, comme lui à la 7e, qui devient plus qu’un camarade, l’ami qui permet de tenir sans trop se poser de questions : « si j’étais resté seul à la compagnie, j’aurais certainement piqué de la neurasthénie », (Lettre du 18 décembre 1914, p. 116). Son témoignage apporte un éclairage intéressant sur les questions posées par le rapport âge/statut militaire dans leur comportement et leurs attitudes face aux autres. Jeunes officiers, vieux réservistes, jeunes recrues… l’ensemble des soldats doit aussi composer avec ces différences.
Il ne cache pas les sentiments ressentis face aux combats : il dit avoir eu peur, notamment lors de la première épreuve du feu, mentionne la transformation/atténuation de cette peur avec la multiplication des combats auxquels il a pu prendre part. Du quotidien le plus banal, aux réflexions justes et fines sur la figure de l’ennemi, à qui il faut faire la guerre, mais qui n’est jamais une source de haine, Robert Porchon trace bien du début de la guerre un tableau « au ras du sol ». Un passage intéressant, extrait d’une lettre du 10 octobre à sa mère, évoque, avec un intérêt rétrospectif évident, l’installation des hommes dans les tranchées : « Des deux côtés, Français et Allemands, on se retranche à qui mieux- mieux. Tranchées, réseaux, abattis, etc. – si bien que les positions deviennent imprenables, si bien que l’action se borne à des canonnades qui vous force à rester terrés au fond des tranchées (…) » (p. 99). Le Saint-Cyrien Porchon n’a sans doute pas imaginé de devoir combattre et mourir dans de telles conditions subies par des millions d’hommes pendant plusieurs années.

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