Saint-Victor, Jacques de (1874-19..)

Né le 3 janvier 1874 à Rabastens (Tarn), fils de Ferdinand Léopold Marie de Costecaude de Saint-Victor et de Madeleine de Landes d’Aussac de Saint-Palais. Service militaire de 1895à 1898 au 143e RI. Docteur en droit en 1901 avec une thèse intitulée « Du service hospitalier dans les guerres terrestres et maritimes ». Marié. Avant 1914, comptable dans l’entreprise Brusson (voir ce nom) à Villemur-sur-Tarn. Sergent, il est mobilisé au 133e RIT comme d’autres salariés de la société. En Alsace d’août 1914 à mars 1917. Quelques lettres le concernant figurent dans les archives Brusson, déposées aux Archives de la Haute-Garonne. Sur une carte postale du 19 septembre 1914, il se préoccupe de la marche des affaires : « J’ai appris avec plaisir que tout marchait bien à l’usine. Je fais les meilleurs vœux pour la prospérité des affaires dans la crise actuelle. » Le 22 septembre, de Rabastens (Tarn), Mme de Saint-Victor remercie Antonin Brusson d’avoir fait des « démarches pour faire revenir notre cher fils auprès de vous ». Elle fait part de son angoisse de mère ayant trois fils sous les drapeaux et implore le secours du bon Dieu dans les épreuves qu’il faut affronter. Les démarches n’ont pas abouti.
Le 11décembre, le sergent de Saint-Victor estime que la guerre va durer encore longtemps ; plaise à Dieu qu’il puisse en revenir et que l’essor de l’entreprise ne soit pas perturbé. Il évoque les basses températures et la pluie ; il dit qu’il creuse des tranchées [ou plutôt qu’il les fait creuser, puisqu’il est sous-officier] et que ce qu’il craint c’est d’avoir à les occuper. Il remercie son patron de l’envoi d’un mandat à distribuer aux ouvriers de Brusson appartenant au même régiment, parmi lesquels le caporal Vacquié (voir ce nom : le caporal a remercié son patron pour les dix francs reçus par l’intermédiaire de M. de Saint-Victor).
Passé au 89e RI en novembre 1917 ; à la section d’infirmiers en janvier 1918. Une dernière lettre conservée date de cet hiver-là : le sergent de Saint-Victor annonce qu’il à la charge d’une équipe de restauration de tombes militaires. Il souhaite toujours la prospérité de l’entreprise, et aussi la fin de cette « maudite guerre ».
Voir le livre de Jean-Claude François, Les Villemuriens dans la Grande Guerre, édité par Les Amis du Villemur historique, 2014. Rémy Cazals, mars 2016.

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Vacquié, François (1874-1918)

Né le 30 juin 1874 à Montauban (Tarn-et-Garonne) dans une famille de cultivateurs. Service militaire de 1895 à 1898 au 9e RI d’Agen. Marié le 20 avril 1902 à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne). Ouvrier de l’entreprise Brusson (voir ce nom) à Villemur, mobilisé au 133e RIT, caporal le 30 octobre 1914, il a écrit des lettres à son patron : une carte postale et quatre lettres sont conservées dans les archives de la société, aux Archives de la Haute-Garonne. Le régiment se trouve en Alsace d’août 1914 à mars 1917. Dans la lettre du 25 septembre 1914, il remercie pour l’envoi de 10 francs ; ayant laissé sa famille sans ressources, il demande que l’entreprise embauche sa femme ; il souhaite que sa lettre soit communiquée à ses camarades de travail. Le 17 octobre, il précise qu’il lui tarde de venir reprendre son activité civile. La plus intéressante est celle du 28 décembre, envoyée d’Alsace : « Mon cher patron, hier j’ai reçu de M. de Saint-Victor [voir ce nom] 10 francs venant de votre part. Je vous dirai, Monsieur Antonin, que vous m’avez réellement rendu service. Car, croyez-le bien, nous sommes dans une mauvaise situation en ce moment. Car nous sommes dans les tranchées en avant postes, tranchées qui contiennent 30 centimètres d’eau, et en même temps nous avons même quelques prises avec les Allemands. Pourrai-je dire, cher patron, la fin de ce supplice ? Non, je ne puis, malheureusement. Je préfèrerais être ou du moins revenir bientôt à votre service. Mais en ce moment nous sommes ici pour faire chacun notre devoir. Mais avec beaucoup de souffrances. Car nous avons continuellement des journées complètement entières de pluie, et depuis cinq mois nous n’avons pas encore quitté les pantalons, et depuis quinze jours nous n’avons pas encore quitté les chaussures. Mon cher patron, je vous remercie beaucoup d’avoir eu un peu d’attention pour moi car j’en avais bien besoin. Mais ne faites jamais savoir à ma femme que je suis ici dans un si mauvais état. » Sur une carte postale du 24 janvier 1915 : « Je suis toujours en bonne santé malgré le froid rigoureux que nous éprouvons au milieu des neiges. »
Dans le long espace de temps entre les messages ci-dessus et la dernière lettre, du 25 mars 1917, François Vacquié n’a pas écrit à son patron ou bien rien n’a été conservé. À cette dernière date, il informe que son régiment vient d’arriver près de Verdun et que le spectacle est « piteux ». Il reste dans ce secteur jusqu’en septembre, puis il est en Champagne jusqu’en décembre 1917.
Il meurt à Villemur-sur-Tarn le 16 septembre 1918, en son domicile (nous n’avons pas d’autre précision).

Voir le livre de Jean-Claude François, Les Villemuriens dans la Grande Guerre, édité par Les Amis du Villemur historique, 2014.

Rémy Cazals, mars 2016.

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Beauvais, Alexandre

On ne sait rien de ce soldat sinon qu’il était un des ouvriers de l’entreprise de pâtes alimentaires Brusson Jeune (voir ce nom) à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne). Ce qu’il écrit à son patron le 13 décembre 1914 est localisé dans les parages de Craonnelle ; il était au 36e régiment d’infanterie. Sa description de la misère des fantassins est assez précise pour être reproduite ici :
« Jamais de ma vie, non seulement moi mais presque la majorité de notre régiment n’a souhaité la mort comme dans cette maudite marche où, pendant neuf heures, nous n’avons pas cessé de marcher sous la pluie battante, cela de 3 heures de l’après-midi à 1 heure du matin, pataugeant dans la boue jusqu’aux genoux. Nos tranchées sont situées à l’orée d’un bois et au milieu des marais. Trente centimètres d’eau et de boue dans les sapes conduisant à nos cahutes hautes de 1,25 m et larges de 1,10 m, dans lesquelles nous sommes condamnés à rester quatre jours sans désemparer et à tirer les balles par des créneaux aménagés d’un côté. La mitraille, par ici, tombe sans désemparer. Dans la plaine, une quantité effrayante de Boches est fauchée, déployée en tirailleurs dans leur position normale, et cela depuis mi-septembre. L’odeur infecte qui se dégage est assez pour nous rendre malades. Impossible de les enterrer car les tranchées françaises et allemandes à cet endroit sont à environ 150 mètres. Le premier qui sort la tête est repéré immédiatement et les balles pleuvent dur comme grêle. C’est une vraie place à choléra. Heureusement que le temps froid arrive et évitera bien des maladies contagieuses. Depuis que nous sommes ici, je n’ai eu qu’une heure de sommeil, et encore plié en deux. Nous manquons de tout : sucre, café, tabac, bougies, allumettes, rhum, enfin tout ce qu’il faudrait pour soutenir le moral des soldats. »
Rémy Cazals, mars 2016, en attendant d’en savoir plus sur ce soldat

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Baudens, Emile

Voir la notice Puech-Milhau, Marie-Louise, et le livre de Marie-Louise et Jules Puech, Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916 présentée par Rémy Cazals, Paris, Ampelos, 2015.

C’est dans sa lettre du 8 septembre 1915 que Marie-Louise parle pour la première fois d’Emile Baudens. Engagée dans une œuvre en faveur des familles séparées par l’occupation du nord de la France, elle a reçu une lettre de ce soldat de 37 ans, mitrailleur au 8e RI. Il se présentait comme ouvrier  dans le civil, aux usines Cail à Denain et souhaitait prendre contact avec sa femme et ses enfants restés en pays envahi, et se faire appeler dans une usine métallurgique. Le 3 novembre, Marie-Louise écrit qu’elle a reçu la visite de celui qu’elle appelle son filleul, ce qui signifie qu’elle lui a envoyé quelques colis. Il revenait d’une permission passée près de sa mère à Saint-Omer : « Il a l’air d’un brave homme et m’a dit qu’il avait son dernier qui s’appelle Marceau ; il n’avait que 7 mois quand il est parti. Voilà un homme qui, depuis plus d’un an, ne sait rien de sa femme et de ses 4 enfants. Chez sa mère, il a appris que des cousins étaient prisonniers ; il va leur écrire pour leur demander d’avoir des nouvelles de sa femme, et de lui en donner des siennes car les prisonniers peuvent écrire dans les territoires occupés par l’ennemi. »

Nouvelle visite annoncée dans la lettre du 6 juin 1916, les envois de lettres et de colis n’ayant pas cessé. « Il m’apportait un cadeau : une douille de 75 en cuivre qu’il a gravée au poinçon et orné de feuilles de chêne. C’est très touchant et cet homme est vraiment un brave garçon. Il a une terrible nostalgie de ses enfants, surtout une fillette de 4 ans qui en avait 2 quand il est parti et qui lui chantait des chansons. » Marie-Louise s’engage à faire des démarches pour qu’il soit appelé dans l’industrie. Elle les entreprend en effet et ce n’est pas facile car les colonels ne veulent pas perdre des effectifs. Elle y réussit toutefois et Baudens lui écrit à deux reprises, en mai et novembre 1917, que grâce à elle, après avoir connu l’enfer, il croit se trouver « au paradis ».

Rémy Cazals, mars 2016

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Résal, Louis (1895-1925)

Louis Résal, né à Lyon en 1895 ; est en classe préparatoire scientifique en 1914 ; il intègre l’artillerie. Pendant son stage d’aspirant à Fontainebleau à l’été 1915, il est muté dans l’aviation comme observateur. Il effectuera des réglages d’artillerie jusqu’en 1918 (C 51 puis C 260). Sous-lieutenant en avril 1916, il finit la guerre avec deux avions ennemis descendus, deux blessures et quatre citations. En 1919 il entre à Polytechnique. Il meurt accidentellement en 1925.
Voir la notice Résal, Paul.

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Résal, Paul (1894-1983)

1. le témoin
Paul Résal, né en 1894, est licencié en Lettres et en année préparatoire à Sciences-Po en 1914. Caporal en 1915 au 18e régiment d’artillerie, il obtient l’aviation après un séjour de 9 mois à Carency en Artois. Volant à la N 83 (protection), il est blessé en mars 1917, puis revole en janvier 1918 à la C 46 (chasse) dont il prend le commandement (comme sous-lieutenant) en octobre 1918 ; deux victoires, trois citations, légion d’honneur en avril 1917. Il meurt en 1983. Voir les notices de ses frères Salem, Younès et Louis.
2. le témoignage
L’important fonds épistolaire de la famille Résal, constitué pendant la Grande Guerre, a déjà donné lieu à l’élaboration d’un film documentaire (L. Veray, Cicatrices, 2013) et à la publication de Femmes sur le pied de guerre. Chronique d’une famille bourgeoise 1914 – 1918 (Résal J., Allorant P., Septentrion, 2014). Avec La Grande Guerre à tire d’ailes, correspondance de deux frères dans l’aviation (1915 – 1918), édition établie par Jacques Résal et Pierre Allorant, Edition Encrage (Prix aéro-club de France 2015), l’accent est mis surtout sur les échanges des deux frères Louis et Paul. Il s’agit d’un choix de lettres, échangées de 1915 à 1918, qui nous permet d’entrer dans le vécu de la guerre de deux jeunes étudiants issus de cette famille d’ingénieurs polytechniciens. Ces deux frères, sportifs et passionnés d’aviation avant-guerre, deviennent respectivement observateur et pilote de chasse et s’écrivent régulièrement, échangeant aussi avec leurs parents et leurs frères et sœurs. Ce choix de lettres est complété par des extraits d’Heures de Guerre (annexe 22), rédigé en 1942 par Paul et qui raconte son expérience du conflit.
3. analyse
a) le quotidien
Les échanges de lettres décrivent d’abord ce qu’est la vie de l’aviateur de la Grande Guerre (formation, missions, combats, anecdotes). Paul et Louis veulent témoigner sur ce qu’ils font, décrire leur quotidien, expliquer leurs vols. Le danger est minoré dans la correspondance avec la mère, les détails techniques s’effacent pour les sœurs mais sont centraux avec les frères et le père. Louis lui écrit (4 novembre 1915, p. 54) : « tu m’as demandé depuis longtemps quel est le travail que je fais », s’ensuivent trois pages synthétiques qui décrivent la fonction d’observateur d’artillerie telle qu’il la pratique au quotidien. Paul évoque toutes les étapes de sa formation (Avord, avril 1916) : « Maintenant que j’ai 1 h 3/4 de vol, je pars tout seul (le moniteur met ses mains sur mes épaules), je vole seul malgré le vent et les coups de tabac.» Dans une autre lettre (septembre 1916), il évoque longuement la technique de l’atterrissage sur Nieuport 10, avec une clarté qui ferait honneur à un manuel de pilotage. Les combats sont décrits avec enthousiasme ou tourment moral (Paul à Louis, 5 mars 1917) « tu as su par la famille [il a écrit à son père] le combat que j’ai eu, et au cours duquel l’avion que je protégeais a été descendu. C’est une malheureuse affaire, et, pour moi, un début fâcheux bien que je n’aie rien à me reprocher. » Louis raconte des vols « intéressants », mais aussi une descente rapide alors que son pilote est blessé (18 mars 1916) ou les circonstances de sa propre blessure le 31 mai 1918. La volonté didactique de ces lettres, jointe à la clarté des descriptions donne un témoignage utile à qui s’intéresse à la guerre aérienne.
b) la guerre vue par des aviateurs
Un second thème se dégage avec des réflexions sur la guerre, sa conduite, son arrière-plan moral et politique. Le témoignage, sans allusion religieuse, évoque un arrière-plan conservateur, Louis qualifiant (p. 58) la gauche de l’Union sacrée en 1915 de « braillards lamentables », et évoque « ces salauds de socialistes, qui font encore du sentimentalisme absurde, et qui, du haut de leur grandeur, considèrent que la France serait déshonorée si elle reprenait l’Alsace-Lorraine aux Boches. » L’héritage antidreyfusard de la famille apparaît une fois (Paul, 31 janvier 1918, p. 209): « Il y a trois juifs à l’escadrille, caractère que je n’aime guère, mais ce sont des garçons instruits et bien élevés, avec qui je peux parler agréablement. » Leur vision de la situation stratégique en 1915 est souvent erronée, ils dépendent de la grande presse, « il paraît que les Russes filent une pile aux Boches ; de notre côté on ne mollira pas et je pense que c’est le commencement de la fin » (17 septembre 1915, p. 31) ou « les Serbes sont des types épatants et les affaires ont l’air de mieux tourner là-bas » (14 novembre 1915, p. 58). L’offensive de Champagne est vue comme une victoire française et ils gardent confiance au printemps 1918 devant les derniers succès allemands.
Paul, brigadier dans l’artillerie en Artois, décrit fin mai 1915 à Carency un moral très bas : « Je ne sais s’il en est de même dans ta région, mais ici l’esprit des hommes n’est pas fameux, j’allais dire détestable en pensant à certains types en particulier. Ils trouvent que cela va trop doucement, c’est vrai – et que jamais on ne repoussera le boche, qu’il vaudrait mieux terminer tout de suite, et que les biffins ne veulent rien savoir, et qu’ils en ont assez » (31 mai 1915, p. 277). Le thème des embusqués est récurrent, et Paul décrit ainsi ses condisciples : « Pour ce qui est des élèves, nous sommes très nombreux, 200. Les 3/4 sont des cavaliers qui, sur le point d’être mutés dans l’infanterie, ont demandé l’aviation. Sauf quelques amateurs, les autres sont venus là pour quitter le front et y retourner le plus tard possible. (…) Tous arrivés par piston. »
Les pilotes ont la réputation d’être des « noceurs » et Louis résume dans un passage intéressant – « je commence à bien les connaître »- ce qu’il faut penser des aviateurs (16 février 1916, p. 76) : « Ils sont enviés et c’est probablement pour cela qu’on dit qu’ils font la noce ». Il développe l’idée que bien que « chics » et parfois « un peu bluffeurs », les aviateurs sont simples et ne s’amusent pas différemment des autres militaires : lors d’un stage de tir à Cazeaux, 30 stagiaires sont cantonnés à Arcachon, « les premiers jours, des poules sont venues de Bordeaux sachant cette arrivée, et pour avoir de la clientèle. Au restaurant, on s’est fichu d’elles et, comme elles n’avaient aucun succès, elles ont fichu le camp et chacun de nous vit d’une façon bien pépère et bourgeoise. » Pour lui, ceux qui font une « noce carabinée » sont rares et ne sont pas approuvés par les autres aviateurs.
c) le combattant intime
Système des valeurs, relations avec la famille, maîtrise de soi : ces lettres évoquent l’espace intime du combattant et l’habitus d’une famille bourgeoise du début du XXe siècle. Les frères présentent nominalement à leurs parents leurs camarades, et leur mère s’enquiert d’eux souvent : elle leur écrit par exemple à l’occasion de blessures, elle s’informe de leur rétablissement. Malgré la mort d’un autre frère tué à sa batterie en 1914, Paul et Louis partagent confiance et énergie. Le combat aérien est recherché pour vivre un moment « très sport » avec un comportement que l’on espère « très chic ». Cet enthousiasme diminue chez Louis avec la durée de la guerre, il est remplacé par une recherche de contrôle de soi. En novembre 1915, sa mère Julie lui avait écrit (p. 53) : « quand tu as le noir, il ne faut pas te laisser aller à cette impression qui ne peut être que mauvaise pour toi. Tu admires l’énergie, et avec raison ; en cette circonstance, domine-toi et veuille reprendre ton équilibre. » Lors d’une crise morale beaucoup plus grave après l’échec d’avril 1917, il échange avec sa sœur : « J’ai peut-être fait des choses bien depuis que je suis sur le front, mais pas une ne m’a coûté l’effort de maintenant. (…) Malgré mes idées noires j’espère passer une bonne permission à Chaumes, qui me remontera un peu et me redonnera l’insouciance que j’avais en arrivant sur le front. Excuse-moi de te dire toutes ces choses peu remontantes, mais ça me fait du bien de te communiquer ce que je pense en ce moment. Ne montre pas cette lettre à Maman qui serait un peu affolée, dis-lui seulement que je vais très bien physiquement » (p. 164). Paul est blessé gravement et perd un œil dans un combat le 24 mars 1917 (il réussira à voler en opérations avec un œil de verre), il écrit à son père : « Tu as l’air étonné que j’aie accepté mon infirmité avec désinvolture, je trouve que ce serait le contraire qui serait surprenant : il est évidemment fâcheux de perdre une partie de ses facultés, mais devant le fait accompli et définitif, il me semble inutile et enfantin de se plaindre. (…) C’est, je crois, ce qu’un certain Zénon avait écrit à son père, il y a trois mille ans ; c’est assez simple, et je me demande pourquoi il en faisait un tel chiqué. » L’intime masculin affectif et surtout sexuel est rarement évoqué dans les écrits de la Grande Guerre, ce qui rend précieux un passage de Louis (20 ans) à son frère où il expose sa conception de ce que doit être sa sexualité (p.76) : « pour moi, tu seras peut-être épaté par ce que je vais te dire : je n’ai jamais baisé de femme et je ne suis pas allé au bordel ; voici pourquoi : d’abord je ne veux pas faire cette opération avec n’importe qui, cela me dégoûte et me fait le même dégoût que de me laver les dents avec une brosse à dent d’une personne étrangère ; on me proposerait de le faire avec telle jeune femme que je connais depuis longtemps et qui est bien, évidemment j’accepterais, mais avec la première putain venue cela me couperait la chique (…) cela ne m’empêche pas de dire des grivoiseries et d’en entendre et de les comprendre, et même de grosses cochonneries (…). Mes camarades à l’escadrille se doutent bien de ce que je suis, mais ils ne me blaguent pas à ce sujet, et me comprennent bien, du reste. » Une autre richesse de ces lettres est de nous présenter un parler « taupin », l’expression d’une oralité qui nous rend ces acteurs très vivants : les vols, les missions sont « épatantes », « très chouettes » ou « à la noix de coco », l’expression la plus récurrente étant « ça gaze » (ça va, c’est bien). Louis évoque des soucis pour une homologation de victoire « pour mon boche, cela ne gaze pas fort, on n’a pas assez de preuves, une seule n’est pas suffisante : alors, pour la croix, macache tu penses » (p. 168).
En 1942 Paul rédige ses souvenirs dans Heures de guerre et sa conclusion confirme, a posteriori, l’extrême diversité de la perception du conflit par les combattants et anciens combattants, à la fois à cause du cadre spécifique de l’aviation, très différent de la tranchée, et de celui des valeurs personnelles, sociales et politiques, avec lesquelles le conflit a été vécu : « Si la guerre est une réalité abominable, elle est, pour ceux qui se battent, l’occasion, même s’ils n’en ont pas conscience, de mener l’existence la plus conforme à leur vocation d’homme, le désintéressement et l’esprit de sacrifice étant l’exigence fondamentale de la nature humaine ; c’est pourquoi tant de ceux qui ont fait la guerre, ont gardé la nostalgie d’une époque exaltante, dont souvent ils n’ont pas retrouvé l’équivalent dans le bonheur de la paix » (p. 312).

Vincent Suard, février 2016

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Peschet, Albert (1884-1934 ?)

Claude Le Roy, poète, auteur de plusieurs ouvrages sur les Chouans, le bocage, la Normandie, signe le petit livre intitulé La guerre de mon grand-père d’après sa correspondance 1914-1918, Condé-sur-Noireau, Éditions Charles Corlet, 2014, 79 p. Dans sa présentation, il avertit le lecteur que ces quarante cartes postales apportent beaucoup de banalités, renseignements météo, nouvelles de la santé, souci du travail à effectuer à la ferme. Par exemple (page 64) : « Tu me dis que le cochon va bien, tant mieux. J’espère que tu vas avoir beau temps pour le sarrasin, car il fait chaud ici. » Ou (p. 72) : « Tu me dis que tu coupes le blé. Aie soin de bien ramasser tout le foin. Ne laisse pas la faucheuse longtemps dans le champ sans la démonter et mets-la sous les pommiers. »
Ce paysan d’Athis-de-l’Orne était né le 28 juillet 1884 ; père de quatre fillettes en 1914, il tenait la ferme de La Masure appartenant an châtelain local. Territorial, au 32e RIT, Albert Peschet n’est pas allé sur le front ; il a passé toute la guerre dans des affectations autour de Paris à garder des gares et autres points névralgiques (carte p. 15). Par erreur Claude Le Roy écrit (p. 20) qu’Albert appartenait à « l’armée de réserve » et que pour cette raison il n’avait pas à monter en première ligne.
Son service lui laisse du temps pour des activités qui lui rapportent quelque argent : il confectionne des paniers de vannerie, il jardine pour des particuliers. Il troque un panier contre des photographies. Il obtient plusieurs permissions agricoles et participe aux travaux sur sa ferme. Il s’ennuie beaucoup (p. 43, 11 janvier 1916) : « Je m’embête encore plus que d’habitude. Vivement la fin de tout ce fourbi-là ! » Une cousine, dont le frère est sur le front, écrit, de son côté (p. 60) : « Quand donc cette maudite guerre finira-t-elle ? »
Fallait-il publier ce petit livre ? Il aura peut-être peu de lecteurs, mais il rappelle aux historiens que l’expérience d’Albert Peschet est aussi une facette de la Grande Guerre. Voir aussi les notices Banquet, Blayac, etc.
Rémy Cazals, janvier 2016

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