Papillon (famille : 8 témoins)

Ayant acquis une maison à Vézelay (Yonne), habitée depuis un siècle par des gens modestes, les Papillon, Madeleine et Antoine Bosshard découvrent « un petit paquet, ficelé, de lettres de 1915, puis d’autres encore, et finalement tout le courrier de la famille, de la fin du XIXe siècle aux années 1950 ». Les lettres de 1914-1918, confiées pour expertise à deux historiens, ont été publiées en 2003. Si les noms de Marthe, Joseph, Lucien et Marcel Papillon sont retenus comme « auteurs » du livre, il s’agit en fait du témoignage de huit membres de la famille.
Huit témoins
Les parents, Léon et Emélie, assurent la « permanence » à Vézelay. Ils sont les principaux correspondants de leurs fils mobilisés et de leur fille, domestique à Paris. Léon (1861-1931), descendant de tailleurs de pierres, chef cantonnier, possède quelques terres, bois et vignes. C’est Emélie (1864-1937) qui écrit, donnant les nouvelles des uns aux autres, des conseils de modération dans leurs dépenses à ses chenapans, Joseph et Lucien, et veillant à ce que chacun garde le contact. Ainsi à Lucien (20-9-15) : « On a reçu ta lettre du 15 ce matin. On était bien inquiet de ne pas avoir de tes nouvelles. Ça faisait dix jours que l’on avait rien reçu de toi. Ne sois pas si longtemps que ça une autre fois. » Marcel (1889-1975), l’aîné des enfants, après de bonnes études, est devenu clerc de notaire. Mobilisé dès les premiers jours, il est affecté au 356e RI. Épistolier principal de la famille, il témoigne sur les combats de l’infanterie. Il est démobilisé en août 1919, comme sergent fourrier au 22e d’infanterie coloniale. Joseph (1891-1915) part au 13e Dragons comme bourrelier-sellier. Jusqu’en octobre 1915, il court peu de risques, par contraste avec la situation de Marcel, mais il est alors intoxiqué lors d’une attaque au gaz et meurt à l’ambulance de Mourmelon-le-Petit, le 6 novembre. Marthe (née en 1893) est en 1914 employée de maison chez de riches commerçants parisiens ayant belle demeure à Fontainebleau. Ses lettres constituent un beau témoignage sur la vie à Paris et sur les rapports sociaux entre patrons et domestiques. Lucien (1895-1968), cultivateur, entre à la caserne en décembre 1914 au 89e RI. Fin mai 15, il est envoyé sur le front, au 168e. Il est blessé une première fois en 1915 et une deuxième fois en 1916. Ses lettres, publiées sans correction des fautes, contrastent avec celles de Marcel. Il écrit de manière phonétique, le même mot pouvant présenter une forme différente à deux lignes de distance. Ainsi (27-9-15) : « L’ataque que [je] vous avais parlé c’est trai bien passée. Je suis été blessé d’ai le débu de l’attaque. Je suis blessé à l’épaulle gauche. » Si la plupart des Français mobilisés en 1914 savaient écrire, la maîtrise de la langue était très inégale d’un combattant à l’autre. Parfois au sein de la même famille. Au-delà des fautes d’orthographe ou des tournures maladroites, c’est aussi la capacité à traduire son expérience en mots qui diffère lourdement. Tandis que Marcel raconte les combats auxquels il prend part avec force détails, Lucien écrit simplement, le 11 mai 1917 : « Je te garanti que nous anvoillons [en voyons] des merdes. » Les deux plus jeunes frères, Charles (né en 1897) et Léon (né en 1900) ont été moins touchés par la guerre. D’abord réformé, Charles est devenu mécanicien d’aviation. Léon était trop jeune pour faire la guerre et n’a pas quitté la maison familiale, ni l’activité de cultivateur.
Des apports variés
À ses parents, Marcel ne cache pas la pénibilité de sa vie au front : il ne gomme pas les aspects les plus durs des conditions matérielles et des combats auxquels il participe. Le 17 mai 1915, il écrit : « Quel tableau ! on voit des lambeaux de chair et des bouts de capote, voire même un bras ou une jambe accrochés aux branches déchiquetées des chênes. » Les historiens qui ont parlé d’aseptisation de la guerre dans les récits des combattants auraient dû en lire. Mais Marcel oscille comme beaucoup entre besoin de raconter et nécessité de rassurer. Le 31 mai 1915, alors que son frère va rejoindre le front, dans l’infanterie, Marcel note : « Chers parents, je vous ai écrit carrément ma façon de penser avec toutes mes récriminations à certains moments. J’ai peut-être eu tort. Car vous avez déjà assez de préoccupations sans cela. Mais c’était plus fort que moi. Maintenant que nous sommes 2 [au front], vous serez encore bien plus sur le qui-vive. » En réalité, les lettres qui suivent montrent qu’il ne renonce pas aux récits saisissants de sa vie aux tranchées. Devant l’horreur, « carnage », « extermination d’hommes », « guerre de cent ans », Marcel réclame la paix dès novembre 1914 et à plusieurs reprises ensuite. Il critique les embusqués, il suggère que ceux qui veulent la guerre viennent la faire. Il souhaite que le mauvais temps détruise les récoltes, ce qui hâterait la fin. Sur le fond, le témoignage de Lucien est tout aussi intéressant : quasiment muet sur les combats, il rend systématiquement compte dans ses lettres de sa situation matérielle et de ses besoins. Son témoignage rappelle ainsi l’importance des colis que lui expédie notamment Marthe, sa sœur, depuis Paris. Les lettres de Lucien révèlent également son désir de voir la guerre se terminer, ou, du moins, son désir d’échapper à la violence et aux souffrances de la vie au front. Le 27 septembre 1915, il estime que sa blessure est un bon filon. De Paris, Marthe écrit à ses parents et à ses frères, leur envoyant des colis et leur faisant envoyer des colis par sa patronne. Celle-ci tricote pour les soldats et participe à l’œuvre de la Croix Rouge. Mais la domesticité est fort exploitée, et c’est parfois « en fraude », c’est-à-dire en quelques minutes prises sur un temps de travail sans limite, que Marthe peut écrire. Elle critique les vacances de ses patrons à Nice et les dîners « à tout casser, vins fins, champagne », ce qui, en ce moment, « ne devrait pas être permis ». Auparavant, le 3 août 1914, elle avait montré qu’à Paris aussi « rien ne marche plus et tout le monde pleure », ce qui est bien connu dans les campagnes.
La solidarité du clan
En elles-mêmes, les lettres de chacun sont riches, mais publiées dans l’ensemble familial elles prennent une nouvelle épaisseur. Grâce à ces regards croisés, les relations humaines se dévoilent. Marcel et Joseph ne vivent pas la même guerre. Marcel écrit ainsi à ses parents (17-5-15) : « Je vois que Joseph ne sera jamais si heureux que pendant la guerre, car il n’a jamais connu la misère. Son emploi vaut une fortune. Ce n’est pas comme nous, pauvres misérables. » Le déchirement de Marcel à l’annonce de la mort de Joseph est terrible. Lui qui était jusqu’ici compréhensif à l’égard de l’ennemi est assailli par un désir de vengeance. Le 27 novembre 1915, il écrit : « Quel malheur. Je ne m’attendais pas à une pareille nouvelle. Je suis consterné. Je n’ose pas y penser. […] Ignoble race de boches. Je ne sais ce que l’avenir me réserve. Mais si l’occasion s’en présente, il n’y a pas de pardon, je le vengerai. » Les pages qui entourent le silence de Joseph et l’annonce officielle de sa mort constituent un bon témoignage sur l’angoisse des familles, le désir de conserver un espoir malgré tout. Alors que la lettre maternelle du 1er novembre est retournée à l’envoyeur avec la mention « le destinataire n’a pu être atteint », Marthe écrit encore à ses parents, le 15 : « Avez-vous des nouvelles de Joseph ou alors que devient-il ? […] Une lubie ne lui durerait pas aussi longtemps. […] Tout cela donne à réfléchir. Mais si jamais il est en bonne santé et que ce soit un caprice, qu’est-ce que je lui passerai ! »
Sur Lucien, le regard de Marcel est celui d’un grand frère bienveillant : lui qui se met régulièrement en colère contre les embusqués incite son frère à choisir une arme moins exposée que l’infanterie. Plus tard, il se réjouit de sa « fine blessure » et l’encourage à prolonger sa convalescence. Il lui écrit (9-11-15) : « Tu ne me dis pas si on t’a retiré ton éclat d’obus. Si tu l’as encore, tâche de tirer au cul avec ça. Après ta permission, tu retourneras sans doute au dépôt. Essaie d’y rester un moment. Mais quand tu verras que ton tour approche, tu pourrais choisir un régiment en partant comme volontaire lorsque l’on demandera un renfort, de préférence un régiment de réserve. […] Si, étant au dépôt, on demandait des hommes pour le génie (pour rester en France) ou pour apprendre la mitrailleuse (la mitrailleuse, c’est un bon filon) tu n’as qu’à demander. » C’est d’ailleurs de Lucien que Marcel se rapproche le plus dans les souffrances quotidiennes, le désir d’échapper au front et de voir la guerre se terminer. Marcel aussi se réjouit de trouver un bon filon comme en septembre 1915 : « Je suis tantôt près du capitaine, tantôt au téléphone pour transmettre les ordres. Et au lieu de rester dans la tranchée à me faire geler la nuit et le jour, je suis dans une solide cabane et j’ai l’avantage de pouvoir dormir une partie de la nuit. » Les relations sont étroites aussi avec les jeunes restés à Vézelay et on aspire à de belles parties de chasse. La solidarité du clan familial se double d’un rapport étroit au « pays » : souci de se retrouver entre camarades du pays, de recevoir des nouvelles du pays. En cela aussi, les frères Papillon de Vézelay sont proches des soldats de toutes les régions de France.
« Si jamais l’on rentre, on en parlera de la guerre ! »
Pour conclure, donnons la parole à Marcel, qui écrit (13-4-15) : « Nous avons passé une semaine terrible, c’est honteux, affreux ; c’est impossible de se faire une idée d’un pareil carnage. Jamais on ne pourra sortir d’un pareil enfer. Les morts couvrent le terrain. Boches et Français sont entassés les uns sur les autres, dans la boue. On marche dessus et dans l’eau jusqu’aux genoux. Nous avons attaqué deux fois au Bois-le-Prêtre. Nous avons gagné un peu de terrain – qui a été en entier arrosé de sang. Ceux qui veulent la guerre, qu’ils viennent la faire, j’en ai plein le dos et je ne suis pas le seul. […] Dans la passe où nous sommes, la mort nous attend à tout moment. […] Enfin, il ne faut pas désespérer, on peut être blessé. Quant à la mort, si elle vient, ce sera une délivrance. […] Si jamais l’on rentre, on en parlera de la guerre ! » Dernière phrase qui signifie qu’il y aura des comptes à régler, des changements (politiques ? sociaux ?) à effectuer. Mais il semble que, comme beaucoup, les Papillon aient préféré oublier. Marcel est entré dans les chemins de fer. Il s’est marié en 1935, à 46 ans, et a terminé sa vie à Saintes. Après son mariage en 1917, Marthe fut employée dans un grand magasin. Décoré en septembre 17, obtenant une citation dans les derniers affrontements d’octobre 18, Lucien revient de guerre avec un emphysème qui le handicape à vie. Démobilisé au printemps 19, il devient maçon et se marie en 1932. Figure locale haute en couleur, il est apprécié pour ses qualités d’artisan par les personnalités du monde artistique vivant à Vézelay.
Cédric Marty et Rémy Cazals

*Marthe, Joseph, Lucien, Marcel Papillon, « Si je reviens comme je l’espère », Lettres du Front et de l’Arrière, 1914-1918, recueillies par Madeleine et Antoine Bosshard, postface et notes de Rémy Cazals et Nicolas Offenstadt, Paris, Grasset, 2003, 399 p. Édition de poche dans la collection Tempus, Paris, Perrin, 2005. Voir aussi Rémy Cazals, « L’originalité du témoignage de la famille Papillon », dans L’Yonne dans la Grande Guerre 1914-1918, Actes du colloque de novembre 2013, Auxerre, Les Cahiers d’Adiamos 89, n° 10, 2014, p.71-83, avec photos des membres  de la famille.

Nous devons beaucoup à la recherche généalogique effectuée par Michel Mauny, que nous remercions.

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Frémond, Désirée (1885-1976)

Née à Epieds-en-Beauce (Loiret) le 15 avril 1885. Épouse d’Abel Gilbert (voir ce nom). Pendant la guerre, elle envoie lettres et colis à son mari et elle doit faire marcher la forge en son absence. Les lettres de Désirée n’ont pas été conservées mais on en trouve l’écho dans celles de son mari.
Voir Françoise Moyen, « Paysanne, femme d’artisan, Le travail des femmes à la campagne pendant la Grande Guerre », dans Travailler à l’arrière 1914-1918, Actes du colloque international de mai 2013, Carcassonne, 2014, p. 101-111 avec photos de Désirée et de ses enfants [la paysanne évoquée dans le titre est Céleste Chassinat (voir ce nom) ; la femme d’artisan est Désirée Frémond].

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Chassinat, Céleste (1878-1922)

Née à Yèvre-la-Ville (Loiret) le 10 mai 1878. Épouse d’André Charpin (voir ce nom). Pendant la guerre et la captivité de son mari, elle lui envoie lettres et colis et elle fait tourner l’exploitation agricole. Les lettres de Céleste n’ont été conservées que pour la période d’août 1914 à janvier 1915, ainsi que quelques-unes de l’automne 1918. Elles constituent un témoignage précieux sur le rôle des femmes à la campagne. Elle est décédée le 3 octobre 1922.
Photo de Céleste dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 131.
Voir aussi Françoise Moyen, « Paysanne, femme d’artisan, Le travail des femmes à la campagne pendant la Grande Guerre », dans Travailler à l’arrière 1914-1918, Actes du colloque international de mai 2013, Carcassonne, 2014, p. 101-111 avec photos de Céleste et de ses enfants [la paysanne évoquée dans le titre est Céleste Chassinat ; la femme d’artisan est Désirée Frémond (voir ce nom)].

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Saint-Pierre (famille : 6 témoins)

Les six frères Saint-Pierre qui ont fait la guerre sont nés à Nantua (Ain) dans une famille bourgeoise propriétaire de vignes. Marin (1875-1949), médecin dans cette ville, épouse en 1908 la fille d’un général ; deux filles du couple deviendront religieuses. Clément (1877-1936), avoué à Belley, épouse une fille de médecin en 1905. Amand (1879-1932), notaire à Yenne en Savoie, se marie en mai 1914. Jean (1883-1963) est ordonné prêtre en 1908 ; incorporé en 1915 et très marqué par la Grande Guerre, il écrit jusqu’à la fin de ses jours sur des cartes postales représentant le maréchal Foch. Joseph (1885-1965) devient médecin, et la guerre lui impose de terribles travaux pratiques. La famille compte un dernier frère, Antoine (1895-1972), bachelier en juillet 14, envisageant des études de médecine qu’il achève après-guerre pour s’installer à Oyonnax. Le témoignage familial est : La Grande Guerre entre les lignes, Correspondances, journaux intimes et photographies de la famille Saint-Pierre réunis et annotés par Dominique Saint-Pierre, Tome I : 1er août 1914 – 30 septembre 1916, Tome II : 1er octobre 1916 – 31 décembre 1918, Bourg-en-Bresse, M&G éditions, 2006, 794 et 825 p. Le corpus est formé de 3 journaux et 2 491 lettres et cartes postales. Le journal d’Amand va du 2 août 1914 au 18 octobre 1918, tenu au jour le jour et non réécrit. Celui de Joseph se compose de notes quotidiennes du 31 juillet 1914 au 12 avril 1915 et d’un texte réécrit en 1940, alors qu’il est à nouveau mobilisé à Chambéry ; ce dernier couvre la période du 12 avril 1915 à sa démobilisation en 1919 et comporte des dates décalées et des confusions de situations corrigées par le présentateur. Antoine a écrit trois tomes d’une autobiographie intitulée « Journal de ma vie », dont seules 22 pages concernent la Grande Guerre. Amand écrivait chaque jour à Marguerite, son épouse, une lettre qu’il appelle (6-1-18) « la lettre de notre promesse », lien vital avec la civilisation pour le bonheur et le plaisir qu’elle procure, ainsi qu’à la famille dans le Bugey, soit 1 277 lettres. Marin a laissé 397 courriers et Jean 673 lettres et cartes postales. Enfin 144 courriers ont été échangés entre les frères. Joseph et Amand sont les deux personnages les plus représentés dans l’ouvrage.
La guerre des frères Saint-Pierre
Le parcours militaire de chacun des frères, non exposé dans l’ouvrage, est difficile à suivre et doit être recomposé avec les éléments fournis par les témoins eux-mêmes. Le 1er août 1914, Joseph est affecté au 2e bataillon du 23e RI à Bourg-en-Bresse comme médecin aide-major de 1ère classe. Le jour de l’attaque allemande qui occasionne la prise de la colline de La Fontenelle, dans les Vosges, il se dit « déprimé et à bout de forces » et se retrouve le lendemain à l’hôpital de Saint-Dié, souffrant de fièvre. Alors qu’il demande à revenir immédiatement au front, il apprend qu’il est remplacé et envoyé à l’arrière. Au Thillot, il est reçu par un officier qui lui déclare : « Ah, vous arrivez du front. Eh bien, dites-moi, c’est donc vrai que tous les officiers sont des lâches ? » Cet incident interrompt son journal jusqu’au 15 décembre 1915. Sa « faiblesse » sous le feu ne lui permettra jamais de revenir au 23e. Il sera toutefois cité 6 fois et recevra la Légion d’honneur avec palme le 5 février 1919 alors qu’il a terminé sa guerre dans le 116e BCA.
Amand, âgé de 36 ans à la déclaration de guerre, est affecté au 56e RIT de Belley. Après avoir un temps tenu le camp retranché de Belfort, son régiment, le front stabilisé, est en ligne dans le Sundgau. En octobre 1914, Amand occupe le poste de secrétaire du général commandant le secteur de Bessoncourt et nous renseigne sur ce service d’état-major en relation avec les pouvoirs civils et la population alsacienne. Le 11 octobre 1915, brigadier, il passe au 7e escadron du Train. En janvier 1918, il est sergent, secrétaire d’état-major de la 133e division et passe à la section colombophile. Il se trouve à proximité de ses frères Jean et Joseph mais, en février 1918, Amand passe maréchal des logis au 9e régiment d’artillerie à pied. Marin est médecin aide-major de 1ère classe à l’infirmerie militaire de Bosmont, Territoire de Belfort. Jean termine la guerre au 265e RAC. Antoine est nommé en juillet 1918 sous-lieutenant au 73e RI et se trouve dans le secteur de Montbéliard.
La composition du témoignage
Le présentateur des écrits des frères Saint-Pierre nous renseigne dans son préambule sur le travail réalisé pour la publication des deux volumes, qui ont représenté 15 années d’un véritable « travail de bénédictin : transcrire les textes manuscrits, retrouver leur orthographe, émonder les lettres des passages trop intimes et inintéressants, repérer les lieux de combat et tranchées sur les cartes d’état-major et les plans directeurs au 1/50 000 ; identifier les individus et les événements, rédiger des notes. Les journaux ont été conservés dans leur intégralité, les lettres ont été réduites de moitié environ. Le choix a été fait de ne pas se limiter aux faits de guerre et de conserver ce qui a trait à la vie familiale et à la société de cette époque, afin que le document garde son caractère sociologique. » Les correspondances et journaux multiples sont particulièrement riches d’enseignements (voir les notices Papillon et Verly). Dans le cas des frères Saint-Pierre, il s’agit de transmettre l’expérience de la Grande Guerre en consacrant la cohésion familiale. Tous ont conscience de vivre une expérience extraordinaire et de participer à l’écriture d’une guerre aussi complexe et foisonnante.
Connectés aux mondes littéraire (Julien Arène, Frantz Adam, les dessinateurs Hansi ou Zislin), ecclésiastique, militaire ou médical, ils sont des témoins précieux, lettrés et sensibles au monde qui les entoure. Amand surtout, introspectif, s’autocensure peu. L’analyse de ses propos dans ses lettres et dans son journal permet une opportune comparaison. À Marguerite, son épouse, il dit (4-5-17) : « Ne parle pas de tout cela à Nantua, car à toi seule je dis tout ce qu’il en est. » Dès lors, il ne cache rien de ses états d’âme, parsemés de secrets militaires qu’il jure de garder mais divulgue finalement à sa femme, de sournoiseries d’état-major et de lassitude d’une guerre interminable. Certes, il est refusé comme candidat officier, ce qui pourrait expliquer une éventuelle frustration, mais il rapporte un sentiment général si l’on en croit une lettre reçue par Amand : « J’ai été encore une fois cité à l’ordre du jour, jusqu’à ce que je sois décoré de la croix – de bois. »
Joseph aussi est réaliste, donc pessimiste. Le 1er août 1914, il déclare : « Qu’est-ce que la guerre moderne ? Je connais les récits des guerres anciennes. Je ne doute pas qu’une guerre actuelle soit exactement une boucherie. J’ai la ferme conviction que je n’en reviendrai pas et pour ne pas exagérer, j’émets l’avis que j’ai au maximum 50 % de chance d’en revenir. » Passionné de photo, Joseph utilise son appareil très tôt (septembre 14). Il est ainsi l’un des premiers à photographier la guerre dans les Vosges, aussi ses clichés sont connus en dehors du cercle familial ; il vend des images à L’Illustration et l’on en retrouve dans l’historique régimentaire du 23e. Il use pour cela des techniques particulières telle une photo « aérienne » prise de la tranchée, l’appareil placé au bout d’une perche. Joseph contribue ainsi, avec Frantz Adam et Loys Roux (voir ces noms), au fait que le 23e RI soit surnommé « le régiment des photographes ».
Une encyclopédie de la guerre
L’ouvrage nous plonge dans la guerre avec une multiplicité d’impressions ressenties et décrites. Des impressions sonores : sifflement d’une balle perdue ; son différent d’éclatement des obus selon le sol ; bruit infernal qui endort puis réveille ; éclats imitant des cris d’animaux ; « souffle immensément puissant d’un monstre endormi » quand il s’agit d’un bombardement lent et régulier ; rafales comme des « lancées de mal de dent » ; écho lointain de la bataille de Verdun à 60 km de distance et même jusqu’à Montbéliard. Dans l’air qui « mugit », les raids d’avions produisent une impression éprouvante, qu’Amand décrit à Marguerite : « Je t’assure qu’il n’y a rien d’agréable à se trouver là-dessous : les avions volant très bas, leurs moteurs font entendre un ronflement menaçant d’un lancinant sans nom ; vous sentez les appareils qui vous survolent en vous cherchant, les bombes éclatent épouvantablement, les obus explosent autour des avions, les mitrailleuses crépitent, les débris retombent de partout. » Dans cette guerre, le tonnerre naturel « perd ses droits et devient tout simplement ridicule ».
Des impressions olfactives comme l’odeur du front des Vosges : « La puanteur atroce mêlée à l’odeur résineuse des sapins hachés par les bombardements. » Des impressions physiques, comme l’accoutumance physiologique aux tranchées et aux conditions de vie. Ainsi Joseph : « Un soir, ne sachant où coucher, j’avise un tas de cailloux : lui au moins est relativement sec… Il me servira de lit. C’est un nouveau genre. J’ai déjà goûté du pré, du bois, du plancher, du sillon de labour et, ma foi, on n’y est pas trop mal : les cailloux se moulant un peu sous le poids du corps. » Il revient à plusieurs reprises sur cette « déshabitude du lit ».
C’est surtout la souffrance du soldat qui transpire de ces analyses ; les punitions imbéciles sont notées ; les affirmations cyniques, ainsi cette phrase d’un officier supérieur en août 1916 considérant que fournir des vêtements n’est pas nécessaire puisque les trois quarts des hommes vont y rester. Cette ambiance d’oppression est permanente. Elle découle du fossé qui sépare soldats et officiers. Amand se plaint également de l’ambiance morale : « Par exemple, quelles mœurs, quelle débauche, c’est effrayant, dégoûtant, écœurant… Je ne puis rien en écrire, ça dépasse l’imagination. » La condition ouvrière non plus n’est pas épargnée par Amand, surtout après les grèves du Rhône de 1917 : « Qu’on demande à ceux du front s’ils consentiraient à prendre à l’intérieur la place de ceux qui se plaignent et l’on verra le résultat ! » Même les Parisiens sont décriés (Amand, 4-2-18) : « Oui, j’ai lu le raid des aéros sur Paris et les croix de guerre que cela a fait distribuer dans la capitale. Je regrette qu’il y ait eu des victimes, mais le fait en lui-même rappellera un peu aux Parisiens que la guerre existe […]. C’est malheureux à dire, mais on est obligé de constater dans la masse des poilus, avec un sentiment sincère pour les victimes, une sorte de presque satisfaction de ce fait-là ! » Bref, le fossé entre l’avant et l’arrière est profond et universel à la lecture des frères Saint-Pierre. Et pourtant, les soldats ont conscience de devoir aller jusqu’au bout : « Le temps ne changera rien au résultat final, l’écrasement des Boches, tant pis si on paye des impôts », déclare Marin à sa mère. L’emploi de nouveaux gaz par les Allemands déchaine la volonté de vengeance d’Amand, en juillet 17 : « Il faudrait étripailler tous les Boches, mâles et femelles, petits et grands ! »
Les fraternisations sont le plus souvent représentées par les échanges les plus divers (sifflets, boules de neige, insultes au porte-voix, cigarettes), par l’entente tacite ou simplement par des attitudes d’humanité (ainsi le 24 décembre 1914 au col d’Hermanpaire, dans les Vosges, où un ténor entonne un Minuit chrétien religieusement écouté par les soldats allemands qui applaudissent.
Le bourrage de crâne n’est pas absent : pieds coupés par les Allemands pour éviter les évasions ; blessés achevés ; Boches dépeceurs ; mais aussi Allemands tuant leurs officiers pour se rendre ; officiers autrichiens qui, « pour exciter les hommes, déclarent que le pillage et le viol seront autorisés » en Italie conquise. Autres thèmes récurrents, les charges violentes contre les soldats du midi, le 15e corps, les gendarmes imbéciles, l’espionnite. Et les poncifs comme « La France aura toujours le dernier sou, l’Angleterre le dernier vaisseau, la Russie le dernier homme » ou la motivation alimentaire des désertions allemandes.
Le tout est ponctué de belles descriptions : une remise de décoration ; les bleus « nerveux du fusil » ; une attaque de nuit ; le terrible travail des brancardiers sur le Linge. La boue « comme de la crème », qui empeste le gaz et dans laquelle on peut mourir noyé ; la vue panoramique d’une attaque à Verdun. Verdun, « cette fois, c’est la vraie guerre » et le témoignage justifie sa place particulière dans l’expérience combattante avec la vision traumatique d’une mort individuelle dans la mort de masse.
La victoire
Les six frères Saint-Pierre, tous survivants, non blessés, vivent la victoire avec des sentiments nuancés. Joseph, le 11 novembre à 11 heures, déclare : « Messieurs, vous êtes joyeux, moi non ! Nous devions aller en Allemagne pour confirmer notre victoire. L’affaire n’est pas terminée, dans vingt ans il faudra recommencer. » Antoine est en permission à Nantua à cette date et revient au front, s’étonnant qu’il ne soit plus létal : « Par un clair de lune splendide, je pouvais marcher à découvert sur ce qui avait été le champ de bataille. Je ne pouvais croire au total silence qui régnait sur ces lieux dévastés. » Amand quant à lui « est tout désorienté à l’idée de la démobilisation » et « tout troublé à l’idée du retour ». Après que Joseph ait échappé au minage des caves et des routes lors de la poursuite d’octobre 18, c’est Amand qui manque encore de mourir à cause d’un « fil gros comme un crayon, solidement attaché à deux arbres et traversant la route juste à hauteur de la gorge », tendu de nuit le 14 décembre 1918 à Heimersdorf, dans le Sundgau. Il revient plus loin sur cette insécurité en Alsace. Par contre : « Réveillé par le sifflement très proche d’un obus de gros calibre, j’ai dressé l’oreille pour écouter l’éclatement et juger de la distance de la chute, mais rien. J’avais dû rêver et je m’en suis aperçu de suite, comme tu penses. » C’était le 30 novembre 1918 ! La guerre restera pour tous un traumatisme au-delà du cauchemar.
Yann Prouillet

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Bonfils, Louis (1891-1918)

Né à Montpellier le 12 décembre 1891 d’un père tailleur de pierres et d’une mère sans profession. Félibre, il écrit en 1911 la pièce Jout un balcoun en collaboration avec son ami Pierre Azéma, du même âge. Les deux amis auraient également été membres du Sillon. Le témoignage disponible est la transcription par Azéma des lettres en occitan que lui adressait Bonfils, dit Filhou. Les originaux ont disparu. On sait qu’Azéma a effectué des coupures. On ne sait pas s’il a apporté des modifications. Bonfils a commencé la guerre comme sergent au 163e RI, au milieu de Méridionaux, en Alsace, dans le Nord, puis dans les Vosges. Son évacuation pour maladie à l’hôpital de Toul en août 1915, et sa convalescence à Montpellier, lui ont permis d’échapper à la sanglante offensive de septembre. À Nuits-Saint-Georges, il a visité les caves et rencontré des demoiselles à marier. En novembre, il est envoyé au 319e RI à Coeuvres, Port Fontenoy et Nouvion. C’est un régiment normand et il doit faire du « félibrige sans la langue ». Il compare le Méridional, qui est son propre maître, au type du nord de la Loire employé dans les « usinasses ». Il est blessé en avril 1917. Promu capitaine en mai 1918, il est tué dans la retraite le 11 juin. Ses lettres sont écrites dans une très belle langue occitane ; les paysages, même du nord ou de l’est de la France, sont magnifiquement décrits (p. 30 du livre, p. 40). Toujours il cherche à défendre le Midi et les Méridionaux, en particulier contre la légende noire issue du fameux article du sénateur Gervais dans Le Matin.
« L’officier le plus emmerdant de la division »
Les lettres de Filhou sont publiées dans un livre qui porte le titre Me fas cagà ! La guerre en occitan, Louis Bonfils dit Filhou, Éditions Ampelos, 2014. Titre un peu excessif puisque l’expression n’apparait qu’une seule fois, p. 70. Les non-Méridionaux, sans en comprendre le sens, l’auraient répétée en croyant que c’était une façon de se dire bonjour. On pense aux mots que les jeunes camarades de Louis Barthas ont appris aux filles du Nord qu’ils courtisaient ou à la réponse « Qué crébé ! » que faisait Gustave Folcher, PG en Allemagne de 1940 à 1945, au salut « Heil Hitler ! », réponse bientôt reprise par tous les prisonniers et tous les travailleurs polonais. Titre un peu excessif, donc, mais qu’on peut accepter car Bonfils ne cesse de protester. Dès le 22 août 1914 contre les fautes commises par les haut-gradés mais que de simples élèves caporaux auraient évitées. Le 4 novembre contre le fait d’avoir laissé mourir quantité de blessés « faute de soins ou par la crapulerie de majors incapables ou brutaux ». Le 5 décembre, contre les gens de l’est, germanisés, qui préfèreraient recevoir des Prussiens que des Français du Midi. Le 19 février 1915, contre les trop beaux officiers tirés à quatre épingles. Le 7 juillet, il affirme qu’il est bien vu de ses hommes et qu’il emmerde ses supérieurs, incompétents. En février 1916, après avoir commandé une compagnie, voici que sa place est prise par un autre qui critique les Méridionaux ; altercation ; le conseil de guerre lui donne raison. En mars, il avoue qu’il a passé son dernier séjour en première ligne à s’engueuler avec tout le monde et il conclut : « Soui counougut couma l’ouficié lou mai emmerdant de touta la divisioun. » En octobre, suivant un cours pour devenir commandant de compagnie, il remarque qu’on prétend leur apprendre en théorie ce qu’ils font en pratique depuis deux ans. Enfin, en mars 1917 et en janvier 1918, après des permissions à Montpellier, il s’en prend aux plaintes abusives des civils, aux embusqués, aux commerçants profiteurs.
Des remarques d’authentique poilu
– 29 août 1914, Vosges : sous le bombardement, à quoi te sert un fusil entre les mains ?
– 7 février 1915 : faute de tirebouchon, utiliser la baïonnette pour trancher le col d’une bouteille.
– 3 avril : marre de cette vie, ça dure trop longtemps.
– 2 juin : un héros peut être tué par un lâche qui a tiré de bien loin un coup de canon (remarque faite aussi par Jean Norton Cru).
– 7 juin : les journaux que certains appellent aujourd’hui « journaux de tranchées » sont faits en arrière, dans les ambulances ou les états-majors, même si leurs auteurs se prétendent des hommes du front. Et pourtant, ce sont eux, les parfumés, cirés et poudrés, qui pourront dire qu’ils ont fait la guerre parce que, nous, nous serons en train de pourrir au fond d’une fosse, six pieds sous terre.
– même jour : rencontre d’une jeune fille qui lui dit, en français, que sa patrie c’est son village et pas plus.
Mais des passages héroïques étonnants
– début septembre 1914, au col de La Chipotte, la compagnie a eu un mort et deux blessés mais a tué une centaine d’Allemands sans compter les blessés qu’ils ont emportés.
– vers la Noël, une tranchée est prise et nettoyée à la baïonnette, tout est couvert de sang.
– 24 avril 1915 : dans une lutte inégale, à 1 contre 5, les hommes de Bonfils sèment la mort dans les rangs ennemis ; ils ne sont jamais lassés de lutte et de victoire.
– 27 mai : la race latine est là, et la race germanique va pouvoir s’en rendre compte.
– 7 juillet : les félibres savent se faire tuer.
– 26 décembre : quel orgueil de commander de tels hommes ! Ils se plaignent parce que c’est la mode, mais ils sont aussi contents de monter aux tranchées que d’être relevés.
Qui a lu des témoignages de fantassins ne peut qu’être surpris de tels propos. Sont-ils le fruit de l’exubérance ? s’agit-il d’artifices littéraires ? Le destinataire des lettres les aurait-il « embellies » en les transcrivant ?
L’introduction de Guy Barral
En général, dire en 26 pages ce qu’on va trouver ensuite dans le texte du témoin, n’est pas de bonne méthode ; mieux vaut dire rapidement qui il est, et lui laisser la parole. Ici, il s’agit cependant d’un cas particulier : l’introduction, en français, sera utile aux lecteurs non familiers de l’occitan. On peut reprendre deux ou trois points. Je pense que les poilus languedociens ne jugeaient pas inconvenant d’écrire en occitan, mais personne ne leur avait appris à le faire. Les accusations du sénateur Gervais contre les troupes de « l’aimable Provence » ne sont pas de l’automne 1914 mais du mois d’août. Ce n’est pas lors de la répression des mutineries de 1917 que la justice militaire a été la plus sévère, mais au cours de la première année de la guerre. Enfin, une question et un regret. La question : Guy Barral affirme que les lettres de Filhou sont parties par la poste civile : quelle preuve en a-t-on ? Le regret : j’aurais aimé voir un portrait de l’auteur.
Rémy Cazals, mars 2016

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Brusson, Jeanne (1897-1983)

Voir les notices de son grand-père Jean-Marie Brusson, de son père Antonin Brusson, de sa mère Gabrielle Rous et de son frère André, le soldat de la famille en 1914-1918. Les archives de l’entreprise Brusson Jeune de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) contiennent de nombreuses lettres des divers membres de la famille pendant la guerre.
Jeanne et sa jeune sœur Marie-Louise (1899-1945) fréquentent le cours Dupanloup à Auteuil, et viennent en vacances à Villemur. Mais une jeune fille de bonne famille n’est jamais en vacances ; elle doit travailler à son trousseau, se perfectionner au piano, faire des confitures… La tradition est d’aller passer quelques semaines au bord de l’océan. En 1917, « il y a un monde fou à Arcachon et un monde qui vient faire du chic sans l’être vraiment », des « femmes mises avec des couleurs très voyantes », et les Russes qui ne veulent pas aller combattre les Allemands, « bouches inutiles qu’on a reléguées à Cazaux parce qu’on ne veut pas les renvoyer chez eux où ils aggraveraient la révolution ».
Après l’armistice, une lettre de Jeanne à André mérite d’être citée pour ses accents féministes : « Nous menons notre petite vie tranquille et monotone ne changeant pas d’une ligne avec celle de l’an dernier à peu près à la même date. Toi, tu changes perpétuellement de résidence, de camarades, de travail même. Les nombreuses adresses que nous avons accumulées le prouvent. Il est impossible que tu n’aies pas des sensations, des désirs, des ennuis même très vifs parfois. Mais tu ne te doutes peut-être pas de ce qu’est une vie de chrysalide dans un petit village de province et pendant la guerre, puisque la paix tant désirée n’est pas encore arrivée et que l’armistice n’a rien changé jusqu’ici à la vie commune. Un jour tu goûteras de la vie de petit village, mais pour toi ce ne sera pas une vie de chrysalide puisque tu ne seras jamais une jeune fille !!! et qu’en arrivant ici tu seras obligé de déployer toute ton énergie et tout ton savoir pour une œuvre utile et positive. »
Jeanne Brusson a épousé Gontran de Peytes de Montcabrier le 20 septembre 1922.
RC
*Rémy Cazals, « Lettres du temps de guerre » dans le livre collectif du CAUE de la Haute-Garonne, La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, Loubatières, 1993, p. 70-128, illustrations.

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Brusson, Jean-Marie (1840-1916)

Fondateur de l’entreprise de pâtes alimentaires Brusson Jeune à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne). Pendant la guerre de 1914, c’est son fils Antonin qui la dirige (voir ce nom et ceux des autres membres de la famille). On a de lui quelques lettres adressées à son petit-fils André. Jean-Marie Brusson est mort le 3 juillet 1916.
*Rémy Cazals, « Lettres du temps de guerre » dans le livre collectif du CAUE de la Haute-Garonne, La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, Loubatières, 1993, p. 70-128, illustrations.

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Brusson, Antonin (1865-1940)

Dans les papiers de l’entreprise de pâtes alimentaires Brusson Jeune, de Villemur-sur-Tarn, aujourd’hui déposés aux Archives de la Haute-Garonne, figurent des dossiers contenant une correspondance de 1914-18 : 137 lettres ou cartes postales adressées au patron (Monsieur Antonin) par le personnel sous les drapeaux ; 239 lettres écrites à sa famille par le fils d’Antonin, André, mobilisé (voir la notice Brusson André) ; et les lettres écrites à André par Antonin et les autres membres de la famille. C’est la guerre, crise et séparation, qui a fait naître une telle documentation, textes qui se recoupent, se répondent et révèlent rapports de fidélité et de confiance, conflits larvés et explosions.
Lettres d’ouvriers
Les lettres envoyées au patron par les ouvriers témoignent de fidélité et de fierté d’appartenir à une entreprise dont la production renommée est appréciée jusque sur le front. Ainsi un salarié mobilisé comme infirmier : « De la guerre, je vous adresse avec mon bon souvenir mes respectueuses salutations. Je me félicite d’avoir eu à préparer un macaroni de notre maison pour MM les médecins de la 2e ambulance de la 38e Division, tous méridionaux. Le produit parfait a été très apprécié. » Plusieurs demandent à « Monsieur Antonin » de donner du travail (donc du pain) à leur femme et aux familles de Villemur. Antonin Brusson fait distribuer des mandats par un cadre, lui-même mobilisé comme sous-officier (Jacques de Saint-Victor, voir ce nom). Le contenu des lettres au patron passe de l’exaltation du début à l’expression d’un malaise. Les soldats n’écrivent plus « maudite race » à propos des Allemands, mais « maudite guerre », alors qu’ils connaissent les sentiments patriotiques des Brusson. En décembre 1914, Alexandre Beauvais (voir ce nom) écrit que les souffrances sont telles qu’il a souhaité la mort. Bien d’autres expriment des sentiments identiques. François Vacquié (voir ce nom), en remerciant pour le mandat de 10 francs et en décrivant sa situation dans la boue et sous la pluie, ajoute : « Mais ne faites jamais savoir à ma femme que je suis ici dans un si mauvais état » (27 décembre 1914). Certains demandent à être rappelés à l’usine ou sollicitent un piston pour passer dans l’aviation. Ce qui a été fait pour André, le fils d’Antonin.
La vie à Villemur-sur-Tarn
Les lettres adressées au soldat décrivent les difficultés de la production industrielle, les pénuries de matières premières et de moyens de transport terrestres qui nécessitent de relancer la navigation sur le Tarn. On manque aussi de personnel qualifié, ce qui conduit Antonin Brusson à confier des travaux de comptabilité à son épouse Gabrielle Rous (voir ce nom).
Le manque de personnel touche aussi les exploitations agricoles des Brusson. « Cette année-ci [1915], nous serons tous très malheureux », écrit le grand-père Jean-Marie en évoquant les mauvaises moissons et les décevantes vendanges. « Papa a acheté une espèce de grosse machine, ressemblant à un tank, pour labourer », écrit Jeanne Brusson, fille d’Antonin, en juillet 1917. Et cela ne suffit pas : « Je souhaite qu’on fasse beaucoup de prisonniers pour que Papa puisse avoir les dix ou vingt qu’il désirerait en ce moment et qu’on lui refuse. » Lorsqu’on les lui accorde, les gens admirent leur rendement au travail.
Rémy Cazals
*Rémy Cazals, « Lettres du temps de guerre » dans le livre collectif du CAUE de la Haute-Garonne, La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, Loubatières, 1993, p. 70-128, illustrations.

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Brusson, André (1893-1984)

Dans les papiers de l’entreprise de pâtes alimentaires Brusson Jeune, de Villemur-sur-Tarn, aujourd’hui déposés aux Archives de la Haute-Garonne, figurent des dossiers contenant une correspondance de 1914-18 : 137 lettres ou cartes adressées au patron par le personnel sous les drapeaux ; 239 lettres écrites à sa famille par André Brusson mobilisé ; 140 lettres écrites à André par son grand-père Jean-Marie, son père Antonin, sa mère Gabrielle Rous et ses sœurs Jeanne et Marie-Louise. Le fonds contient également 163 négatifs de photos prises par André. C’est la guerre, crise et séparation, qui a fait naître une telle documentation, textes qui se recoupent, se répondent et révèlent rapports de fidélité et de confiance, conflits larvés et explosions. Voir les autres notices Brusson et celle de Gabrielle Rous.
Un fils de famille
La guerre d’André Brusson n’est pas tout à fait la même que celle de la plupart des ouvriers de l’usine. Il est mobilisé dans la cavalerie, au 10e Dragons de Montauban où il devient brigadier. Montant vers le front en avril 1915, il fait d’abord un séjour agréable à Maisons-Laffitte, puis arrive en mai dans un secteur calme, en Champagne, où les travailleurs des deux camps aménagent leurs tranchées en pleine vue de l’ennemi, sans se tirer dessus. Il y connaît toutefois la boue, l’humidité et le froid aux pieds, et, dans le commandement, ce qu’il résume en « Insouciance, Incompétence, Désordre ». Contrairement à ce que croient ses parents, les soldats ne sont ni religieux, ni enthousiastes. Il reçoit de nombreux colis : 13 entre le 8 janvier et le 4 février 1916. Il ne rate pas une occasion de revenir à Villemur et suggère même à son père de lui faire obtenir une permission de vendanges en septembre 1916, tandis que ses parents l’en dissuadent : « Nous avons souvent pensé à toi et nous sommes au regret de n’avoir pas osé te faire obtenir cette permission tant désirée. Tout Villemur aurait jeté les hauts cris et nous aurait peut-être aussi plus tard lancé des pierres à toi et à nous. Il faut penser à l’avenir, aux révolutions futures qui pourraient arriver ou pourront arriver après cette affreuse guerre. »
En octobre 1916, pistonné par un général ami de la famille, André entre dans l’aviation. Il commence par un long séjour à Étampes où il apprend à piloter, période entrecoupée d’excursions en auto avec le fils Dubonnet, et de coûteuses virées à Paris. En décembre 1917, il est surpris deux fois de suite en permission irrégulière et, puni, il est envoyé au 81e d’artillerie lourde en février 1918. Il n’y reste que quelques jours car il se porte aussitôt volontaire pour les tanks, ce qui implique une nouvelle phase d’apprentissage, à Orléans cette fois. Il approche du front en septembre, nommé maréchal des logis, et participe à une attaque à la fin du mois. En octobre, de repos à Paris, il apprend l’armistice avant toute nouvelle attaque. Les besoins d’argent restent pressants, surtout en occupation d’une tête de pont sur la rive droite du Rhin. Mais il faut aussi songer aux choses sérieuses : « Que tu ailles dans le Palatinat ou ailleurs, lui écrit son père, il s’agira de glaner, soit en industrie, soit en agriculture, tout ce qui te paraîtra intéressant, sans oublier le perfectionnement de la langue, à toi d’en profiter. »
Rémy Cazals
*Rémy Cazals, « Lettres du temps de guerre » dans le livre collectif du CAUE de la Haute-Garonne, La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, Loubatières, 1993, p. 70-128, illustrations.

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Brusson, Gabrielle (1873-1963)

Née Gabrielle Rous. Épouse d’Antonin Brusson, patron de l’entreprise de pâtes alimentaires Brusson Jeune de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) ; elle a trois enfants, André qui est mobilisé et à qui elle écrit, Jeanne et Marie-Louise (voir les notices Brusson).
Pendant la guerre, on manque de personnel qualifié, et la femme d’Antonin doit s’improviser caissière à la rentrée des vacances d’été de 1916 : « Quand on revient ici, on rentre dans la fournaise ; adieu les moments de liberté et de farniente. Il faut toujours songer à la lutte pour la vie, aux affaires, aux ennuis de toutes sortes qui surgissent de partout. Dès le lendemain de notre arrivée, j’ai été convoquée à remplacer M. Gourdou à la caisse. » Un peu plus tard, elle ajoute : « Aujourd’hui, c’était jour de quinzaine. Près de dix mille francs de monnaie me sont passés entre les doigts, et je t’assure que la tâche n’est pas commode avec ces horribles billets de 1 franc et de 0,50, sales et dégoûtants, ainsi que ces tickets de carton qui remplacent la monnaie de billon. Je suis très satisfaite parce que ma caisse tous les soirs est juste. J’aime assez mon nouveau métier, mais il absorbe tous mes instants. Je te dirai que je signe maintenant par procuration ; ton Père m’a donné cette marque de confiance que je ferai tous mes efforts pour conserver et accroître constamment. »
Dans une lettre du 27 mars 1917, c’est-à-dire avant le grand mouvement d’indiscipline dans l’armée, Gabrielle décrit à son fils « la mutinerie des ouvrières » : « Elles ont passé toute la semaine chez elles, essayant de comploter et d’amener la grève générale, ce à quoi elles n’ont pas réussi. Mercredi matin, à l’arrivée du train de Bessières, tout le groupe était à la gare pour attendre les ouvrières, les interpeller et chercher querelle et bataille. Mais un seul gendarme, qui s’était rendu là tout exprès, a suffi pour les tenir en respect. L’une d’elles a essayé de lui tenir tête, il l’a menacée de la prison, cela a servi de leçon. Tout est rentré dans le calme. Elles comptaient sur le maire pour se faire donner raison. Il n’est arrivé de Montauban que vendredi. Une grande réunion a eu lieu à la mairie, après laquelle M. Ourgaud est venu rendre compte à ton Père, essayer de le fléchir pour obtenir quelque chose et lui demander de bien vouloir se rendre à la mairie pour discuter avec ces fortes têtes. Mais ton Père a refusé carrément de s’y rendre et n’a fait que de très légères concessions qu’il a autorisé le maire à leur soumettre. Sur ce, elles sont toutes rentrées lundi matin sans tambour ni trompette et, dans les ateliers où je me suis rendue deux fois, elles sont silencieuses et ne lèvent pas les yeux de sur leur travail, au moins pendant ma présence. Je crois qu’elles auront eu une bonne leçon et qui leur servira. Une semaine de chômage à cette époque n’est pas désirable. […] Maintenant, tout a repris le cours normal ; l’usine donne son plein. »
Rémy Cazals
*Rémy Cazals, « Lettres du temps de guerre » dans le livre collectif du CAUE de la Haute-Garonne, La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, Loubatières, 1993, p. 70-128, illustrations. Photo de Gabrielle Rous et de ses deux filles dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 102.

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