Darnet, Paul (1888-1973)

1. Le témoin

Paul Darnet et sa famille

Paul Darnet et sa famille

Paul Auguste Darnet, né le 31 janvier 1888 à Saint-Simon (Aisne), est sculpteur sur bois avant son service militaire, qu’il effectue dans diverses unités d’artillerie (6ème batterie du 18ème bataillon d’artillerie à pied, 3ème puis 6ème Régiment d’Artillerie à Pied au fort Saint-Michel à Toul) du 8 octobre 1909 au 25 septembre 1911. De retour dans la vie civile, il entre chez Michelin et épouse en 1912 une sténodactylo, Berthe Richard, avec laquelle il aura une fille, Paulette, née à la veille de la guerre et qui décèdera de la grippe espagnole 19 septembre 1918 (Paul n’obtiendra d’ailleurs une permission que 5 jours après l’enterrement). A la déclaration de guerre, il est remobilisé au 6ème RAP (43ème batterie puis 27ème batterie) à Toul puis au 3ème RAP en mars 1917. Il change de calibre le 1er août suivant et passe au 73ème Régiment d’ALGP. Il sera successivement brigadier puis maréchal-des-logis (21 juin 1915) et y participera à toutes les batailles de ces unités. Gazé deux fois (le 22 mai 1916 au ravin d’Assevillers (Somme), ce qui l’éloignera du front jusqu’en octobre 1916, en ayant avoué à son épouse une congestion pulmonaire, puis à Verdun en 1917), commotionné (au ravin de Cuissy-et-Gény sur le Chemin des Dames), il est démobilisé le 20 juillet 1919. Ses derniers mois de guerre sont passés en Champagne et en Lorraine à la réfection de la voie ferrée Laon-Reims et à divers travaux d’entretien. Demeurant Paris, et ayant exercé différents métiers après-guerre, dont celui de clerc de notaire, il aura finalement deux garçons et une fille. Il décède quelques années avant son épouse, devenue aveugle, en 1973. C’est sa petite-fille, de formation artistique, qui, ayant retrouvé 579 lettres et 169 cartes (de Paul uniquement, sauf une carte de Berthe écrite le 25 février 1919) dans une boîte en carton (avec un manque toutefois de courriers écrits de janvier à octobre 1917), qui en a décidé la publication dans un ouvrage très esthétique, jouant avec la graphie de ce corpus pour en extraire la « palette des sentiments » qu’il contient.

2. Le témoignage

Couverture de l'ouvrage

Boumendil, Sylvia, Ma petite femme adorée. lettres de mon grand-père, 1914-1919. Paris, éditions Alternatives, 2002, non paginé, (174 pages).

Paul Darnet rejoint son unité au fort de Villey-le-Sec (sud-est de Toul en Meurthe-et-Moselle) en partant de Paris, y laissant Berthe et Paulette, le 4 août 1914. Il y construit de nouvelles batteries destinées à recevoir des pièces de siège. Ses premiers jours de guerre ne sont pas belliqueux ; il est bien logé, couche dans la paille et décrète que « la chose essentielle c’est de corriger l’Allemagne, et ensuite je pense que nous vivrons tranquillement en paix ». Le 8 novembre, il estime toujours une guerre courte contre le « boche ». Le 1er janvier 1915, il est « désigné pour former avec 175 hommes une batterie lourde mobile » à Toul avec les nouvelles pièces de 105 mm. Il rassure son épouse sur ce nouvel poste : « Tu vois qu’il n’est pas très dangereux d’être artilleur, et d’ailleurs, j’ai toujours confiance en mon étoile qui a toujours su m’épargner, donc pas de mauvais sang pour cela ». C’est pourtant avec cette formation qu’il dit recevoir le baptême du feu : « Je n’ai pas été émotionné plus que ça. Je t’assure qu’on se fait très bien à ce vacarme ». Pourtant il finit par lâcher, le 18 novembre 1916 : « Ce n’est pas pour me faire plaindre mais je veux te dire la vérité et je crois que l’on ne peut reprocher le manque de courage ou autrement dit la lâcheté à un homme qui marche depuis le 3 août 1914. En résumé, les cochons sont mieux traités dans une ferme ». Au sortir de Verdun, il témoignage sa satisfaction d’en être sorti vivant : « Voici tout de même un calvaire de franchi et j’en suis soulagé. Sortir du ravin de la mort sans une égratignure c’est une satisfaction. Il est vrai que je n’ai pas encore la croix de guerre, mais puisque je n’ai pas la croix de bois, c’est l’essentiel ». Il s’épanche à nouveau le 25 octobre 1917 : « … Aujourd’hui, je me suis fait porter malade et je suis exempt de service pendant deux jours mais ce n’est pas mon affaire et je voudrais être envoyé à l’hôpital, j’ai tant envie des vingt jours à passer chez nous, seulement l’ennui c’est que je n’ai pas de fièvre, il me faudrait un petit 38,5° et ça y serait. C’est vraiment intéressant quand on sait que l’on a rien de grave. J’en ai tellement par dessus la tête de ce métier. Je crois bien que j’en suis dégoûté pour toujours puisque même à l’arrière je ne puis plus le souffrir. Oui, c’est vrai que je m’ennuie de ma nénette. Quand je pense qu’elle aura 4 ans dans un mois et que je l’ai quittée à 8 mois, ça me révolte… » Et enfin, le 7 février 1918 : « Mais il est certain en tous cas que cette fin est bien longue à venir et que j’ai un dégoût de cette vie tellement grand que je demande la fin à tout prix… ». Mais la guerre qui dure est n’est pas seulement difficile pour l’artilleur ; le 26 octobre 1918, il écrit : « C’est vrai, ma Bézerbe, que le sort a été trop cruel envers nous mais c’est être cruel envers moi que de te désespérer à ce point et de penser un seul instant à mourir et à me laisser seul… ». A plusieurs reprises en effet, on sent aux réponses de Paul la tendance neurasthénique de Berthe, bien entendu compréhensible surtout après la mort de sa fille. S’il trouve quant à lui un secours moral dans la religion catholique, il précise toutefois à sa femme, le 2 novembre 1918 : « Ne crois pas pour cela mon Bésicot que je sois tombé dans le mysticisme, non, mais je crois que dans la tristesse on sent toujours le besoin d’entendre parler de choses spirituelles, de choses que l’on ne se sent pas capable de définir, qui sortent du naturel… ». La paix retrouvée ne change rien à son état d’esprit ; le 28 décembre, il dit : « Je voudrais bien être plus vieux de huit jours. C’est incroyable ce que l’on demande à vieillir, réellement, cette vie me dégoûte, peut-être davantage encore depuis le 11 novembre. Quand on voit à quoi l’on est utile… ». En effet il tempête encore le 10 avril 1919 contre une libération qui n’arrive pas : « Ici, c’est toujours la même vie terne, il y a de quoi mourir d’ennui et il faut se retenir à quatre pour ne pas tout envoyer promener ». La dernière lettre reproduite, le 17 juillet 1919, écrite au camp de Mailly (Aube), évoque la construction en cours de sa maison avec Berthe et son retour prochain ; la vie continue et Paul va reprendre sa place au foyer.

3.Analyse

Sylvia Boumendil, artiste, petite fille de Paul Darnet, a publié dans ce beau livre un ouvrage testimonial graphique. Aussi, ces extraits de la correspondance de Paul et de Berthe ne forment qu’une effleure d’un corpus de 748 correspondances d’un artilleur, de formation ouvrière, catholique, avec une culture politique manifeste et très aimant de son épouse. A la lecture de ces extraits finalement ténus, l’historien regrette immédiatement le parti pris d’un ouvrage certes à haute valeur graphique ajoutée, mais qui le prive d’une matière susceptible d’enrichir la littérature testimoniale des artilleurs de forteresse (au début de la guerre, avec son inaction en pleine bataille des frontières), puis d’un artilleur à pied, et enfin d’un artilleur de la « lourde ». Ce même si elle apparaît ne pas se démarquer des codes de la correspondance de guerre, Paul Darnet pratiquant, comme quasi tous les poilus, l’autocensure commune (cf. Woëvre le 8 mars 1915 : « Il ne faut pas que Juliette se frappe autant, après tout les tranchées ne sont pas un enfer et la saison surtout est plutôt à craindre que les boches »), y compris sur ses blessures (il dénonce le 15 août 1916 des « troubles cardio-rénaux sans fièvre » puis le 3 septembre une « petite congestion pulmonaire » alors qu’il a été gravement gazé puisqu’absent près de 6 mois de sa batterie), il donne toutefois quelques informations pratiques sur sa condition et son expérience de guerre. L’ouvrage témoigne aussi de l’amour d’un couple dans une correspondance très affective et protectrice. Mais pas seulement ; une lettre du 13 octobre 1917 est éclairante sur le manque qui pèse : « Maintenant, au sujet de la permission pour Troyes, il est probable qu’il te serait impossible d’y aller la semaine. Tu peux donc écrire et retenir pour samedi 20 courant. Nous pourrons passer une bonne nuit et une bonne journée. J’arriverai par un train passant par Troyes vers 10 h. Mais je crois qu’il ne faudra pas s’attendre sur le quai de la gare, le premier arrivé se rendra au dodo tout de suite, dis ma petite maîtresse chérie ? » [souligné dans l’édition]. Dès lors, par ces « échantillons » de grand intérêt supposé, il n’est qu’à aspirer à ce que l’ensemble de ce matériau soit publié. L’ouvrage est abondamment illustré, mais de traitements graphiques d’éléments iconographiques des cartes de correspondance. A noter les différents sobriquets affectueux donnés par Paul à Berthe (Loulou, poulet, Bésicot, Bello ou Bézerbe) et à sa fille (Fanfine). Les extraits de cette correspondance choisis sur le seul critère da la diversité des sentiments, ne permettent en effet pas d’en évaluer correctement la profondeur (par exemple la mort tragique de sa fille en septembre 1918, qui éclaire l’historien sur la question du deuil personnel au sein des deuils de guerre). De même, l’absence de présentation des personnages cités çà et là, comme son père par exemple, est préjudiciable à l’analyse du témoin. L’ouvrage est enrichi de documents annexes (extrait de sa fiche matricule, décorations et une citation), qui finalement répondent au parcours militaire, quasi absent de la présentation par Sylvia Boumendil, et un portrait de la famille en 1917.

Yann Prouillet, mars 2017

Share

Bernard, Auguste

Auguste Bernard est mal connu. Alsacien, il est originaire de Saint-Jean, près de Saverne (aujourd’hui dans le Bas-Rhin). Dans des circonstances et à une date que nous ignorons, il a choisi la France et a combattu dans l’artillerie, comme simple soldat semble-t-il. Tout renseignement biographique qui pourrait nous parvenir sera bienvenu.
Son témoignage comprend une cinquantaine de courtes lettres ou de cartes postales envoyées à Marie-Louise Puech (voir ce nom dans notre dictionnaire) qui joua le rôle de marraine de guerre pour plusieurs soldats du front ou prisonniers en Allemagne. Texte en allemand. Une lettre de Marie-Louise Puech qui figure dans le fonds est rédigée en allemand parfait. Marie-Louise avait elle-même une ascendance alsacienne ; elle avait fait un séjour en Allemagne et avait obtenu à la Sorbonne une licence d’allemand. Les parents d’Auguste étant restés en Alsace, Marie-Louise et son mari lui ont servi de parents de substitution, lui envoyant de l’argent, des colis, un soutien psychologique, et l’accueillant à Paris lors de certaines permissions. Les lettres sont conservées aux Archives départementales du Tarn dans le fonds Puech.
Les lettres manuscrites étant en allemand, en caractères gothiques, il a fallu les compétences d’une spécialiste pour les déchiffrer. C’est Françoise Knopper qui en a tiré l’article « Un épistolier alsacien dans la Grande Guerre », paru dans la revue Cahiers d’études germaniques, n° 71 (2016), p. 159-169.
Les lettres (1917-1918) donnent et demandent des nouvelles de la santé et apportent peu d’informations sur la guerre, en dehors de celle du 13 août 1918 dans laquelle Auguste annonce qu’il a échappé à la mort qui a frappé de nombreux camarades. L’article de Françoise Knopper contient une analyse de l’écriture, du vocabulaire, du style d’Auguste Bernard sur lequel, encore une fois, on aimerait disposer de plus d’informations.
Rémy Cazals, février 2017

Share

Barjavel, Joseph (1889-1915)

Le témoin
Joseph Ferdinand Barjavel est né à Forcalquier le 18 février 1889. Famille paternelle de cultivateurs de la vallée du Jabron ; famille maternelle d’artisans et boutiquiers de la région de Forcalquier. Ecole primaire ; non titulaire du certificat d’études. Apprenti puis ouvrier boucher à Forcalquier puis à Aix-en-Provence. Service militaire au 23e bataillon de chasseurs alpins à Grasse. Sergent en avril 1913. Catholique (messe, prière à la Sainte Vierge, image du Sacré Cœur cousue dans son vêtement). Célibataire lors du départ en 1914.
Il arrive le 14 août dans la région de Nancy ; baptême du feu le 19 ; fortes pertes le 20 ; Joseph est blessé le 26 et évacué sur Antibes. Retour dans les Vosges le 13 janvier 1915, dans le froid, sous la neige, mais dans un paysage splendide. Tué lors d’une attaque, secteur de Metzeral, le 15 juin 1915.
Le témoignage
Son témoignage est constitué par une soixantaine de lettres adressées à sa famille et par un bref carnet de route. Il dit souvent qu’il écrit tous les jours, mais il y a des périodes parfois assez longues sans lettre (disparitions ?). Il demande l’envoi assez fréquent de petits colis car on ne trouve rien dans la montagne. Une fois, il écrit qu’il aurait bien des choses à dire, mais qu’il s’exprimera de vive voix. « Ne vous inquiétez pas, ayez courage », répète-t-il à sa famille dont il a plaisir à lire les courriers. Il note avec tristesse que Forcalquier compte de nombreux morts. Il souhaite recevoir le journal Le Bas-Alpin où il retrouve sa ville.
Catholique, patriote, il note qu’il faut combattre « les Prussiens », ennemis héréditaires, qu’il désire la victoire, que le 23e BCA se couvre de gloire, qu’il faut écraser la horde barbare. Cependant, le 20 janvier 1915, il demande : « Quand aura-t-elle fini cette triste guerre ? » et : « Priez bien surtout afin que Dieu fasse cesser ce fléau si terrible. » Il est impossible de dire de quel côté il aurait évolué.
Quelques aspects du contenu
– 16 août 1914 : des Français tirent par erreur sur d’autres Français
– 2 janvier 1915 : description détaillée du contenu du sac
– janvier 1915 : les Vosges, eau de vie excellente, traineaux sur les chemins gelés, couche de neige telle qu’il n’en avait jamais vue
– 28 janvier en Alsace : familles dont les hommes sont soldats allemands, pays où on ne parle que l’allemand [peut-être l’alsacien ?]
– février : exécution d’un soldat, triste cérémonie
– 31 mars : un commandant bon père de famille
– 2 mai : souhait de ne pas recommencer une campagne d’hiver
Ces deux derniers thèmes sont bien représentés dans les témoignages de combattants français, comme le montrent les témoignages analysés dans ce dictionnaire et dans le livre 500 Témoins de la Grande Guerre.
Le livre
Joseph Barjavel, De Forcalquier à Metzeral, carnet et lettres d’un chasseur alpin (1914-1915), présentés et annotés par Emmanuel Jeantet, Forcalquier, C’est-à-dire éditions, 2016, 236 pages. Dans ce livre, le témoignage proprement dit de Joseph Barjavel occupe une place réduite. Il est accompagné de nombreuses photos de Forcalquier au début du XXe siècle, de photos en rapport avec le 23e BCA, de la présentation du monument aux morts de Forcalquier, d’un texte sur « Forcalquier à l’épreuve de la guerre », d’un autre sur « Le 23e BCA au feu », etc. L’attaque au cours de laquelle est mort le sergent Barjavel est racontée par le soldat Jean Pouzoulet dont le témoignage est conservé aux Archives départementales de l’Hérault, cote 172 J 4.
Rémy Cazals, janvier 2017

Share

Baracca, Francesco (1888-1918)

Nos amis Irene Guerrini et Marco Pluviano nous ont envoyé cette notice. Nous en donnons le texte original en italien, afin de marquer le caractère international de ce dictionnaire. Il est suivi de la traduction.

Francesco Baracca nasce a Lugo di Romagna, importante centro agricolo e commerciale della provincia di Ravenna, il 9 maggio 1888, in una delle principali famiglie della città. Il padre, Enrico, è un ricco possidente terriero. E’un massone, ed è molto ben inserito nella élite di un’area che travalica Lugo, per comprendere anche altri importanti centri agricoli vicini: un territorio florido ma attraversato da forti contrasti politici e sociali, la cui agricoltura si sta modernizzando. La madre, Paola appartiene ad una famiglia dell’aristocrazia provinciale, i conti Biancoli e, al contrario del marito, è molto religiosa.
Francesco frequenta il liceo a Firenze, per poi iscriversi all’Accademia militare di Modena. La sua scelta non rientra nelle tradizioni di famiglia, e infatti il padre dapprima non la approva: avrebbe preferito che si dedicasse all’amministrazione della prospera azienda di famiglia. Francesco alla fine ottiene il suo consenso, anche grazie al sostegno materno, e inizia i corsi all’Accademia nell’autunno 1907, per diplomarsi nell’estate del 1909. Dopo aver frequentato il corso annuale presso la Scuola di applicazione di cavalleria, nel luglio 1910 viene nominato sottotenente di uno dei reparti di maggior prestigio, il 2° Reggimento di Cavalleria Piemonte Reale. Per due anni divide il proprio tempo tra i doveri militari, la passione per l’equitazione, e la vita brillante di Roma, dove è di guarnigione. La svolta nella vita, personale e militare, giungerà nel 1912 quando, forse ispirato dalle imprese degli aviatori italiani in Libia (molti dei quali erano cavaleggeri), o forse dalla più generale passione per i motori e la tecnologia che pervade quegli anni, chiede di partecipare ai corsi per ottenere il brevetto da aviatore. E a inizio maggio 1912 giunge in Francia, a Reims, presso la scuola di volo del costruttore aeronautico Hanriot dove, il 9 luglio, otterrà il brevetto numero 1.037.
Tornato in Italia vivrà le oscillanti vicende dei primi reparti di aviazione, dei quali l’Esercito non ha ancora deciso che uso fare. Al termine dei lunghi mesi di incertezza e tensione della neutralità italiana, verrà ancora una volta inviato in Francia per addestrarsi sui nuovi aerei che saranno forniti all’Italia. Giungerà a Parigi il 23 maggio (il giorno precedente la dichiarazione di guerra italiana all’Austria-Ungheria), e nelle lettere al padre descriverà con passione la vita dei reparti aeronautici combattenti e gli scontri a cui ha occasione di assistere.
Baracca tornerà in patria alla fine di luglio, e inizierà per lui la guerra aviatoria come pilota da caccia. Un’esperienza che dapprima non è entusiasmante, ed è anzi spesso frustrante: nessun duello, nessuna delle acrobazie a cui aveva assistito in Francia, solo routine e inferiorità tecnica rispetto al nemico. Deve aspettare il 7 aprile 1916 per ottenere la prima vittoria, alla quale ne seguiranno altre trentatre, che lo renderanno il pilota italiano della Grande Guerra con il maggior numero di vittorie, così da essere soprannominato Asso degli assi. Sopravvissuto al disastro di Caporetto, verrà ucciso il 19 giugno 1918 durante un volo di mitragliamento di truppe nemiche sul Montello durante l’Offensiva del Solstizio austriaca.
La vita di Baracca fu complessa, e non facilmente inquadrabile: amante della bella vita, delle donne, del teatro d’opera, del ballo, ma anche soldato serio, preciso e coscienzioso; coraggioso ma poco incline a comportamenti spericolati. Amante della tecnica e della tecnologia, ma anche del coraggio e dell’ardimento e di valori tradizionali quali quelli della cavalleria. Estremamente affezionato alla madre, ma desideroso di condurre una vita autonoma, tanto da non accennarle mai a nessuna delle sue numerose relazioni amorose, e da indirizzare principalmente al padre le lettere dalla Francia durante i due periodi di addestramento.
Tutte queste caratteristiche di Francesco Baracca emergono dal suo epistolario, a cui si deve aggiungere un diario che copre il periodo 21 agosto 1915 – 11 aprile 1916. Le lettere note sono ben più di un centinaio, e vanno dagli anni del liceo ai giorni precedenti la morte. La grande maggioranza sono destinate alla madre, e una più piccola aliquota al padre; è però certo che Francesco scrisse con grande frequenza anche ad amici, fidanzate e amanti, conoscenti di entrambi i sessi. Infatti, nelle lettere che questi gli indirizzarono vi sono frequenti riferimenti alle sue missive. La presenza sovrabbondante delle lettere ai genitori è dovuta a due ragioni: da un lato, il legame forte e moderno (usavano il tu e non il voi) che univa madre e figlio, e una certa complicità maschile che lo legava al padre; dall’altro il fatto che la famiglia ha trasformato le lettere del figlio in una sorta di memoriale, donandole alla Biblioteca Comunale di Lugo “F. Trisi”, ed al Museo del Risorgimento di Milano e, in minor misura, anche alla 91ª Squadriglia da caccia, il reparto che comandava.
Egli fu dunque un corrispondente attento, che utilizzava le lettere per mantenere vivi i rapporti interpersonali di tutti i tipi, ma anche per trasmettere la propria visione della guerra e, prima, della vita militare. Durante il conflitto, poi, le lettere serviranno anche a trasmettere alla madre, e tramite lei ad un assai più ampio uditorio, l’immagine di sé che gli aviatori iniziavano a costruire. Non sono infrequenti le lamentele contro la scarsa considerazione nella quale sarebbero tenuti gli aviatori e ancor più, nella prima fase del conflitto, contro la cattiva organizzazione dei singoli reparti e della specialità aviatoria nel suo complesso. Ma quella che emerge con vigore dalle lettere è la descrizione dell’esperienza del volo e del combattimento, anche con attenzione alla percezione che di essi ha chi è a terra. Ad esempio, riferendosi alla sua vittoria dell’11 febbraio 1917, scrive alla madre: “Immagina quale spettacolo hanno veduto da terra tutta Udine e decine di migliaia di persone! Quattro o cinque apparecchi a 150, 170 chilometri all’ora, a poche decine di metri gli uni dagli altri, fra il fuoco delle mitragliatrici”.
Francesco Baracca è quindi, attraverso le sue lettere, il testimone italiano più attento di un tipo di guerra completamente nuova: quella aerea. Con la sua scrittura formalmente corretta, priva di voli pindarici e dei facili eroismi che popolano le lettere di tanti giovani ufficiali, riesce a rendere la difficoltà del volo e la sua pericolosità nonostante l’autocensura che applica alle situazioni più pericolose per moderare l’apprensione materna.
Le lettere di Baracca sono quindi atipiche nel contesto dei giovani ufficiali: nonostante l’età dello scrivente, che morirà a 30 anni appena compiuti, sembrano inviate da un uomo maturo che abbina ad un forte patriottismo e a un’accettazione convinta del conflitto, la coscienza della sua durezza e ferocia.
Alcune lettere di Baracca o parti di esse sono state utilizzate in volumi a lui dedicati, a partire dagli anni Venti del Novecento. Anche nel nostro volume “Francesco Baracca una vita al volo. Guerra e privato di un mito dell’aviazione” (Udine, 2000), abbiamo utilizzato largamente la sua corrispondenza e il diario.
Irene Guerrini et Marco Pluviano, septembre 2016

Traduction :
Francesco Baracca est né le 9 mai 1888 à Lugo di Romagna, important centre agricole et commercial de la province de Ravenne, dans une des familles principales de la ville. Son père, Enrico, est un riche propriétaire terrien. Il est franc-maçon et très bien inséré dans l’élite du territoire qui, en plus de Lugo, comprend d’autres importants centres agricoles voisins : une région florissante mais traversée de forts contrastes politiques et sociaux, dont l’agriculture est en pleine modernisation. La mère, Paola, appartient à une famille de l’aristocratie de la province, celle des comtes Biancoli, et, au contraire de son mari, elle est très portée sur la religion.
Francesco fréquente le lycée à Florence, puis s’inscrit à l’Académie militaire de Modène. Ce choix ne correspond pas aux traditions familiales et son père, d’abord, ne l’approuve pas : il aurait préféré qu’il se consacre à la gestion de la prospère exploitation familiale. Francesco obtient enfin son consentement, grâce aussi au soutien de sa mère. Il commence ses cours à l’Académie à l’automne 1907 et en sort diplômé en été 1909. Après un an de cours à l’Ecole d’application de la cavalerie, il est nommé sous-lieutenant en juillet 1910 dans une des unités de plus grand prestige, le 2e régiment de cavalerie Piemonte Reale. Pendant deux ans, il partage son temps entre ses devoirs militaires, sa passion pour l’équitation et la vie brillante de Rome où il est en garnison. Le tournant de sa vie personnelle et militaire se produit en 1912 quand, peut-être inspiré par l’action des aviateurs italiens en Libye (plusieurs d’entre eux sont des cavaliers), ou par la passion plus générale pour les moteurs et la technologie qui marque ces années-là, il choisit de suivre les cours pour obtenir le brevet de pilote. Au début de mai 1912, en France, à Reims, il rejoint l’école de pilotage du constructeur aéronautique Hanriot où, le 9 juillet, il obtient le brevet n° 1037. De retour en Italie, il constate les tergiversations de l’Armée quant aux premières unités aériennes : elle n’avait pas décidé de l’usage qu’elle allait en faire. Au bout des longs mois d’incertitude et de tension durant la période de neutralité de l’Italie, il est encore une fois envoyé en France pour s’entrainer sur les nouveaux avions qui seraient fournis à l’Italie. Il arrive à Paris le 23 mai (le jour précédant la déclaration de guerre de l’Italie à l’Autriche-Hongrie) et, dans de nombreuses lettres à son père, il décrit avec passion la vie des unités aériennes combattantes et les affrontements auxquels il a eu l’occasion d’assister.
Baracca revient dans sa patrie à la fin de juillet 1915, et commence pour lui la guerre dans l’aviation comme pilote de chasse. C’est une expérience qui, au début, n’est pas enthousiasmante, mais souvent frustrante : aucun duel, aucune des acrobaties auxquelles il avait assisté en France, seulement la routine et l’infériorité technique par rapport à l’ennemi. Il doit attendre le 7 avril 1916 pour obtenir sa première victoire, à laquelle vont succéder trente-trois autres qui ont fait de lui le pilote italien de la Première Guerre mondiale avec le plus de victoires, l’As des As. Après le désastre de Caporetto, il est tué le 19 juin 1918 au cours d’un vol de mitraillage des troupes ennemies sur le Montello, pendant l’offensive autrichienne dite du Solstice.
La vie de Baracca est complexe et difficile à glisser dans un cadre: amant de la belle vie, des femmes, de l’opéra, du bal, mais aussi soldat sérieux, précis et consciencieux, courageux mais peu enclin à des comportements inutilement périlleux. Passionné par la technique et la technologie, courageux, il était marqué par les valeurs traditionnelles telles que celles de la cavalerie. Plein d’affection pour sa mère, il était cependant désireux de mener une vie autonome jusqu’à ne parler à personne de ses nombreuses relations amoureuses, et il adressa de préférence à son père les lettres de France pendant ses deux périodes d’entrainement.
Toutes ces caractéristiques de Francesco Baracca apparaissent dans sa correspondance, à laquelle il faut ajouter un journal personnel qui couvre la période du 21 août 1915 au 11 avril 1916. Il y a bien plus d’une centaine de lettres qui vont des années de lycée jusqu’aux jours précédant sa mort. La grande majorité sont adressées à sa mère et une plus petite quantité à son père, mais il est certain que Francesco écrivait très fréquemment aussi à ses amis des deux sexes, à ses fiancées et amantes. En effet, dans les lettres qu’ils lui envoyaient, se trouvent de fréquentes références à son propre courrier. La présence surabondante des lettres à ses parents est due à deux raisons : d’un côté, le lien fort et moderne (usage du “tu” et non du “vous”) qui unissait la mère et le fils, et une certaine complicité masculine qui le reliait à son père ; de l’autre, le fait que la famille a transformé les lettres du fils en une sorte de mémorial confié à la bibliothèque municiple F. Trisi de Lugo, et au musée du Risorgimento de Milan, et, dans une moindre mesure à la 91e escadrille de chasse, l’unité que Francesco commandait.
Il fut donc un correspondant attentif qui utilisait sa correspondance pour maintenir vivants les rapports interpersonnels de toute sorte, mais aussi pour faire connaitre sa propre vision de la guerre, et d’abord de la vie militaire. Pendant le conflit, les lettres servaient aussi à transmettre à sa mère et, par son intermédiaire, à un auditoire beaucoup plus large, l’image de soi que les aviateurs commençaient à façonner. Ses lamentations portaient sur la considération péjorative dans laquelle étaient tenus les aviateurs et, encore plus, dans la première phase de la guerre, sur la mauvaise organisation des unités et la mauvaise compréhension des particularités complexes de l’aviation. Mais ce qui émerge avec vigueur des lettres, c’est la description de l’expérience du combat en vol, avec aussi la perception attentive de ce qu’on voyait au sol. Par exemple, à propos de sa victoire du 11 février 1917, il écrivait à sa mère : “Imagine quel spectacle j’ai vu vers le bas, tout Udine et des dizaines de milliers de gens ! Quatre ou cinq appareils volant à 150 ou 170 kilomètres à l’heure, peu éloignés les uns des autres, dans le feu des mitrailleuses.”
Francesco Baracca est ainsi, à travers ses lettres, le témoin italien le plus attentif de ce type de guerre complètement nouveau : la guerre aérienne. Par son écriture de forme correcte, dépourvue d’exagérations rhétoriques et des héroïsmes faciles qui remplissent les lettres de tant de jeunes officiers, il réussit à rendre les difficultés du vol et ses dangers, en tenant compte de l’autocensure qu’il applique aux situations les plus périlleuses pour atténuer l’appréhension maternelle.
Les lettres de Baracca sont atypiques parmi celles des jeunes officiers. Lui-même était jeune : il est mort à 30 ans à peine. Mais elles semblent écrites par un homme mûr qui ajoutait à un fort patriotisme et à une acceptation convaincue du conflit, la conscience de sa dureté et de sa férocité.
Des lettres de Baracca ou des extraits de celles-ci ont été utilisées dans des livres qui lui sont consacrés, à partir des années 1920. Dans notre livre, Francesco Baracca, una vita al volo. Guerra e privato di un mito dell’aviazione (Udine, 2000), nous avons aussi largement utilisé sa correspondance et son journal personnel.
Irene Guerrini et Marco Pluviano, septembre 2016. (Traduit par Rémy Cazals.)

Share

West,Arthur (1891-1917)

1. Le témoin
Arthur West est né à Norwich en 1891. Après la mort de leur mère en 1899, Arthur et ses trois frères et sœurs sont élevés par leur grand-mère paternelle et leur tante. Pensionnaire dans un lycée du Devon, il connaît une scolarité difficile. Timide et réservé, peu doué pour le sport, il se refugie dans les livres et cultive son goût pour la solitude. Arthur West intègre Oxford, où il entame des études classiques de lettres et suit la formation universitaire des officiers. Les Corps Universitaires de Formation d’Officiers (O.T.C, Officers’ Training Corps) avaient été créés en 1908 pour garantir à l’armée britannique une réserve potentielle d’officiers de qualité. Sur la base du volontariat, les étudiants pouvaient suivre une ou deux heures par semaine un entraînement militaire et participer à des camps pendant les vacances. Les étudiants ayant suivi cette formation pendant l’année universitaire 1913-1914 ont pu facilement terminer leur entraînement à l’automne pour partir au front en 1915 en qualité de sous-officiers. C’est le parcours que souhaite suivre Arthur West mais il est refusé en raison de sa mauvaise vue. Déterminé à servir son pays, il se porte volontaire en tant que simple soldat au sein du bataillon des Public Schools en février 1915.
Arthur West arrive en France en octobre 1915 et se bat dans les tranchées jusqu’en avril 1916. Il part ensuite en Écosse pour parachever la formation d’officier entamée à l’université. Il est promu sous-lieutenant en août, dans le régiment d’infanterie légère de l’Oxfordshire et du Buckinghamshire. Mais avant de rejoindre ce régiment, il perd toute foi dans la validité du combat à mener. Influencé par des amis pacifistes et la lecture des œuvres de Bertrand Russel (1), il écrit une lettre à l’officier qui commande son bataillon pour lui annoncer son refus de continuer à se battre. Mais au dernier moment, il n’a pas le courage de poster la lettre et repart finalement pour la France, où il est tué dans le secteur de Bapaume le 3 avril 1917.
(1) Pendant la guerre, le célèbre philosophe et mathématicien Bertrand Russel se déclare ouvertement pacifiste, ce qui lui vaut d’être renvoyé de Trinity College puis d’être condamné à six mois de prison en 1918.
2. Le témoignage

Diary of a dead officer est publié en janvier 1919 par Cyril Joad, jeune intellectuel qui avait également milité pour le pacifisme pendant la guerre. L’ouvrage comprend des extraits du journal de bord tenu par Arthur West entre 1915 et 1917, des poèmes et des lettres. Une introduction de Cyril Joad dresse un portrait de l’auteur.

3. Analyse

Diary of a dead officer nous permet de suivre le parcours de combattant d’Arthur West sur deux ans. La première partie, de novembre 1915 à début 1916, ressemble à un journal de bord classique, celui d’un jeune civil en uniforme qui vit la guerre comme un mal nécessaire. Arthur West s’est engagé pour défendre une cause qu’il estime juste mais précise toutefois : « Je n’ai de haine ou d’animosité contre personne, à part contre les soldats en général et quelques sous-offs en particulier. Pour les boches, je ne ressens qu’un sentiment de fraternité : les pauvres gars font les mêmes choses horribles que nous alors qu’ils pourraient être chez eux avec leurs femmes ou leurs livres. » La deuxième partie du journal correspond à sa formation en Écosse pour devenir officier. C’est à la fin de cette période qu’un changement profond s’opère en lui. La discipline militaire l’oppresse de plus en plus et le pousse à définir un nouveau système de valeurs. Rejetant en bloc la religion et la notion de patrie, il verse dans un nihilisme qu’il cherche à analyser le plus précisément possible. « Je suis de plus en plus attiré par l’idée que rien n’existe et j’en retire un douloureux plaisir. » Il songe dès lors à déserter ou à se suicider. Mais ne pouvant se résoudre à aucune de ces deux extrémités, il repart au combat avec l’uniforme d’officier. La troisième partie du journal, qui va de l’automne 1916 à sa mort, en avril 1917, reflète sa tension intérieure. Convaincu du bien-fondé du pacifisme, il ne peut toutefois exprimer ouvertement ses convictions. La guerre n’est plus pour lui qu’une préoccupation secondaire, une série de gestes mécaniques à accomplir.
Ce journal assez court retrace une évolution radicale sur moins de deux ans et témoigne des tiraillements qu’implique une prise de position pacifiste qui ne se traduit pas dans les faits par l’objection de conscience.
Les poèmes inclus dans l’ouvrage, notamment God, how I hate you et Night Patrol, sont dans le style de ce qu’a publié Siegried Sassoon pendant la guerre : des moments de colère non contenue, qui rendent compte avec immédiateté des interrogations et de la rage des combattants. Cette « poésie de dénonciation », minoritaire dans l’ensemble de la production poétique des tranchées, lui permettait d’exprimer sans détour son aversion pour toute réalité militaire.
Francis Grembert, juin 2016

Share

Wilson, Cameron (1888-1918)

1. Le témoin
Fils et petit-fils de pasteur, Theodore Percival Cameron Wilson est né à Paignton, dans le Devon, en 1888, quatrième enfant d’une famille qui en comptera six. Son grand-père, Theodore Percival Wilson, avait été en son temps un romancier à succès. Après une scolarité en dents de scie, il suit des cours à Oxford en 1907 sans toutefois pouvoir intégrer un des prestigieux Colleges de l’université. Il quitte l’établissement trois ans plus tard sans diplôme et enseigne dans une école primaire. Son premier roman, The Friendly Ennemy, est publié en 1913.
Cameron Wilson s’engage en 1914 dans les Grenadier Guards et devient sous-officier l’année suivante dans le régiment des Sherwood Foresters. Arrivé en France en février 1916, il fait partie de ces nombreux combattants qui condamnent le principe de la guerre tout en étant convaincus qu’il est de leur devoir de se battre. Son poème Des pies en Picardie est publié dans la Westminster Gazette en août 1916. C’est à cette époque qu’il est muté au Grand Quartier Général. Après avoir été promu capitaine, il repart au front et trouve la mort le 23 mars 1918 à Hermies, dans le Pas-de-Calais. Son nom est gravé sur le mémorial d’Arras à côté de 35 000 autres soldats portés disparus dans ce secteur.
Marjorie Wilson, la soeur de Cameron, qui avait été aide-soignante bénévole pendant la guerre, publie en octobre 1918 dans le Spectator un poème intitulé A Tony, âgé de 3 ans – en mémoire de T.P.C.W. Ce type de « poème-hommage » était une façon d’honorer les soldats tués au combat en dédiant leur sacrifice aux jeunes enfants qu’ils ne verraient jamais grandir.
2. Le témoignage
L’ensemble des poèmes de Cameron Wilson est publié en 1919 sous le titre Magpies in Picardy par le poète Harold Monro, qui était aussi son ami. Un autre ouvrage, intitulé Waste Paper Philosophy, paraît l’année suivante. Plusieurs de ses lettres ont également été publiées, notamment dans War Letters of Fallen Englishmen.
3. Analyse
Le poème éponyme du recueil Magpies in Picardy est présent dans la plupart des anthologies de poésie consacrées à la Grande Guerre. Tout comme John McCrae, Noel Hodgson, Julian Grenfell et Alan Seeger, Cameron Wilson fait partie de ces auteurs-combattants passés à la postérité pour un seul de leur poèmes. Si le style de Magpies in Picardy est un peu suranné, il faut toutefois reconnaître qu’il possède une originalité séduisante et un charme pastoral évident. Son aspect documentaire est également à prendre en compte. Les commentaires sur la faune et la flore sont récurrents dans les témoignages britanniques de la Grande Guerre, et les oiseaux y ont une place de choix. L’image de l’alouette volant au-dessus du no man’s land est notamment une notation incontournable dans les écrits de combattants. Les autres poèmes du recueil évoquent les combats, les périodes de repos et les paysages français. Si Song of Amiens et quelques autres poèmes sont des instantanés réussis de « vie française », on peut cependant déplorer des faiblesses de style à bien d’autres endroits du recueil.
Les lettres de Cameron Wilson sont moins connues mais méritent tout autant l’attention que ses poèmes. Son dégoût de la guerre y est énoncé à plusieurs reprises, en des termes plus ou moins semblables, comme s’il voulait à tout prix persuader ses proches de ne pas se laisser leurrer par les discours officiels : « La guerre est incroyablement dégoûtante. Tout homme qui y a participé et l’encense est un dégénéré » (Lettre de mars 1916 à sa tante). « Quand on a vu un beau gars aux yeux bleus se transformer en un stupide pantin désarticulé, avec sa propre cervelle qui lui dégouline sur les yeux, comme je l’ai moi-même vu, on devient soit un pacifiste soit un dégénéré » (Lettre du 27 avril 2016 à sa tante). « Les corps désarticulés sont obscènes, quoique puissent écrire les correspondants de guerre. La guerre est une obscénité. Mais Dieu merci nous nous battons pour qu’il n’y ait jamais plus de guerre » (Lettre du 3 mai 1916 à sa mère). Le ton est radicalement différent de celui des poèmes. La mise en parallèle des deux types d’écriture nous renseigne sur les différentes attitudes, parfois opposées, qui cohabitent chez de nombreux combattants. Pour de nombreux jeunes officiers britanniques, la poésie a été un moyen d’expression privilégié leur permettant d’une part de conserver un lien avec le monde d’avant – pour beaucoup d’entre eux l’université – et d’autre part d’échapper momentanément aux prises de position pour aboutir à une vue distanciée et multiple de la réalité combattante.
Sources :
Magpies in Picardy, T.D Cameron Wilson, The Poetry Bookshop, 1919
Waste paper philosophy, T.D Cameron Wilson, George H. Doran Company, 1920
War letters of fallen Englishmen, Victor Gollancz Ltd, 1930

Francis Grembert

(Tel que publié dans le recueil Magpies in Picardy, 1919)

DES PIES EN PICARDIE

Les pies de Picardie
Sont plus que je ne saurais dire.
Elles planent au-dessus des routes poudreuses
Et ensorcellent les hommes
Qui traversent la Picardie,
La Picardie, prélude à l’enfer.

(Le merle, farouche, s’envole au moindre bruit,
L’hirondelle la lumière inlassablement suit,
Les pinsons ont des allures de dame,
La chouette flotte dans l’air du soir.
Mais la grande et radieuse pie
Vole à la manière des artistes.)

Une pie, quelque part en Picardie,
m’a révélé ses secrets :
La musique qu’abritent ses plumes blanches,
La lumière qui chante
Et danse dans la profondeur des ombres.
De ses ailes, elle me l’a dit.

(Le faucon, cruel et austère,
Toujours nous regarde du haut du ciel ;
La morne corneille traîne de l’aile,
Le rouge-gorge aime la bagarre ;
Mais la grande pie radieuse
A le vol gracieux de l’amour.)

Elle m’a dit qu’en Picardie,
Une génération ou deux auparavant,
Quand ses pères étaient encore dans l’œuf, Toutes ces grandes routes poussiéreuses
Charriaient des soldats qui partaient à la guerre,
La guerre en chantant,
Le long des prés et des champs de Picardie,
Prélude à l’enfer.
MAGPIES IN PICARDY

The magpies in Picardy
Are more than I can tell.
They flicker down the dusty roads
And cast a magic spell
On the men who march through Picardy,
Through Picardy to Hell.

(The blackbird flies with panic,
The swallow goes like light,
The finches move like ladies,
The owl floats by at night ;
But the great and flashing magpie
He flies as artists might.)

A magpie in Picardy
Told me secret things –
Of the music in white feathers,
And the sunlight that sings
And dances in deep shadows –
He told me with his wings.

(The hawk is cruel and rigid,
He watches from a height ;
The rook is slow and sombre,
The robin loves to fight ;
But the great and flashing magpie
He flies as lovers might.)

He told me that in Picardy,
An age ago or more,
While all his fathers still were eggs,
These dusty highways bore
Brown singing soldiers marching out
Through Picardy to war.

Share

Seguy, Marie, épouse Coureau (1893-1967)

Née le 6 juin 1893 à Larrazet (Tarn-et-Garonne). Ses parents sont d’origine paysanne : son père (mort en 1917) exerçait le métier de maquignon. À son décès, sa mère continue à s’occuper des terres et des vignes. Marie n’a pas suivi d’études dans le secondaire ; malgré cela son écriture est belle, ses phrases sont très bien tournées et surtout elle a un style qui réussit à faire vivre les événements du quotidien, bonheurs et peines, horreurs de la guerre, dans une farandole qui ne donne qu’une envie : lire la prochaine lettre pour connaitre la suite de l’histoire.
Le 17 aout 1912, elle épouse Anselme Coureau, lui aussi Larrazetois. Ils ont deux filles : Anne-Marie en 1914 et Denise en 1916. Anselme n’est mobilisé dans le service auxiliaire qu’en mai 1917. Auparavant, il a participé à la rédaction du journal de guerre du village avec quatre notables : voir la notice Larrazet.
Après la mobilisation d’Anselme, commence une correspondance quotidienne où elle écrit pour le distraire, pour lui faire partager son quotidien, pour le relier à Larrazet qu’il aime tant. Elle essaie de lui remonter le moral, ne lui dit pas toujours toute la vérité sur sa santé, pour ne pas l’inquiéter et lui raconte les événements du village, mais aussi ce qu’elle lit dans la presse ou ce qu’elle apprend de la bouche du maire ou de personnes qu’elle rencontre dans le train ou bien encore ce que racontent ou écrivent les autres soldats de Larrazet. Ainsi : « Je serai contente de t’annoncer quelque chose. Cela te fera vivre un peu de ma vie. » Plus de 300 lettres nous plongent dans le quotidien de cette période de guerre. Marie a toujours vécu à Larrazet mais elle a un regard, une analyse sur l’Homme, sur tous ces événements qui étonnent de par la richesse et la vérité de l’écriture.
Elle a des avis sur tout : les réquisitions, le pain noir si mauvais, les pénuries de pétrole qui l’empêchent à une certaine époque de lui écrire, le soir, autant qu’elle le voudrait, les permissions des Larrazetois, les réfugiés du nord qui sont accueillis, les nouvelles des voisins partis à la guerre qui sont blessés, portés disparus, prisonniers, décorés ou morts. Les vols dans les maisons (un jour un voisin qui cachait son argent dans un trou dans une grange a été cambriolé et on lui a laissé 3 pièces d’or ; pourquoi ? cela fera couler beaucoup d’encre et de salive mais le mystère ne sera jamais éclairci), l’épidémie de grippe espagnole qui vient à bout d’une jeune Larrazetoise, Mathilde Dauch, victime de son dévouement (voir la plaque au cimetière), l’agonie d’un jeune marié blessé à l’usine d’armement de Castelsarrasin et dont le nom figure sur le monument aux morts (Joseph Nadal), la grève des ouvrières à la poudrerie de Toulouse.
Il faut dire qu’elle est bien placée pour être au courant de tout. En effet, elle habite en face de l’église à une époque où il y a plusieurs services religieux par jour. La mairie est à quelques maisons de chez elle ainsi que la gendarmerie. Les villageois se retrouvent souvent dans cette rue, ils échangent leurs informations issues des lettres reçues et consultent souvent le maire, Monsieur Carné, notaire, rédacteur du journal de guerre du village, porteur des circulaires officielles et lecteur des journaux locaux et nationaux.
Grâce à ses lettres, on partage aussi le quotidien d’une femme du début du XXe siècle : la lessive et le repassage qui durent plusieurs jours, l’éducation des jeunes enfants qui vont à l’école maternelle, le couvent payant, la confection de vêtements avec du vieux car les tissus manquent, l’achat d’un corset, la prise en charge d’un vieil oncle qui perd la tête et qui refuse l’autorité des femmes, les travaux des champs qu’il faut accomplir, l’importance du courrier qu’elle écrit, celui qu’elle reçoit ou qui est retardé, les colis envoyés pour améliorer le quotidien du soldat parti, etc.
Une des plus belles lettres est celle du 11 novembre 1918 où elle lui raconte avec précision comment Larrazet, petit village de 600 habitants, a vécu la nouvelle de l’armistice. Tout est raconté avec tant de détails que si l’on ferme les yeux la scène prend vie : les cloches et le tambour qui sonnent pendant longtemps, le clocher pavoisé aux couleurs de la France où l’on joue du clairon et où brille une lanterne, les fenêtres des maisons pavoisées et illuminées, les enfants qui font une retraite aux flambeaux précédés du garde champêtre qui joue du tambour, coiffé pour la circonstance d’un casque de pompier. Le texte intégral de la lettre est donné ci-dessous.
Françoise Defrance (qui conserve les lettres à Larrazet)

Larrazet, ce 11 novembre 1918, Mon très cher amour adoré,
Enfin ce soir à 2 h, nous avons eu confirmation de cette nouvelle depuis longtemps attendue. Le moment a été grave tu peux le penser, à certains ça leur a renouvelé leurs peines et nous, malgré notre grande joie, nous n’avons pu nous retenir nos larmes, elles étaient de joie car c’est un très grand soulagement que de penser que vous êtes délivrés de cet enfer. M. Carné a donné immédiatement l’ordre de sonner les cloches et le tambour, on les a sonnés pendant longtemps. Joseph Rouzié, du haut du clocher, a joué du clairon, puis ensuite il a mis des drapeaux tout le tour, et ce soir il a mis tout à fait en haut une lanterne. Beaucoup de fenêtres ont arboré le drapeau et maintenant elles sont illuminées. A cinq heures il y a eu retraite aux flambeaux dirigés par Capmartin. Les enfants l’ont faite, ils avaient de longs roseaux et au bout une lanterne. Annette en portait une, je t’assure qu’elle était contente. Capmartin jouait du tambour, pour la circonstance il s’était mis un casque de pompier.
Au même instant j’entends le train qui arrive en gare, et lui aussi veut annoncer la fin du carnage, car il siffle beaucoup et longtemps. je cherche à me représenter la joie qui a été ressentie au front au moment où on a annoncé à tous nos héroïques poilus la signature de l’armistice, on ne peut pas se le représenter tant la joie a dû être immense, il va leur sembler que ce n’est point possible d’être libéré d’un joug pareil, pauvres hommes depuis le temps qu’ils souffrent toutes sortes de maux, vous pourrez au moins cet hiver vous mettre mieux à l’abri, vous chauffer, vous n’aurez plus ce pressentiment de dire peut être tout à l’heure je ne serai plus de ce monde.
Et nos pauvres prisonniers depuis le temps qu’ils sont par-là à souffrir les pires maux, quelle réjouissance pour eux, quelle gaité de cœur qu’ils ont dû ressentir à la pensée qu’ils allaient enfin revoir la France et leurs chères familles qu’ils n’ont pas vues depuis 4 ans.
Hier au soir j’ai eu ta lettre du 8, je suis très contente de tous les renseignements que tu me donnes au sujet de ta maladie, tu vois que tu ne m’avais jamais dit que tu avais été évacué pour la grippe ou bronchite grippale tout cela est à peu près. Je suis très heureuse que cette infirmière ait bien pris soin de toi, tu la remercieras bien pour moi, je t’assure que si elle était là je serais toute heureuse de pouvoir le faire.
Tâche de te fortifier avant de venir, crainte de rechuter en route, ce ne serait vraiment pas du tout agréable.
D’après ce que tu me dis, la manifestation qui a eu lieu à Louviers a dû être très belle, mais je suis à me demander qu’aura été celle de ce soir, alors que la nouvelle est officielle.
Tu as perdu ton pari tu vas être obligé de le payer sans doute bientôt quand vous serez rentrés au centre. Comptes-tu y revenir pour longtemps ou bien au dépôt ?
Ma mère aujourd’hui va mieux.
Aujourd’hui nous avons semé le blé à la Plagnète, demain nous allons faire de l’eau de vie, nous allons procéder comme la dernière fois.
Nous sommes en excellente santé et je désire de tout mon cœur que ma lettre te trouve de même.
Odette et Rosa de Moissac sont très gravement malades, ils ont télégraphié à Anna d’y aller. Allemann l’y a portée en automobile, Odette ne l’a pas connue.
Marie Simon arrive de la gare, elle dit qu’on lui a dit que les Allemands qui sont à Terride [des prisonniers de guerre employés dans l’agriculture ; voir les notices Brusson]criaient au passage du train : « À bas le Kaiser, vive la République. » Tu comprends tout de même qu’il faut qu’ils en aient assez.
Doux baisers de nous toutes.
Ta mignonne adorée pour la vie.
Marie

Share

Malet, Charles (1897-1978)

Jean Charles Malet est né à Bessières (Haute-Garonne) le 14 juin 1897. Ajusteur mécanicien de profession, il est devenu chauffeur d’automobile à l’entreprise Brusson de Villemur-sur-Tarn. On a de lui 9 lettres adressées à son patron de 1916 à 1919, dans les archives de l’entreprise déposées aux Archives de la Haute-Garonne, et une photo, au volant de la voiture patronale, dans le livre collectif La chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, CAUE de la Haute-Garonne et Loubatières, 1993, p. 81.
Ajourné pour faiblesse en 1915, il est reconnu bon pour le service armé en 1916 et affecté à l’aviation. Sa lettre du 14 août 1916 signale son arrivée en caserne à Bordeaux. Dans celle du 10 septembre, venant de l’école militaire d’aviation de Pau, il décrit le travail de mécanicien et les examens à passer. Le 10 décembre, il regrette de ne pas avoir pu devenir pilote car il aurait voulu vivre « au grand air » et il fait allusion à M. André, le fils du patron qui, lui, a réussi (voir la notice André Brusson qui explique dans quelles conditions). Toujours à Pau, le 1er janvier 1917, il souhaite la fin de cette « misérable guerre ». Envoyé au 2e groupe d’aviation à Lyon, il trouve dans cette ville la vie peu agréable (28 mai). Parti pour le Maroc en juin 1917, il est d’abord mécano monteur à Casablanca où il trouve qu’il fait bien chaud (15 juillet), qu’il faut supporter le sirocco et les fièvres ; il décrit la ville arabe et un défilé militaire. Le 7 novembre, toujours de Casablanca, il remercie son patron pour un mandat (voir les notices Antonin Brusson et Jacques de Saint-Victor) et lui dit qu’il avait bien raison de penser que la guerre serait longue. Sa dernière lettre, de Bou Denib le 25 février 1919, critique un « pays de sauvages que l’on ne peut arriver à soumettre » et remercie pour un autre mandat et pour la promesse de lui réserver le poste de chauffeur.
En effet, la date du retour est proche ; il est démobilisé le 29 septembre 1919 et il reprend son travail quelques jours plus tard, chauffeur attitré d’Antonin Brusson, puis d’André Brusson. Il se marie en 1931. Toute sa famille ainsi que sa belle-famille travaille chez Brusson. Il meurt à Toulouse le 25 mars 1978.
Rémy Cazals, mai 2016

Grâce aux renseignements fournis par Jean-Claude François, auteur du livre Les Villemuriens dans la Grande Guerre, Les Amis du Villemur historique, 2014.

Share

Garrigue, Victoria (1886- )

Née à Nérac (Lot-et-Garonne) le 26 avril 1886 dans une famille d’origine espagnole (Avilla y Gruas). Lorsqu’elle épouse Marcel Garrigue (voir ce nom), le 23 octobre 1906 à Tonneins, elle est tailleuse de robes. Le couple aura trois filles et un garçon.
Son mari est mobilisé en août 1914 au 280e RI. La correspondance du couple est publiée dans Alain Glayroux, Portraits de poilus du Tonneinquais, 1914-1918, Editions La mémoire du fleuve, 2006.
Les premières lettres de Victorine (elle a francisé son prénom) contiennent l’expression « maudite guerre » en affirmant que les Allemands en sont la cause, à qui, d’après les journaux, « on donne de ces dégelées que cela devrait servir de leçon à ceux qui restent » (14 octobre 1914). Et encore, le 7 novembre : « Les journaux racontent que sur tous les fronts les Allemands sont repoussés et en Russie ils subissent aussi de grosses défaites. Quelle veine on n’en tue jamais assez. » Son mari essaie de lui expliquer que la réalité n’a rien à voir avec ce que disent les journaux, que la situation des fantassins est terrible. Le 27 novembre 1914, elle répond par une vive critique : « Est-ce bien toi qui m’a écrit une lettre pareille tout à fait découragée […] Allons Marcel, fais ton devoir jusqu’au bout, que l’on n’ait rien à te reprocher et c’est avec patience que l’on arrivera au bout de ces maudits Alboches […] Pense que tu as des enfants. Ne te révolte pas. […] Mon frère nous a écrit, il est tout à fait courageux ainsi que Aman et Borda. Je pense bien que tu les vaux et que tu ne rougiras pas d’avoir été un moment découragé. » A quoi Marcel répond qu’il n’est pas découragé mais dégoûté par la lâcheté des gradés et la sauvagerie des tirailleurs sénégalais et que personne ne l’empêchera d’écrire ce qu’il pense (4 décembre). Lorsque, le 26 décembre, il emploie lui aussi l’expression « maudite guerre », il lui donne une signification différente de celle de Victorine.
Il semble que l’incompréhension entre mari et femme ait subsisté. Le 8 juillet 1915, Marcel écrit à Victorine : « J’ai reçu ta lettre du 4… Quant à la guerre, tu ne peux guère me renseigner, car on vous dit beaucoup de mensonges. Enfin si tu préfères croire ce que dit le journal que ce que j’ai vu, tant pis. » Et encore, le 4 décembre 1915 : « Si tu étais dans la situation où nous sommes, tu penserais peut-être comme moi, plutôt à la révolution qu’à autre chose. » La dernière lettre de Marcel est du 11 décembre ; il annonce sa première permission. Victorine l’attend à la gare le 14 décembre, mais Marcel n’arrive pas, il a été tué deux jours plus tôt.

Share

Pierre, Joseph (1880-1917)

L’information ci-dessous est tirée de La Lettre du Chemin des Dames, n° 35, octobre 2015, p. 16-19, confirmée par la fiche de mort pour la France sur le site Mémoire des hommes.
Joseph Pierre est né à Saint-Cast (Côtes du Nord, aujourd’hui Côtes d’Armor) le 1er mars 1880, fils d’un laboureur devenu exploitant de carrière. Lui-même a travaillé comme carrier. Il a fait le service militaire dans la marine et a obtenu le grade de quartier-maître. Mais il est mobilisé en 1914 dans l’infanterie, au 78e RIT, avant de passer au 201e RI où il devient sergent. Le témoignage, complété par le JMO du 201e, repose sur des lettres adressées à une jeune femme prénommée Aline, qui était peut-être sa fiancée. S’y ajoutent quatre photos.
La lettre du 22 décembre 1914 est envoyée du secteur de Berry-au-Bac. Elle décrit la situation misérable dans les tranchées, les morts sur le no man’s land, les ruines. Au repos, « tout le monde trouve déjà drôle de ne plus entendre le sifflement des balles et des obus mais je les reconsole en leur disant que demain nous retournons ». Après ce trait d’humour, il ajoute : « Probablement que prochainement nous donnerons un coup d’assaut pour chasser ces barbares. Cela nous coûtera cher en fait de vies humaines mais cela ne peut durer ainsi. Espérons que nous aurons le dessus et que nous les renverrons chez eux pour toujours. »
De Bouffignereux (Aisne), le 1er janvier 1915, il remercie Aline de sa lettre récente : « car ici le seul désennui que j’ai c’est de lire les rares correspondances que je reçois ». L’humour est toujours présent, comme dans cette scène qui s’est déroulée dans le cimetière de Berry-au-Bac : « Les obus tombaient tout autour de nous, les plus près bombardaient tout et nous recouvraient de terre, nous étions méconnaissables, et lorsqu’on voyait qu’aucun de nous n’était blessé sérieusement on en rigolait, c’est épatant on ne pense pas à mourir. » Il se réjouit des dégâts faits par un obus sur la tranchée allemande : « Nous avons très bien vu têtes, jambes, bras sautés séparément à 15 mètres en l’air, tu parles si on était contents. » Une description peut-être exagérée car il a écrit que la tranchée ennemie était à 200 mètres et que la visibilité était obscurcie par fumées et projection de terre. Il continue ainsi : « Si le système de tranchées continue, la guerre durera bien dix ans. » Il termine sur les rigueurs du temps, la pluie, la boue, le froid aux pieds.
Le 17 mai suivant : « Ah ! Ce qu’on a pu perdre du monde, c’est épouvantable. Je t’assure que je voudrais bien que tout ça soit terminé, j’en ai plein le dos, c’est tout de même trop long pour nous surtout depuis décembre que nous sommes dans les tranchées et dire qu’il y a encore des régiments qui n’ont pas vu le feu. »
Aucune autre lettre n’est donnée, on peut le regretter, mais c’est qu’elles ne concernaient pas les alentours du Chemin des Dames. En mars 1916, à Verdun, il reçoit une citation pour avoir « tué de sa main un officier allemand qui, d’un poste d’écoute, repérait nos positions ». Joseph Pierre participe ensuite à l’offensive de la Somme, puis aux combats sur l’Yser où il est tué le 31 juillet 1917 au cours d’une attaque.
Rémy Cazals

Share