Tuffrau, Paul (1887-1973)

1. Le témoin

Paul Tuffrau est né le 1er mai 1887 dans une famille de propriétaires vignerons bordelais. Après des études secondaires brillantes, il arrive à Paris et prépare au lycée Louis-le-Grand le concours de l’Ecole normale supérieure, où il entre en 1908. Agrégé de lettres en 1911, il commence à enseigner et fréquente un milieu de jeunes intellectuels parmi lesquels Romain Rolland. En août 1912, à l’issue de son service militaire, il épouse Andrée Lavieille, artiste peintre. Il est mobilisé en 1914 comme sous-lieutenant à la tête d’une section de mitrailleuses du 246e régiment d’infanterie de Réserve de Fontainebleau. En avril 1916, il passe capitaine, puis chef de bataillon au 208e RI en octobre. Plusieurs fois blessé, il fit en tout 52 mois de campagne dans l’infanterie comme officier de troupe. Après la guerre, il redevient professeur de lettres, est nommé au lycée de Chartres, puis au lycée Louis-le-Grand à Paris comme professeur de khâgne, enfin à l’École polytechnique où il sera titulaire de la chaire d’histoire et de littérature jusqu’en 1958. Il publie de nombreux ouvrages. Citons entre autres La légende de Guillaume d’Orange (1920), Les lais de Marie de France (1922), Raoul de Cambrai (1924), Le merveilleux voyage de Saint Brandan (1926), le Manuel illustré d’histoire de la littérature française (avec Gustave Lanson) (1929), le Roman de Renart (1942). En 1999 ont été publiés à la fois ses écrits de jeunesse – Anatcho -, Garin le Lorrain et ses notes durant la Deuxième Guerre mondiale dans De la « drôle de guerre » à la Libération de Paris (1939-1944). Il est mort le 16 mai 1973 à Paris.

2. Le témoignage

Paul Tuffrau est un homme de lettres. Il écrit beaucoup : des lettres, chaque jour à son épouse ; des articles qu’il envoie, dès 1916, au quotidien le Journal, sous le pseudonyme de Lieutenant E.R., doublés à partir de 1917 d’une série de « Billet du poilu » signé A.L., au ton plus rude envers la hiérarchie. Ses articles donnent à lire des scènes du front nettement plus justes que celles dont la presse regorgeait alors. Le succès de ces articles pousse un éditeur à publier en 1917 un recueil de 32 d’entre eux sous le titre Carnets d’un combattant (Payot, 1917). Son véritable nom est ajouté entre parenthèses dans le courant de l’année. Ce premier témoignage fait l’objet d’une analyse dans Témoins de Jean Norton Cru (pp. 405-406). Ce dernier, tout en saluant la qualité de cette oeuvre, soulignait néanmoins les limites de ce témoignage : « Tandis que Tuffrau voulait remettre la presse en bonne voie, ses successeurs veulent témoigner sur la guerre ce qui est plus. […] Tel fait de guerre a eu lieu à telle date exacte, à tel point précis et il est raconté par un tel, de tel grade, à une unité bien définie. » L’imprécision des articles de Tuffrau (lieux, dates, etc.) n’est pas de mise avec son journal de guerre, publié en 1998 sous le titre 1914 – 1918. Quatre années sur le front. Carnets d’un combattant (Paris, Éditions IMAGO, 245 p.). La richesse de ces vingt carnets de notes, prises au jour le jour, nous pousse à regretter l’amputation de près de la moitié de l’œuvre au moment de la publication.

3. Analyse

Tuffrau passe près de 5 ans sous l’uniforme. Revenons d’abord sur son parcours et son ascension dans la hiérarchie et les responsabilités : il combat comme jeune sous-lieutenant, du 14 au 25 août 1914 dans le secteur de Saint-Mihiel/Pont-à-Mousson ; du 28 août au 2 septembre de la même année, il bat en retraite, de la Lorraine à la Somme, puis de la Somme à Creil. Début septembre, il est promu lieutenant. Jusqu’au 10 septembre, il participe à la bataille de la Marne, avant d’être engagé dans le secteur de Soissons jusqu’en mai 1915. De mai à novembre en Artois, de novembre 1915 à juin 1916 près de Reims, sur l’Aisne, Paul Tuffrau – devenu capitaine en avril – est ensuite envoyé en Argonne et à Verdun jusqu’en avril 1917. En avril-juin 1917, il revient dans le secteur de Saint-Mihiel, puis, durant plus de deux mois, dans celui de Mourmelon-le-Petit/Reims. On le retrouve de septembre à novembre 1917 dans le secteur de Craonnelle/Craonne, où il reviendra après un passage, en décembre 1917-janvier 1918, dans la région de Coulommiers/Meaux. Depuis l’automne 1917, il est employé comme officier mitrailleur de sa division, la 55e DI, commandée par Mangin. Il reçoit, pendant l’offensive allemande de mars, l’ordre de tenir le hameau de Dampcourt, à Marest. En mai, il est nommé adjoint du commandant de bataillon (soit le grade de capitaine-adjudant-major). Le front ne craque pas et au mois de juillet s’inverse la tendance. Tuffrau obtient une mutation au 208e Régiment d’Infanterie. Il est envoyé en Alsace, à Massevaux. Il apprend à Neuviller-sur-Moselle au sud de Nancy, sa nomination au grade de chef de bataillon. Il entre en Moselle libérée le 18 novembre 1918 à Bechy, accueilli comme un sauveur. Le 4 décembre 1918, il est nommé administrateur de Sarrelouis et sera démobilisé le 28 mars 1919.

Du début à la fin de la guerre, Paul Tuffrau tient ses carnets. Ces derniers nous révèlent la personnalité réellement exceptionnelle d’un officier au parcours littéraire, personnel et militaire hors du commun. Le gommage de tout élément biographique ou topographique dans les articles envoyés au Journal n’empêchaient déjà pas de sentir, dans des textes comme « Avant l’assaut » ou « La boue des tranchées », que la sensibilité et l’acuité du regard de Paul Tuffrau étaient appuyées à une solide expérience de guerre. On retrouve les mêmes qualités littéraires dans les carnets de guerre. On note également le souci de donner à l’arrière une image plus juste de la guerre, tout en ménageant le moral des combattants au front : « Lu Le Feu de Barbusse. Un livre très fort, très juste, systématiquement tragique : je l’ai lu, la gorge serrée, et tout le cafard de l’Artois m’est revenu. Un livre dangereux pour l’avant – très utile pour l’arrière qui ne sait pas ce qu’est la guerre. Toute l’attaque de la côte 119 est superbe. J’aurais voulu moins d’apocalypse à la fin. La vérité de cette poignante misère humaine suffisait. » (p.140) Par bien des aspects, le carnet de guerre de Paul Tuffrau nous offre un regard plus intime et plus personnel de la guerre : le carnet sert ainsi souvent d’exutoire à ses émotions et à ses colères. Par ailleurs,

Si les articles publiés anonymement dans Le Journal visaient à rendre compte du vécu-type des combattants de la Grande Guerre, les notes prises au jour le jour par Tuffrau donnent à lire la singularité de son expérience, de son vécu, de ses sentiments. Le carnet permet ainsi d’inscrire le témoignage de Paul Tuffrau dans le temps et dans l’espace. L’évolution du moral peut être contextualisée : le 28-29 novembre 1914, dans le secteur de Soissons, il écrit : « La bonne humeur des hommes ne faiblit pas – et cela me plaît. Tout le monde est confiant, surtout depuis les victoires russes, et le journal, qui nous parvient chaque matin, est lu avec passion. » De même, sa confiance dans la nécessité d’aller jusqu’au bout, qui apparaît constamment dans les articles, est réaffirmée dans ses carnets, mais il note le 30 mai 1916 que ce sentiment n’est pas partagé par la troupe  : « de tous côtés ici, bruits de paix ; c’est le même vœu de tous ; […] j’étais le seul à défendre la continuation de la guerre, au point de vue de la dignité nationale, que tout le monde taxait (peut-être avec raison) « d’amour propre stupide » : pays voué à la ruine disaient-ils, parce que saigné d’hommes, écrasé de dettes, diminué dans sa productivité et dans son activité commerciale ; épuisement financier, inutilité des massacres. »

Le témoignage de Paul Tuffrau est celui d’un officier de troupe, attentif à ses hommes, comme en témoigne ces mots, le 16 octobre 1916 : « Le travail de nuit sous les obus devient scabreux. Il faut faire vite, piocher dans des cadavres. […] Les hommes sont fatigués, ils n’ont pas un beau moral. Un qui avait pioché, disait cette nuit : « Ils [les chefs] n’ont pas pu nous faire crever par les balles et les obus, ils nous auront par l’usure. » » Le 26 novembre 1916, près de Reims, il témoigne du calvaire des hommes glissant et tombant dans la boue : « c’est une satisfaction morale de se sentir plus près des hommes dans cette commune misère et de les soutenir un peu en leur montrant qu’on souffre autant qu’eux. » En donnant l’exemple, il suscite le respect chez ses hommes. Le ton est paternaliste mais l’affection sincère : « Comme il est dur de les perdre maintenant ! En septembre, on se connaissait à peine, chacun était encore engagé dan,s la famille qu’il venait de quitter… Mais, à présent, tout est fondu, et cinq mois de souffrances et de dangers lient fortement. » (p. 67). Paul Tuffrau souligne bien la difficulté de sa position hiérarchique et de ses responsabilités. Il est le premier à critiquer dans son carnet, les conceptions tactiques du haut commandement, comme le 5 janvier 1915 : « Voilà la grande misère : c’est que beaucoup d’officiers d’active voient le galon plutôt que le résultat. Et ce qui est monstrueux, c’est qu’ils se servent pour cela des  vies humaines. Les deux colonels ont chuchoté quelque chose que j’ai mal compris, une petite attaque partielle qui « permettrait de donner à S. son étoile » ! ». Mais il jouit d’un autre côté d’une marge de manœuvre très limitée lorsqu’il reçoit un ordre (voir les notes du 17 mars 1917).

Ses observations témoignent d’une grande sensibilité. Citons, le 4 janvier 1915, ces quelques mots sur la perception du temps, découpé pour mieux être supporté : « usure nerveuse produite par une tension trop prolongée, – ennui de cette vie monotone dont on ne voit pas la fin, – peut-être aussi une vague appréhension devant tant de périls qu’on a appris à connaître. […] Il ne faut pas non plus regarder l’énorme tâche qui nous reste à remplir, mais la diviser, et n’envisager que la besogne immédiate, s’en bien acquitter, pour être en paix avec soi, ne pas songer à l’avenir, ni au passé : bref faire la guerre à l’imagination, sous toutes ses formes. » (p.73).

Il serait illusoire de prétendre résumer ici la richesse de ce carnet, mais par son parcours, sa finesse d’analyse, son sens aigu de l’observation et ses qualités littéraires, ce témoignage apparaît bel et bien comme un document incontournable pour comprendre la Grande Guerre. Cette dernière a constitué pour Tuffrau comme pour nombre de combattants, une expérience marquante, comme en témoigne les derniers mots de son carnet, le 28 mars 1919 : démobilisé, il arpente les rues de la capitale : « Il fait très beau. J’ai revu avec une joie intime les paysages familiers, la petite ville un peu vide… La vie reprend, les choses sont les mêmes, nous seuls avons changé… »

08/03/2009

Marty Cédric.

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Bénard, Henri (1858-1916)

1. Le témoin

Né le 23 février 1958, Henri Bénard était officier d’active, commandant, et retraité en juin 1912. Passé par l’Ecole de Saint-Maixent en 1881-1882, il était capitaine vers 1902-1903. Le 3 août 1914, il reprend volontairement du service, à 56 ans. C’est alors un homme marié, père d’une fille. Sa femme, Ernestine, est issue d’un milieu alsacien aisé : son père dirigeait à Strasbourg une entreprise de transports internationaux ; vers 1910, il a monté une succursale à Paris et laisse la direction de l’usine de Strasbourg à ses deux fils. Henri part de Caen avec le 236e Régiment d’Infanterie, vers le 7 ou le 8 septembre. Il est blessé à la cuisse le 30 mai 1915. Après un long séjour à l’hôpital puis au dépôt, il rejoint le 366e R.I. en décembre 1915, sur le front, en Lorraine. Il meurt à Verdun le 28 février 1916.

2. Le témoignage

Les lettres d’Henri Bénard s’étalent d’août 1914 à février 1916 ; elles ont été écrites pour différents destinataires, le plus souvent sa femme. Henri Bénard écrivait beaucoup, parfois plusieurs fois par jour. Le 4 août 1914, il prévient sa femme : « conserve mes lettres. Plus tard, si j’ai l’occasion de faire quelque chose d’intéressant, je serai heureux de relire ces pages. » Tué en 1916, il n’en aura pas l’occasion mais, conservées par sa femme puis sa fille dans un coffret avec ses initiales, accompagné de divers objets et de photos, ses lettres ont été publiées par sa petite-fille, Françoise Lautier sous le titre De la mort, de la boue, du sang. Lettres de guerre d’un fantassin de 14-18 (Paris, Jacques Grancher, 1999, 250p.). Les lettres sont publiées avec, à la fin de chaque chapitre (correspondant à un mois de guerre), une série de précisions éclairantes sur le parcours du témoin, les personnages dont il est question dans les lettres, les lieux, etc. On trouve également quelques photographies dans un livret central.

3. Analyse

Les lettres écrites par Henri Bénard entre 1914 et 1916 sont d’une grande richesse qu’il serait illusoire de résumer ici. Nous nous bornerons donc à souligner trois aspects qui marquent autant la richesse de ce témoignage que la nécessité de le lier au parcours personnel et professionnel du témoin avant-guerre.

Commençons par son expérience d’officier d’active : Henri Bénard aborde le combat pétri du discours dominant sur la guerre à venir : « le moral de tous les soldats est tel que leur élan sera irrésistible » (p. 15). D’où l’amère désillusion lorsque le front s’enlise à l’ouest : « Cette guerre est horriblement triste et monotone. C’est bien allemand. Pas de vie, pas d’enthousiasme. Des duels d’artillerie continuels dans lesquels nous restons spectateurs terrés sous les rafales, voilà tout ce que nous voyons. Des pertes sans combat, quand un obus tombe sur nous, de la puanteur de cadavres de chevaux, des cris de blessés qui, toute la nuit, appellent au secours, de la mort, de la boue, du sang. Voilà nos visions de chaque heure. Ce n’est pas ce que j’avais rêvé. » (p. 30) La guerre est une « guerre d’usure » où « le succès appartiendra au plus tenace » (pp. 36-37) et le commandant Bénard ne se fait pas d’illusion sur la durée de la guerre : elle sera longue affirme-t-il le 28 octobre, puis le 25 novembre 1914. Les responsables désignés de cette situation de blocage sont les Allemands, pour lesquels Henri Bénard n’a pas de mots assez durs : « le Kaiser est malade et l’Allemagne aussi. Il faudra les tuer tous, si on le peut, pour que cette vermine ne puisse se renouveler. Nous en avons tué un certain nombre ces jours derniers. C’était de la garde bavaroise. On ne s’amuse plus à faire de prisonniers. » (p. 118) Soulignons le contexte particulièrement angoissant de la guerre de mines qui sévit alors dans son secteur et menace les hommes d’être ensevelis vivants.

Second point : l’attachement aux provinces perdues, intense dans le témoignage de Bénard, s’explique par les origines alsaciennes de sa femme. Apprenant l’avancée des troupes françaises à l’Est, en août 1914, Henri Bénard exulte : « le rêve de ma vie s’est réalisé. Mais je voudrais être plus jeune et ne pas avoir tant attendu la délivrance. » (p. 17)

Au fil des lettres, il apparaît également que la guerre n’épargne pas les officiers (p. 72) bien qu’ils jouissent de conditions matérielles meilleures (p. 46). Le commandant Bénard livre ainsi de belles pages sur la dureté des conditions de vie au front : la boue, la peur, le froid (voir par exemple p. 58). Sa qualité d’officier confère d’ailleurs à son témoignage un intérêt majeur. Il met un peu plus en lumière la responsabilité et le rôle du chef, chargé de maintenir la discipline jusque dans l’attaque (p. 42). Il n’hésite pas, ainsi, à les menacer de mort avant l’assaut, en cas de défaillance. Son rôle, explique-t-il plus loin, est celui d’une courroie de transmission entre l’infanterie, dans les premières lignes, et l’artillerie, un peu en retrait.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Tucoo-Chala, Ernest (1893- ?)

1. Le témoin

Né à Pau en 1893, Ernest Tucoo-Chala est fils d’un cordonnier et d’une marchande des 4 saisons. Après des études primaires solides, il obtient le certificat d’études et entre en apprentissage chez un menuisier. Il se spécialise dans la carrosserie automobile et réalise un tour de France en tant que compagnon. Embauché à Paris chez Binder comme ouvrier très spécialisé, il est très bien payé. En 1912, il fait son service militaire à Tarbes, dans un régiment d’artillerie, où il est initié à la technique du 75. Il passe directement du service militaire à la guerre, toujours dans l’artillerie. En tout, il vivra près de huit ans sous les drapeaux, sans grosse blessure.

A Paris, il a adhère au parti socialiste, partageant l’idéal pacifiste de Jaurès. Mais il n’y a chez lui aucune trace d’antimilitarisme. Après la guerre, il refuse l’offre d’embrasser la carrière militaire. Il redevient menuisier, à Bordeaux, mais dans des conditions bien moins bonnes qu’à Paris avant la guerre. Il s’inscrit à nouveau à la SFIO.

2. Le témoignage

Après guerre, Ernest Tucoo-Chala a, semble-t-il, peu parlé de la guerre, n’était inscrit à aucune association d’anciens combattants, et ne se rendait pas aux cérémonies du 11 novembre. Il laisse en revanche un très intéressant carnet de notes prises au jour le jour et publié par ses enfants en 1996 sous le titre 1914-1919. Carnets de route d’un artilleur (Biarritz, J. et D.  Deucalion, 1996, 116 p.) Il commence à la fin du mois de juillet 1914 et ne s’achève qu’en août 1919. Son écriture est succincte, mais précise et essentielle. A noter également la grande liberté de ton de cet artilleur dans son carnet.

3. Analyse

Ce carnet de guerre est très intéressant : ce qui frappe d’emblée à la lecture des carnets de ce combattant d’origine populaire, c’est la liberté de ton. Ainsi lit-on par exemple, le 27 avril 1916 : « Je suis vanné après ces trois jours de route (200 km) et, par surcroît, des manœuvres maintenant! Que le diable les emporte avec leurs âneries de manœuvres » (p.31).

A mesure que la guerre se prolonge, son carnet devient ainsi le réceptacle de toutes ses colères : contre l’inanité des offensives, début octobre 1915 : « Le cafard, le cafard est revenu, on devait tout bouffer, on a dépensé des milliers d’obus et pour quoi ? Pour nous regarder à nouveau en chiens de faïence » ; contre le prétendu repos derrière les lignes, le 8 mai 1916 : « manoeuvre sur un grand plateau […] Vraiment ils se foutent de nous; nous faire casser la gueule, passe encore, c’est la guerre! Mais nous emmerder comme ils le font avant, ça passe les bornes » ; contre le terme mis par un officier à une trêve tacite (26 juin 1916).

La guerre qui se dessine au fil des pages est celle d’un artilleur. Conscient par ailleurs de la différence de conditions de vie entre fantassins et artilleurs (pp. 43-44), il décrit avec justesse les difficultés de la vie matérielle et la dureté des combats, notamment à Verdun, le 28 mai 1916 : « il y a de quoi perdre la tête dans ce chaos […] c’est une véritable fournaise […]. Nous tirons sans cesse […] les blessés qui passent près de nous nous engueulent, nous leur tirons dessus à ce qu’il paraît ; alors j’aime mieux [régler le tir] 50 mètres plus long. Je ne suis plus comme les copains qu’un paquet de boue gluante. On ne vit plus, on est en sursis, des morts vivants et l’énergie ne peut rien contre la fatigue et la soif. ». Les gaz l’ont beaucoup marqué. Ces conditions de vie pénibles l’incitent à s’y soustraire, par un mariage, synonyme de permission (septembre-octobre 1916) ou encore par un départ volontaire pour le front d’Orient perçu comme moins dangereux (octobre-novembre 1917).

Au total, un carnet d’une grande richesse par un combattant d’origine populaire.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Hirsch, David (18.. – 19..)

1. Le témoin

Les informations dont on dispose sur l’auteur sont minces : il était commerçant à Roubaix, de confession juive, et âgé, sans que l’éditeur nous précise son âge. Roubaix est occupé la majeure partie de la guerre par les Allemands et, le 21 septembre 1917, son commerce est réquisitionné. Il note : « je vais maintenant avoir des loisirs pour continuer ces notes car ce matin vers 10 heures, on a commencé à nous prendre tout ce que nous avions en magasin on a continué cet après-midi et demain matin on va finir de tout nous prendre. » Il est évacué vers la partie libre de la France le 31 août 1918.

2. Le témoignage

Son témoignage est publié sous le titre « Journal de David Hirsch » dans Journaux de combattants & civils du Nord, (PU du Septentrion, 1998, pp.223-301). Du 1er août 1914 au 31 août 1918, date de son évacuation vers la France libre, il prend des notes, chaque jour, sur son livre de comptes. A mesure que la guerre se prolonge, ses annotations deviennent de plus en plus détaillées. Le manque d’information biographique sur David Hirsch dans l’ouvrage publié est regrettable compte tenu de la richesse de ce témoignage.

3. Analyse

David Hirsch offre un regard sur la vie quotidienne à Roubaix entre 1914 et 1918. La ville, en territoire occupé par les Allemands, est isolée du reste du territoire national. L’auteur se plaint ainsi à plusieurs reprises de l’absence de journaux ou de nouvelles venues de France.

Il souligne également le poids des réquisitions et de la pénurie de nourriture. La montée du prix des denrées de base entraîne une montée de la misère chez les civils. Les Allemands imposent également à la population des réquisitions en  service. Le 20 avril 1916 est affiché cet arrêté : « L’attitude de l’Angleterre rend de plus en plus difficile le ravitaillement de la population. Pour atténuer la misère, l’autorité allemande a demandé récemment des volontaires pour aller travailler en zone rurale. Cette offre n’a pas eu le succès attendu. En conséquence, des habitants seront évacués par ordre et transportés à la campagne.[…] » Ainsi commencent les « enlèvements » de civils (3 femmes pour un homme environ), qui choquent profondément David Hirsch qui note, le 23 avril 1916 : « L’agitation continue à Roubaix, parce qu’on continue à enlever les hommes et les femmes. A Lille on a commencé le même travail contraire à toutes les lois de la guerre et de l’humanité surtout en ce qui concerne les femmes ». David Hirsch rapporte ainsi les manifestations de l’opposition des populations civiles aux exigences de l’occupant et les efforts de ce dernier pour les briser, si besoin par la force.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Degrutère, Maria (18.. – 19..)

1. Le témoin

Maria Degrutère habitait La Madeleine, un faubourg de Lille. Elle était institutrice dans une école catholique. Elle ne devait vraisemblablement pas être très âgée, dans la mesure où elle évoque une visite de ses grands-parents. On ignore presque tout de sa vie. Le manque d’information biographique sur Maria Degrutère dans l’ouvrage est regrettable compte tenu de la richesse de ce témoignage.

2. Le témoignage

Son témoignage est publié sous le titre « Tableau des évènements particuliers et journaliers », dans Journaux de combattants & civils du Nord, (PU du Septentrion, 1998, pp.161-219). Il débute le 24 août 1914 et s’achève le 19 janvier 1918, au moment de son évacuation vers la France.

3. Analyse

Le témoignage de Maria Degrutère offre un regard intéressant sur la vie à Lille, occupée 1465 jours par les Allemands entre 1914 et 1918.

La situation de Lille, proche du front de Flandre – 15 kilomètres – fait de cette ville une sorte de camp retranché pour les Allemands. Le 16 janvier 1916, Maria Degrutère note : « Nous avons maintenant une vie fort triste. Nous sommes à la merci d’un bombardement, des explosions, des maladies contagieuses. Nous sommes abrutis par la canonnade qui depuis plusieurs mois se fait de plus en plus violente ». Les mesures en cas d’attaque par les gaz sont diffusées : « Nouvelle affiche concernant les gaz asphyxiants. Au son de la cloche ou de la sirène, il faut entrer dans une maison à étages, monter au 1er étage, boucher les portes et les fenêtres, se mettre un linge mouillé sur la figure. » (14 septembre 1916)

Maria Degrutère relaie également dans son témoignage d’autres affiches, émanant de l’occupant, et qui témoignent de la lourdeur des contributions imposées à la municipalité et, surtout, de la fréquence des réquisitions chez les Lillois. Il ne se passe pas une semaine sans que de nouveaux objets soient réquisitionnés : métaux, cuirs, vêtement, etc.

S’ajoutent à cela les réquisitions en service pour fabriquer, par exemple, des sacs destinés aux tranchées allemandes, d’où l’opposition des ouvriers et ouvrières. Par la force, les Allemands parviennent les faire céder. Mais les résistances persistent au sein de la population lilloise. Le 20 avril 1916 est affiché cet arrêté : « L’attitude de l’Angleterre rend de plus en plus difficile le ravitaillement de la population. Pour atténuer la misère, l’autorité allemande a demandé récemment des volontaires pour aller travailler en zone rurale. Cette offre n’a pas eu le succès attendu. En conséquence, des habitants seront évacués par ordre et transportés à la campagne. […] » Ainsi commencent les « enlèvements » de civils (3 femmes pour un homme environ). Maria Degrutère en témoigne : « Cet enlèvement dure toute la semaine à Lille. Chaque jour des soldats allemands (20 par maison) baïonnette au canon arrivent dans un quartier vers 3 heures du matin, font lever tout le monde et emmènent des hommes, mais surtout des femmes et des jeunes filles de 20 à 35 ans pour les conduire on ne sait où. Il y a des scènes indescriptibles, des scènes d’angoisse et d’agonie pour des mères à qui on arrache ainsi les enfants. Plusieurs personnes s’évanouissent, d’autres deviennent folles, certaines sont malades d’essayer de se débattre avec les officiers. […] C’est un spectacle navrant, on nous conduit comme des criminels à l’échafaud. » (23 avril 1916)

On est également frappé, à la lecture de ce journal, par la place que tient la nourriture – ou plutôt le manque – dans les préoccupations de l’auteur et, semble-t-il, des Lillois en général. Le prix des denrées ne cesse d’augmenter. La population civile est exsangue.

Maria Degrutère ne vivra pas la fin de la guerre à Lille : elle est évacuée en 1918 vers la France. Mais elle laisse ce témoignage précieux sur son expérience de civil en région occupée.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Bès, Victorin (1895-1961)

1. Le témoin

Né à Castres (Tarn) le 14 mai 1895, Victorin Bès avait 19 ans en 1914. Il habitait rue de Venise à Castres. Après des études à l’EPS de Castres, il est devenu surveillant de collège à Mirande (Gers). Il est passionnément attaché à sa famille et à Castres. Son grand-père avait été  métayer de Crabier, son père, serrurier-mécanicien dans une usine textile. Il est par ailleurs très marqué par l’anticléricalisme du début du siècle et le socialisme jaurésien. Son oncle, Henri Bès, socialiste, avait été adjoint au maire radical-socialiste de Castres Louis Vieu, et conseiller d’arrondissement de Castres. En septembre 1915, il rejoint le 161e régiment d’infanterie sur le front de Champagne. Fortement commotionné le 24 avril 1916 à Verdun, il est évacué à Bar le Duc, puis à l’hôpital mixte de Saint Dizier. A partir du 2 août, il peut achever son repos à Castres. Il rejoint le dépôt du 161e régiment d’infanterie à Guingamp et apprend, le 21 décembre qu’on peut être volontaire pour le front d’Orient. Il y reste jusqu’au 28 avril 1918. Victorin Bès demande alors à devenir élève-aspirant. Il ne reviendra plus au front. Après la guerre, il fera carrière dans l’administration des finances.

2. Le témoignage

Du 20 décembre 1914 au 28 avril 1918, Victorin Bès tient des carnets, écrits au crayon. Des extraits de ce témoignage (7%) ont été publiés dans la Revue du Tarn, avec l’accord des enfants de Victorin Bès, Jean, Pierre et Suzanne, sous le titre « Quelques extraits des carnets de guerre de Victorin Bès. Un Castrais « combattant involontaire » » (n° 196, hiver 2004, p. 673-690). Ils sont présentés par Jean Faury qui précise en introduction que « ces carnets doivent faire l’objet d’une publication complète ». On ne peut qu’inciter à une telle entreprise : ces courts extraits laissent en effet entrevoir l’immense richesse et l’intérêt certain de ces notes prises au jour le jour par un non professionnel de l’écriture.

3. Analyse

Le témoignage de Victorin Bès est d’une richesse telle que l’on regrette de n’en avoir que 7%.

Ce jeune homme se distingue d’abord par ses qualités d’analyste. Il propose ainsi, en décembre 1914, une réflexion sur l’entrée en guerre, marquée par ses sympathies pour les idées socialistes : « Depuis le 4 août nous sommes en guerre contre l’Allemagne. […] J’ai vécu la fièvre de tous mes compatriotes. J’ai entendu hurler « A Berlin » […] Après les pleurs des femmes pendant la journée du 4 août, après les chants, après les musiques militaires, le canon a tonné […] Chassons de nos esprits tous les doutes. […] Il faut que, malgré mes opinions, je sois persuadé de la volonté de paix de nos représentants du peuple. Certes, la structure capitaliste des nations, la Paix armée, les conflits d’intérêts des magnats des mines et de l’industrie, sont moralement responsables de l’état de choses actuel. Mais qui a déclaré la guerre ? C’est l’Allemagne. Qui est attaqué ? C’est la France. »

Ses qualités d’observateur, ensuite, sont remarquables : il décrit avec précision ses conditions de vie, sans passer sous silence les aspects les plus pénibles comme par exemple l’odeur des cadavres (p. 678). Les récits de combats sont saisissants : son ton est vivant, haletant, et traduit à certains moments l’agitation de l’auteur. En fait, le carnet fait office d’exutoire : à son angoisse pendant un bombardement (22 avril : « c’est un besoin [d’écrire], je suis sourd aux explosions »), à son agitation après l’attaque (19 mai 1916), et à sa colère à plusieurs reprises. Dans ces moments-là, le récit se fait au présent, les phrases s’enchaînent, se bousculent même. A titre d’exemple, le 8 octobre 1915, il se lance dans le récit de ce qu’il a vécu lors d’une attaque sur le front de Champagne, quelques jours auparavant. Il tente de mettre des mots sur ce tourbillon d’images dans lequel il semble toujours pris : « Sifflet : En avant ! Pas de traînards ! Les corps bleu horizon se dressent, gravissent le parapet, l’arme à la main. On crie, on hurle […] Les balles sifflent éperdument, s’écrasent à nos pieds. Des corps tournoient, tombent en arrière. Quoi ? Des obus maintenant ? Le capitaine hurle En avant ! La ligne d’attaque flotte, s’éclaircit. Je continue à marcher comme un automate, à courir plus exactement. » (p. 677) Chaque mot posé semble insuffisant à rendre compte de la réalité et Victorin Bès doit inlassablement en proposer d’autres (« plus exactement ») pour essayer tant bien que mal de faire entrer son expérience dans le champ du langage. Ce sentiment de l’étroitesse des mots, impuissants à couvrir le réel, beaucoup en ont fait l’expérience.

La richesse de ce témoignage tient enfin dans les différentes stratégies d’évitement déployées par l’auteur pour échapper à la violence du front (tentative d’automutilation, départ volontaire pour le front d’Orient perçu moins dangereux, etc.) et dans la complexité des relations à l’ennemi (de sa sympathie pour les fraternisations à sa colère au moment où il apprend la mort d’un camarade ou face à des ennemis qui refusent de se rendre).

08/03/2009

Marty Cédric.

Complément : édition intégrale du texte : Victorin Bès, Journal de route 1914-1918, Castres, Société culturelle du pays castrais, 2010, 208 pages. Dans 500 Témoins de la Grande Guerre, photo de Victorin p. 71 et de la couverture de son carnet p. 11.

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Eychenne-Bareil, Juliette (1907-1989)

1. Le témoin

Juliette Bareil est née le 7 juillet 1907 à Carcassonne dans un milieu modeste. Elle a une sœur aînée de dix ans plus âgée.

2. Le témoignage

Ce témoignage oral, recueilli et transcrit par Claude Marquié, a été publié dans Années cruelles. 1914-1918 de Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès, Villelongue d’Aude , Atelier du Gué, coll. Terres d’Aude, 1983, 143 p.

3. Analyse

Ses souvenirs de la mobilisation rendent surtout compte de l’agitation à la gare : « j’avais alors sept ans, ma sœur aînée qui en avait dix-sept m’emmenait avec d’autres jeunes filles à la gare voir passer les soldats qui partaient pour le front. Quel enthousiasme ! On aurait dit qu’ils allaient à la fête ! Des cocardes tricolores partout, des fleurs aux fusils… Ils chantaient joyeux : « Tous à Berlin ! » Tout le monde s’embrassait. » Si ces manifestations d’enthousiasme ont marqué Juliette Eychenne, elles sont souvent restées circonscrites aux gares ou aux villes. En publiant ce témoignage avec ceux d’autres civils, comme Berthe Cros, Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès permettent au  lecteur de nuancer ce tableau et de se faire de la mobilisation une image plus juste.

Dans son témoignage, Juliette Eychenne dresse un tableau saisissant de Carcassonne en guerre. Tout d’abord, l’espace urbain est marqué par l’apparition d’hôpitaux provisoires pour faire face à l’afflux massif de blessés : « les écoles étaient transformées en hôpitaux militaires : Saint-Stanislas, André Chénier, l’Ecole Normale de Garçons et d’autres locaux […] Saint-Stanislas ne désemplissait pas de grands blessés, on ne savait où le mettre, toutes les écoles et même les grands magasins étaient occupés ». Ensuite, c’est toute l’économie qui se met au service des besoins de la guerre : « Les hommes étant partis, ceci explique qu’on ait utilisé les femmes dans les usines pour faire des obus. L’usine Plancard […] était une fonderie qui se consacra à la fabrication des obus grâce aux femmes qui considéraient ce genre de travail comme un acte patriotique ; mais c’était très pénible.

Il y avait aussi, rue Pasteur, une grande blanchisserie qui lavait le linge pour la caserne : les machines étaient rudimentaires et beaucoup de choses se faisaient à la main, le plus pénible pour ces femmes était d’étendre dehors par tous les temps, même s’il gelait. D’autre part, beaucoup de femmes confectionnaient des vêtements militaires à domicile ; tout cela était peu payé, ma mère travaillait tous les jours, mais malgré tous ses efforts, c’était quand même la misère. » Juliette Eychenne rappelle à ce propos les interminables queues pour quelques pommes de terre, la faim et les problèmes de ravitaillement.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Cros, Louis (1906-1986)

1. Le témoin

Louis Cros, né le 7 janvier 1906, dans une famille d’agriculteurs. Il est l’aîné. Son frère a 5 ans en 1914 et sa sœur 2 ans. Son père est mobilisé en 1915. Blessé à la tête par un obus sur le plateau de Lorette le 20 juin 1915, il meurt un mois plus tard à  l’hôpital de Noeux-les-Mines, dans le Pas-de-Calais, où il est enterré.

2. Le témoignage

Louis Cros a été interviewé en 1980 par l’instituteur du village, Jean-Pierre Guilhem et les écoliers, dans le cadre du concours organisé par la FAOL et le CDDP. Ce témoignage oral, transmis par Rémy Cazals, a été publié dans Années cruelles. 1914-1918 de Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès, Villelongue d’Aude , Atelier du Gué, coll. Terres d’Aude, 1983, 143 p.

3. Analyse

Louis Cros, encore enfant au moment de l’entrée en guerre se souvient de l’état d’esprit des premiers mobilisés : ceux qui devaient partir, « ils l’ont pris très bien. Ils disaient, la majeure partie : « Oh ! Avec l’armement qu’il y a aujourd’hui, dans huit jours on sera à Berlin. Avec l’armement qu’il y a, e ben, aujourd’hui, c’est pas besoin de s’en faire ! » Ils partaient comme ça, ils partaient contents. Mais malheureusement, la majeure partie ne sont pas revenus. » La publication d’un tel témoignage avec ceux d’autres civils, comme Berthe Cros ou Juliette Eychenne, présente un intérêt certain, celui d’offrir d’autres regards sur le même événement et de rappeler la complexité des sentiments des Français à l’entrée en guerre.

Louis Cros témoigne également des difficultés matérielles rencontrées par les civils, de la lourdeur des réquisitions, des cartes de ravitaillement ; mais ses souvenirs sont avant tout ceux d’un enfant dont la vie a été profondément bouleversée par la guerre : en effet, avec le départ de son père, Louis Cros a dû aider sa famille en s’occupant de la ferme. Lui qui participait déjà à la vie de la ferme avant la guerre est amené à prendre plus de responsabilités dans l’exploitation familiale. L’école passe au second plan : « A l’école, j’y allais l’hiver, quand il faisait mauvais, mais pas l’été. Et pendant la guerre, j’y suis été une paire d’années, mais après j’y suis plus été. J’avais des vaches à soigner, et mon frère avait cinq ans, ma sœur deux ans, et ma mère, et personne pour travailler. Mon père était sur le front. » A propos des travaux des champs, Louis Cros précise : « Je le sais personnellement, je sais ce que c’est ! Je menais la charrue pour semer les pommes de terre, j’avais huit ans. Je mettais la charrue sur l’épaule pour tourner au bout… Il fallait semer des pommes de terre pour manger, parce que c’était pas la peine d’aller chez l’épicier, il n’y en avait pas… »

08/03/2009

Marty Cédric.

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Cros, Berthe (1910-1992)

1. Le témoin

Berthe Cros est née le 12 mai 1910 à Villesèquelande, à dix kilomètres de Carcassonne. Son père est mobilisé dès 1914. Elle reste seule avec sa mère.

2. Le témoignage

Son témoignage oral a été enregistré en 1981 par sa petite-fille, Isabelle Cros. Transcrit par Claude Marquié, il a ensuite été publié dans Années cruelles. 1914-1918 de Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès, Villelongue d’Aude , Atelier du Gué, coll. Terres d’Aude, 1983, 143 p.

3. Analyse

Le témoignage oral transmis par Berthe Cros en 1981 vient éclairer quelques aspects de la vie quotidienne des civils audois pendant les années de guerre.

En août 1914, Berthe n’est encore qu’une enfant, mais la rupture qu’a constituée l’annonce de la guerre est restée gravée : « Bien que n’ayant que quatre ans à la déclaration de guerre, je me souviens bien de cette journée car ce fut le début d’une chose affreuse. Mes parents dépiquaient au rouleau sur le sol et il faisait une grosse chaleur. Tout à coup, les cloches se mirent à sonner. Le tocsin ! Tout le monde s’écria : « C’est la guerre ! » Les gens ont tout laissé et se sont rassemblés devant la mairie, car ce n’était que là qu’on pouvait se renseigner, étant donné qu’il n’y avait ni radio, ni télévision. » Les travaux des champs sont suspendus et les premiers départs commencent. Parmi les mobilisés, son père : « Papa devait partir le soir même à Perpignan et tout le monde pleurait. […] Ça je me le rappelle, tout le monde pleurait… ».

Elle se souvient également que, « morte de sommeil sur l’épaule de Maman », elle attendait le passage en train de son père en partance vers le front. La foule est massée sur le quai et la petite fille est frappée par la cohue provoquée à l’arrivée du train en gare : « C’était affreux, je vois encore ces soldats aux portières, tout le monde qui criait quand le train est arrivé. »

La séparation est pénible et les lettres restent un lien vital entre les hommes au front et leurs proches restés à l’arrière. « Nous ne vivions qu’en attendant le facteur, dans un climat angoissant, car on a vécu longtemps sans nouvelles. »

La première permission, les difficultés matérielles, la pénurie alimentaire dans les campagnes, la pression sur les « embusqués », la mort des proches, le poids du deuil sur les familles qui impose une certaine réserve lorsque vient l’heure de l’armistice et du retour de son père, autant de thèmes évoqués dans ce témoignage qui gagne à être confronté à d’autres souvenirs de civils, ceux de Louis Cros ou de Juliette Eychenne par exemple, ou à des journaux et des correspondances, comme les écrits de Marie Escholier.

8/03/2009

Marty Cédric.

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Bertier de Sauvigny, Albert (1861-1948)

1. Le témoin

Issu d’une grande famille de l’ancienne noblesse d’origine bourguignonne. Entretient des relations sociales avec ce milieu. Semble partager des idées politiques plus ou moins conservatrices. Membre du C.I.O. avant la guerre. Propriétaire du château de Coeuvres. Maire de cette commune durant toute la guerre (ne quitte sa commune qu’entre le 31 mai et le 20 juillet 1918). Malgré son engagement durant la guerre, n’est réélu ni 1919 ni en 1925.

2. Le témoignage

Pages d’histoire locale 1914-1919. Notes journalières et souvenirs, Imprimerie de Compiègne, 1934, 525 p. Edition illustrée (dessins de l’auteur ?) Carte. Préface. 17 annexes.

Réédition Soissonnais 14-18, 1994, 523 p. Fac-similé de l’édition originale. Photographies et documents divers (c’est cette réédition que nous utiliserons ici).

Une dédicace : « A mes fils, en mémoire de leur aîné mort pour la France. »

Les souvenirs d’Albert Bertier de Sauvigny constituent une source de premier ordre pour mieux connaître la vie d’un village de l’immédiat arrière front, Coeuvres dans l’Aisne, durant toute la guerre et l’immédiat après guerre. Ils laissent apparaître deux types de narration, mêlant d’ailleurs deux typographies distinctes.

L’une est constituée à partir de notes journalières qui semblent ici retranscrites mais ont été à l’évidence complétées voire complètement réécrites par la suite, sans que l’on puisse vraiment savoir si le contenu de ce journal a été ici utilisé dans sa totalité. Ces notes sont parfois introduites par une phrase du type : « Je relève dans mon journal : (…) » (p 23).

L’autre est une mise en récit de ces notes, faisant entrer ce type de témoignage dans la catégorie des souvenirs de guerre. Ce second type de narration s’appuie alors sur d’autres sources que celles dont l’auteur a pu être le témoin direct (cf. ci-dessous, fin du chapitre I).

Le récit est alerte, vivant, avec une chronologie très précise. Il fourmille de détails dont l’intérêt est variable si l’on sort d’une perspective purement locale. La position sociale de Bertier facilite ses relations tant avec les autorités militaires (allemandes ou françaises) qu’avec un certain nombre de notables locaux ou nationaux. Ces souvenirs abordent également la période de l’immédiat après guerre avec l’évocation de l’année 1919 (recherche et identification des corps, gestion des cimetières provisoires, reconstruction du village).

3. Analyse

Vu la longueur du témoignage, nous adoptons ici une approche volontairement synthétique qui variera en fonction de l’intérêt des chapitres. Le contenu des annexes (souvent riche) est mentionné mais ne sera analysé que très brièvement.

Avant-propos

P I à IX : implication de l’auteur dans le comité international d’organisation des J.O. à la veille de la déclaration de guerre.

Première partie : du 22 juillet au 31 décembre 1914

Chapitre I (p 1 à 10)

Visite privée en Allemagne du 22 au 26 juillet 1914 puis départ précipité pour l’Angleterre où l’auteur apprend l’existence de l’attentat de Sarajevo et ses conséquences.Retour en France début août : mobilisation. Arrivée à Coeuvres le 2 août : première réquisitions militaires.« Des notes prises journellement par moi pendant mon séjour auprès de mes administrés, puis – après mon départ volontaire pour l’armée jusqu’à mon retour au pays – un journal tenu par mon ami Maurice Desboves et une fréquente correspondance échangée soit avec lui, soit avec le secrétaire de mairie, soit avec mon garde-régisseur Leblanc, m’ont permis de reconstituer l’existence quotidienne de mon village pendant ces années inoubliables. » (pp 9-10)

Chapitre II (p 11 à 22)

2 juillet et jours suivants : départ des premiers mobilisables de Coeuvres : « (…) personne à ce moment ne se rend compte de la terrible réalité. » (p 11) L’auteur reçoit l’aide des habitants du village pour faire face à cette situation. Destruction des plaques du bouillon Kub (rumeur apparue dès le début du conflit). Réquisitions militaires et création d’une Commission de ravitaillement. Union sacrée au niveau de la presse régionale. Protection d’une ressortissante autrichienne suspecte conduite à Paris. Arrivée des réfugiés de Verdun (dans le cadre du plan d’évacuation de la région fortifiée). Début de la vague d’espionnite. Avalanche de circulaires et télégrammes due à la proclamation de l’état de siège (directives absurdes). Mise en place de dispositions en faveur des familles nécessiteuses (abus). Etablissement de barrages et de contrôles dans la traversée des villages (espionnite aigue ; l’auteur mentionne un retour accru de cette tendance après la bataille de la Marne).

Chapitre III (p 23 à 32)

24 au 30 août : désertion de certains fonctionnaires et notables face aux menaces d’invasion.

L’auteur pressent que cette région de l’Aisne sera envahie et occupée. Arrivée des populations du Nord. Départ conseillé des familles de « quelques notabilités » malgré un télégramme du général commandant la 2e Région (rassurant…) Trains pour Paris bondés. Premières rumeurs concernant les atrocités commises par les Allemands. Absence de directives émanant des autorités civiles. Présence des troupes anglaises.

Chapitre IV (p 33 à 38)

31 août : repli en ordre de l’armée anglaise (mais pillages). Patrouilles de Uhlans signalées (accrochages avec des gendarmes). Départ de certains habitants, d’autres entendent rester : « De-ci de-là des conciliabules ont lieu dans la soirée, de maison à maison. Le pitoyable défilé des fuyards ne produit pas le même effet sur tous. Il affole les uns et les entraîne à l’exode ; au contraire il détermine d’autres à rester, qui déclarent : « Si je dois mourir, j’aime mieux que ce soit chez moi que par les chemins ! » » (p 36)

Chapitre V (p 39 à 60)

1er septembre : poursuite du retrait des troupes anglaises, talonnées par les Allemands (cette retraite semble s’accomplir cette fois dans un certain désordre). Un officier britannique quelque peu paniqué conseille à l’auteur de partir. Des habitants du village qui se sont mis en route sont refoulés, probablement par les autorités militaires. Un sous-officier anglais, réfugié chez un habitant et ivre, accuse le maire d’être un espion. Même comportement avec d’autres habitants. Bertier est obligé d’intervenir pour le calmer et s’en débarrasser.

Irruption d’un dragon allemand à la recherche de soldats anglais. Il braque son arme sur le maire mais dialogue calmement en français. A l’arrivée des patrouilles allemandes, Bertier fait connaître sa qualité de maire et demande à être l’interlocuteur privilégié (les échanges se font toujours en français avec les officiers). Le maire donne des consignes afin que chacun reste chez soi. Des traînards de l’armée anglaise déambulent toujours dans une certaine confusion qui ne peut qu’affoler la population civile et entraîner des répressions (les atrocités allemandes semblent connues de l’auteur dès cette période). Un jeune civil est tué par les patrouilles de Uhlans (corps abandonné puis récupéré par ses camarades). Installation des Allemands (Bavarois) dans le château de Coeuvres (propriété du maire). Passage du duc de Slesvig-Holstein (beau-frère de Guillaume II), il s’installe temporairement au château et félicite le maire d’être resté à son poste. Un cantonnier et sa famille, prisonniers des Allemands, bénéficient de l’intervention du maire pour être libérés. Les Allemands, selon les propos du journal du maire, emploie un stratagème leur permettant de justifier une éventuelle répression : ils affirment avoir subi des pertes, fussent-elles imaginaires… Le duc reçoit un télégramme de Guillaume II lui annonçant la défaite des Russes. Bertier demeure sceptique mais considère que la guerre est véritablement perdue, au vu de l’avancée allemande et de leur proximité par rapport à Paris. Le duc invite Bertier à souper, ce dernier décline catégoriquement l’ « invitation »… Evocation du comportement du même duc au château de Bellignies (Nord) qui appartenait à la famille de Croÿ. Ce dernier obligea les châtelains à dîner en sa compagnie, les menaçant d’abandonner une ambulance en cas de refus (cet épisode a été raconté par Marie de Croÿ à l’auteur en 1931 ; il est également relaté dans les mémoires de Marie de Croÿ dont on trouvera la référence dans la 4e partie).

Bertier s’enquière de ses administrés : il a surtout des craintes pour les fermes isolées de sa commune. La boulangerie est particulièrement sollicitée par la troupe d’occupation.

Poursuite du passage des troupes allemandes qui donne l’impression d’une totale défaite. Les habitants sont contraints à mettre des seaux d’eau devant le seuil de leurs maisons pour que les soldats puissent se désaltérer. Hymnes de victoire : dans 3 jours, ils seront à Paris…

Le soir, Bertier est à nouveau obligé d’intervenir auprès d’un haut gradé allemand (le prince de Saxe-Meiningen) pour sauver de l’exécution son adjoint Debuire. Cette rumeur s’avère finalement fausse sans que Bertier parvienne à élucider son origine. Harassé par cette journée mouvementée, Bertier doit néanmoins continuer à administrer sa commune occupée, notamment avec l’arrivée des services postaux militaires allemands. L’état-major qui occupait le château le quitte à 3 heures du matin.

Chapitre VI (p 61 à 78)

2 au 7 septembre : flot ininterrompu de troupes allemandes. Pillages sans ordres de réquisition mais un officier allemand accorde 250 kg de farine pour la population civile. Un officier qui porte un nom polonais semble très affecté par la tâche qui lui a été confiée : enterrer les morts.

Un médecin allemand soigne un dragon grièvement blessé. Ce dernier confie au maire un certificat de bons soins.

Certains officiers du Slesvig « pacifiques et corrects » (p 66) ont peu de sympathie pour les Prussiens. Le cadavre d’un civil est à nouveau découvert. Evocation du canon vers Château-Thierry (bataille de la Marne). A partir du 7 septembre, les troupes allemandes refluent vers le nord.

Chapitre VII (p 79 à 98)

9 et 10 septembre : reflux de la cavalerie (non engagée) puis de l’infanterie allemande. Arrivée au château de l’état-major de la 1ère armée (Von Klück, qui fait bonne impression à l’auteur). Installation des lignes téléphoniques.

Chapitre VIII (p 99 à 106)

11 septembre : départ de Von Klück et de son état-major. Reflux d’isolés allemands. Arrivée de la cavalerie française puis de l’infanterie. Combats sporadiques d’arrière garde. Les Français ne sont pas sûr de pouvoir tenir le village (risque de bombardement allemand).

Chapitre IX (p 107 à 122)

12 au 14 septembre : arrivée des avant-gardes françaises du 7e CA. Enterrement de soldats allemands et français. Evocation rétrospective des exploits de l’escadron Gironde (cf. également annexe I). Canonnades vers le nord (passage de l’Aisne). Installation de troupes françaises dans le village. Les combats pour passer l’Aisne s’avèrent particulièrement difficiles car les Allemands se sont retranchés sur les plateaux qui la jouxtent (bataille de Fontenoy et du plateau de Nouvron). Arrivée des premiers blessés français (63e DI). L’armée fournit des vivres à la population du village.

Chapitre X (p 123 à 130)

15 au 20 septembre : combats pour la prise des plateaux du nord de l’Aisne (pluie). Retour de certains habitants qui avaient fui. Remise de plaques d’identité à un major chargé de l’assainissement du champ de bataille. Fixation des lignes et entrée dans la guerre de position.

Chapitre XI (p 131 à 160)

21 septembre au 17 octobre : installation de l’état-major de la VIe armée (Maunoury) dans la château de Coeuvres. Près de 5 000 hommes vivent dans le village (premières tensions entre les autorités civiles et militaires au sujet des réquisitions et de l’installation des troupes). Interdiction des débits de boisson pour la troupe. Visite de Gabriel Hanotaux (distribution d’argent). Pénurie de charbon et de vivres. Mesures de police à l’égard des civils considérées comme vexatoires. Espionnite. Départ de l’état-major de la VIe armée.

Chapitre XII (p 161 à 172)

18 octobre au 18 novembre : visite de l’épouse du maire de Fontenoy (situation très difficile dans ce village de première ligne).

Visite de Melles B. et C. fiancée et sœur du maréchal des logis C. mort à l’ambulance le 20 septembre et inhumé au cimetière de Coeuvres. Elles sont accompagnées d’un ami, ancien commissaire à Besançon. La fiancée insiste pour qu’on exhume le corps du soldat. Refus motivé de Bertier dans la mesure où le corps est enterré en fosse commune, ce qui oblige à exhumer les autres corps. La fiancée s’incline devant cette raison.

Ouverture d’une fosse commune  où reposent des Anglais au Rond de la Reine [parmi ces corps, celui du neveu de Lord Cecil ; un monument le commémore aujourd’hui ; Doumer évoquera le devenir de ce corps lors dans le procès-verbal de la séance du 31 mai 1919 de la Commission Nationale des Sépultures militaires, cf. AN F2 2125]. Voyeurisme d’une passante lors de ces exhumations.

Chapitre XIII (p 173 à 182)

21 novembre au 24 décembre  : établissement à Coeuvres de l’état-major du 7e CA (nouvellement commandé par le général De Villaret). Visite du sous-préfet. Arrivée de wagons de charbon (suite à l’intervention d’Hanotaux ; évocation de la création du Comité des Réfugiés de l’Aisne). Enterrement d’un soldat allemand. Sur la croix figure l’inscription : Hic jacet ignotus Teutonicus miles. Création de compagnies agricoles. Conseils de révision (Villers-Cotterêts, Vic-sur-Aisne). Visite de deux femmes au général De Villaret (dont une actrice) malgré l’interdiction de la zone aux civils.

Deuxième partie : du 1er janvier 1915 au 31 décembre 1917

Chapitres XIV à XXIV (p 185 à 286)

1915 : le village est devenu un lieu de cantonnement des troupes (va-et-vient incessant de diverses unités). Afflux de troupes en vue de l’attaque de la cote 132 (affaire de Crouy). Blessure des généraux Maunoury (VIe armée) et De Villaret (7e CA) lors d’une visite aux tranchées. Bombardement du village. Mandats pour occupation du village par l’armée (indemnités de cantonnement lucratives pour certains habitants). Déjeuner avec l’abbé Payen qui a accompagné jusqu’au peloton d’exécution 2 soldats (exécution dans un hameau de Saint-Cristophe-a-Berry). Visite d’une ambulance : 2 soldats blessés ont commis des violences sur leur sergent et ont fait une tentative de suicide commune. Un capitaine du Génie réquisitionne du matériel pour inventer et fabriquer un lance-grenade sous forme d’arbalète. « La mission d’annoncer ces tristes nouvelles aux parents des pauvres soldats tombés au Champ d’Honneur, revient bien souvent et constitue l’un des côtés douloureux du rôle des maires. » (p 223). 4 août 1915 : l’état-major du 7e CA quitte le village pour s’installer à Longpont. 1er octobre : réouverture de l’école du village.

1916 : nombreux décès dans l’ambulance entraîne la création d’un nouveau cimetière (ambulance importante, les blessés viennent de loin). Arrivée de la main d’œuvre travaillant pour la défense du Gouvernement militaire de Paris (mauvaise réputation, cégétistes…). Lutte des autorités militaires contre la vente de vin par les civils.

1917 : le village se vide de militaires suite au recul allemand. Cantonnement de troupes participant à l’offensive du Chemin des Dames (repos). Mutinerie du 370 RI. Arrivée de 5 escadrilles de chasse à la ferme de Vaubéron (installation de hangars). Nomination d’un délégué et d’un suppléant de la commune à la Commission cantonale des dommages de guerre.

Troisième partie : du 1er janvier au 23 octobre 1918.

Chapitres XXV et XXVI  (p 289 à 312)

1918 : les cultivateurs se plaignent qu’un grand nombre d’ouvriers quittent les fermes pour aller travailler à l’avant (meilleures rémunérations). Propagande allemande envoyée par ballonnets (Gazette des Ardennes). Les habitants ne touchent plus depuis 6 mois leurs indemnités de cantonnement. Visite de Guy de Lubersac stationné au camp d’aviation de Vaubéron (cf. également annexe XV).

Chapitre XXVII (p 313 à 328)

Mai : installation du CI de la 1ère DI. Départ de certains habitants après l’attaque allemande du 27 mai sur le Chemin des Dames. Défilé incessant de troupes. Installation de l’état-major du 1er CA (général Lacapelle). Mise en sécurité des archives communales. 31 mai : arrivée massive de troupes. Evacuation des civils par camions militaires et sur ordre de l’autorité militaire (quelques « obstinés irréductibles prétendant qu’on n’a pas le droit de les obliger à partir », pp 323-324). Bertier quitte le village pour Paris sous les premiers bombardements.

Chapitres XXVIII et XXIX (p 329 à 332)

Juin : évacuation et dispersions des habitants du village évacué vers la Normandie et la Bretagne. Récit de l’« odyssée de ceux de mes administrés qui étaient restés dans Coeuvres après l’évacuation » (témoignages indirects).

Chapitre XXX (p 357 à 368)

20 juillet : retour de Bertier à Coeuvres : le village a beaucoup souffert des offensives et contre-offensives. La propriété du maire est en partie détruite. Présence de trous individuels et de cadavres allemands dans les parages du village (effets des gaz). Bertier est invité à aller déjeuner à l’état-major du XXe CA (château de Montgobert). Autorisation pour une deuxième visite à Coeuvres occupé par les Britanniques dont l’état-major est installé dans les creutes environnantes (aménagées grâce à la récupération des biens des habitants évacués).

Chapitre XXXI (p 369 à 376)

Août-septembre : nouvelle visite à Coeuvres. Retour de 4 habitants (retours tolérés par l’autorité militaire qui pourtant ne les autorise pas officiellement). Des équipes militaires sont réquisitionnées pour moissonner. Nomination à l’Officiel de Bertier comme chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire. Multiplication des retours clandestins de civils. Visite de Bertier à Paris : intervention auprès du Comité Central des Réfugiés de l’Aisne.

Chapitre XXXII (p 377 à 386)

14 septembre : réinstallation définitive de Bertier dans sa commune (chez l’habitant). Cantonnement de troupes et intervention du Génie pour réparer les habitations (futur STPU à l’efficacité douteuse…). Utilisation des prisonniers pour le déblaiement du village (collecte d’obus non explosés ; un supplément de nourriture pour ceux qui aident de leur mieux). Manque de baraques (n’arriveront qu’en novembre). Action appréciée du CARD (Comité américain des Régions dévastées d’Ann Morgan, cf. annexe VII) et de l’Association de l’Aisne dévastée (fondée en juin 1916).

Chapitre XXXIII (p 387 à 390)

Octobre : récupération de carton bitumé dans un magasin du STPU. Début de la longue correspondance du maire aux familles qui ont perdu un proche dans le secteur : « Je me suis fait un devoir de répondre moi-même très exactement aux parents qui recherchent des militaires disparus dans notre région. » (p 389) Le retour des sinistrés est ralenti par la pénurie de maisons habitables (et secteurs non déminés). Réclamation du maire pour obtenir plus de prisonniers allemands (sentiment d’injustice).

Quatrième partie : du 24 octobre 1918 au 3 mai 1925

Chapitre XXXIV (p 393 à 398)

12 novembre : le retour du silence : pas d’avion, pas d’artillerie. Cérémonie à Paris pour la réception de la Légion d’Honneur. Début des exhumations et réinhumations. Visite du sous-préfet accompagné d’un architecte canadien. Projet de coopérative de reconstruction.

Chapitre XXXV (p 399 à 412)

Janvier 1919 : recherche de cadavres non inhumés. Mise en chantier de la coopérative de reconstruction (apparition des architectes démobilisés). Arrivée des familles à la recherche des disparus, de morts ou de blessés. Une mère voulant soigner son fils gazé est à son tour victime du gaz. 9 mars : violente diatribe de l’auteur à l’égard des politiciens qui bradent la victoire (vise Clemenceau que Bertier ne semble pas porter en son coeur…). On compte les victimes du conflit… Difficultés face au ravitaillement. Correspondance avec les familles à le recherche de leurs morts : certaines familles entendent que leurs morts reposent là où ils sont tombés, près de leurs camarades. Projet de création d’une voie de 0,60 pour aider à la reconstruction (ne sera finalement pas utilisée…).

Chapitre XXXVI (p 413 à 422)

Mai : la remise en état des terres et du village permet d’exhumer de nombreux cadavres. Loi du 17 avril 1919 sur les dommages de guerre (charte dite des sinistrés). 15 juin : création de la coopérative de reconstruction (27 adhérents). Procession et visite dans les cimetières militaires provisoires. Localisation des tombes isolées. Visite des familles. Intervention de Bertier à l’Assemblée des Etats-généraux des Régions libérées de Laon en faveur de la question des tombes isolées (Bertier dénonce à plusieurs reprise l’absence puis l’incompétence des services de l’Etat-civil du champ de bataille, cf. annexe V). 3 septembre : départ de Bertier pour Douaumont afin d’y rechercher son fils (ce qui explique sa sollicitude à l’égard des familles de disparus…). Recherche qui demeure sans résultat. Second voyage sans résultat. 12 octobre : « Assemblée générale de la Coopérative. Les architectes et les entrepreneurs nous promettent monts et merveilles. » (p 420)

Chapitre XXXVII (p 423 à 430)

Déplacement du cimetière du village vers l’extérieur, à côté du cimetière militaire. 30 novembre : élections municipales, Bertier n’est pas réélu, victime d’une kabale locale… Il continue à travailler au sein de la coopérative de reconstruction (où la favoritisme s’installe… mais à mettre en relation avec sa non réélection…). Erection du monument aux morts en 1926 (cf. annexe XII). La commune reçoit la croix de guerre.

Annexes

Annexe I : le raid de la 5e DC [épisode le l’escadron Gironde]

Annexe II : Ambulances ayant fonctionné à Coeuvres [simple liste]

Annexe III : Aide de l’armée à l’agriculture

Annexe IV : Evacuation et exil

Annexe V : Tombes isolées et cimetières [particulièrement riche]

Annexe VI : Récupération

Annexe VII : Le Comité américain des Régions dévastées

Annexe VIII : La reconstitution

Annexe IX : Les familles décimées

Annexe X : Dans les régions envahies

Annexe XI : De Douaumont à Coeuvres [quête du fils disparu]

Annexe XII : Le monument aux morts [inauguration non exempte de règlements de compte politiques, comme ce fut souvent le cas…]

Annexe XIII : Les morts de la commune de Coeuvres-et-Valsery

Annexe XIV : Les instituteurs de l’Aisne [exécution par les Allemands d’instituteurs après la guerre de 1870]

Annexe XV : Le Marquis de Lubersac [pilote durant la guerre ; s’investit beaucoup ensuite dans la reconstruction]

Annexe XVI : Elections et nouvelle municipalité du 3 mai 1925 [dans un contexte de querelles politiques locales]

Annexe XVII : Entre bons Français

4. Autres informations

CLERMONT Emile, Le passage de l’Aisne, Grasset, 1921, 128 p. [rééd. Soissonnais 14-18, 2002, 158 p.]

DE CROY Marie, Souvenirs de la princesse Marie de Croÿ, Plon, 1933, 281 p.

HARDIER Thierry, JAGIELSKI Jean-François, Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925), Imago, 2001, 375 p.

ROLLAND Denis, La grève des tranchées, Imago, 2005, 448 p. [sur la mutinerie de Coeuvres, pp 197-203]

J.F. Jagielski, mars 2009

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