Sévin, Antoine (1896-après 1986)

1. Le témoin
Fils de mineur du Pas-de-Calais, Antoine Sévin perd son père et tous les hommes de sa famille lors de la catastrophe de Courrières en 1906. Sorti de l’école primaire à 13 ans, il est engagé à la mine pour travailler au même puits où était mort son père. La famille fuit devant l’arrivée des uhlans en août 14. Lui-même est mobilisé le 8 avril 1915. Il fait ses classes et un entraînement au camp de La Courtine, et il est nommé caporal avant de partir au front au 9e BCP. Il est sergent à la fin de 1917.

2. Le témoignage
Antoine Sévin est un parent de Gaston-Louis Marchal qui a édité ses souvenirs en 1986 à Castres, sous le titre Ma chienne de jeunesse, De la catastrophe de Courrières à la guerre de 1914-1918, ronéoté, format A4, agrafé, tirage à 80 exemplaires numérotés. On sait que ces souvenirs ont été écrits « 70 ans après la guerre », mais on ignore si c’est spontanément ou à la demande de Marchal. Celui-ci a retouché le texte dans la forme, comme le prouve la comparaison entre deux passages en fac-similé et la version dactylographiée. Des « dessins automatiques » d’Antoine, qui « tournent aux monstres », illustrent le texte. Celui-ci manque de dates précises. Il semble ne pas s’appuyer sur des notes, mais sur le simple souvenir.

3. Analyse
Rencontrer des copains « du pays » est un bonheur à La Courtine. Au front, la découverte du premier mort porte un coup sensible au jeune soldat. À un aspirant issu d’une grande famille qui lui fait un cours de patriotisme et termine en espérant qu’il fera son devoir, Antoine répond qu’il le suivra partout (mais il ne l’a plus revu). Lors de la première corvée de ravitaillement, les cuisines sont détruites par un obus qui tue aussi des chevaux ; on repart en emportant des biftecks de cheval. Une blessure le sauve de l’attaque sur le Chemin des Dames qui est un véritable massacre ; sa marraine de guerre vient voir le fils de mineur à l’hôpital en calèche. Il se souvient du bois des Caures où Driant est mort ; du ravin du Cul du Chien, qui était dominé par les Allemands. Dans le secteur d’Avocourt, lors de l’hiver 1917-1918, l’inondation oblige à sortir des tranchées, et Français et Allemands fraternisent. Son unité est chargée de retarder la progression ennemie lors de l’attaque allemande sur le Chemin des Dames en mai 1918. Puis il participe à l’offensive du 15 septembre sur Mesnil-les-Hurlus, en liaison avec les petits tanks Renault, sous les obus à l’ypérite. Il enterre un camarade tué et repère la tombe pour informer ses parents. Il est en permission lorsqu’il apprend la nouvelle de l’armistice.

Rémy Cazals, juin 2011

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Felser, Marcel (1893-1944)

1. Le témoin
Auguste, Marcel, Étienne Felser est né le 26 décembre 1893 à Paris où son père était employé aux magasins du Louvre. La famille est catholique. Marcel devient ingénieur en électricité à Viroflay, canton de Versailles. Il est mobilisé au 36e RI dès août 1914, mais n’est envoyé sur le front que le 8 décembre 1915, au 1er Génie, pour s’occuper de l’électrification des défenses et observer les lignes ennemies. Caporal en août 1917, sergent en novembre, il passe au 21e Génie en avril 1918. Démobilisé en septembre 1919, il épouse une jeune fille rencontrée pendant la guerre à Gérardmer, dont il aura trois enfants. Il devient chef de réseau à la Société urbaine électrique à Sens, puis à Auxerre. Dans les années 1930, il effectue une visite familiale des champs de bataille. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, résistant, il est déporté à Buchenwald où il meurt d’épuisement le 10 décembre 1944. Son fils Jean fondera un des premiers jumelages franco-allemands.

2. Le témoignage
consiste en 400 plaques de verre ou négatifs sur support souple, conservés dans des boîtes en fer dans un grenier familial, et qui forment aujourd’hui la collection de Laurent Felser. 118 de ces clichés ont été sélectionnés dans le livre : Un regard sur la Grande Guerre, Photographies inédites du soldat Marcel Felser, préface et commentaires de Stéphane Audoin-Rouzeau, Paris, Larousse, 2002. Les clichés ont été pris dans les Vosges de 1916 à 1918, mais ils ne sont ni classés, ni légendés, ce qui, nous dit le préfacier, peut donner lieu à sur-interprétation. On en trouvera en effet des exemples ci-dessous.

3. Analyse
Les photos choisies ont été réparties en dix rubriques : 1. Autoportraits ; 2. Voir, observer [les hommes, leur matériel, les observatoires, le no man’s land, les positions ennemies] ; 3. Les croix de bois ; 4. Les camarades ; 5. Les femmes, une femme [sa fiancée] ; 6. Archaïsme et modernité [des ânes aux monstres de l’artillerie lourde] ; 7. Vers le front [aspects des boyaux] ; 8. Echappées [repas, loisirs] ; 9. Provinces perdues, provinces reconquises [avec sur-interprétation : « À elle seule, la flèche de la collégiale Saint-Thiébaut, présente sur tant de photographies de Marcel Felser, promettait le retour à la France de la flèche d’une cathédrale : celle de Strasbourg. » ) ; 10. Paysages détruits [sur-interprétation : « Avec leurs « pieds », leurs « troncs », leurs « têtes », comment les arbres n’évoqueraient-ils pas des être humains ? »]

Rémy Cazals, juin 2011

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Omon, Lucien (1886-1952)

1. Le témoin
Né le 2 septembre 1886, peut-être à Paris où il passe le conseil de révision le 11 mai 1907, avec le grand plaisir d’être reconnu bon pour le service qu’il va effectuer à Guingamp. Assez cultivé puisqu’il deviendra archéologue amateur. Il écrit sans fautes d’orthographe. Son hobby est la photographie. Il fait la guerre dans les rangs du 52e RI ; il semble qu’il soit devenu sous-officier. Il est décédé le 1er mai 1952.

2. Le témoignage
La famille a conservé 27 petits carnets de format 6×11, dont 3 pour le service militaire, 8 pour 1915, 7 pour 1916, 5 pour 1917 et 4 pour 1918-19, ainsi que 800 ou 900 négatifs à partir desquels Lucien a fait des tirages contacts datés et légendés. Le texte d’un carnet évoque quelquefois précisément la prise d’une photo. Sa petite-fille, Catherine Gauthier-Esnault, professeur agrégée d’histoire et de géographie, a composé deux pochettes de diapositives commentées, reproduisant 24 + 12 photos et des extraits des carnets en regard de chacune : Le journal d’un poilu de 1914 à 1916, série MY 1953, et Le journal d’un poilu de 1917 à la Victoire, série MY 1954, Paris, éditions pédagogiques audiovisuelles Diapofilm, 1988. Les livrets donnent aussi trois croquis de localisation : secteur Soissons-Reims en 1915 ; Verdun en 1916 ; les Vosges en 1917. Les renseignements sur l’auteur sont volontairement limités, car il s’agissait de le présenter comme un « poilu parmi tant d’autres ». Une lettre de Catherine Gauthier à Rémy Cazals apporte quelques précisions, reprises ici.

3. Analyse
Les images sont disposées dans l’ordre chronologique. Plusieurs montrent les tranchées et leur boisement, leur caractère particulièrement rudimentaire à Verdun, les systèmes de protection par chevaux de frise et barbelés, la vue à travers un créneau, le costume des soldats pour s’adapter au froid et à la boue, la chasse aux rats, la toilette au cantonnement et les cuisines roulantes (1-6), les tombes des camarades. On peut noter encore une photo de prisonniers allemands souriant avec leurs gardiens (1-2) ; les cordonniers du régiment arborant ostensiblement un exemplaire du journal La Bataille syndicaliste (1-3) ; de faux canons en bois pour servir de leurres (1-12) ; « un groupe de soldats habillés en patrouilleurs » (2-3), ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit d’une patrouille prise en pleine action ; un convoi américain d’artillerie (2-8) ; un tank allemand capturé et exposé à Paris, le 14 juillet 1919 (2-11).
Les quelques extraits des carnets ne disent pas si Lucien Omon a exprimé des opinions sur la guerre, la Patrie, les chefs, l’arrière, etc. Le seul passage un peu développé concerne Verdun, entre Vaux et Douaumont, du 4 au 11 juin 1916. L’auteur voit l’armistice comme la fin du « cauchemar ».
Les carnets et les photos n’ont pas été publiés par ailleurs. Peut-être cette brève notice les fera-t-elle ressortir.

Rémy Cazals, juin 2011

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Coyot, Jean (1896-1960)

1. Le témoin
Fils de coutelier, Jean Gustave Coyot est né à Carcassonne le 25 juin 1896. Ses études le mènent au brevet et il souhaite entrer dans les Postes, mais il en est empêché par la guerre. Il est incorporé au 22e régiment d’infanterie coloniale à compter du 11 avril 1915 et se trouve « aux armées » du 24 juillet 1916 au 4 novembre 1918. Il n’est démobilisé que le 15 septembre 1919, après avoir été nommé caporal fourrier en juin de la même année. Il revient à Carcassonne avec une bronchite chronique (Source : registre matricule, Archives départementales de l’Aude, RW 643). Il reprend alors la boutique paternelle, rue du Marché.

2. Le témoignage
Le 28 août 1934, Jean Coyot achève la réalisation de « son » livre en exemplaire unique, relié, illustré de photos, dessins, poèmes et documents divers, sous le titre « Le Front, Journal de route et souvenirs de guerre », et le glisse dans sa bibliothèque. Le livre collectif Années cruelles 1914-1918, Villelongue d’Aude, Atelier du Gué, 1998 [1ère édition 1983] reprend dans sa conclusion (p. 156-157 de l’édition 1998), un beau texte de Jean Coyot sur la tranchée et le sort du poilu : « La tranchée est un sépulcre où l’on entasse des condamnés à mort. Les obus l’émiettent, les torpilles en soulèvent des lambeaux avec un bruit de cataclysme, les grenades vous y plaquent dans la boue, les balles sont des nuées d’abeilles qui passent et dont la piqûre vous tue […]. »

3. Analyse
La description du fantassin revient à plusieurs reprises dans le texte de Jean Coyot. Les poilus sont, « comme [lui], prudents, effacés, débrouillards, peu sensibles aux hochets ». Opprimés par le Commandement, ils sont des bêtes dociles. Un poème intitulé « Le Moulin de Laffaux » veut faire honte aux chefs qui sacrifient les hommes pour assurer leur renommée. Jean Coyot décrit l’échec du Chemin des Dames, signale des soldats « qui ont sauté chez les Boches », compare la situation des fantassins à celle des artilleurs, s’en prend aux embusqués qui « tiennent le haut du pavé » et aux patriotes qui plastronnent après la victoire. Sa conclusion est nette : tout est préférable à l’horrible tuerie.

Rémy Cazals, juin 2011

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Leymonnerie, Jean (1895-1963) et sa mère, Marie

1. Le témoin
Jean François Marc Leymonnerie est né à Ribérac (Dordogne) le 19 août 1895, dans une famille d’enseignants. Il obtient le baccalauréat au lycée de Périgueux puis, après une année de Droit à Bordeaux, il passe avec succès le concours d’employé de l’enregistrement. Sportif, il pratique le rugby, l’athlétisme, la natation. Il joue du piano.
Il est appelé sous les drapeaux le 17 décembre 1914 avec la classe 15, au 34e RI de Mont de Marsan. Il suit le peloton d’élèves officiers ; il demande du piston ; il échoue, estimant que beaucoup de places sont réservées à des « fils d’archevêque » (p. 56). Il est soucieux de gagner du galon pour le public de Ribérac (p. 62) ; il sera finalement nommé sergent en septembre 1916.
Il se porte volontaire pour l’armée d’Orient. Formule ambiguë qui peut être interprétée comme acte d’héroïsme dans le discours du président d’association d’anciens combattants qui lui remet la croix d’officier de la Légion d’honneur en 1957 ; ou comme élément d’une stratégie d’évitement dont il sera question ci-dessous. Il débarque à Moudros, île de Lemnos, le 23 mai 1915. Avec le 175e RI (voir notice Pomiro), il combat sur la péninsule de Gallipoli du 15 juin au 8 août. Malade (dysenterie), il est heureux de quitter le front étant « encore de ce monde » (p. 155) et il se promet de tout faire pour ne pas y revenir (p. 157). Il fait durer sa convalescence et son séjour au dépôt jusqu’en septembre 1916, date d’un nouveau départ vers l’Orient. Après un passage obligé à Salonique et au camp de Zeitenlick, il combat dans la montagne de Vodena, Ostrovo, Florina, et il est grièvement blessé au genou gauche le 14 novembre. On doit l’amputer, et il termine sa guerre à l’hôpital américain de Nice.
Il fera ensuite une carrière dans l’administration. Chevalier de la Légion d’honneur en 1937, officier en 1957.

2. Le témoignage
Dans sa présentation pénétrante, Yves Pourcher explique son travail à partir d’un texte très bien structuré et séduisant, produit par un petit-fils de Jean Leymonnerie. Il a ensuite retrouvé le manuscrit préparé par le soldat lui-même dans les années 1930 dans un désir de laisser une trace de sa guerre ; il a eu enfin accès aux originaux (carnets, lettres adressées à la famille) utilisés pour la réalisation du livre : Jean Leymonnerie, Journal d’un Poilu sur le front d’Orient, présenté par Yves Pourcher, Paris, Flammarion-Pygmalion, 2003, 362 p. Le livre contient un croquis de la péninsule de Gallipoli (p. 102-103), huit pages de photos, et une série de lettres de la mère du soldat (p. 317-350). Yves Pourcher a tenu à les transcrire car, dit-il, l’écriture maternelle est rare en 14-18. On retiendra ces conseils : ne pas se couper la moustache pour conserver son autorité sur les hommes (p. 328) ; penser à aller à la messe et à dire le soir une petite prière (p. 330) ; freiner sur les dépenses festives, pour des raisons de budget familial, mais aussi de morale (p. 342). Notation originale : le 22 avril 1915, Jean demande à son père d’acheter deux flacons d’encre sympathique à la manufacture d’armes et cycles de Saint Etienne et de les lui envoyer (p. 59), mais on ne sait rien de plus.

3. Analyse
Très lucide, Jean Leymonnerie se présente comme un héros malgré lui ; il ne cache aucun des aspects de sa stratégie d’évitement : tentative d’entrer dans la cavalerie, puis dans l’aviation ; rester le plus longtemps possible à l’arrière, tant en 1915 avant Gallipoli qu’en 1916 avant Salonique ; se porter volontaire pour l’Orient dans l’espoir qu’il serait moins dur que le front franco-allemand ; et même faire valoir sa qualité de membre de la Société savante du Périgord pour essayer de s’embusquer (en vain) dans des fouilles archéologiques en Grèce (p. 117).
Réflexe bien connu, il cherche des « Périgords comme moi ». Il aime parler du pays en son patois, mais ne comprend rien à ce que disent Basques, Béarnais et Landais (p. 86). Pourtant, les poilus des Landes valent bien mieux que les Auvergnats, Cantaloups, types de l’Hérault et du Gard qui ne sont que des poltrons (p. 149). Dans les Balkans, il éprouve un total mépris pour les Grecs (p. 192). Il apprécie la convivialité des Australiens, ainsi que le monde cosmopolite qui s’est donné rendez-vous à Moudros où ont cours « toutes les pièces françaises, suisses, espagnoles, anglaises, grecques, italiennes, tunisiennes » (p. 96).
Le front de Gallipoli se révèle plus dangereux que ce qu’il croyait. Comme en Champagne ou en Artois, si l’on sort à la baïonnette, on est fauché par les mitrailleuses. « Nous avons eu peur d’être attaqués, écrit-il le 20 juin 1915, mais je l’avoue, nous avons encore plus peur d’attaquer nous-mêmes. La fourchette ne nous dit rien qui vaille, sous le feu des mitrailleuses turques. » Gallipoli n’est pas une promenade militaire. Certains disent que c’est « bien plus terrible qu’en France ». Tout le monde en a marre et souhaite la fine blessure pour être évacué (p. 109). En outre, il faut subir les chaleurs de l’été et les mouches (p. 118).
Un autre épisode longuement raconté est celui de sa blessure. Il faut d’abord en avertir la famille : il demande à un ami de faire passer une lettre à son père à l’insu de sa mère ; puis c’est un retour en arrière jusqu’au moment où sa section est décimée lors de l’attaque de Kenali ; la sensation lorsque la balle lui démolit le genou ; le temps passé à terre, menacé par les Bulgares qui le dépouillent complètement mais ne l’achèvent pas ; le sauvetage par des Sénégalais ; les souffrances lorsqu’il est transporté dans une couverture ; la gangrène qui nécessite l’amputation. A l’ambulance, il éprouve de la compassion pour un blessé bulgare (même s’il est peut-être un de ceux qui l’ont dépouillé) qui meurt sur un lit voisin. Finalement, sa blessure fait de lui un héros, décoré, qui a le droit de clouer au pilori des notables embusqués pendant toute la guerre à l’hôpital de Ribérac « avec une constance digne d’admiration » (p. 311). Précisons ici que détrousser les cadavres turcs était une pratique courante à Gallipoli (p. 115, 150).

Rémy Cazals, juin 2011

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Laby, Lucien (1892-1982)

1. Le témoin
Lucien Laby avait 22 ans en 1914, et 90 ans quand il est mort en 1982. Les présentateurs de son livre n’en disent pas plus. Son père était pharmacien à Reims et très nationaliste : il lui écrit en souhaitant l’extermination du peuple infect que sont les Allemands (p. 45). Lucien appartient à la même mouvance. Il est en train de faire ses études de médecine lorsque la guerre éclate. Belliqueux et patriote, il est « content de partir » et écrit qu’il serait « vexé d’arriver à la fin de la guerre sans avoir tué un Prussien au moins ». Affecté au groupe de brancardiers divisionnaires de la 56e DR avec le grade d’aspirant, il est fait prisonnier le 26 août 1914 et reconduit aux avant-postes français deux ou trois jours après. Il témoigne d’une crédulité certaine lorsqu’il note, en septembre 14 que l’espionnage boche avait stocké des projectiles dans les carrières de l’Aisne avant la guerre. Tout en critiquant les décisions hiérarchiques, il souhaite être reconnu et décoré, ce qui ne l’empêche pas de rabioter très fortement sur son temps de permission et de prendre des permissions illicites pour aller à Paris aux Folies Bergère. Il est réaffecté à sa demande en juillet 1915 comme médecin auxiliaire de bataillon au 294e régiment d’infanterie, fonction décrite par lui comme celle de « brancardier de première classe (métier qui consiste à savoir ramper sous les balles et à coller des pansements sales dans l’obscurité avec des doigts pleins de boue) ». En mai de l’année suivante, il est à Verdun, dans la fournaise et le sang, qu’il quitte fin juin pour la Champagne, secteur de la Pompelle. Il décrit à plusieurs reprises la sanglante boucherie. En février 1916, il souhaite la bonne blessure ; en mai, il passe un marché avec Dieu : la messe tous les dimanches contre la vie sauve. L’année suivante, après avoir encore fait preuve de crédulité en pensant que la retraite allemande de mars 17 signifie la victoire, il craque devant la perspective de nouvelles horreurs sur le Chemin des Dames (3 mai 1917) : « Quelle boucherie encore on va voir !! C’est bien fait pour moi et je n’ai pas le droit de me plaindre : je suis l’un des nombreux imbéciles qui ont poussé le chauvinisme jusqu’à souhaiter la guerre. Eh bien, je suis servi ! Je dois boire le calice jusqu’à la lie, sans me plaindre. »
En octobre 17, il saisit la chance d’une affectation dans une ambulance chirurgicale automobile : « C’est l’embusquage de première classe, évidemment, mais j’ai la conscience tranquille et, puisque j’ai fait mon Devoir, c’est bien un peu mon tour de me reposer. » Il a même l’impression d’être « gracié », d’avoir « la vie assurée ». Et il le redit en janvier 1919, conscient de bénéficier d’un « véritable rabiot de vie inespéré ». Il a accueilli l’armistice avec enthousiasme. En Alsace, ce ne sont que cuites, fêtes avec les petites Alsaciennes, défilés, huées pour « ces cochons de députés ». Le 14 juillet 1919, il défile sous l’Arc de Triomphe et, sur ces heures mémorables, s’arrête son carnet.
Après la guerre, il termine ses études médicales à l’Ecole de santé militaire de Lyon, et s’installe en 1920 à Marle (Aisne) où il se marie. Il est officier de la Légion d’Honneur en 1952.

2. Le témoignage
Son carnet de guerre a été retrouvé par sa petite-fille et publié en 2001 : Les carnets de l’aspirant Laby, médecin dans les tranchées (28 juillet 1914 – 14 juillet 1919), Paris, Bayard, 349 p., texte préparé et annoté par Sophie Delaporte. Une longue préface de Stéphane Audoin-Rouzeau expose le caractère exceptionnel de ce témoignage (on a peut-être un peu abusé du terme). Laby a tenu un journal « rédigé dans l’instant, souvent au jour le jour », sans soin particulier, en termes familiers ; il l’a recopié et complété après guerre mais non retouché.
Il n’omet rien d’horrible, rien des gestes les plus répugnants (saigner les ennemis, piétiner les cadavres). Le préfacier commet à notre avis une erreur lorsqu’il affirme que « les médecins ont subi au cours du conflit une très profonde crise d’identité » car « il est entendu que toute identité virile ne peut alors passer que par une participation au combat ». La situation aurait paru « intolérable à beaucoup d’hommes du Service de santé, coincés entre l’éthique médicale en temps de guerre et l’obligation patriotique du combat pour tout homme en âge de porter les armes ». Le Lucien Laby du début de la guerre semble illustrer cette théorie, mais il faut se méfier de la tendance à la généralisation.
Concernant l’édition, on note le report de l’année de récit en haut de page, très pratique. Outre de nombreuses vignettes en marge tout au long de l’ouvrage, le livre est illustré d’un cahier central de 6 pages. Dessinateur, Laby a vendu ses oeuvres au Rire et à La Baïonnette. Illustrer le texte d’août 1914 par un dessin de poilus portant le casque Adrian n’est pas une bonne idée (p. 40). Il faut signaler encore quelques erreurs de commentaire (p. 110 sur les torpilles), de toponymie, et des inexactitudes (« maréchal » Joffre le 6 septembre 1914, « signaux obliques » pour optiques p. 199, « pulvérisateur Vennorel » p. 166).

3. Analyse
Lucien Laby, tout au long de l’ouvrage, côtoie la mort, omniprésente autour de lui. Son texte décrit les conditions dans lesquelles sont donnés les premiers soins, l’impuissance devant le grand nombre de blessés et la gravité des blessures, parfois causées par les tirs du 75, ce qui entraîne des bagarres avec les artilleurs (mai 1916), les accidents en manipulant les grenades (p. 111), et les cas particuliers : automutilation (p. 83), folie (p. 176), suicide (p. 140). Il assiste à deux exécutions (p. 84). Familier des premières lignes, il peut décrire les effets des bombardements (p. 119, 154, etc.), l’usage de douilles d’obus comme cloche d’alerte au gaz (p. 139), les « seaux à charbon » (p. 271), le bruit de « métro qui entre en gare » des 380 et des 420 (p. 166), mais aussi un secteur pépère (p. 184) et les loisirs, chasse, pêche à la grenade, sport, concert, sans oublier l’importance du vin et des alcools.
L’épisode de tentative de tuer  un Allemand se situe le 9 novembre 1914 (p. 78-81). L’intention de Laby est parfaitement claire : il s’agit d’aller « faire un carton ». Le déroulement est plus problématique : de la tranchée, on voit les Boches ? on les voit disparaître sous les coups de fusil ? Comme sur un stand de tir à la foire ? C’est bien curieux. Le résultat est incertain : Laby espère avoir tué un ou plusieurs Boches, et boit le champagne dans la cagna du capitaine.
Allemands et Français, de tranchées situées à trente mètres l’une de l’autre, s’envoient « des betteraves et des boîtes de conserve sur la figure. La grande distraction consiste à s’engueuler avec eux » (p. 79). Les Allemands envoient des tracts (p. 166). ; ils narguent les Français (p. 187). Le 23 juin 1916, lors d’une marche entre Epernay et Reims : « Le colonel commandant la brigade passe en auto. Les poilus qui en bavent des rondelles l’engueulent un peu au passage. Gros malaise. » Le 18 mai 1917 : « Billy. On parle déjà de nous envoyer aux tranchées. Quel drôle de repos alors qu’on nous avait promis 45 jours à l’arrière !! » Aussi, le lendemain : « Le 49e bataillon de chasseurs manifeste très bruyamment devant le colonel Garçon : ils sont un peu pleins et rouspètent parce qu’on les fait remonter en ligne. » Le 29 mai, Laby mentionne un « salaud  » qui fait de la « propagande pour la révolte qui sévit dans des régiments voisins », et le 13 juin, les mitrailleuses installées pour interdire Vauxcastille à des troupes qui se seraient révoltées.
Enfin, pour nos amis méridionaux : un type du Midi qui se pend (p. 140) ; un agent de liaison courageux, « du Midi pourtant » (p. 162).

Yann Prouillet et Rémy Cazals, juin 2011

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Lavy, Gaston (1875-1949)

1. Le témoin
Gaston Lavy est né le 9 août 1875 à Paris, le dernier de sept enfants d’un père plâtrier puis peintre en bâtiment. Lui-même exerce la profession de métreur en bâtiment. Marié en 1897, il a une fille unique âgée de 16 ans en 1914, lorsqu’il rejoint le dépôt du 20e RIT de Lisieux. Le 6 avril 1915, il arrive à Moranville, dans la plaine de la Woëvre. Débute une vie monotone de terrassier dans un secteur calme. Même s’il découvre la guerre comme un enfant, s’émerveillant de tout, Gaston Lavy évolue dans un monde lugubre et désincarné ; il souffre en Lorraine de la promiscuité et de l’incurie de ses chefs, monarques indifférents aux conditions de vie des hommes, des tâches ingrates à effectuer, dans une misère affective et relationnelle quasi complète. 1915 se déroule en corvées dans une vie de privations de toutes sortes, y compris d’une nourriture décente. Un poste de téléphoniste lui donne l’impression de l’indépendance et du bon filon, mais ses conditions de vie dégradent son moral déjà peu combatif. Quand l’offensive allemande sur Verdun se déclenche, il se retrouve plus fuyard que combattant, une vie rendue plus dangereuse encore par l’incompétence de ses chefs. Il est ensuite versé au 37e RIT et change de front pour échouer à Vého, dans le Lunévillois. Ayant perdu les camarades de son escouade, il se retrouve plus seul encore au milieu de « paysans de la Basse Normandie, croquants n’ayant jamais quitté leur glaise, épais, rustres, bornés, jaloux et méchants » (p. 260), et son état psychique se dégrade, lors du terrible hiver de 1916. Même ses permissions ne remontent pas son moral. Il multiplie donc les demandes pour s’extraire de cet enfer, souhaitant passer dans le repérage par les lueurs ou la section de camouflage auquel il envoie même un projet. C’est au retour d’une permission qu’il apprend sa délivrance, affecté à la section de camouflage du 1er Génie à Paris. Il quitte le front et cesse la relation de ses souvenirs, considérant que sa guerre est « virtuellement finie ».
Sa femme et sa fille périssent dans le terrible accident du tunnel des Batignolles, le 5 octobre 1921. Remarié en 1922, il est mort à Paris en 1949.

2. Le témoignage
Sa profession lui a donné l’habitude des constructions et le regard sûr du dessinateur. C’est donc par le dessin autant que par l’écrit qu’il va raconter sa guerre (notons encore la présence de quelques photos). L’ouvrage a été entrepris en novembre 1920, comme l’indique un court avant-propos : « Acteur infime de la grande tragédie, c’est sans esprit de littérature que j’ai couché sur ces pages mes modestes souvenirs. Heures cruelles, longuement vécues, vite oubliées, rarement bonnes, toujours dures, souvent tragiques. Nul s’il ne les a subies ne peut en comprendre toute l’horreur. Effort stérile pour nous qui en supportons toutes les charges. Puissent nos descendants en récolter le fruit dans la mesure de ce que nous aurons souffert. Novembre 1920 ». Sans doute l’auteur avait-il réalisé des croquis et pris des notes pendant la guerre, mais le récit manque de dates. La rédaction « enluminée » s’est poursuivie jusqu’à la veille de la Deuxième Guerre mondiale : une page datée de mars 1936 est révélatrice (p. 230) ; décrivant l’atmosphère ayant précédé les mutineries de 1917 (p. 238), Gaston Lavy cite longuement un article de Joseph Jolinon dans la revue Europe du 15 juin 1926. Le résultat donne un ouvrage illustré à la manière des livres pour enfants. Sous le titre « Un de la Territoriale 1914-1918 », le document en trois volumes a été acheté chez un bouquiniste par Laure Barbizet, conservateur du Musée d’histoire contemporaine, et il est conservé à la BDIC. Les éditions Larousse l’ont publié en fac-similé sous le titre Ma Grande Guerre 1914-1918, Récits et dessins, 2004, 335 p. (repris en 2005 par France Loisirs). Très richement présenté, l’ouvrage est un bel exemplaire pour bibliophile. S’agissant d’un fac-similé, aucune correction n’y a été effectuée et les nombreuses fautes ou imperfections du scripteur n’altèrent ni la lecture, ni l’intérêt du contenu de ces pages. L’auteur et l’éditeur sont bien excusables pour la confusion géographique entre ballon d’Amance et ballon d’Alsace (p. 258). Les notes et la postface de Stéphane Audoin-Rouzeau complètent et décryptent ce « témoignage singulier » sur la psychologie du soldat territorial au front. Audoin-Rouzeau avance le sens caché d’une écriture aussi noire, l’auteur ayant perdu dans des circonstances atroces sa femme et sa fille au début de son entreprise d’écriture ; il fait aussi l’hypothèse de l’irruption du pacifisme dans le texte par l’atmosphère des années 1930. Il est plus vraisemblable que la condamnation de plus en plus forte de la guerre provienne de la durée de l’épreuve elle-même et figure dans les notes prises sur le moment. On regrette que les souvenirs de Lavy ne se prolongent pas dans la section de camouflage et la fin du conflit.

3. Analyse
L’ouvrage fournit de nombreux éléments sur les deux secteurs lorrains de la Woëvre et du sud de la Meurthe-et-Moselle, la vie quotidienne au front des régiments territoriaux et les misères ordinaires du soldat. Parmi les plus beaux dessins, on peut citer la représentation de goumiers à cheval (p. 19), les soldats dans un paysage couvert de neige (p. 184-199), le feu d’artifice des fusées rouges, vertes et blanches, et des explosions d’obus, sur le ciel nocturne (p. 309), etc. Le dessin de la structure complexe du toit d’un abri (terre, béton, rails, bois) montre une réalité bien observée (p. 289).
Les descriptions évoquent la découverte du front (conditions de vie, rites, cantonnement, loisirs…), les sentiments de curiosité (p. 32) ; le cuisinier et les repas (p. 58) ; les privilèges des officiers, « petits monarques », leur mépris des conditions de vie des hommes (p. 88, 237-238, avec l’exception d’un vieux capitaine) ; la saleté et le manque d’eau (p. 113) ; le vin gelé, transporté dans une toile de tente (p. 311) ; les rats (p. 125) ; des cadavres de 1914 retrouvés (p. 132) ; un combat aérien (p. 189) ; l’ivresse d’un bataillon tout entier, qui s’est servi dans les caves de Vatronville (p. 191, voir aussi p. 254 et 285) ; l’artisanat de tranchées (p. 78) ; la bonne blessure représentée par la face hilare du soldat étendu sur un brancard (p. 273) et, par opposition l’horreur d’une corvée de brancardiers transportant des « corps broyés empilés à la hâte » (p. 296).
Les détails concrets sur le travail sont nombreux. Un chapitre est intitulé « Travaux forcés », mais « non jamais aucun forçat, aucun bagnard n’aura été soumis à un tel régime et dans de telles conditions » (p. 286). On trouve (p. 46) une « trêve de fusillade » entre ennemis pour laisser chacun effectuer les travaux de défense.
Les territoriaux n’auraient pas dû participer directement aux combats, mais les circonstances en décident autrement. Gaston Lavy a peut-être tué un Allemand. Comme beaucoup d’autres qui ont fait le coup de feu, il n’en a pas la certitude, mais il note son plaisir fiévreux de tirer, de participer à une chasse humaine. Un Allemand tombe : « Est-ce réellement ma balle qui l’a atteint je ne sais mais j’en éprouve une grande satisfaction. Quelle épouvantable chose que la guerre qui crée de telles mentalités. Je suis heureux d’avoir abattu un être humain. Un pauvre diable qui comme moi a souffert toutes nos misères, à qui depuis toujours on a inculqué la haine du voisin et qui se trouve né d’un côté de ce qu’on nomme la frontière et moi de l’autre et de ce fait nous sommes mis dans cette terrible alternative « tuer pour ne pas l’être ». »
Ses vœux du 1er janvier 1916 sont simples : « Vivement la fin oui voilà ce qu’il faut souhaiter. » En avril, il ajoute : « Nous en avons marre, c’est le refrain de tous. » Il y a déjà des bruits de mutinerie, courant 1916 (p. 238) : « Nous avons été pressentis par une unité voisine qui elle aussi est à bout… Une mutinerie… Pourquoi pas ? Nous sommes mûrs pour la révolte. Le découragement gagne chaque jour du terrain. Des groupes se forment, des conciliabules ont lieu en catimini. Des mots s’échangent à voix basse. On s’amuse là-bas à Paris, on se fout de nous, nous sommes bien les sacrifiés, les pauvres P.C.D.F. » C’est que, en effet, les séjours en permission sont démoralisants. La guerre enrichit les profiteurs ; à l’arrière on fait la nouba, ce sont les plaisirs, la débauche… « Dans cette capitale qui fut nôtre, comme on se sent étrangers, gênés, déplacés. » Et il faut encore subir le bourrage de crâne intensif de la presse, et les « boniments à la graisse de radis » tels que : Vous avez bonne mine, ou Dans les tranchées vous n’êtes privés de rien, ici c’est la pénurie, ou encore Qu’attendez-vous pour les sortir de France ?
Beaucoup désertent, soit en filant vers chez eux (p. 256), soit en passant à l’ennemi (« tous les jours il y en a qui se débinent », décembre 1916, p. 298). Atteint de bronchite, Gaston Lavy ne se soigne pas et cherche une aggravation qui ne se produit pas (p. 284), et même souhaite la mort (p. 287) : « Crever, crever une bonne fois et que ça soit fini […] »
Stéphane Audoin-Rouzeau a bien raison de conclure (p. IX de la postface) : « la guerre de l’homme de rang a ceci de particulier qu’elle est intégralement subie ». En remarquant deux choses : d’abord que l’homme de rang représentait la majorité de la population combattante ; ensuite que nous sommes loin, ici, de la théorie du consentement.

Yann Prouillet, Rémy Cazals, juin 2011

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Azéma, François (1877-1968)

1. Le témoin
François Azéma, fils d’autre François, cultivateur à Saint-André de Roquelongue (Aude), est né à Auragne (Haute-Garonne) le 26 mars 1877. Il n’avait que 14 ans à la mort de son père, et les religieux de l’abbaye de Fontfroide auraient achevé son éducation (ses carnets révèlent une assez bonne orthographe). Après le service militaire effectué au 100e RI à Narbonne (on a une photo), il s’est marié en février 1905 et a eu un fils en novembre. Il exerçait la profession de cordonnier à Saint-André lors de la mobilisation. Appartenant à la territoriale, il n’est monté en renfort au 280e RI que le 16 mai 1915 (plus jeune que lui de deux ans, Louis Barthas était parti début novembre 1914 pour le même régiment). Lorsque le 280e est dissous, Azéma passe au 256e, et son chemin se sépare de celui de Barthas. En juillet 1917, âgé de 40 ans, il devient cordonnier au dépôt divisionnaire, puis il passe dans l’artillerie de campagne et enfin au 77e régiment d’artillerie lourde à grande puissance. Il est démobilisé le 28 janvier 1919 à Carcassonne, et écrit : « le 29 je rentre chez moi à St André ». Il est mort dans son village le 22 août 1968.

2. Le témoignage
est représenté par deux petits carnets de 44 et 32 pages conservés par la famille. Les notes sont prises au jour le jour, depuis le 16 mai 1915 jusqu’au 29 janvier 1919, au crayon ou à l’encre selon les possibilités. Sur la dernière page du premier carnet, l’auteur a ajouté, après la guerre, la mention suivante : « Le présent livret a été écrit en entier dans les tranchées jour par jour au fur et à mesure que ma triste vie de tranchées s’écoulait. » Les notes sont très brèves, surtout au début, par exemple en juin 1915 : « 22 marche 8 k, soir revue, 23 exercice, 24 matin marche, soir revue, 25 marche et pluie ». Par la suite, elles forment des phrases, sans développements, mais qui réussissent à montrer le caractère exténuant des marches et des travaux, et les dangers affrontés. Pour la première partie, jusqu’à la fin de 1915, on pourra s’appuyer sur les longues descriptions de Louis Barthas pour développer les propos laconiques de François Azéma, par exemple lors des inondations suivies de fraternisations de décembre 1915 en Artois.

3. Analyse
De juin à décembre 1915, le 280e est en Artois, et on retrouve dans les carnets les noms du Fond de Buval, de la tranchée de Calonne, La Targette, Neuville-Saint-Vaast, etc. Comme Barthas, il fait des corvées de rondins, des marches sous la pluie battante, il subit les journées de bombardements qui alternent avec des périodes plus calmes. Le 26 septembre, il note : « Nous avons passé la nuit bien froide couchés sur la terre » ; le 4 octobre, un obus de 77 tombe sur la cagna « d’où on a pu sortir sans blessure » ; le 11 octobre : « J’ai failli être tué par un 105 tombé à 4 m et qui a tué 2 camarades » ; le 75 fait aussi des victimes, tués et blessés.
Il y avait de la boue avant décembre 1915, mais ce mois-là est particulièrement pluvieux : « Nous sommes allés travailler à déblayer les boyaux où la boue nous arrivait jusqu’aux genoux ; il fallait se donner la main les uns les autres pour s’arracher ; plusieurs ont dû abandonner sac, fusil et équipement pour pouvoir se dégager. […] Puis nous sommes montés en 1ère ligne où nous avons eu de la pluie tout le temps et de la boue jusqu’aux genoux ; il fallait travailler tout le temps à la réfection des tranchées : nous avons souffert atrocement pendant ces jours de 1ère ligne, nos pieds gelaient dans la boue ; pendant ces jours-là les Allemands sont montés sur la tranchée, nous de notre côté on en a fait autant et pendant 5 jours tout le monde était en terrain découvert ; les Allemands nous offraient des cigarettes, puis du rhum. Le 15 décembre nous avons été relevés des 1ères lignes. » Louis Barthas, Léopold Noé et d’autres ont évoqué ces scènes.
François part en permission le 1er janvier 1916. Il rejoint son régiment à Dunkerque, pour aller en Belgique. Le 3 mars 1916 est ainsi décrit : « Monté en 1ère ligne par une nuit noire où on ne voyait pas à un pas, il pleuvait à verse, nous sommes arrivés trempés jusqu’aux os ; du fait de l’obscurité nous tombions dans des trous d’obus où nous avions de l’eau jusqu’à la ceinture ; en résumé, relève très pénible où nous avons souffert atrocement. Le lendemain 4 mars nous avons eu de la neige en abondance nous couvrant ainsi que la terre de son manteau blanc. Cette journée a été très rude car étant mouillés et un vent glacial nous avons gelé ; en somme, journée mémorable par la souffrance que nous avons endurée ; dans la soirée les Allemands nous ont lancé quelques crapouillots sans résultat car personne n’a été blessé ni tué. »
En juin 1916, cet artisan rural, proche des choses de la terre, remarque avec tristesse : « Pendant tout notre séjour à Hardivilliers, nous avons de la manœuvre dans les cultures, soit blé, luzerne, seigle, etc. où nous brisons tout sur notre passage. » Dans la Somme, à la fin de 1916, ce sont encore de très durs moments dans la boue et sous les obus. En Alsace en 1917, cela va mieux, et il va passer dans l’artillerie (sans donner d’explication sur ce changement de statut).
En novembre 1918, un long passage écrit au crayon se termine par la remarque que les prisonniers boches (mot rarement employé) ont été très heureux d’apprendre la nouvelle de l’armistice. Il trouve alors une plume et de l’encre pour écrire, en soulignant la première ligne : « L’armistice a été signé le 11 9bre à 5 heures matin et le feu a cessé à 11 h m. sur tous les fronts. Guillaume II abdique et s’enfuit en Hollande. Son fils le kroumpritz renonce au trône, il en pleure comme un gosse. »
Photo de François Azéma dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 42.

Rémy Cazals, mai 2011

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Harel, Ambroise (1895-1936)

1. Le témoin
La présentation de l’ouvrage d’Ambroise Harel, réédité en 2009, ne nous renseigne guère sur l’auteur : un Breton, un « homme simple », de la classe 1914. La lecture du témoignage permet de rectifier : il est de la classe 1915. Grâce à l’amabilité de Claude Jeay, directeur des Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, je peux préciser ici qu’Ambroise Harel est né le 5 février 1895 à Langon. Son père était laboureur, et sa mère ménagère. Ambroise nous dit qu’il a quitté la charrue en 1914 « pour prendre le fusil et défendre [sa] terre menacée ». On ne sait rien de son niveau d’études, mais on peut dire qu’il écrit un très bon français. Curieux, il visite à Domrémy la maison de Jeanne d’Arc (p. 84) et, à Brie, il remarque la maison de Daguerre (p. 112).
Il est incorporé le 18 décembre 1914 au 117e RI comprenant des Bretons, d’autres hommes de l’ouest et du nord-ouest, ainsi que des Parisiens qui se font remarquer au milieu des « naïfs campagnards ». Il passe ensuite au 243e RI et il connaît successivement la guerre en Artois, dans la Somme, en Champagne après l’offensive du 25 septembre 1915, aux Éparges. Il est évacué le 5 février 1916 pour entorse et, lorsqu’il revient, il assiste au retour de Verdun de son régiment décimé. Celui-ci étant dissous, il passe au 233e. Lors de l’offensive de la Somme, il est blessé à la main (5 septembre). En novembre 1916, il est en Champagne ; en mars 1917 dans l’Aisne où il est nommé sergent ; en été en Flandres. Il est gazé et à nouveau évacué. En 1918, lors de l’attaque allemande sur le Chemin des Dames, il est fait prisonnier avec un camarade, le 29 mai, alors que les Allemands auraient pu les tuer (p. 213). Il ne fait que passer au camp de Giessen ; il est interné au camp de Langensalza en Thuringe, qu’il décrit (p. 229-236) ; il expose également trois situations différentes en kommando de travail (p. 238, 245, 247). Après l’armistice, les soldats allemands de retour au pays sont acclamés (p. 250), alors que les prisonniers français sont mal accueillis à Dunkerque (p. 254).
Ambroise Harel est mort à Redon, le 26 janvier 1936. Tout renseignement complémentaire apporté par nos lecteurs sera le bienvenu.

2. Le témoignage
Ambroise Harel a publié son témoignage à compte d’auteur en 1921. Avait-il pris des notes au jour le jour ? Le texte contient peu de dates, mais on a l’impression qu’il résulte du « lissage » d’un carnet personnel. Il contient aussi peu de prises de position, bien qu’il ait annoncé en introduction vouloir faire connaître les vrais sentiments intimes des simples, que les ouvrages des « gens cultivés qui ont écrit des livres sur la Grande Guerre » ne peuvent restituer. Il est étonnant qu’un témoignage de fantassin ne fasse pas de critique du haut commandement ou du bourrage de crânes. Il est étonnant de lire, après avoir été soigné à l’arrière pour une blessure à la main : « joyeux tout de même, je repris le chemin du front ». L’ensemble du texte laisse l’impression de quelque chose de lissé, comme si l’auteur avait choisi ce qu’il convenait de conserver pour une publication. Le présentateur de 2009, François Bertin, dit qu’il a eu la chance de trouver une édition originale sur laquelle l’auteur avait ajouté quelques notations manuscrites. Peu nombreuses, elles sont reprises dans le livre : Mémoires d’un poilu breton, Rennes, Ouest-France, 2009, 255 p., sans illustrations. Les références aux pages données ici sont d’après ce livre.

3. Analyse
Les descriptions étant peu détaillées, et les sentiments peu exprimés, on ne trouvera pas ici les meilleures pages sur le pinard (p. 18), les totos (p. 20), la marche et les marmites (p. 23), les cantonnements dégoûtants et pleins de rats (p. 27), sur la fabrication de bagues (p. 31), la mort, les corps déchiquetés (p. 48), la supériorité des abris allemands (p. 103), les douches tenues par des soldats russes (p. 121), le pain et le vin gelés (p. 127), les corvées de transport de tôles pour camouflage (p. 141), la boue qui rend les fusils inutilisables (p. 172), etc.
On découvre un peu plus d’originalité dans quelques passages : au dépôt, les gradés qui cherchent à se rendre indispensables à l’instruction des bleus pour ne pas partir au front, et le blessé désolé au moment d’y revenir, disant « Je sais ce que c’est, le front » (p. 14) ; comment Ambroise devint l’ami inséparable d’un type du Nord de la classe 1895 qui l’appelle « Min fiston » (p. 35) ; le coup au but d’une marmite sur un abri (p. 70) ; le spectacle affreux de l’exécution de trois soldats condamnés à mort, et la honte d’une jeune veuve de fusillé, mère de trois petits enfants (p. 85) ; de « maudits gaziers » victimes, avec les fantassins des alentours, d’un changement de direction du vent (p. 96-97) ; l’attaque du 16 avril 1917 (p. 146) et un combat à la grenade (p. 155) ; un officier allemand qui fait enterrer « tous les cadavres avec le même respect, et de la façon suivante : un Allemand, un Français, un Allemand, un Français, et ainsi de suite tant qu’il y en eut » (p. 218). En octobre 1915, après une attaque, il écrit (p. 57) : « Les débris d’un bataillon étaient rassemblés là. Il ne faisait pas encore jour mais assez froid, nous fîmes du feu autour duquel furent servis la soupe et le rata, ensuite la gniole. Tout le monde fumait, riait, se sentait riche d’avoir sauvé sa peau ! »
S’il ne dit rien des mutineries de 1917, il signale cependant des épisodes d’indiscipline collective : à une date imprécise (février 1915 ?), la révolte d’un groupe de permissionnaires oubliés et non nourris à la gare de Langres, surveillés ensuite par un bataillon de chasseurs à pied (p. 78-79) ; les vitres systématiquement brisées d’un train de permissionnaires, fin 1916 (p. 124). Enfin, une remarque faite à Pâques de 1916 à Montreux, village alsacien proche de Dannemarie, dans le bout de territoire du Reichsland occupé par les Français (p. 86) : « Je regardais dans ce village une bande de jeunes gens des classes 1914-15-16 et au-dessous qui jouaient au palet. Tous ces jeunes gens qui n’étaient point mobilisés du fait de notre occupation, nous regardaient l’air goguenard. » Une enquête serrée sur la mortalité de ces classes dans la petite portion d’Alsace occupée par les Français et dans le plus vaste territoire français occupé par les Allemands livrerait des chiffres tout à fait intéressants, à comparer avec la mortalité des mêmes classes des autres régions, touchées par les mobilisations.
Rémy Cazals, 25 mai 2011

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Cocho, Paul (1879-1951)

1. Le témoin
Fils d’épicier, Paul Toussaint Marie Cocho est né à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord) le 9 janvier 1879. La famille est très catholique. Paul va à l’école chrétienne de garçons et obtient le Certificat d’études primaires. Marié en 1906, il reprend l’épicerie paternelle. Il a quatre enfants, le dernier en 1914. Il adhère à diverses associations chrétiennes. Il poursuit ses pratiques pendant la guerre (messe, prières) et affirme sa soumission à la volonté de Dieu (p. 36). Cependant, au moins au début, il négocie à plusieurs reprises par l’intermédiaire de Notre Dame du Perpétuel Secours : prières contre avantages divers. Une décision favorable d’un médecin est attribuée à son intervention (p. 37) ; le fait de rester au chaud dans l’abri, pendant que les camarades vont travailler en première ligne, doit aussi à ce que la Vierge lui a encore « accordé sa protection ». Curieusement, cette pratique cesse en octobre 1915. Paul Cocho continue d’aller à la messe quand c’est possible, mais il n’est plus question de Notre Dame du Perpétuel Secours, et ses considérations sur la fragilité de la destinée humaine, sur la mort des camarades (p. 168, 177, 187, 216) ne sont accompagnées d’aucune référence explicite à Dieu ou à son entourage. Après la guerre, il continuera à s’occuper d’associations catholiques et sera nommé chevalier de l’ordre de Saint Grégoire le Grand par le pape sur proposition de l’évêque de Saint-Brieuc.
Paul Cocho, caporal en 1914, a un certain goût des grades et des décorations. Sergent en 1915, il devient officier, sous-lieutenant en 1916, lieutenant en 1918. Il obtient quatre citations et en est très fier, après avoir, cependant, critiqué l’incohérence et l’injustice qui président à leur distribution (p. 55, 94). Il est heureux de recevoir la Croix de guerre juste avant de partir en permission afin de pouvoir la montrer (15/11/15). Le 29 avril 1917, il écrit qu’il a « le secret espoir de décrocher d’autres citations et peut-être le ruban rouge » ; il obtient celui-ci le 12 juillet 1919.
Sur le plan politique, il estime que la République vaut mieux que l’absolutisme (p. 179) et il admire la démocratie telle qu’elle se pratique au Danemark, y compris le rôle politique des femmes (p. 215). Mais il souhaite pour la France « que dans l’avenir elle ait un gouvernement plus digne d’elle » (p. 83) et qu’on y reconnaisse « l’importance de la famille nombreuse » (p. 154). Il condamne « les honteuses fiches » du général André, ministre de la Guerre (p. 178) et craint le danger de la contagion bolchevique (p. 181).

2. Le témoignage
Paul Cocho a rédigé son témoignage de guerre sur 9 petits carnets conservés par la famille qui a participé à la publication du livre : Mes carnets de guerre et de prisonnier 1914-1919, Presses universitaires de Rennes, 2010, 225 p. Le livre est préfacé par Fabienne Bock. Il est illustré de quelques photos et complété par des extraits de l’Historique du 74e régiment d’infanterie territoriale. La guerre occupe 107 pages, datées du 31 octobre 1914 au 27 mai 1918, avec des lacunes, notamment de juillet 1917 à mars 1918. Les quelques jours précédant sa capture sont décrits sur un carnet acheté en Allemagne, et il enchaîne sur sa captivité. Cette période, du 27 mai 1918 au 16 janvier 1919 occupe 96 p. Sans doute disposait-il de plus de temps pour écrire, mais il faut voir aussi dans ces longs développements la volonté de raconter une histoire devenue strictement personnelle, celle de l’individu blessé, capturé, soigné (voir des cas semblables dans les notices Bieisse et Tailhades).
Paul Cocho écrit bien ; il fait peu de fautes d’orthographe. Son récit nous apprend qu’il « cause un peu littérature » avec un lieutenant (p. 75) ; prisonnier, il lit ce qui lui tombe sous la main, et fait une longue digression sur Renan dont il connaît deux ouvrages (p. 175).
Les carnets ressemblent parfois à de la correspondance, car il s’adresse à sa femme. Quelques passages ont été rendus illisibles sur l’original, vraisemblablement par l’auteur lui-même. L’un, de 16 lignes, pourrait correspondre à une évocation des mutineries (mai-juin 1917) ; d’autres suivent des considérations sur les femmes allemandes (p. 148, 198).

3. Analyse
– En octobre et novembre 1914, c’est la guerre en Belgique. Paul Cocho décrit des spectacles épouvantables de corps déchiquetés (p. 22), les longues périodes où on attend la mort, presque sans boire ni manger, ni dormir (p. 25). Il est évacué, épuisé, et avoue : « J’ai été témoin de choses qui ont refroidi mon ardeur du début. Je n’imaginais pas la guerre de cette façon ! Ce n’est pas que j’ai peur et je ferai mon devoir si je retourne au feu, mais enfin, je crois qu’après ce que j’ai fait, je puis légitimement essayer d’échapper à la fournaise. » D’autant qu’il existe des embusqués : « On souhaite les tranchées à tous ces gens si tranquilles et si paisibles. » « D’une façon générale, je crois que tout le monde en a assez. L’enthousiasme du début a fait place chez les uns à une sorte de résignation, chez les autres à un profond découragement. » Ce même jour, 22 novembre 1914, il note que beaucoup voient la guerre terminée à Noël ; lui pense qu’elle va « durer longtemps encore, jusqu’à Pâques au moins ». Et le lendemain : « La conversation à peu près unique a roulé, comme d’habitude, sur la durée de la guerre. L’on sent que tout le monde, à quelques exceptions près, commence à en avoir assez. » Toutefois, les Alliés ayant la maîtrise de la mer et pouvant se ravitailler, ils finiront par l’emporter.
– 1915 et 1916 : Paul Cocho se trouve dans les tranchées, toujours en Belgique, menant une guerre étrange (p. 43) : « Qui aurait cru qu’elle aurait consisté à se tenir tapis, au fond des trous, guettant l’ennemi en première ligne, allongés au fond de la tranchée, et attendant les événements en deuxième ou troisième ! » Une guerre différente selon que l’on est artilleur ou fantassin (p. 72), ou bien encore embusqué, sans oublier la catégorie des « embusqués du front » (p. 78), décrite aussi par Louis Barthas. Il présente un capitaine nouveau venu qui a contre lui de devoir commander « à une majorité d’hommes qui font campagne depuis dix mois » ; un autre officier, heureux de prendre en ligne « un commandement vraiment actif et amusant », et Cocho de commenter : « Il se pourrait bien qu’il le trouvât rapidement un peu trop amusant ! » et il ajoute : « Il a encore tous les enthousiasmes et toutes les naïvetés de ceux qui n’ont pas vu vraiment le feu ! » (p. 89). Le 23 septembre 1915, notre Breton décrit l’exécution d’un soldat français. Le 30 juillet 1916, il visite l’ambulance américaine de Mrs Depew.
– Sous-lieutenant affecté aux communications, il se sent lui-même devenir un peu un embusqué (p. 98). De fait, il bénéficie d’un nombre incroyable de permissions entre décembre 1916 et avril 1917, et en prend même une illégale (p. 107). Il fait partie des auteurs de carnets qui ne notent rien pendant les périodes de permissions, en dehors du cafard au moment de repartir (p. 80, 99). Au front, il signale le plaisir de pouvoir parler de la famille et du « pays » avec d’autres Bretons. Il considère les soldats bretons comme des troupes d’élite (p. 40), et les printemps bretons comme les plus jolis (p. 113). Au début de 1917, il décrit les préparatifs de l’offensive, puis son échec en mai attesté par « le remue-ménage qui se fait dans le haut commandement ». Rappelons que 16 lignes rendues illisibles concernaient peut-être les mutineries.
– Blessé et capturé lors de l’offensive Ludendorff sur le Chemin des Dames, le 27 mai 1918, il est soigné, bien traité (p. 126), regardé avec pitié par la population (p. 131). Au lazaret de Mayence, puis au camp de Czersk en Pologne, on ne peut mener qu’une vie végétative dans laquelle l’alimentation joue le rôle principal : rations insuffisantes, compensées par les colis envoyés par sa femme. Si le premier colis ne lui parvient que le 8 septembre, celui du 22 novembre est le 27e. C’est alors l’abondance, et le prisonnier, en promenade, peut distribuer du chocolat aux gamins allemands ravis. En septembre, les Russes donnent des concerts qui ont pour auditeurs Français, Anglais, Italiens, Roumains, Américains et Allemands. Autre spectacle : voir passer les civils, avec un intérêt particulier pour les femmes allemandes, qui portent souvent des toilettes élégantes, mais qui ont toujours « une très forte cheville » (p. 158). Paul Cocho suit l’évolution de la guerre dans la presse berlinoise, la marche en avant des Alliés, les négociations pour l’armistice, la révolution allemande. Curieusement, alors que tant de soldats français éprouvent une forte rancune pour l’empereur Guillaume (et aussi pour Poincaré), Paul Cocho pense que le Kaiser « n’a fait que réaliser les aspirations de son peuple » (p. 182). Reste que, le 16 novembre 1918, le drapeau rouge flotte au-dessus du camp. La période qui suit, au cours de laquelle Paul et ses camarades sont à la fois des prisonniers de guerre et des vainqueurs, est très complexe. Les Allemands, heureux de la fin de la guerre (p. 185), s’amusent (p. 193), et les anciens prisonniers font de même, tout en souhaitant un retour rapide au pays.

Rémy Cazals, 18 mai 2011

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