Pelloutier, Raymond (1897-1956)

1. Le témoin

Raymond Paul Ulrich Pelloutier est né le 25 juillet 1897 à Paris (2e arr.). Son grand-père est fonctionnaire des Postes, son père est employé (sans autre précision), son oncle Fernand, poète, journaliste, est un des pionniers du syndicalisme révolutionnaire. Sa mère est signalée sans profession à l’état-civil. Raymond ne semble avoir fait aucune carrière militaire puisqu’il apparaît au grade de 1ère classe dans une liste de prisonniers de guerre en 1940, c’est le grade qu’il a à son entrée en guerre en 1916. La suite de sa vie n’est pas connue. Il est mort à Nantes le 28 novembre 1956.

2. Le témoignage

Pelloutier, Raymond, La voix d’un jeune. (Souvenirs et impressions d’un « bleuet » de la classe 1917). Paris, Eugène Figuière, 1930, 185 pages.

L’auteur s’engage en juillet 1916, semble-t-il au 131e RI d’Orléans, et rejoint le front en Argonne à la fin de l’année, sans y être engagé toutefois. Son régiment est en effet déplacé à l’ouest de Reims, secteur de Berry-au-Bac. C’est là qu’il va prend sa première garde de nuit au créneau, qui l’impressionne du fait de son « inaccoutumance au danger » (page 26). « Bleuet » donc bleu, il multiplie les corvées et c’est au cours de l’une d’elles qu’il subit son premier bombardement. Il s’est ainsi aguerri au feu quand arrive le 16 avril 1917. Il est sur le front de l’Aisne, devant le Bois des Buttes, Craonne et la Cote 108. Après l’enfer, une période de repos à Ventelay puis une permission à Paris, qui lui laisse une « singulière sensation », générant d’abord des « regards compatissants, mais souvent ironiques » (page 110), bientôt remplacés par « une légitime indignation » devant le « scandaleux étalage d’un luxe indécent et de cette ruée vers les plaisirs malsains » et subissant « une indifférence qui frise le dédain » (page 113) des Parisiens, il revient dans l’Aisne, en face de Juvincourt. Une demande de changement d’arme pour passer dans l’aviation reste sans suite à l’hiver 1917-1918. Transporté à Noyon, reconquise, il est au village de Guivry en mars 1918, date à laquelle les Allemands déclenchent une offensive qu’il prend de plein fouet. Dépassé par la vague, il est fait prisonnier et envoyé au camp de Giessen (Hesse) en Allemagne, où son internement met fin à sa narration mais le détermine, dès son retour, à « faire le récit le plus fidèlement possible » de « l’horreur de cette effroyable calamité qu’est la GUERRE » (page 179).

3. Analyse

Raymond Pelloutier livre dans ses souvenirs et impressions d’un « bleuet » un témoignage certainement basé sur son expérience de guerre mais difficile à suivre. Imprécis sur les dates (qui couvrent de l’hiver 1916-1917 jusqu’à l’opération Michael de mars 1918), il ne nomme pas son régiment et les personnages cités ne correspondent pas à la  réalité. Ces désagréments mis de côté, il reste un témoignage honnête, contenant de nombreuses descriptions et informations d’ambiance liées au statut de jeune classe du témoin [1]. Ainsi, les pages liées à son aguerrissement au front, aux bombardements et aux attaques sont représentatives. Il éprouve un profond respect envers les anciens qui ont « fait Verdun » (page 14) et évoque l’attraction du spectacle de la bataille du Chemin des Dames (page 56). Car le front attire, indéniablement : au repos, après les combats du 16 avril, il dit : « Parfois, les vents d’est nous apportent, assourdie, la rumeur du front que, le croirait-on ? il ne me déplaît pas d’entendre » (page 97). Cette attraction est récurrente pour nombre de soldats pour qui le champ de bataille génère autant de crainte que de fascination : « En arrivant à la  hauteur de Roucy, une vision grandiose s’offre à nos regards. Le bombardement que vient de déclencher notre artillerie illumine le ciel, tandis que dans le lointain des fusées blanches, vertes et rouges, s’élèvent de toutes parts, donnant l’impression de quelque gigantesque feu d’artifice. Ce spectacle est si beau que nous en oublions la triste cause » (pages 118-119). Sa description du 16 avril et des sentiments que la grande mêlée lui occasionne est intéressante. Il y disserte sur une certaine superstition, ayant de nombreux sentiments prémonitoires au fil de son expérience : nommé à la caserne soldat de 1ère classe, au début de sa campagne, il dit : « J’ai l’idée que nous mourrons avant d’accéder à un grade supérieur » (page 11), est sauvé par un camarade qui le pousse à changer de place en disant « C’est drôle, quelque chose de plus fort que moi m’a obligé à lever la tête… Ne restons pas ici » avant qu’un obus explose à l’endroit qu’ils occupaient (page 66), et s’interroge sur ce ressenti, entre « devoir impérieux », « choses vraiment incompréhensibles et quasi-miraculeuses » (page 78) et « puissance mystérieuse, (…) entité supérieure maîtresse de nos destinées » (pages 98-99). Il n’évoque pas les mutineries, mais comprend à cette époque le ressentiment de « pauvres bougres, qui n’ont en poche que les cinq sous que leur alloue quotidiennement l’Etat, et, moyennant quoi, il leur est demandé de risquer leur peau à tout instant. Ils font sans
doute de tristes réflexions en comparant leur sort avec celui de leur camarade de l’arrière qui, occupés à la fabrication des obus et soustraits aux risques des combats, se voient, en outre, attribuer un important pécule
» (pages 101-102). D’autres descriptions d’intérêt ponctuent encore l’ouvrage sur la misère sexuelle (page 148), la vision des combattants allemands de 1918 (page 168) ou le traitement de leurs prisonniers (page 169).

Yann Prouillet – Rémy Cazals, janvier 2013


[1] Outre Pelloutier, 6 autres témoins se réclament du statut de « Bleuet » dans le titre de leur ouvrage publié.

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Compagnon, Auguste (1879-1915)

1. Le témoin


Auguste Compagnon est né le 12 mai 1879 à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) « d’une très honnête famille de travailleurs ». Son oncle, le Révérant Père Compagnon, directeur des Missions étrangères, lui fait faire ses études à l’Ecole cléricale de Rimont (Saône-et-Loire) où il est un brillant élève, doué pour les lettres. Après avoir accompli son service militaire au 56e RI de Chalon, il se dirige vers le journalisme, devient correcteur d’imprimerie au Courrier de Saône-et-Loire puis grimpe les échelons dans ce journal pour être successivement secrétaire de rédaction et rédacteur en second, signant de nombreux articles. En 1907, il publie Primevères, un recueil de poésie. Marié, il a deux enfants, Henri (né en 1906) et Juliette (née en 1911) et un frère, Pierre, combattant également comme sergent infirmier (en 1916). La guerre le mobilise à Gray comme caporal infirmier, peut-être du fait de sa myopie, mais il désire rejoindre son unité au front. Il y parvient en décembre 1914, y passe rapidement sergent et semble avoir de l’ascendant sur ses camarades qui le surnomment le « Père de la compagnie », la 8e du 56e. Son présentateur, anonyme, indique même que « la tranchée où il succomba fut dénommée par les Autorités militaires : « Tranchée Compagnon » (page 9). Le 7 octobre 1915, il est tué alors qu’il se porte au secours d’un blessé au lieu-dit « Le Caméléon » à Sommes-Suippes (Marne) en Champagne et est inhumé au cimetière du « Voussoir », près de Tahure. Son nom est inscrit sur l’un des murs du Panthéon.

2. Le témoignage

Compagnon, Auguste, Poèmes et lettres des tranchées. Œuvres posthumes. Chalon-sur-Saône, Association Amicale de la Presse Chalonnaise, 1916, 148 pages.

L’ouvrage se compose de trois parties ; une biographie panégyrique, empruntant plusieurs courriers de ses supérieurs, compagnons d’armes et collègues de la presse en formes de condoléances (33 pages) ; des poèmes de tranchées (33 pages) et ses lettres de tranchées (70 pages). C’est cette partie de l’ouvrage qui fait l’objet de la présente analyse.

3. Analyse

Adressées à plusieurs personnes anonymes de différents milieux (confrères de la presse, amis, comités de secours et sa famille), ses lettres couvrent une année de guerre, du 12 octobre 1914 au 5 octobre 1915. Dans un ouvrage ouvertement panégyrique, Auguste Compagnon est à classer parmi les témoins patriotes. Lui-même confirme dans un courrier du 4 mars 1915 qu’il s’est donné une mission dans la guerre : « Si, au point de vue formation
militaire, je ne suis pas un bon soldat (myope comme je suis surtout), j’ai conscience d’être utile par mon influence sur mes camarades. Je réchauffe leur patriotisme, j’impose silence aux brebis galeuses (car il y en a), je leur communique mon sang-froid et ma bonne humeur. J’ai conscience depuis que je suis ici, d’avoir beaucoup relevé le moral des hommes, dont beaucoup hélas ! déprimés par les privations, ne songeaient qu’à se faire évacuer
» (pages 132-133). Il se bat car il ne tient pas « à recommencer, dans quelques années, une aussi rude campagne, encore moins à en passer la charge à nos fils » (14 juillet 1915, page 82). Dès lors la réalité épistolaire de sa guerre est sujette à caution, mais l’ensemble de l’ouvrage est éclairant sur la dialectique patriotique. Ainsi, évoquant l’ennemi prisonnier : « Ils auraient pu résister encore ou, du moins, bravement mourir. Mais ils sont venus à nous, drapeau blanc déployé, en se traînant sur les genoux, en nous tendant, pour nous apaiser, leurs musettes, leurs bidons, leurs effets d’équipement. Tous très jeunes, vingt ans au maximum, à part une dizaine. Et déjà tous lassés de la guerre, déclarant qu’ils en avaient assez, tous heureux et non pas honteux d’être pris. Voilà les nouveaux soldats du Kaiser, le suprême espoir de l’Allemagne épuisée » (16 mai 1915, pages 78-79). Jusqu’au bout, il diffuse ce bourrage de crâne, minore « la casse » et souscrit aux pertes, lourdes uniquement chez l’ennemi : « (…) le corps le plus éprouvé, le 14e, n’avait que 3 000 hommes hors de combat (dont 2 500 blessés, et la plupart peu gravement. Au contraire, on cite des régiments boches, dont il ne reste que 22, 23 et 60 survivants) » (4 octobre 1915, page 83). Le caractère inoffensif des obus est une antienne (pages 109 ou 131). Il n’est pas question pour lui de fraternisation : « J’ai ouï dire qu’en certains régiments, les hommes s’amusaient à parlementer avec les Boches. Ici, rien de tout ça. Les officiers ne le permettraient pas et les hommes n’y sont pas disposés. On ne se parle entre ennemis qu’à coups de fusils » (18 février 1915, pages 92-93). Il confesse toutefois, avec la même outrance inversée, que cela existe aussi dans son régiment le 14 juin suivant : « nous ne sommes dans notre secteur qu’à une dizaine de mètres des Boches, – pas plus – mais ces Boches-là ne manifestent aucune ardeur guerrière. Ils parlementent, au contraire, avec nos sentinelles, montrent la tête et jusqu’à la poitrine pour inspirer confiance, envoient des saluts militaires, des bouffées de tabac et de vielles boîtes de fer-blanc contenant, dit-on, des écrits, mais que nul ne songe à aller ramasser, car elles tombent assez loin de la tranchée, sur une pente d’où l’on est vu de partout » (page 100). Le 3 mai 1915, il évoque son retour du front et son ambition « aussitôt rentré, de constituer une ligue des combattants de 1914-1915, qui n’aurait d’autre mission que : 1° De maintenir, entre Français l’Union sacrée, en reléguant chez Satan l’infâme politique, cette nourricière des charlatans ; 2° De mettre toute sa force au service exclusif de l’intérêt général (soit du pays, soit de la cité), et de ne mettre à la tête des affaires que les hommes les plus compétents, abstraction faite de toute considération de nom, de fortune et autre futilité ; 3° De surveiller étroitement toute tentative de retour… pacifique des Boches » (3 mai 1915, page 94). Le 4 mars 1915, il rédige une violente charge contre les embusqués : « J’apprends avec plaisir qu’on fait déménager les embusqués. Quelle triste mentalité que celle de ces lâches qui s’embusquent, et quelle responsabilité ils assument devant leurs enfants et les générations à venir ! (…) Ah ! dans leur égoïsme épouvantable, ces gens-là se réservent un bien pâle avenir : honteux de se réjouir d’une victoire à laquelle ils n’auront pas contribué et si, par impossible, nous étions vaincus, bien obligés de s’avouer qu’il sont responsables de la  défaite. Ah ! je ne les envie pas, ces émasculés là ! » (pages 129-130). Il explique également le patriotisme de ses camarades du front : « Les Boches ont attaqué, mais ils ont été tenus toujours à une respectable distance. Ainsi, pas de prisonniers de vive force. Très peu aussi de prisonniers volontaires, car, en passant d’une tranchée à l’autre, ils se feraient, le jour, fusiller par les leurs, la nuit par les nôtres qui tirent au moindre bruit. Il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’ici, Français ou Boches capturent, vivants, quelques-uns de leurs adversaires » (4 mars 1915, pages 130-131).

Yann Prouillet, janvier 2013

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Escande, Mathieu (1877-1929)

Né à Escoussens (Tarn) le 10 avril 1877, il est issu d’une dynastie de charpentiers-apiculteurs. Surnommé Albigeois l’Ami du Trait, Mathieu fait son tour de France de compagnon, puis le service militaire comme télégraphiste à El Goléa (dans l’édition, les lettres du Sahara précèdent le journal de 14-18). Il se marie en 1906 et il a un fils et une fille avant la guerre. Son petit-fils a édité son journal à partir de 7 cahiers d’écolier, texte qui comporte de fortes lacunes pour les premières années de guerre. En effet, mobilisé à Montpellier au 2e Génie, Mathieu reste à l’arrière, Angoulême et Chinon, jusqu’au printemps 1917, à travailler le bois, par exemple à fabriquer des caillebotis pour les tranchées. Au cours de cette vie monotone et sans danger, il y a peu à raconter en dehors des gaspillages et absurdités de l’armée, des cuites des camarades, de l’animosité entre soldats du Nord et du Midi, de discussions politiques au cours desquelles Mathieu s’oppose aux socialistes. Il part pour l’arrière-front en mai 1917, étonné que le paysage de Verdun, désertifié par les bombardements, lui rappelle celui du Sahara. Là aussi, il travaille le bois, réalisant des coffrages pour abris, construisant un établissement de douches (et même, exception, faisant les vendanges pour Moët et Chandon). Il appelle les bleus « les enfants » ; il critique le bourrage de crâne ; il transcrit un rêve (29-11-17) : « Cette nuit j’ai rêvé que j’étais avec le Kaiser et le Kronprinz, que ce dernier m’a assuré que la guerre serait encore longue. » En 1918, Mathieu est promu maître ouvrier. Dans l’Aisne, il décrit le repli lors de l’offensive allemande sur le Chemin des Dames. De retour dans sa région en 1919, il reprend à Labruguière son activité de charpentier dans le civil.
*Jean Escande, Le journal de Mathieu, La guerre de 14 vue par un charpentier de Labruguière, sapeur au 2e Génie, Castres, 1986, plaquette de format A4, 80 p.

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Vuillermet, Charles (1890-1918)

1. Le témoin


Charles Vuillermet photographié en atelier à Belley à la veille de la Grande Guerre (page 30)

Charles Vuillermet naît le 12 janvier 1890 à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) d’une famille franco-suisse dont nombre de membres sont des artistes reconnus. Son grand-père est photographe, comme son père, Constant Vuillermet, qui a épousé épouse une Thononaise, Marie Chavanne qui a repris l’atelier familial. Le couple aura cinq enfants : André en 1879, Catherine en 1881, Antoinette en 1886, Charles en 1890 et Joseph en 1896. Ce dernier, 2e classe au 3e zouaves, est tué le 26 octobre 1918 dans les Ardennes. Evoluant « des deux côtés du lac » Léman dans un milieu cultivé et bourgeois, Charles est initié au dessin et à la peinture dans une éducation stricte. Il fait ses études au collège Saint-Joseph de Thonon puis se destine lui aussi à la photographie. Il voyage beaucoup ; en 1910, il a un atelier à Lausanne puis vit à Vichy puis Paris où, en 1911, il est rattrapé par ses obligations militaires. Le 9 octobre de cette année, il est incorporé à 133e RI de Belley (Ain). Promu caporal le 12 avril 1912 et sergent le 25 septembre suivant, l’artiste en devenir change de voie et s’engage dans la vie militaire comme sous-officier le 17 avril 1913. Il se spécialise alors dans l’emploi des mitrailleuses et est affecté à la section du 2e bataillon. En juin 1914, le régiment est en manœuvres lorsque survient la mobilisation générale. Il est donc avec son homologue de la 82e brigade d’infanterie, le 23e RI immédiatement prêt à rejoindre la frontière comme régiment de couverture. C’est ainsi qu’on le retrouve au sein de la 41e division sur les cols vosgiens dès le 5 août 1914. A la suite des combats pour la reprise de la Fontenelle (Vosges) en juillet 1915, Vuillermet est nommé sous-lieutenant à titre temporaire (le 28) et adjoint au commandant de la 2e compagnie de mitrailleuses en mars 1916. Il passe lieutenant à titre temporaire en octobre 1916 puis à titre définitif, commandant la 1ère compagnie de mitrailleuses, au 1er juillet 1917, après l’affaire de la mutinerie des 1er et 2 juin à Ville-en-Tardenois (Marne). C’est à ce grade qu’il est tué le 2 juin 1918 à Bussiares dans l’Aisne lors de la retraite de l’Ourcq au Clignon.

2. Le témoignage

Perrier, Michel, Charles Vuillermet (1890-1918). Carnets et dessins d’un officier savoyard dans la Grande Guerre, Annecy, Le Vieil Annecy, 2012, 207 pages.

Charles Vuillermet est engagé dans la carrière militaire à la déclaration de guerre, avec la spécialité de mitrailleur. Son parcours est donc celui d’un sous-officier qui monte les grades par sa valeur militaire au sein d’un même régiment. Il occupe dans un premier temps les cols vosgiens et l’Alsace et la cristallisation du front à l’Est l’amène à « tenir » le secteur de la Fontenelle d’octobre 1914 à juin 1916. C’est la majeure partie de la couverture chronologique contenue dans le carnet de guerre de 96 pages qu’il tient du 1er août 1914 au 30 septembre 1916. L’affaire de la mutinerie de juin 1917 va entraîner pour le 133e de nombreuses sanctions, dont la dispersion des officiers considérés comme fautifs. Lui va hériter de cette situation du commandement d’une compagnie de mitrailleuses. Ayant abandonné son carnet à cette date, l’empreint documentaire effectué par Michel Perrier, le présentateur du legs de Charles Vuillermet, retrace son parcours par des courriers échangés avec sa famille et son frère Joseph. Dès lors, les quelques éléments que Charles donne dans ses écrits sont confrontés au JMO, aux historiques divisionnaire et régimentaire et à d’autres témoins du « Régiment des Lions » tels Joseph-Laurent Fénix ou les officiers que sont les docteurs Joseph Saint-Pierre, Frantz Adam, André Cornet-Auquier ou Louis de Corcelles [1], afin de combler les vides dans le témoignage de Vuillermet. L’ensemble est ponctué de dessins et de photographies de l’auteur, formant un corpus assez large de représentations issus du témoin.

3. Analyse

La première lettre permettant de sonder la vision de la guerre de Charles Vuillermet est datée du 12 septembre 1914, dans laquelle il confie : « Depuis la déclaration de guerre nous n’avons cessé de combattre. (…) Je vous assure que la guerre est une chose horrible, il y a des choses qui ne peuvent s’écrire, mais celui qui combat passe par des transes inexprimables quand les obus et les balles pleuvent de tout côté, et que l’on voit tomber ses camarades et cela pas un jour mais 8 ou 10 jours de suite et sans recevoir de troupes fraîches. Enfin je n’espère qu’une chose, avoir le bonheur d’en réchapper (…) » page 40. Confronté à la violence et à sa mort possible, il revient sur ce sentiment : « (…) si j’ai le bonheur de finir la guerre j’espère éclaircir bien des choses à mon sujet. Malgré tous les dangers que nous encourrons chaque jour je conserve bon espoir de revoir Thonon » (page 45) et estime la guerre à encore quelques mois en octobre 1914. Il s’aguerrit au feu et dénonce même la monotonie d’un front cristallisé à l’hiver 1914-1915, espérant obtenir rapidement « l’écrasement de ces vilains teutons » (page 48). Au fur et à mesure des mois, il abandonne la consigne de discrétion et ses courriers, plus intéressants que son carnet, se font alors plus descriptifs, notamment pour la guerre des mines ou les grandes affaires auxquelles le bataillon prête son concours en 1915 comme la reprise de Metzeral (juin), de La Fontenelle (juillet) en 1915 ou l’attaque sur Cléry-sur-Somme (carnet, le 30 juillet 1916). Hélas, ayant abandonné son carnet à la fin de 1916, il ne s’exprime pas sur la mutinerie massive de son régiment, se bornant le 6 juillet 1917 à signaler qu’elle lui a vraisemblablement donné du galon, celui de lieutenant : « on vient de me donner le commandement d’une compagnie juste au moment où nous remontions en ligne. (…) Je suis content de commander réellement, c’est la perspective du troisième ! » (page 139). Officier ayant une responsabilité importante, il semble qu’il ait alors de plus en plus remplacé l’écrit par le dessin, multipliant les représentations des paysages et les scènes de cantonnement avec un réel talent d’artiste, qu’il proposera d’ailleurs à l’Illustration, qui ne retiendra pas ses esquisses.

Yann Prouillet, janvier 2013


[1] Voir leur notice dans le présent dictionnaire.

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Fenix, Laurent, Joseph (1892–1958)

1. Le témoin

Laurent Joseph Fenix est le né le 19 mai 1892 à Grignon, en banlieue d’Albertville (Savoie), où son grand-père est bûcheron charbonnier. Une de ses filles, paysanne gardant les chèvres, épouse un journalier agricole qui travaille également comme ouvrier de four à plâtre. De cette union naîtront 12 enfants survivants (sur 14 conçus), dont Laurent, 7e de la fratrie. Il va quelques années à l’école où l’instituteur, républicain anticlérical, aura manifestement une influence sur le jeune garçon. En effet, il ne comprend pas une religiosité de sa mère confinant à la bigoterie, malgré ses conditions d’extrême pauvreté. Loué comme berger par son père, il quitte rapidement les études pour devenir ouvrier agricole. Adolescent, il devient ramoneur (et il y gagne le sobriquet de « souris ») et, bon ouvrier, va jusqu’à diriger une équipe. Jeune adulte, il quitte le métier et, après deux années d’apprentissage, devient charpentier. Toutefois, devant souscrire à ses obligations militaires, il rejoint le 133e RI de Belley (Ain). Il devient tampon[1] d’un caporal puis d’un sous-officier avant d’être employé comme menuisier dans un atelier de sapeurs. La guerre l’affecte à la 4ème compagnie du 133 qui part en Alsace dès les premiers jours d’août 1914. Blessé gravement à la tête par une torpille française le 9 juillet 1915, en reprenant la colline de La Fontenelle dans les Vosges, il est évacué. Commence alors une longue période entre hôpitaux de traitement et de convalescence, avant d’être réformé, inapte à poursuivre la lutte. Démobilisé, il reprend sa vie d’ouvrier menuisier, participant d’ailleurs à la reconstruction de la zone envahie à Soissons. Il poursuit sa carrière à Paris, Grenoble, Lyon, part en Afrique et revient se marier « dans un pays du Dauphiné » avec une femme qui se jettera sous un train. Lui-même se suicide le 11 novembre 1958 à Voiron (Isère), après une vie qu’il a qualifiée de misère.

2. Le témoignage

Fenix, Laurent-Joseph, Histoire passionnante de la vie d’un petit ramoneur savoyard, écrite par lui-même. Paris, Le Sycomore, 1978, (réédité aux éditions Michel Chomarat (Lyon) en 1994 et à La Fontaine de Siloé (Montmélian) en 1999), 120 pages.

Marcel Peyrenet, journaliste, qui épilogue cet ouvrage, nous renseigne sur ce petit témoignage, en forme de souvenirs autobiographiques : « Telle a été la vie de Laurent, Joseph Fenix. Racontée par lui-même. Ecrite d’un trait, selon toute apparence, comme pour libérer une mémoire » (page 191). Il reçoit de lui un cahier contenant ses souvenirs, portant en frontispice la mention, « écrit dans le Dauphiné, le mois de novembre 1955 » (page 15). Fénix raconte sa vie en deux parties à peu près égales : l’avant-guerre, son enfance et son adolescence pauvres et besogneuses et la Grande Guerre(qui représente 30 pages sur l’ensemble de l’ouvrage) et ses conséquences pour un soldat de la « piétaille », brisé et aigri par la société.

3. Analyse

La misère de sa jeunesse, la dureté de sa vie et le poids psychique de la guerre forment le fil conducteur de ce témoignage d’une gueule cassée, dont « la bouche elle-même n’était réduite qu’à une ouverture de moins de deux centimètres » (pages 191-192). Sa description de l’arrivée dans le secteur du Ban-de-Sapt (Vosges), à la mi-septembre 1914, est dantesque : « Là il y avait déjà des milliers de morts à moitié enterrés, on voyait leur tête et leurs jambes qui sortaient, il y avait autant de Français que d’Allemands (…) Ils étaient là mélangés Français et Allemands. Je les ai vus pendant
plus d’une semaine, de mes yeux vus, aucun ne ressuscitait. Ils étaient tous bien d’accord les uns et les autres. Il n’y avait plus de rancune, de question de fortune, de politique ou de religion
» (page 123) et il poursuit sur ce parallèle social avec les vivants : « Même les camarades qui étaient avec moi, il y en avait de toutes sortes d’opinions, des croyants et des incroyants, de toutes sortes d’idées politiques, sauf des communistes puisque ça n’existait encore pas. Mais il n’y avait que des riches qu’on ne voyait pas, surtout pas dans mon bataillon dans tous les cas. Il y avait des ouvriers, des petits paysans, des petits commerçants, des  instituteurs… Les riches, après la guerre, on les a appelés les morts-vivants. Ils étaient tous malades à ce qu’il paraît, pour ne pas aller à la guerre. Et ils ont trouvé des braves gens pour les réformer ou les camoufler dans un coin bien tranquille. Et bien longtemps après la guerre, ils sont redevenus très lurons tandis que d’autres sont morts par suite de guerre sans même pu toucher une pensions » (pages 123-124). Sa vision de l’Armistice est celle-ci : « Ce jour-là que tout le monde fêtait en guinguette, pour moi ça a été le plus triste de ma vie. Je n’aurais fait que pleurer. Je pensais à tous ces camarades que je ne reverrais plus, à tous ceux que j’avais vu mourir dans des atroces souffrances, surtout que je commençais à comprendre que nous étions des imbéciles. Car je me rendais déjà compte que c’était les profiteurs qui s’étaient engraissés avec notre sang. On allait être leurs esclaves et comme récompense de notre souffrance, il allait falloir livrer une deuxième guerre toute sa vie pour obtenir une aumône » (page 165). En effet, il ne se remettra jamais du traumatisme de la Grande Guerre ; en témoignent le ton de ses souvenirs, sa récurrence à se focaliser sur les nantis et les profiteurs de guerre, sa vie de « réprouvé » et jusqu’à son suicide un 11 novembre 1958, 40 ans après l’armistice, dans l’explosion de sa maison, laquelle entraînera également la mort de deux locataires, deux sœurs âgées de 20 et 23 ans. « Sous un balcon, au premier étage, pend un écriteau portant, en lettres rouges, ces mots : « Profiteurs de guerre, monstrueux profiteurs. Vous serez châtiés » (page 194). Son témoignage est imprécis, distordu par le ressentiment, peu daté et ténu mais suffisamment représentatif du poids psychique et psychologique de la Grande Guerre chez ceux qui y ont souffert de la conjonction des traumatismes du feu et de la misère sociale qu’elle engendra. Il se replace en tous cas dans l’expérience moins socialement marquée de Charles Vuillermet, d’André Cornet-Auquier, de Louis de Corcelles ou des docteurs Joseph Saint-Pierre et Frantz Adam[2].

Yann Prouillet, janvier 2013


[1] Le tampon exerce les fonctions d’ordonnance.

[2] Voir leur notice dans le présent dictionnaire.

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Clément, Joseph (1876-1968)

Le témoin
Il est né le 23 décembre 1876 à La Bouillie, dans les Côtes-du-Nord. Il s’engage dans l’armée le 30 octobre 1896. Caporal le 2 avril 1898, il est nommé sous-officier le 18 novembre 1898. Le 30 octobre 1909, alors qu’il est au 70e RI de Vitré, il quitte l’armée. Il est mobilisé le 2 août 1914 au 76e régiment d’infanterie territoriale de Vitré. Nommé sergent-major le 4 août 1914, puis adjudant-chef le 25 septembre 1914, il gagne son galon de sous-lieutenant à titre temporaire le 10 novembre 1914. Nommé lieutenant à titre temporaire le 16 juillet 1915, il est confirmé à titre définitif dans ce grade le 12 juillet 1917. À la dissolution du 76e RIT en janvier 1918, il est affecté au 80e RIT de St-Lô. Après la guerre, il sera rattaché au 136e RI de St-Lô, puis passera comme capitaine au 71e RI de St-Brieuc. Directeur de banque à St-Brieuc, Joseph-Marie Clément y décèdera en 1968.
Le témoignage
Il nous a laissé trois petits carnets dans lesquels il a noté, au jour le jour, les événements, grands ou petits, auxquels il a participé de près ou de loin. Ils couvrent la période du 5 octobre 1914 au 20 novembre 1918. Ce sont de tous petits calepins (à peine 8×5) rédigés en une écriture serrée, parfois difficilement lisible. Auprès des annotations rapportées ici, apparaissent toutes les préoccupations matérielles quotidiennes qui sollicitent tout officier d’infanterie. On y trouve des listes de noms de soldats, des instructions pour les vaccinations, des quantités de matériel à prendre au parc, des adresses de parents, d’amis, etc.
Son journal débute par des notes brèves, parfois sèches, témoignages d’une période de mouvements peu propice à des travaux d’écritures. Ensuite, les comptes rendus prennent plus de consistance et introduisent toutes les préoccupations du moment, y compris les récriminations contre les injustices de promotions dans les grades et décorations dirigées vers les non-combattants des États-majors, si petits soient-ils.
L’ouvrage
La reprise des carnets de Joseph-Marie Clément aurait pu se suffire à elle-même. Cependant, p. 8 à 10, il se montre exceptionnellement très disert et relate l’attaque aux gaz du 22 avril 1915, événement que son régiment vécut d’abord en spectateur alors que le 76e RIT s’apprêtait à relever l’autre brigade de la 87e DIT bretonne, celle formée par les 73e RIT (Guingamp) et 74e RIT (St-Brieuc). Ces deux unités vont se trouver plongées dans la nappe de gaz et être décimées, ce qui obligera le régiment territorial vitréen à monter en ligne pour combler la brèche qui se formait, ce que narre le lieutenant Clément. Sur cette journée du 22 avril, les témoignages sont multiples, fort variés, voire contradictoires. Nous avons voulu ajouter au texte du lieutenant Clément (37 pages) un dossier sur cette fameuse journée du 22 avril (60 pages). En consultant les archives militaires de plusieurs pays ou des témoignages de combattants ayant subi cette attaque ou y ayant assisté, nous constatons que, selon la nationalité des témoins, elle fut « la journée » des Belges, celle des Bretons, celle des Anglais ou celle des Canadiens, de façon exclusive. Selon le lieu de la ligne de front, au nord et à l’est d’Ypres, les relations divergent et, surtout, ignorent que ce fut tout un ensemble de régiments de plusieurs nations qui fut touché et non seulement des régiments belges, bretons, anglais ou canadiens. Parmi ces unités, se trouvèrent des troupes qu’on n’évoque presque jamais, alors qu’elles furent sans doute les plus éprouvées : le 1er bataillon de marche d’Infanterie Légère d’Afrique, des « Joyeux » presque tous asphyxiés, et le 1er régiment de marche de tirailleurs algériens. Nous avons voulu présenter un dossier aussi complet que possible sur cette terrible journée et sur « cet incident fâcheux, sans résultat grave » (général Joffre), sans parti pris national ou régional. Nous savons ce que des régiments territoriaux bretons subirent ce 22 avril. Nous savons aussi qu’ils n’étaient pas seuls en ligne et qu’ils ne furent pas les seuls décimés.
René Richard
Carnets de guerre d’un officier d’infanterie territoriale. Lieutenant CLEMENT Joseph 76e RIT de Vitré et La première attaque aux gaz du 22 avril 1915, Plessala, Bretagne 14-18, 2006, 99 p.

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Capel, Georges (1887-1915)

1. Le témoin
Georges Capel est né le 17 octobre1887 à Saint Valérien, canton de Chéroy, dans l’Yonne, de Florent Capel, charcutier et de Victorine Larrivé, sans profession. Lors de son incorporation au service militaire il exerce la profession d’employé de chemin de fer et est domicilié à Paris (2e arr.). Il a épousé Jeanne, Aline Daguenet le 11 octobre 1911. Il est mobilisé au 289e régiment d’infanterie (55e DI), régiment de réserve du 89e RI de l’Yonne. Georges Capel décède le 22 janvier 1915 à l’hôpital temporaire 22 à Cholet (Maine et Loire) des suites de blessure de guerre.
2. Le témoignage
Journal de guerre 1914-1915. Cet opuscule a été composé par Patrick Capel, arrière-petit-fils de Georges, édité par Editions JPB à Villemandeur (45200) Loiret, ISBN 10 : 2-907055-28-3, ISBN 13 : 9782907055284, 1994, 41 pages, à partir des notes manuscrites de Georges. Ce document est consultable à la Bibliothèque universitaire Sainte Geneviève à Paris. Les notes ont la forme d’un journal quotidien s’étendant du 10 août 1914 au 15 janvier 1915 sans aucun manque. Les apports de l’arrière-petit-fils, Patrick Capel, sont limités à la dédicace, un court « avis au lecteur » et quelques lignes en forme d’ex-libris. En outre, le petit-fils Michel Capel a ajouté un commentaire de 17 lignes dans lequel il rappelle l’authenticité du texte et précise que « l’original s’effaçant petit à petit a été intégralement recopié mot pour mot par Jeanne Daguenet » la veuve de Georges. Il termine par un court paragraphe constituant un hommage aux poilus, à leurs veuves à leurs orphelins (page 41).
3. Analyse
Georges Capel appartient à la classe 1907, il a 27 ans à la déclaration de guerre. Son journal apporte peu d’éléments originaux autres que ceux que l’on recueillerait dans le JMO de son régiment, ce qui n’est pas sans intérêt étant observé précisément que le JMO du 289e RI n’apparaît pas dans le site SGA Mémoire des Hommes arrêté malheureusement au 288e RI. On n’y dispose que de ceux de la 109e brigade (à laquelle est rattaché le 289e RI), de la 110e brigade et de la 55e DIR dont ces unités sont les composantes.
Le 289e RI reçut son drapeau lors d’une cérémonie sur la place de l’Esplanade de Sens le samedi 8 août 1914 à 4 heures du soir. Le lieutenant porte-drapeau était un « enfant du pays » : M. Régnier fils du conseiller général du canton de Chéroy (source : Gaston Gaudaire, Une Ville pendant la guerre, Sens, 1914-1919, Charles Lavauzelle & Cie, 1922).
Avec son régiment Georges Capel quitte Sens le 10 août. Son parcours est ensuite celui du 289e RI faisant mouvement vers la Lorraine. Dans tout le journal l’ennemi est désigné par le vocable « les Prussiens ». Le premier engagement et les premiers morts, dont le commandant Blomme Benjamin Aimé, tué « par le premier obus » (source : Memorialgenweb fiche n° A 284265) sont mentionnés le 25 août dans le secteur de Brainville Porcher, dans la Meurthe-et-Moselle (le texte retranscrit porte « Poncey » mais il s’agit très vraisemblablement d’une erreur de retranscription, il s’agirait plutôt de Porcher à 6 km à l’ouest-nord-ouest de Mars-la-Tour). Après cet épisode de la « bataille des frontières, le 289e RI se replie sur Saint Mihiel et Sampigny.
Embarqué par chemin de fer le 28 août, le régiment fait mouvement vers l’Oise à Tricot pour faire partie d’une nouvelle armée, dite 6e armée, sous les ordres du général Maunoury. Puis une marche de 25 km l’amène à Roye dans la Somme. C’est à nouveau une retraite et, de retour dans l’Oise, le 30 août « la moitié de la compagnie est perdue ».
Une nouvelle marche de « 40 à 45 km » conduit le régiment à Rantigny à 7 km au nord-nord-est de Creil le 31 août. Puis à Cinqueux le 1er septembre. Suivent plusieurs déplacements indiqués par le succession des lieux d’étape pour arriver finalement après un nouveau repli – à pied – à Marly-la-Ville le 3 septembre. Le 6 septembre, Georges note : « Nous n’avons pas pris part à la bataille qui a duré jusqu’à 8 heures du soir ; les trois quarts des officiers de la Division (il en reste 17 au régiment) sont tués ou blessés, la moitié des hommes sont hors de combat. »
Quittant les approches de Paris, un nouveau mouvement est décrit jusqu’au secteur de Soissons atteint le 12 septembre. Le régiment connaît alors une succession de montées en ligne dans le secteur de Crouy (Aisne) et de repos en cantonnements dans divers villages proches de Soissons. Il relève et, alternativement, est relevé par le 246e RI appartenant à la même 55e DI mais à la 109e Brigade. Parfois aussi le 289e RI est relevé par le 231e RI de la 110e brigade.
Le 12 janvier 1915, lors de l’attaque « à la baïonnette » de la cote 132, le lieutenant est tué et Georges Capel reçoit une balle dans l’épaule. Il est évacué le lendemain sur l’hôpital temporaire n° 22 de Cholet. Il y décède le 22 janvier. Sa dépouille est ramenée à Saint Valérien le 25 janvier et il y est inhumé le 26 janvier 1915.
Les apports originaux ressortant du journal de Georges Capel sont rares. On notera essentiellement les suivants :
Un accident se produit dès le départ en chemin de fer de Sens le 10 août 1914 : son train est stoppé suite à un tamponnement en gare de Sompuis (Marne), causant 7 morts et 54 blessés. La cause en est la fréquence élevée des convois allant tous dans la même direction.
Bien que l’on distingue habituellement une phase initiale qualifiée de « guerre de mouvement » suivie d’une « guerre de position » caractérisée par la fixation du front et l’établissement de tranchées, on voit apparaître dès le 14 août le recours aux tranchées dans le secteur de Vigneulles en avant de Saint Mihiel.
Le 12 septembre il est signalé près de Cravançon devant Soissons : « À 11 heures nous avons vu fusiller deux Prussiens pour tentative de vol, nous en avons vu passer neuf autres qui doivent être fusillés pour vol à main armée. »
Le 30 octobre il est fait mention sans le nommer de la mort du général de brigade. Il s’agit du général Arrivet Paul, Blaise, Marcel, tué le 29 octobre à 10h 30 d’une balle dans la tête lors d’une visite de tranchées dans le secteur de Crouy (source : JMO 109e Brigade du 3 août 1914 au 22 mars 1915, registre 26 N 526/1 p. 20/33).
Le 12 janvier 1915, jour de sa blessure par balle à l’épaule, Georges Capel fait état de la mort de son lieutenant. Il est fort probable qu’il s’agisse en fait du sous-lieutenant De Laët Edmond, Ernest, instituteur, chevalier de la Légion d’Honneur, comme le montre sa fiche sur SGA Mémoire des Hommes. La confusion de grade est possible sous la plume de Georges Capel, rappelons que la coutume dans l’armée française est d’appeler « mon lieutenant » aussi bien les aspirants que les sous-lieutenants et les lieutenants (et même les adjudants-chefs dans la cavalerie).
Page 41, Michel Capel, petit-fils de Georges apporte une précision sur les convictions de son grand-père : « Sa femme lui tint la main dans ses derniers moments durant lesquels il garda toute sa lucidité. Il refusa d’un geste le Christ que le prêtre lui présentait dans sa dernière heure. »

Michel Mauny, janvier 2013

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Caillavel, Jean (1895-1915)

Fils d’un voyageur de commerce devenu petit entrepreneur, Jean Caillavel est né à Toulouse le 11 janvier 1895. Dans cette famille de moyenne bourgeoisie, on prend des vacances à la montagne ou à la mer, et on étudie au lycée. Titulaire du baccalauréat, Jean commence à travailler avec son père et fréquente une jeune coiffeuse, mais il est appelé au 50e RI à Périgueux en décembre 1914. Ses lettres décrivent un rata infect, un rude entraînement à la marche, une épidémie de rougeole qui fait trois morts. Il est promu caporal, « un sale grade » parce qu’on y est très embêté, puis sergent en juin 1915. Il arrive sur le front du côté de Souchez en Artois en juillet, au 21e RI. Là, il découvre et décrit tranchées et cagnas, « les différents sons des calibres », la protection contre les gaz, la soif, la fabrication des bagues, des gradés froussards. Il est heureux de recevoir des colis du pays, de rencontrer un Toulousain. Au repos, « on se sent renaître littéralement » car on peut se laver et devenir « aussi frais que le plus haut de nos embusqués ». Le thème des embusqués rejoint celui de l’incrédulité de l’arrière devant les souffrances des poilus ; les permissionnaires sont « unanimes à dire : « Que les gens sont loin de la guerre ! » » Ayant lu dans La Dépêche du 15 juillet le récit d’une manifestation patriotique aux Variétés et au Grand Café de la Comédie à Toulouse, il réplique : « Au sujet de cette guerre, si tu connais quelqu’un qui a des accès de vaillance, des humeurs de combat, qu’il vienne donc faire un tour par ici et il verra où pourra s’arrêter son enthousiasme de guerre vue de bien loin, et à ce propos, tous ces vieux revanchards, tous ces embusqués qui vont écouter la Marseillaise ou le chant du Départ aux Variétés, tête nue, qu’ils viennent seulement à l’arrière de nos lignes et nous les verrons un peu. »
Il estime nécessaire l’offensive du 25 septembre 1915 afin qu’il n’y ait pas de campagne d’hiver, et au début il la croit victorieuse. Mais, le 1er octobre, l’atmosphère de la lettre a changé : « Mon pauvre Papa, j’ai vécu des minutes horribles. […] Tous mes copains, sous-offs, caporaux ou soldats sont ou blessés ou morts. […] Je me demande encore comment j’ai pu en réchapper. […] Excuse mon style, je suis encore un peu hébété des spectacles que je viens de voir. » La dernière lettre de Jean est du 3 octobre. La boîte de chaussures réceptacle du corpus contient plusieurs lettres adressées à Jean par sa mère et retournées faute d’avoir pu atteindre le destinataire. Jean Tirefort a été tué à Souchez le 6 octobre 1915 ; son corps n’a pas été retrouvé ; il n’a jamais vu sa fille Raymonde, née le 20 mai.
Rémy Cazals
*Roger Gau, Jean, classe 1915 ou Lettres volées à l’oubli, Toulouse, Les Amis des Archives de la Haute-Garonne, 1998, 159 p.

Une édition libre accès a été créée par la suite par Roger Gau sur le liste Calaméo : https://fr.calameo.com/books/00026641321c954c09b87

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Heek, Hermann van (1894-1980)

1. Le témoin

Hermann van Heek photographié à Karlsruhe en mai 1915

Hermann van Heek nait le 7 avril 1894 à Uedem en Allemagne, dans la région de Clèves, sur la rive gauche du Rhin. Il est le huitième d’une famille paysanne de onze enfants. Plus tard, son père travaille comme aiguilleur aux chemins de fer. Ses frères deviendront artisans et ses sœurs femmes au foyer. Aidé financièrement par un riche citoyen, Hermann est le seul enfant de la famille à suivre des études universitaires. Après l’école privée d’Uedem, il fait des études au séminaire de Gaesdonck puis au lycée d’Emmerich et enfin au séminaire théologique de Münster car il se destine à devenir prêtre. Appelé sous les drapeaux en avril 1915, interrompt ses études. Après une formation d’artilleur à Karlsruhe, il est affecté au 15. Landwehr Feldartillerie Regiment d’artillerie de réserve et part début octobre 1915 sur le front français. Son fils, Karl Heinrich van Heek, qui introduit ce témoignage, nous éclaire sur la suite de son parcours après 1916. D’avril 1917 à janvier 1919, Hermann se bat en Galicie, en Crimée et dans le Caucase. Survivant à la guerre, il commence en mars 1919 de nouvelles études, d’économie, et obtient son diplôme en 1924. Quatre frères, Peter, Heinrich, Josef et Karl, sont également sous l’uniforme : les deux derniers cités ne reviendront pas de la guerre.

2. Résumé

Collectif, Un soldat allemand dans le Noyonnais. Hermann van Heek. Mon journal de guerre 1915-16. Moyenmoutier, Edhisto, 2007, 101 pages. Cet ouvrage est publié en version bilingue français-allemand.

A la suite de sa formation au 14e régiment d’artillerie à Karlsruhe, il reçoit l’ordre de rejoindre le front français le 13 octobre 1915. Ainsi débute son journal de guerre, qu’il va tenir jusqu’au 16 septembre 1916. Par Metz, la Meuse et le nord de la Marne, il rejoint l’Aisne et installe une position d’artillerie à proximité d’une creute à Ostel sur le Chemin des Dames. Mi novembre, il quitte se secteur pour celui de Noyon, installe sa pièce à Larbroye, à l’ouest de la ville et investit le débit de boissons Masson. Après des travaux de terrassements pour l’installation des officiers, il va rester à Larbroye, son château et ses environs, occupant la fonction de téléphoniste, jusqu’à la fin de son journal. Alors qu’en 1916, deux batailles sont déclenchées successivement dans la région de Verdun et dans la Somme, le Noyonnais reste un secteur relativement calme, seulement animé par quelques coups de main tel celui de la nuit du 29 au 30 avril 1916, qu’il évoque sommairement.

3. Analyse

Ce journal, publié dans le cadre d’un projet mené en histoire et en allemand par deux enseignants avec des élèves d’une classe de troisième du collège Paul Eluard de Noyon. couvre la période du 13 octobre 1915 au 16 septembre 1916, est en fait tenu sur deux carnets ; un cahier de 18×11,5 cm, terminé le 5 mars 1916, dans lequel sont listées les unités auxquelles il a appartenu. Le 6 décembre 1915, Hermann commence une autre version du journal, un carnet, d’un plus petit format, 8×13 cm, dont les entrées sont sensiblement les mêmes que dans le cahier mais plus courtes, s’apparentant à un rendu au propre de ce qui avait été écrit spontanément dans le premier cahier. Il y restitue d’abord les occupations précises d’un combattant versé dans l’artillerie et qui exerce principalement la fonction de téléphoniste. Hermann ne se contente pas de décrire ses activités militaires. Il évoque les liens qu’il établit avec les populations civiles occupées et particulièrement avec certains habitants de Larbroye. Celles-ci sont très éclairantes sur le rapport occupants/occupés et les difficultés pour vivre et s’alimenter. Le 23 novembre 1915, il dit : « Ce qu’ils mangent, vraiment je ne le sais pas. En tous les cas, ils prennent avec gratitude ce que nous leur donnons. Ils ont un triste sort, et comparés à eux, nous vivons dix fois mieux » (page 17). Cette perception peut être utilement mise en perspective avec la vision de Félix Chauvet [1] qui demeure à Passel, commune immédiatement limitrophe vers le sud. Il raconte la longueur de sa guerre, atténuée par des promenades ou encore par des parties de cartes. Il insiste aussi sur « les béquilles » qui l’aident à traverser le conflit : le soutien de la religion (on se souvient qu’il est catholique très pratiquant puisque se destinant à la prêtrise), la correspondance familiale – qui lui apprend aussi pendant son séjour dans le Noyonnais le décès d’un second frère à la guerre – et la joie de pouvoir parler le dialecte de la région de Clèves lorsqu’il rencontre des camarades du même « pays ». Au détour, de certains passages, il livre aussi ses réflexions sur la guerre.

Yann Prouillet, janvier 2013
[1] Voir son témoignage dans le présent dictionnaire in http://www.crid1418.org/temoins/2013/01/07/chauvet-felix-1860-%E2%80%93-1926/

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Grenadou, Ephraïm (1897-1979)

Il est né à Saint-Loup (Eure-et-Loir) le 25 septembre 1897. Son père était charretier et cultivateur, conseiller municipal républicain. Sa mère « gagnait dix sous par jour pour coudre la journée chez le monde ». Sortant de l’école, il devait travailler pour la famille. Son instituteur manquait de pédagogie et, bien que doué de qualités qui allaient lui servir toute sa vie, ‘Phraïm n’obtint pas le certificat d’études primaires. Alors, le travail occupait la plus grande partie du temps : « Mon père m’envoyait dans les champs dix minutes avant le petit jour, pour qu’aussitôt arrivé je puisse travailler. »
Lorsque la guerre éclate, il est assez intelligent pour comprendre qu’il vaut mieux s’engager pour quatre ans dans l’artillerie, à 18 ans, que connaître le sort des fantassins. Il servira au 26e et au 27e RAC, se faisant remarquer par sa bonne connaissance des chevaux. Autre preuve de réflexion : « De rester au dressage, on avait peur de se trouver affiché d’un seul coup et qu’ils nous aient foutus aux crapouillots. Parce que les crapouillots, c’était des canons qui tiraient d’une tranchée dans l’autre, et des artilleurs tenaient ça en ligne avec les fantassins. Les crapouillots étaient toujours repérés et les autres tapaient dedans. On avait beau ne pas être allés au front, les anciens nous disaient comment ça marchait. » Il se porte donc volontaire pour partir dans une batterie de 75, en février 1916, et il a la chance de devenir ordonnance d’un lieutenant de 20 ans. Il est désigné pour servir à table les officiers, ce qui lui fait découvrir une définition de la guerre : « Il y en a qui se font tuer et puis il y en a d’autres qui se font servir. » Ces derniers fréquentent assidûment le « bistrot qu’on appelait les Six Fesses, à cause des trois bonnes ».
Fin juin 1916, tous ont « le trac » d’aller à Verdun, mais on les déplace vers la Somme. Grenadou assiste aux combats de l’infanterie et se dit : « L’artillerie, c’est quand même de la rigolade à côté de ça. » Peut-être à cause du choc reçu lorsqu’il se trouve avec des boyaux humains plein les mains, il tombe malade et il est évacué en septembre. À l’hôpital, il se souvient qu’une bonne amie lui a donné des médailles pieuses, il les arbore à son cou et : « Les jeunes filles du pays, la femme du notaire, toutes les dames de la ville s’occupaient de nous. Des dévotes. Elles me posaient des cataplasmes et quand elles ont vu toutes les médailles de Désirée, j’ai été soigné mieux qu’à la maison. » Il repart en janvier 1917 pour un secteur calme, dans le Haut-Rhin. Au cours de l’année 1916, il fait des remarques corroborées par ailleurs : les cadavres dont les poches sont retournées par les voleurs ; l’arrivée ultra-rapide de l’obus de 88, avant qu’on ait entendu le départ ; un commandant lâche qui ne sort pas de son trou et un autre, courageux, que tout le monde aurait suivi ; l’autocensure des lettres aux parents, pour ne pas dire que ça va mal ; le souci de rencontrer des gars « du pays » pour parler et boire un litre ; l’obsession de sauver sa peau avant tout.
Lors de l’offensive Nivelle, son régiment fait partie des troupes de poursuite. Les chefs annoncent : « Vous arriverez quand l’attaque aura crevé le front allemand. Et alors, en rase campagne ! Vous coucherez à Laon. » Mais c’est un échec ; les troupes de poursuite s’entassent sans pouvoir avancer et forment une cible parfaite pour l’artillerie ennemie. La désorganisation est totale. Plus tard, des chasseurs, lassés d’attendre une relève qui ne vient pas, décident de s’en aller. À l’ordre de raccourcir le tir pour les atteindre, certains artilleurs désobéissent ; d’autres acceptent et les fantassins qui sont arrivés jusqu’aux batteries « ont foutu des coups de baïonnette aux artilleurs ». Les mêmes chasseurs menacent leurs officiers de leurs mitrailleuses pour réclamer des permissions et, quand ils les obtiennent, la « mutinerie » cesse. Le 10 novembre, le régiment part pour l’Italie où il reste jusqu’en mai 1918, constatant que les Autrichiens sont moins solides que les Allemands. Il participe à la contre-offensive de l’été 1918 mais, en septembre, « tout le monde commence à mourir de la grippe espagnole ». Le 11 novembre, alors qu’Ephraïm est en permission dans son village natal, les cloches annoncent l’armistice. Il peut alors voir sa promise et lui dire : « La guerre est finie et je suis point mort. » Il doit cependant terminer la quatrième année de son engagement. Dans le Nord et en Belgique, il décrit des représailles contre des collaborateurs. Il est finalement démobilisé, il se marie et gère ses biens de main de maître à travers la crise de 1929 et la Deuxième Guerre mondiale.
Le récit oral d’Ephraïm a été enregistré par Alain Prévost (60 heures de magnétophone). La partie sur la guerre de 1914-1918 occupe environ un tiers du livre qui en est résulté.
Rémy Cazals
*Ephraïm Grenadou, Alain Prévost, Grenadou paysan français, Paris, Le Seuil, Points Histoire, 1978 [1ère édition 1966].

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