Clermont, Théodore (1888-1973)

Fils de cultivateurs, il est né à Sabaillan (Gers) le 18 février 1888. Titulaire du certificat d’études primaires, il travaille sur l’exploitation familiale. Au cours du service militaire à Montauban, il devient ordonnance du colonel de la Ruelle, et il le suit dans sa retraite en Bretagne. C’est là que la mobilisation le trouve et il descend vers la caserne du 20e RI à Marmande. Il se marie après la guerre (deux enfants) et tient une ferme à Seysses-Savès (Gers). Pendant la guerre, il a pris des notes et les a mises au propre, visiblement de manière fidèle sur un gros cahier de 340 pages, format 18×23, qui débute ainsi : « Ces quelques lignes qui vont suivre ont été écrites au jour le jour pendant la Grande Guerre. Elles ne contiennent que l’emploi de mon temps, les impressions personnelles sur les faits de guerre qui m’ont le plus frappé. Vous ne trouverez donc pas ici le récit de grandes opérations, le but que j’ai poursuivi en écrivant mon carnet de route a été celui de vous renseigner au jour le jour dans le cas où la bonne fortune ne m’aurait pas favorisé ; dans le cas où comme tant de bons camarades que j’ai eus, j’aurais pu rester sur quelque champ de bataille. » Et se termine ainsi : « Tels sont les souvenirs que je garde du 2 août 1914 au 1er janvier 1920, temps pendant lequel l’humanité entière a été bouleversée par la plus terrible des guerres qu’un tyran à la tête d’une nation militarisée a enclenchée. Transcrit des carnets de route pendant l’hiver 1920 et l’hiver 1920-21. Terminé le 25 novembre 1921. » La copie au propre reste bien datée et localisée ; les notes de certains jours sont très brèves.
Fin juillet, en Bretagne, le colonel de la Ruelle est inquiet, et sa cuisinière aussi car elle a vu 1870. Il faut partir au milieu de Bretons que le cidre rend fort joyeux, puis très malades. Le 22 août, c’est le spectacle atroce des blessés lors de la bataille de Bertrix. Le régiment passe l’hiver en Champagne et le suivant en Artois. En décembre 1915, Théodore signale la pluie, mais pas de sortie des tranchées ou de fraternisation. En janvier 1916, il passe à la compagnie de mitrailleuses. En mai, il signale le travail intense des soldats pour assurer à un lieutenant un confort qui choque : « Ils [les officiers] ne sont en général que des égoïstes qui ne pensent qu’à leur bien-être propre et se soucient peu du bonheur de leurs subordonnés. » Lui-même devient ordonnance du sous-lieutenant Archinard. À Verdun, le 26 juillet, l’officier et l’ordonnance sont blessés, Théodore par un éclat d’obus. Courte convalo et le voici en septembre à la côte du Poivre où la vie est fort triste, le ravitaillement arrivant mal. Le 9 février 1917, il note, sachant de quoi il parle : « Les officiers, qui sont comme des petits seigneurs dans un secteur calme, exigent de leur subordonné une exactitude qui ne peut être possible que dans un intérieur où rien ne manque. Si ces messieurs trouvent des ordonnances, cuisiniers et autres employés, c’est que ceux-ci, uniquement pour leur bien-être et pour la sécurité, mais pas complète, de leur existence, préfèrent souffrir ces petits ennuis de tout moment que de monter la garde à la tranchée. »
Le 17 avril 1917, près de la ferme de Moscou, il aménage les tranchées allemandes de 1ère ligne tout juste prises. Après la relève, le 28, les soldats grognent parce qu’on parle de les faire remonter pour attaquer. Alors, situation insolite, « pour punir la compagnie, nous sommes privés de confitures ». Le lendemain, tandis que Théodore et les autres montent, il y a des mutins qui se défilent (la moitié de l’effectif, dit-il). Le 1er mai, tandis que quelques mutins reviennent, les autorités enquêtent pour identifier les meneurs. L’épisode du 20e RI est considéré comme le premier de la crise de 1917 ; il est assez grave pour que 6 condamnations à mort soient prononcées (mais non exécutées). Théodore n’en parle pas, mais signale que les mutins vont être dispersés dans d’autres unités. Lorsqu’il part et revient de permission, il ne dit rien des troubles dans les trains. Aurait-il supprimé quelques notes lors de la mise au propre de son texte ?
Le 23 juillet 1918, il est blessé au bras par un nouvel éclat, et pris en charge par « des gentilles Américaines » à Paris et il reçoit à l’hôpital la visite du colonel de la Ruelle. Retour à la compagnie fin septembre, où manquent beaucoup de camarades : « Que de vies que la dernière offensive y a volées ! » Sa demande pour servir dans les tanks est acceptée et il part pour le camp de Cercottes près d’Orléans, où l’instruction doit durer trois semaines. Au cours de la première : « nous n’avons rien fait. » Au cours de la seconde, les instructeurs donnent des explications très claires. L’armistice survient au cours de la troisième.
RC
*« Journal de guerre de Théodore Clermont », dans Savès-Patrimoine, 3e et 4e trimestres 2008, 207 p. format A4. Contient un tableau très détaillé des lieux et des dates.

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Gaymard, Henri (1884-1963)

Ce cultivateur de Grâne (Drôme) avait 30 ans en 1914 ; sa femme se prénommait Léa, et sa fillette Henriette ; sa mère, Marie Arsac, et le père de celle-ci, un des insurgés grânois de 1851, vivaient aussi à la maison. Henri part dans l’artillerie pour la Lorraine et les Vosges ; en septembre 1915, il participe à l’offensive de Champagne. En octobre, c’est l’embarquement pour Salonique : « Après avoir roulé toute la France, fallait aller encore au diable. » Atteint de paludisme, il est rapatrié, le 16 janvier 1917, à bord du navire hôpital France. La famille n’a pas conservé ses lettres, mais deux versions successives de son journal de guerre, la première au crayon sur deux petits carnets, la deuxième mise au propre avec des compléments sur deux cahiers d’écolier. Il semble qu’il ait dicté cette dernière après sa démobilisation.
Le témoignage d’Henri contient les éléments habituels sur les conditions de vie et les dangers affrontés. Près de Saint-Dié, le 6 septembre 1914, il décrit le champ de bataille : « les arbres tous cassés par les obus ; les fusils cassés en deux ; des vestes de Boches ensanglantées ; çà et là quelques cadavres qu’on n’avait pas pu enterrer ; beaucoup de tombes le long de la route, marquées par de petites croix. » Plus tard, à Montdidier, il note, souvenir scolaire, qu’il a vu la maison de Parmentier. De même, en 1916, dans l’armée d’Orient, il rencontre « un convoi de réfugiés grecs et serbes qui s’en allaient dans la direction de Salonique. […] C’est leurs attelages qui sont à voir aussi, ils ont des buffles avec des cornes très longues. J’avais vu ça il y a quelques années sur le Petit Journal pendant la guerre des Balkans, mais je me serais jamais figuré de le voir de mes propres yeux. » Un peu plus tôt, il avait décrit le caractère cosmopolite de la grande ville de Grèce du nord : « Que de monde à Salonique : des Turcs et des Grecs, voilà ce qui domine, puis des soldats français, anglais, grecs, serbes. Il y a un mouvement extraordinaire. La ville n’est pas mal surtout avec la mer. Nous avons bu du vin de Samos qui est épatant. »
Pendant ce temps, sa mère préparait sur un cahier de brouillon les lettres qu’elle allait envoyer à ses deux fils et à d’autres personnes, et c’est ce brouillon qui a été conservé. Elle signale qu’il faut à la fois accomplir le travail de l’absent (« Léa laboure au Grand Fonds », « Léa est au Plot ramasser la luzerne ») et accélérer son retour (« si tu voyais comme [Henriette] sait bien faire ses prières, surtout pour son papa Henri, qu’il revienne de la guerre »). En avril 1915 : « Cette semaine nous avons bien travaillé, on a charrié le fumier, labouré et semé les pommes de terre au Plot et je te réponds que c’est fait. Il y a encore un coin de colverts à semer, mais nous le ferons cette semaine. Hier, avec Chastan, nous sommes allés labourer au Grand Fonds pour enterrer un peu l’herbe et, un de ces jours, il va charrier le fumier et labourer afin de semer les betteraves. Les blés sont très jolis. Petit à petit, le travail se fait mais combien se fait sentir ton absence. »
Il semble que, dans sa correspondance, Henri ait pratiqué l’autocensure. Mais il a envoyé son premier carnet personnel et la famille l’a lu. Marie écrit à son autre fils, Louis : « Nous qui nous figurions qu’il n’était pas en danger. Eh bien il en voit de dures. Espérons que le bon Dieu le protège encore » (27 décembre 1914). Le fils aîné, Louis, était prêtre. Marie écrit, le 16 mars 1915, à une certaine Élise : « Mon curé soldat est très content à Lyon ; il est parti ravi d’être soldat et de pouvoir faire son devoir comme les autres. […] Il est à la Brasserie du Parc transformée en ambulance. […] Il est surtout occupé au bureau et accompagne le major dans sa tournée aux malades et prend note de tous les malades en traitement pour transcrire cela sur un registre. […] Il a l’autorisation de dire sa messe tous les matins. »
On peut citer en conclusion cet extrait de lettre de Marie en avril 1915 : « La vie est bien triste ici et la liste des victimes de la guerre s’allonge à Grâne, le pays est très éprouvé, il y a aussi bien des disparus et des mutilés. Quand finira cet horrible cauchemar ? On se le demande avec effroi car il n’a pas mine de s’arrêter, nous aurions bien besoin que le bon Dieu y mette la main. »
Rémy Cazals
*Je suis mouton comme les autres…, 2002, p. 395-437. Photo d’Henri Gaymard dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 224.

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Deschamps, Paul (1889-1983)

Fils d’un couple d’instituteurs de la région nantaise, il fait des études de médecine et exerce, après la guerre, dans la région parisienne. À la retraite près de Dinard, il y écrit ses Mémoires de n’importe qui, souvenirs de guerre qu’il confie à un jeune ami instituteur. Passionné de littérature, d’histoire, de politique, d’art et de nature, il porte un regard lucide, généreux, parfois ironique sur les hommes. Avant la guerre, monté de Nantes à Paris, il y vit chichement, fréquentant artistes et écrivains célèbres, participant aux réunions d’un groupe de jeunes gens amoureux d’art et de littérature, la Ghilde des Forgerons. Le déclenchement de la guerre le surprend à Paris. Ce réformé pour myopie s’engage au service de la Croix-Rouge. Bien que signataire d’une pétition de soutien à Romain Rolland, il ne refuse pas le fait d’être récupéré en décembre 1914 et déclaré bon pour le service armé. Il débute sa guerre comme aide-major dans un bataillon du 21e RIT, dans le secteur d’Hébuterne, près des régiments du 11e corps d’armée. Il passe ensuite au GBD de sa division territoriale, toujours dans la Somme. Il connaît, en formation sanitaire de soutien de diverses unités, d’autres fronts, calmes comme en Lorraine, très tourmentés comme après l’offensive de septembre 1915 en Champagne, en particulier au fameux Trou Bricot. En février 1916, il est affecté comme médecin de bataillon au 7e RIC, tout en continuant de préparer sa thèse de médecine. Affecté brièvement à l’artillerie légère, il participe au début de la bataille de la Somme. Il rejoint ensuite de nouveau, un bataillon du 7e RIC. En février 1917, il se marie et il continue de rester en contact avec le groupe de la Ghilde qui lance une revue un peu anarchiste, La Forge. Fin avril 17, il est nommé médecin de la place de Quimperlé, Finistère. Ce répit ne dure que 4 mois. Fin août, il doit rejoindre le front, au 101e RIT, dans le secteur de la Côte du Poivre. En décembre 1917, il est sanctionné pour avoir volontairement évacué une section de territoriaux, présentés comme souffrant d’une intoxication alimentaire, alors qu’ils cuvaient un retour de « cuite » collective. Il est alors affecté, pendant plusieurs mois, à l’ambulance 15/5, en Lorraine qui devint un temps ambulance Z, spécialisée dans le traitement des gazés. Surmené, lui-même intoxiqué, soupçonné d’un début de tuberculose, il est évacué, fin 1917, dans le Midi, près de Menton. Il ne retourne pas au front.
Paul Deschamps décrit ce parcours militaire quelque peu tourmenté avec verve et humour. Il ne cache pas les horreurs de la guerre mais il dresse une série de portraits de médecins, d’officiers ou de soldats tantôt attachants, tantôt méprisables, tantôt misérables. L’histoire du pauvre Rabourdin, condamné et fusillé dans des conditions révoltantes et lamentables, est poignante, et la comparaison qu’il fait entre le « type formidable » que fut son premier commandant de bataillon en Champagne et le « salaud », sadique et insupportable (décrit de façon implacable), qui lui succède ressemble à un jugement sans appel.
Dans cette guerre, Deschamps ne perd pas le contact avec l’arrière. Il continue de participer aux actions de la Ghilde. Et, dans ses contacts réguliers avec ce cercle d’artistes et d’écrivains dont certains étaient comme lui au front, il constate une belle vitalité intellectuelle où le rejet de la guerre point. Deschamps est, aux armées, un homme libre et veut le rester. Il ne se résigne pas, ne se replie pas. Ses rencontres et échanges avec son ami Élie Faure (qui sortait de la fournaise) le réconfortent et il avoue que « sa présence spirituelle m’aide encore à vivre … et m’aidera tout à l’heure à mourir ». Et, clôturant son journal de guerre, sa rencontre avec un Henri Barbusse, péremptoire et tout à sa gloire littéraire nouvelle, le laisse un peu décontenancé et amer. Au total, ce journal de guerre est celui d’un honnête homme, lucide et engagé. Le lire offre un plaisir renforcé par l’humour, la malice des propos et la saveur de certains portraits.
René Richard
*Paul Deschamps, Mémoires de n’importe qui (1914-1919), Bretagne 14-18, 1999, 52 p.

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Cadoret, Louis (1892-1915)

Né à La Chèze, près de Loudéac (Côtes-du-Nord), le 11 février 1892. Il effectue son service militaire, au 67e RI de Soissons, lorsque la guerre éclate. Il va s’efforcer de transcrire ce qu’il voit et vit dans un petit carnet. Cet unique carnet va de fin juillet au 6 septembre 1914. Louis Cadoret continua t-il d’écrire ? Nous n’en savons rien. Il disparut le 6 février 1915 dans les combats des Éparges. Ce petit document a été sauvé par un lointain cousin, Louis Cadoret et sa famille étant totalement oubliés à la Chèze. Le document édité compte 29 pages. Mais la transcription même du carnet tient seulement dans 8 pages. Le soldat de 1ère classe Louis Cadoret y raconte dans un récit au style très simple, sans commentaire superflu, les premiers jours de la guerre, les marches d’approche, et, à partir du 22 août, les combats (Longwy, Longuyon, la ferme de Constantine, Mangiennes…) jusqu’au repli vers Montfaucon et Amblaincourt. Les détails sont précis ; les désordres, désillusions et incertitudes de ces premiers combats ne sont point cachés dans ce témoignage captivant et qu’on regrette trop bref.
René Richard
*Mémoires d’un combattant de 1914 : Louis Cadoret, Bretagne 14-18 et Amicale laïque de Plaintel, 1997, 29 pages.

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Pouleriguen, François (1888-1962)

Né le 4 juillet 1888 à Langonnet, dans le nord-ouest du Morbihan. Il ne quittera guère cette commune que pour aller au service militaire, puis à la guerre. Il se marie en 1911 et le couple aura 11 enfants, dont deux avant le conflit mondial. François et son épouse s’installent dans une ferme, leur propriété. Ils y mènent la vie laborieuse des paysans du Centre Bretagne. Les carnets de guerre commencent le 1er janvier 1916. Le 52e RI auquel il est affecté est alors dans les Vosges, secteur qui s’apaise. En mars, le régiment va prendre position dans le secteur de Verdun, rive droite, vers Tavannes et Damloup. Il y reste jusqu’au début juin, dans des conditions souvent épouvantables qu’il décrit de façon à la fois précise et concise. C’est le passage le plus fort des carnets, car ce sont manifestement les mois les plus angoissants de sa période de guerre. Évacué, il reste dans les dépôts jusqu’en mai 1917. Affecté au 418e RI, il monte en renfort au Chemin des Dames. Nouvelles semaines difficiles pour le narrateur qui est dirigé ensuite vers le Bois-le-Prêtre avant de revenir à Verdun, secteur assagi. Il y cherche en vain la tombe de son beau-frère, Joseph Lincy, tué à l’ennemi le 4 novembre 1916 près du fort de Vaux. De lieux de combats en dépôts, François raconte une guerre presque banale, avec ses longues périodes de secteurs calmes ou de dépôt entrecoupées de mois épouvantables où il s’étonne de survivre. On est étonné de trouver certaines riches descriptions de lieux ou de monuments sous le crayon de ce petit paysan, manifestement lettré. Il est soutenu dans cette éprouvante traversée des années de guerre par une foi sans faille qu’il exprime et revendique souvent, reproduisant même des cantiques de son pays.
René Richard
*Carnets de guerre de François Pouleriguen aux 52e et 418e RI (janvier 1916 – mai 1919), Bretagne 14-18, 2005.

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Bataille, Jules (1895-1954)

Né en 1895 à Cancale (Ille-et-Vilaine) où son père est cantonnier et sa mère garde-barrière. Titulaire du certificat d’études. Au grand dam de sa sœur institutrice, il décide d’entrer dans la vie active, aux chemins de fer. Toute sa vie, il se présentera comme cheminot. Embauché pour accrocher les wagons, il termine sa carrière comme inspecteur de la sécurité pour la région Bretagne puis pour la Normandie. Visiblement très marqué par les deux guerres mondiales, il n’en parlait guère, juste pour vitupérer après toute guerre et dire que la sienne, celle de 14-18, passée au front d’Orient, avait été une sale guerre. Il avait fêté ses 20 ans sur ce front et était plein de dynamisme mais aussi rempli d’angoisse face à ce qu’il vivait au jour le jour. Comme de nombreux poilus, il éprouva sans doute le besoin de mettre ce vécu par écrit, plus pour exorciser ce qu’il voyait et ce que lui et les autres soldats enduraient qu’avec l’espoir qu’on le lise plus tard. Son témoignage est assez rare sur cette guerre de Serbie et de Macédoine et en est d’autant plus précieux. D’autant plus rare et précieux qu’il s’agit d’un pionnier du Génie, confiné dans des tâches ingrates et méconnues de construction, de reconstruction, de consolidation de voies ferrées. Ces soldats du Génie pouvaient être un peu méprisés par les fantassins qui les considéraient comme des embusqués. Et pourtant, leur travail était indispensable, bien que sous-estimé. Les combattants de ce front furent souvent sujets à des maladies, à de multiples parasitoses, et les évacuations se comptaient par milliers. Le passage sur les conditions dans lesquelles opéraient les formations sanitaires du front de Salonique illustre bien cette face cachée du conflit en ces régions. J. Bataille est évacué pour dysenterie le 23 février 1917, rapatrié en France où il arrive le 6 juin. Nous ignorons ce que fut ensuite sa guerre.
René Richard
*La Campagne d’Orient de Jules Bataille au 1er Régiment du Génie (octobre 1915-juin 1917), Bretagne 14-18, 2005.

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Chevallier, Gabriel (1895-1969)

Cet écrivain rendu célèbre par son roman Clochemerle, publié en 1934, succès national et mondial, toujours réédité en collection de poche, a fait la guerre de 1914-18 et a tiré de son expérience le livre La Peur, édité en 1930 par Stock. Fils de clerc de notaire, Gabriel Chevallier est né à Lyon le 3 mai 1895 et il a commencé des études aux Beaux-Arts de cette ville, interrompues par la mobilisation anticipée de la classe 15. Resté simple soldat, blessé en 1915, il a survécu. Après divers métiers, il s’est lancé en 1925 dans l’écriture. La Peur est sous-titré « roman », mais il s’agit clairement d’un texte autobiographique, comme le montre ce passage : « Dix mois après ceux de 14, nous partîmes pour le front, en faisant bonne contenance, et la population, un peu blasée, nous fêta encore très honorablement parce que nous n’avions guère que dix-neuf ans. » Les pages sur les illusions des bleus démontées par les anciens, sur les conseils de ces derniers, vont dans le même sens. Ainsi que les notations prises sur le terrain à propos du paysage des premières lignes, des boyaux trop étroits, de la boue, des attaques stupides, des râles et appels des blessés, du souhait de la bonne blessure et des mutilations volontaires, de l’artillerie qui tire trop court, des accords tacites avec l’ennemi…
Même si la peur a été repérée par Jean Norton Cru dans les témoignages qu’il a analysés, l’originalité du livre de Gabriel Chevallier est l’aveu direct qu’il a eu peur, un aveu fait à l’hôpital devant les infirmières indignées. C’est alors pour lui l’occasion de stigmatiser les pressions de l’arrière : combien d’hommes se sont fait tuer pour que des femmes ne les traitent pas de peureux ? Cet arrière où se trouve son propre père qui ne le comprend pas car, écrit-il, « toute la guerre nous sépare, la guerre que je connais et qu’il ignore ». En secteur calme, dans les Vosges, il note : « Pour l’infanterie, elle se garde de troubler un secteur aussi paisible, aussi agréablement champêtre. Les provocations ne viendront pas de notre part, si des ordres de l’arrière ne nous imposent pas l’agressivité. » Et revient le leitmotiv : « Si on mettait le père Joffre là dans mon trou, et le vieux Hindenburg en face, avec tous les mecs à brassard, ça serait vite tassé leur guerre ! »
Il y a de très belles pages pleines de détails concrets sur un déserteur allemand (« Il est moins c… que nous, ce client-là ! »), sur l’insupportable capitaine B. (« les soldats le tueraient plus volontiers qu’un Allemand »), sur le froid et la longueur des nuits, l’effet moral du bombardement, les hommes habitués à la résignation et à l’obéissance. Une remarque très utile concerne le « ton de dilettante » qu’il emploie dans ses lettres à sa sœur parce qu’elle ne pourrait pas comprendre ses « vraies pensées », ce ton que l’on rencontre dans bien d’autres correspondances. Le livre n’est pas un journal structuré par des dates, mais un chapitre concerne la bataille du Chemin des Dames, sans récit de mutinerie, et avec préjugé favorable pour Pétain qui « a la réputation de vouloir économiser les hommes. Après les tueries organisées par Nivelle et Mangin, qu’on appelle ici des brutes sanguinaires, l’armée avait besoin d’être rassurée. » En 1918, il faut s’attendre à des offensives allemandes, et voilà des avions qui passent pour aller bombarder Paris : « Les patriotes vont en prendre un vieux coup ! »
Il ne faut pas s’étonner de cette conclusion que Chevallier met dans la bouche d’un camarade : « Je vais te dresser le bilan de la guerre : 50 grands hommes dans les manuels d’histoire, des millions de morts dont il ne sera plus question, et 1000 millionnaires qui feront la loi. »
Rémy Cazals

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Ribollet, Pierre (1889-1918)

Né le 7 août 1889 à Caluire-et-Cuire, près de Lyon, dans une famille bourgeoise. Il a un an lorsque son père meurt, laissant sa mère veuve avec quatre enfants. Un de ses oncles, dreyfusard, est actif militant de la Paix par le Droit, puis de l’association française pour la SDN. Pierre étudie à l’institution des Chartreux, aux Beaux-Arts de Lyon et de Paris afin de devenir architecte. Il effectue le service militaire au 4e Génie. En août 1914, caporal, il est mobilisé au 28e Génie et devient sergent en mai 1915. Il est principalement engagé dans les Vosges (Le Violu) et en 1916 dans la Somme. Le jour de l’offensive Nivelle, il arrive à l’EOR de Versailles, en sort sous-lieutenant et rejoint le 3e Génie. Son témoignage est formé de lettres écrites du 19 août 1914 au 22 juillet 1918, veille de sa mort au cours d’une contre-attaque allemande. Certaines lettres sont adressées à son cousin André Piaton ; d’autres à sa mère, mais de celles-ci il ne reste que des extraits, ce qui explique parfois de longs espaces de temps entre deux courriers. Le caractère partiel rend difficile de faire la part de l’autocensure, mais celle-ci apparaît clairement le 22 septembre 1915, lorsqu’il décrit à son cousin les préparatifs de l’offensive et ajoute : « Ne dis pas un mot de tout cela à Maman ! ». La publication des lettres est accompagnée de photos et de belles aquarelles de Pierre.
Le 28 décembre 1914, il écrit : « Jamais notre devoir de Français chrétien ne fut tracé avec plus de précision qu’en de telles circonstances. Avec force et énergie, accomplissons-le vaillamment et sans murmurer. » Le devoir des hommes du Génie, c’est de creuser des tranchées, des abris ; d’établir le relevé du réseau ; mais aussi de précéder les vagues d’assaut en apportant les explosifs nécessaires à faire sauter les systèmes de protection des ennemis (c’est lors d’une telle opération qu’il est tué). C’est aussi la guerre des mines et camouflets, et on reçoit fréquemment grenades et marmites. Dans les Vosges, cote 994, le 12 juillet 1915, il décrit la première ligne : « C’est un véritable fouillis de sacs à terre, de vieilles gamelles, de chevaux de frise, de tourbillons de fils de fer barbelés, d’où émergent des troncs hachés, déchiquetés, pulvérisés. Les sapins sont tombés sur la tranchée, la recouvrant complètement et faisant ainsi un passage à l’ombre, dont nous n’avons pas lieu de nous plaindre. » Il arrive qu’on échange autre chose que des grenades avec ceux d’en face : des journaux, des cigarettes… Comme les autres combattants, il a le cafard et souhaite la bonne blessure. Il critique la distribution aberrante des croix de guerre. À une lettre de sa mère qui lui rappelait un voyage en Italie, il répond qu’il souhaite voir « un paysage quelconque exempt de toute explosion ! » Et au repos, il note le charme tout particulier de « simples promenades en terrain découvert, et non dans d’éternels boyaux ».
À son cousin, dès le 12 juillet 1915, il pose la question qui l’obsède : « Que dit-on à Lyon, autour de toi ? Compte-t-on sur une crise financière, économique, une révolution, un coup de théâtre qui permettrait d’envisager la fin de la guerre avant l’hiver ? » Puis c’est le message récurrent à partir du 24 août : « Je voudrais que ceux qui parlent avec tant d’enthousiasme et de phrases ronflantes de la guerre dans les journaux, fassent ici une simple tournée dans les tranchées de 1ère ligne. Ce serait une expérience intéressante qui modifierait peut-être leurs impressions ! » Barrès est nommément attaqué (5-3-16), et Pierre ajoute un mot des « convictions patriotiques, qu’il est décidément beaucoup plus facile d’avoir à Lyon qu’ici » (27-5-16).
Pierre décrit à son cousin la « boucherie sans nom » de la bataille de la Somme (25-8-16) ; des prisonniers allemands heureux que la guerre soit finie pour eux, « avec un petit sourire qui a l’air de nous plaindre » ; ses camarades dont le cafard tourne au désespoir (18-9-16). Le 3 décembre 1916, bien avant l’offensive Nivelle, il admet qu’on puisse être terrifié des réflexions des poilus. Mais il se trouve à Versailles au plus fort des mutineries et ne peut en parler. En septembre, il attribue à la défection de « ces maudits Russes » la prolongation de la guerre, et en février 1918, il stigmatise « la honteuse capitulation des maximalistes ».
Rémy Cazals
*Pierre Ribollet, Quatre années de guerre (août 1914 – juillet 1918), Lettres et dessins, Lyon, éditions BGA Permezel, 2006, 175 p. + illustrations.

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Ducruy, Cyrille (1887- ?)

Encore une publication discutable d’une correspondance qui a une bonne valeur de témoignage. On ne donne même pas la date de naissance du « soldat écochois » (du village d’Écoche, Loire) qui est en réalité né à Coublanc (Saône-et-Loire). La recherche dans les archives en ligne de ce département donne la date précise, 21 octobre 1887, et la profession du père, cultivateur, mais l’absence de mention marginale ne permet pas de connaître la date de décès. On sait quand même que Cyrille était marié, qu’il avait une petite fille de 3 ans, Amélie, et qu’il était cultivateur à Écoche. Ensuite, choisir de transcrire 270 lettres sur 340, les plus intéressantes, peut se justifier. Mais l’idée de les classer en trois parties (chronologique, thématique, et en lien avec les grands événements historiques) se révèle bien vite une erreur de méthode comme cela sera montré ci-dessous.
Le premier intérêt de cette correspondance d’un cultivateur (avec quelques réponses de sa femme, Marie), c’est de montrer son intérêt permanent pour la marche de son exploitation. Il donne des conseils précis pour les semailles, les récoltes et l’élevage des quelques vaches, et il commande à plusieurs reprises à sa femme de ne pas se tuer à la tâche. Avant de monter vers le front, apercevant depuis la caserne du Puy des paysans au travail, il écrit : « Quand je les vois labourer, ça me rend malade de me voir enfermer à ne rien faire pendant que j’aurai aussi tant de travail chez moi. » Si, au tout début (10-8-1914), il croit que la guerre est déjà gagnée grâce aux victoires en Alsace, il note aussi le suicide de deux hommes « car ils avaient trop peur de partir ». Puis il espère se faire réformer et il donne à son frère des conseils dans le même sens.
Il part vers le front en mai 1915 et, sans être encore dans les tranchées, il découvre et décrit les fléaux que sont les poux, les puces et les rats, mais également les mouches qui pullulent en juin, tombant par dizaines dans la nourriture. Il découvre aussi la camaraderie et apprécie les gars du Midi : « Ils sont très honnêtes et ont l’air tous aussi bons garçons les uns que les autres. » Mais, dès ce même mois de juin, il oppose, dans cette guerre, ceux qui gagnent de l’or et ceux qui se ruinent. En septembre, il s’en prend à cette « belle civilisation » dans laquelle les hommes sont traités plus mal que des bêtes. Plus tard, à propos des vaccinations qui démolissent les plus solides, il écrit : « À présent on sulfate les hommes comme la vigne. Nous allons vivre joliment vieux si les Boches nous tuent pas. » En décembre, pas question de souscrire à l’emprunt de la défense nationale, fait pour prolonger « notre martyre ». Au début de 1916, au 38e RI, Ducruy est en première ligne et demande « quand donc finira cette sale vie d’esclave et de martyr ». Il critique les journaux ; il donne à sa femme le conseil de se débarrasser des billets et de garder les pièces d’argent. Revient souvent l’invitation aux jusqu’au-boutistes de venir au front défendre « leur galette ». Lorsqu’il se foule la cheville, lorsqu’il est victime de dysenterie, il essaie d’aggraver le mal pour échapper aux tranchées, et, en octobre 1916, il est heureux d’apprendre qu’il a une deuxième fille : « Au moins elle n’aura pas à endurer les souffrances que nous endurons pour le moment. » Et, en février 1917, apprenant l’explosion d’une usine à poudre : « Je voudrais bien les voir toutes sauter. » Blessé au bras le 26 octobre 1917, il estime : « J’ai eu une grande chance d’avoir attrapé la blessure que j’ai, je serai tranquille pendant l’hiver. » En effet, il ne semble pas être remonté sur le front.
Dans cette « correspondance chronologique », on reste interdit de voir la partie « le front après Verdun » succéder à la partie « le front jusqu’à Verdun ». C’est que la partie « Verdun » a été détachée pour aller, vers la fin du livre, dans une rubrique « correspondance et événements historiques » où se trouvent en effet des pages sur le fort de Vaux en mars 1916, épisode le plus rude du parcours de Ducruy qui montre l’horreur du bombardement, les blessés, les morts, le manque de ravitaillement : « Ceux d’entre nous qui sommes encore en vie nous ne pouvons pas comprendre comme nous avons pu échapper à cette grêle d’obus qui nous a tombé jour et nuit dessus. Mais il en manque beaucoup à l’appel. » Il existe enfin une autre rubrique, celle de la « correspondance thématique » qui revient sur la gestion de la ferme et sur l’amitié, et surtout sur ce que le présentateur intitule « Critique des états-majors ». Ces lettres, qu’il aurait fallu laisser à leur place chronologique pour bien montrer l’évolution de la pensée du témoin, sont d’une violence extrême. Le 29 avril 1916 : « Si au moins cette maudite et criminelle guerre pouvait finir de bientôt et anéantir ce militarisme qui nous rend esclave aussi bien d’un côté que de l’autre. » Le 6 janvier 1917 : « Tous ces bandits de l’arrière qui ont tant soif d’une grande et belle victoire, s’ils passaient seulement quelques jours avec nous où nous sommes, je crois que leur appétit serait vite calmé, c’est facile d’être courageux quand on ne souffre pas. » Les « assassins de l’humanité » arrêteront-ils leurs crimes, demande-t-il le 8 février. Et le 15 mars, le mot est enfin prononcé : « Il nous faudra aller jusqu’au bout et peut-être jusqu’à la mort pour garantir et assurer de bons revenus aux capitalistes qui ont engagé leur capital dans ce métier criminel. » Ce petit cultivateur catholique a dû beaucoup discuter avec des camarades aux idées plus avancées. Aussi ne condamne-t-il point les mutineries, même s’il ne dit pas y avoir lui-même participé. Le 22 juin 1917, il note ces deux phrases : « Je crois que les grandes attaques sont finies pour nous à présent, il y a trop de régiments qui ne veulent rien savoir de la connerie militaire. C’est pourquoi on nous fait tant de faveur à présent pour nous remonter le moral mais il y a que la fin de tout cela pour nous le remonter. »
Rémy Cazals
*Si ça vient à durer tout l’été… Lettres de Cyrille Ducruy, soldat écochois dans la tourmente 14-18, textes recueillis et commentés par Christophe Dargère, Paris, L’Harmattan, 2010, 320 p.

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Fontaine, Amand (1875-1944)

1. Le témoin
Né le 2 septembre 1875 à Dompierre-du-Chemin (Ille-et-Vilaine), il est le fils d’un instituteur laïc qui exerce dans cette commune de 1869 à 1894.
Entré à l’Ecole normale de Rennes en octobre 1891, il en sort en 1894, brevets élémentaire et supérieur en poche ; il obtiendra, en 1896 et 1899, un diplôme de gymnastique et son certificat d’aptitude pédagogique. Instituteur adjoint à Ercé-près-Liffré (1894) puis Comblessac (1896) dans un premier temps, il enseigne ensuite successivement à Sixt-sur-Aff (1897), Saint-Broladre (1901), Orgères (1902) puis Bain-de-Bretagne (1902). Il obtient enfin, en septembre 1905, une charge d’école à Brain-sur-Vilaine, à quelques kilomètres de là. Cette même année, il a épousé l’une de ses collègues, Henriette Thierry. Deux filles naîtront de cette union. Bien noté, Fontaine obtient une mention honorable en 1909, est proposé pour une lettre de félicitation en 1913, reçoit par ailleurs une médaille de bronze au titre de l’enseignement agricole (1910) puis une médaille de vermeil au titre de l’enseignement horticole (1913). L’instituteur est en effet très investi dans ce type d’enseignement par le biais des œuvres post-scolaires, très à la mode dans ces années 1905-1914, alors que la concurrence entre écoles publique et privée est particulièrement rude en Bretagne.
Il a effectué son service militaire au sein du 70e régiment d’infanterie (Vitré) en 1896-1897. Promu caporal le 16 mai 1897 puis sergent, comme réserviste, en août 1900, il accomplit les différentes périodes de réserve auxquelles il est astreint en 1900, 1905 et 1910. En 1908, il a été versé dans la territoriale, en l’occurrence au sein du 76e RIT (Vitré).
Démobilisé le 7 janvier 1919, il retrouve pour quelques mois l’école de Brain avant d’être nommé directeur d’école à Acigné à compter de septembre 1919. Il occupe encore ces fonctions lorsqu’il fait valoir ses droits à la retraite en septembre 1932. Il se retire alors à Rennes avec son épouse. Amand et Henriette sont tués dans les bombardements de Rennes, le 9 juin 1944.

2. Le témoignage
Appelé à servir à compter du 4 août 1914 comme sergent au sein du 76e RIT de Vitré, Amand Fontaine rédige, sans doute au jour le jour, sur un cahier d’écolier, un journal racontant les premiers jours de combats du régiment sur le front des Flandres, au nord d’Ypres, entre le 18 octobre et le 18 novembre 1914. Les régiments de la 87e DT sont alors en première ligne dans le secteur de Langemarck et subissent les assauts répétés des troupes allemandes engagées dans la première bataille d’Ypres.
Légué aux archives municipales de Rennes avec quelques photos et quelques rares documents se rapportant à la Grande Guerre, ce témoignage complète utilement ceux laissés par d’autres territoriaux de cette division ou de ce régiment sur les combats d’octobre-novembre 1914 :
• CLEMENT, Joseph, Carnets de guerre d’un officier d’Infanterie territoriale. Lieutenant Clément Joseph au 76e RIT, [du] 5 octobre 1914 au 20 novembre 1918, et la première attaque aux gaz du 22 avril 1915, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2006
• COCHO, Paul, Mes carnets de guerre et de prisonnier, 1914-1919, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010 [sur le 74e RIT].
Deux enfants de Plaintel morts pour la France pendant la Grande Guerre 1914-1918, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2005 [lettres de Jacques Morel, du 74e RIT]
• NEL, Raoul (Dr), Boesinghe ou les combats de la 87e Division territoriale sur l’Yser. 1914-1918, Rennes, Impr. du Nouvelliste de Bretagne, 1922 [sur les 76e et 79e RIT].
• PREAUCHAT, Elie, Carnets de guerre et de captivité d’Elie Préauchat, soldat à la 9e Cie du 74e RIT de Saint-Brieuc, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2006.

L’on ne sait rien ou presque en revanche de la suite de la guerre d’Amand Fontaine, si ce n’est qu’il occupe, à compter du début de l’année 1915 sans doute, une position bien moins exposée au sein du 76e RIT : il est alors rattaché à l’état-major de son unité en tant que vaguemestre, ce qui le dispense des séjours en première ligne, alors même que le régiment territorial de Vitré ne connaît plus guère d’épisodes aussi sanglants que ceux qu’il a contés ; le régiment est, entre autres, en 2e ligne lors de l’attaque au gaz du 22 avril 1915, et ce sont les territoriaux de Guingamp (73e RIT) et Saint-Brieuc (74e RIT) qui subissent les plus fortes pertes. Promu sergent-major le 18 juillet 1915, blessé et évacué le 7 septembre 1916, il regagne le front en janvier 1917 avant de passer au 79e RIT un an plus tard, après la dissolution du 76e. Il finit la guerre en servant comme sergent-major au sein de la 9e Cie du 500e RIT, jusqu’à sa démobilisation en janvier 1919.

3. Analyse
C’est avant tout la découverte de la guerre dans toute sa violence qu’offre à lire Fontaine dans ce journal. Il est significatif qu’alors qu’il a été mobilisé en août, qu’il a sans doute participé à la défense des côtes du Cotentin avec le reste de la 87e DT dans les semaines suivantes, ce n’est qu’en arrivant à proximité directe du front, dans les Flandres, le 18 octobre 1914, que l’instituteur débute la rédaction de ce texte. Au cœur des combats au nord d’Ypres, les territoriaux bretons et normands découvrent une situation qu’ils n’avaient sans doute pas imaginée, y compris pendant les 15 premiers jours d’octobre en Flandre française.
La faim – mais Fontaine y insiste moins que d’autres –, le froid des nuits – celles du 3 novembre, « très froide, passée dans la tranchée », ou du 11, « passée dans la tranchée, sous la pluie, le froid et les balles » –, les conditions d’hygiène à l’avenant – le 30 octobre, Fontaine dit « changer de chemise ce que je n’avais pas fait depuis 15 jours et me débarbouiller ce qui ne s’était pas fait depuis 8 jours » –, la fatigue – « je suis vanné » écrit Fontaine le 11 novembre – sont une part essentielle de ce témoignage.
Mais les passages les plus forts sont indubitablement ceux consacrés à la confrontation à la mort et à l’horreur des combats. Alors que les assauts des troupes allemandes font place aux contre-attaques plus ou moins ordonnées de l’infanterie française, le nombre de morts peuplant le no man’s land croît : « nos tranchées sentent le macabée. Les cadavres sont en décomposition » écrit par exemple Fontaine à la date du 7 novembre. Parmi ceux-ci, certains de ses collègues, dont le décès marque profondément l’instituteur : sans doute les connaît-il parfois de longue date, de même que son épouse à qui ce carnet est adressé.
La germanophobie exprimée à l’égard des « Pruscos » et « Alboches », l’indifférence affichée à l’égard de blessés ennemis « trouvés dans une ferme à moitié dévorés par les porcs » – l’épisode tient sans doute de la rumeur – se muent en raison en une compassion sincère alors que les combats se font plus violents : « pauvres Allemands, pauvres Français. Quel mauvais génie vous pousse ainsi à vous détruire » s’interroge-t-il par exemple le 14 novembre.
La peur de mourir – une peur avouée à demi-mot à son cahier et, par ce biais, aux siens, mais une peur dominée – semble expliquer cette évolution. Elle apparaît clairement à compter du 7 novembre : « Nous sommes portés en 1ère ligne d’une situation périlleuse. Ce peut être ma fin ». Et, s’adressant à sa famille : « Pauvre Henriette, pauvres enfants. Heureusement que vous ne me savez pas là ». Le 9, après la mort de plusieurs camarades, il note que « tous y passeront », sa « pensée se port[ant] vers le village de Brain ». « Femme et enfants chéris, je ne crois plus vous revoir ! » confesse-t-il.
Yann Lagadec

Source : LAGADEC, Yann, « “Si jamais tu lis ces lignes, maudis la guerre…”. Amand Fontaine, un instituteur breton dans la première bataille d’Ypres avec le 76e RIT de Vitré (octobre-novembre 1914) », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2012, p. 287-315.
Texte disponible en ligne :
http://www.sahiv.fr/images/stories/lagadec%20fontaine%2076e%20rit%20bmsahiv%202012.pdf

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