Vacquié, François (1874-1918)

Né le 30 juin 1874 à Montauban (Tarn-et-Garonne) dans une famille de cultivateurs. Service militaire de 1895 à 1898 au 9e RI d’Agen. Marié le 20 avril 1902 à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne). Ouvrier de l’entreprise Brusson (voir ce nom) à Villemur, mobilisé au 133e RIT, caporal le 30 octobre 1914, il a écrit des lettres à son patron : une carte postale et quatre lettres sont conservées dans les archives de la société, aux Archives de la Haute-Garonne. Le régiment se trouve en Alsace d’août 1914 à mars 1917. Dans la lettre du 25 septembre 1914, il remercie pour l’envoi de 10 francs ; ayant laissé sa famille sans ressources, il demande que l’entreprise embauche sa femme ; il souhaite que sa lettre soit communiquée à ses camarades de travail. Le 17 octobre, il précise qu’il lui tarde de venir reprendre son activité civile. La plus intéressante est celle du 28 décembre, envoyée d’Alsace : « Mon cher patron, hier j’ai reçu de M. de Saint-Victor [voir ce nom] 10 francs venant de votre part. Je vous dirai, Monsieur Antonin, que vous m’avez réellement rendu service. Car, croyez-le bien, nous sommes dans une mauvaise situation en ce moment. Car nous sommes dans les tranchées en avant postes, tranchées qui contiennent 30 centimètres d’eau, et en même temps nous avons même quelques prises avec les Allemands. Pourrai-je dire, cher patron, la fin de ce supplice ? Non, je ne puis, malheureusement. Je préfèrerais être ou du moins revenir bientôt à votre service. Mais en ce moment nous sommes ici pour faire chacun notre devoir. Mais avec beaucoup de souffrances. Car nous avons continuellement des journées complètement entières de pluie, et depuis cinq mois nous n’avons pas encore quitté les pantalons, et depuis quinze jours nous n’avons pas encore quitté les chaussures. Mon cher patron, je vous remercie beaucoup d’avoir eu un peu d’attention pour moi car j’en avais bien besoin. Mais ne faites jamais savoir à ma femme que je suis ici dans un si mauvais état. » Sur une carte postale du 24 janvier 1915 : « Je suis toujours en bonne santé malgré le froid rigoureux que nous éprouvons au milieu des neiges. »
Dans le long espace de temps entre les messages ci-dessus et la dernière lettre, du 25 mars 1917, François Vacquié n’a pas écrit à son patron ou bien rien n’a été conservé. À cette dernière date, il informe que son régiment vient d’arriver près de Verdun et que le spectacle est « piteux ». Il reste dans ce secteur jusqu’en septembre, puis il est en Champagne jusqu’en décembre 1917.
Il meurt à Villemur-sur-Tarn le 16 septembre 1918, en son domicile (nous n’avons pas d’autre précision).

Voir le livre de Jean-Claude François, Les Villemuriens dans la Grande Guerre, édité par Les Amis du Villemur historique, 2014.

Rémy Cazals, mars 2016.

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Beauvais, Alexandre

On ne sait rien de ce soldat sinon qu’il était un des ouvriers de l’entreprise de pâtes alimentaires Brusson Jeune (voir ce nom) à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne). Ce qu’il écrit à son patron le 13 décembre 1914 est localisé dans les parages de Craonnelle ; il était au 36e régiment d’infanterie. Sa description de la misère des fantassins est assez précise pour être reproduite ici :
« Jamais de ma vie, non seulement moi mais presque la majorité de notre régiment n’a souhaité la mort comme dans cette maudite marche où, pendant neuf heures, nous n’avons pas cessé de marcher sous la pluie battante, cela de 3 heures de l’après-midi à 1 heure du matin, pataugeant dans la boue jusqu’aux genoux. Nos tranchées sont situées à l’orée d’un bois et au milieu des marais. Trente centimètres d’eau et de boue dans les sapes conduisant à nos cahutes hautes de 1,25 m et larges de 1,10 m, dans lesquelles nous sommes condamnés à rester quatre jours sans désemparer et à tirer les balles par des créneaux aménagés d’un côté. La mitraille, par ici, tombe sans désemparer. Dans la plaine, une quantité effrayante de Boches est fauchée, déployée en tirailleurs dans leur position normale, et cela depuis mi-septembre. L’odeur infecte qui se dégage est assez pour nous rendre malades. Impossible de les enterrer car les tranchées françaises et allemandes à cet endroit sont à environ 150 mètres. Le premier qui sort la tête est repéré immédiatement et les balles pleuvent dur comme grêle. C’est une vraie place à choléra. Heureusement que le temps froid arrive et évitera bien des maladies contagieuses. Depuis que nous sommes ici, je n’ai eu qu’une heure de sommeil, et encore plié en deux. Nous manquons de tout : sucre, café, tabac, bougies, allumettes, rhum, enfin tout ce qu’il faudrait pour soutenir le moral des soldats. »
Rémy Cazals, mars 2016, en attendant d’en savoir plus sur ce soldat

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Percin, Alexandre (1846-1928)

Né à Nancy, fils d’un professeur de mathématiques. Polytechnicien. Il fait la guerre de 1870 comme lieutenant d’artillerie et découvre l’impréparation de l’armée impériale, la dureté de la vie en campagne et l’horreur du champ de bataille. « Que ceux qui veulent la guerre voient ce que j’ai vu, et ils ne la voudront plus », écrit-il dans ses Souvenirs militaires 1870-1914. Il remarque aussi la supériorité de l’armée nationale de type milice sur l’armée de métier. Sous la Troisième République, il écrit de nombreux ouvrages techniques qui critiquent l’animosité existant entre officiers d’artillerie et d’infanterie, la paresse intellectuelle des mêmes cadres, l’inanité des « manœuvres de parade » sans rapport avec la réalité. Nommé à des postes de plus en plus élevés, jusqu’à inspecteur général de l’artillerie, il fait améliorer le réglage du tir et surtout la liaison entre les armes : l’artillerie doit être au service de l’infanterie ; seul le fantassin peut véritablement savoir quelles sont les zones à bombarder pour faciliter sa progression. Mais il se heurte aux fortes oppositions de Buat, Fayolle, Nivelle, Foch, tout en étant fréquemment louangé dans des ouvrages allemands et des revues comme Artilleristische Monatshefte.
Chef de cabinet du général André (ministre de la guerre) de 1900 à 1904, il est mêlé à l’affaire des fiches, ce que les officiers cléricaux ne lui pardonnent pas. Pas plus que son opposition à la loi des Trois Ans, manifestée dans des articles parus dans L’Humanité, journal fondé par Jean Jaurès dont la conception de l’Armée nouvelle était proche de celle de Percin. Celui-ci prouve que six mois suffisent pour former un soldat et que le reste du temps est non seulement perdu, mais a un effet inverse de ce qu’on attend. Comme Jaurès et Gaston Moch, le général Percin insiste sur le rôle des réserves, et la guerre de 1914 leur a donné raison.
Sur la guerre de 1914-1918, il publie aussi plusieurs livres, notamment 1914 : les erreurs du Haut Commandement (Albin Michel, 1920) et Le massacre de notre infanterie (Albin Michel, 1921) qui fait le point sur les « tirs fratricides », leurs causes et les moyens de les éviter. Son témoignage personnel sur la période est intitulé Lille (Grasset, 1919). Il s’agissait de faire le point sur la non-défense de la place en août 1914, les feuilles de droite comme L’Action française et L’Écho de Paris l’ayant pris comme bouc émissaire, tandis que la Ligue des Droits de l’homme le défendait. L’enquête du général Pau le réhabilite pleinement et il est décoré de la Grand Croix de la Légion d’honneur en 1917.
Le général Percin est l’auteur de la longue préface au livre de témoignage de Samuel Bourguet, L’aube sanglante, paru en 1917 et en cours de réédition par Ampelos. Après la guerre, il devient un défenseur de la Société des Nations, proche de Jules Puech (voir ce nom) qui avait constitué un recueil de coupures de presse concernant le général Percin, conservé aux Archives municipales de Castres. Le général est cité à 9 reprises dans Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916 de Marie-Louise et Jules Puech, Ampelos, 2015. Percin écrit en faveur du « désarmement moral », contre les manuels qui entretiennent la haine des Allemands, contre les têtes de pont sur la rive droite du Rhin, inutiles, coûteuses et dangereuses parce qu’elles humilient l’Allemagne. Il rassemble ses arguments pacifistes dans La Guerre à la Guerre (Marcel Rivière, 1927).
Le général Percin meurt le 12 octobre 1928.
Rémy Cazals, mars 2016, à partir de l’excellent mémoire de maîtrise de Thierry Pradel, « Le général Percin : écrits de guerre et de paix », Université de Toulouse Le Mirail, 2000, ouvrage qui donne avec tous les détails les états de service d’Alexandre Percin et d’autres documents des Archives nationales et du SHD.

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Scherer, Marx (Maurice) (1883-1973)

Deux objets curieux
Mme Colette Scherer, belle-fille du témoin, m’a confié deux livres de reliure identique. Sur la tranche du premier, un titre : Le Feu, et deux noms d’auteurs : H. Barbusse, M. Scherer. Sur la tranche du second, un titre : Poste 85, et deux noms d’auteurs : A. Boursin, M. Scherer. Le cœur de ces volumes est constitué, pour l’un, par le fameux prix Goncourt dans son édition « J’ai lu » de 1958 ; pour l’autre, par le livre moins connu d’Alain Boursin, Poste 85, Les secrets de la TSF pendant la guerre, édité par Albin Michel en 1937. Par certains côtés, cela rappelle le livre fabriqué par Jean Coyot (voir ce nom), mais ce dernier ouvrage relié ne comprenait que le témoignage personnel du combattant. Lui-même poilu de 14-18, Marx Scherer a souligné des passages dans les livres de Barbusse et de Boursin ; il a ajouté des annotations dans les marges ; il a enfin rédigé quelques pages manuscrites qui ont été insérées dans les livres et reliées avec eux. Il explique que son collègue Poupardin, comme lui acheteur pour les Nouvelles Galeries après la guerre, avait connu Barbusse (il est mentionné dans Le Feu), et avait attiré son attention sur le livre. La division dans laquelle servait Scherer se trouvait immédiatement à la gauche de celle de Barbusse en Artois en 1915 et notre témoin avait repéré de nombreuses similitudes de situations à souligner. Il dit aussi que ce qu’il a vu ne concorde pas forcément avec le récit de l’écrivain, mais cette affirmation n’est étayée par aucune mention explicite. D’après lui, les souvenirs que le livre l’a conduit à retrouver sont aussi précis que les souvenirs d’enfance, sauf en ce qui concerne les noms de lieux. Il admet qu’il puisse y avoir des redites, et il y en a. Des situations intéressantes sont très bien décrites, mais la chronologie manque. Et si les souvenirs ne s’appuient pas sur des photos, c’est qu’un appareil n’était pas compatible avec la vie d’un fantassin (à la place d’un Kodak, il préférait transporter une boîte de singe supplémentaire). La photo, écrit-il, « a plus servi à fixer des groupes souriants que des vues strictement militaires ».
On peut distinguer trois périodes dans son expérience de guerre et les présenter après avoir situé le témoin à la veille du conflit.

Grandes lignes de la biographie du témoin
Marx Scherer est né à Paris (4e arrondissement) le 18 février 1883, fils de Simon, tailleur, et de Sara Morel, couturière. Il a passé une partie de son enfance dans le 2e arrondissement ; son témoignage évoque la rue de la Lune et la rue des Filles-Dieu, devenue rue d’Alexandrie. Sans avoir fait de longues études, il savait parler l’anglais et l’allemand (avait-il fait des séjours dans ces pays ?). En 1914, il exerçait la profession de tailleur pour dames. Il était marié depuis février 1911 et avait un fils, Jacques, né le 24 février 1912. Celui-ci devint professeur à la Sorbonne, titulaire de la chaire d’histoire et technique du théâtre français, auteur de nombreux ouvrages, spécialiste de Mallarmé. Un autre fils, Pierre, né le 25 février 1918, devint médecin. Engagé dans la Résistance pendant la Deuxième Guerre mondiale, il fut arrêté et déporté à Buchenwald où il mourut le 21 janvier 1945 (« mort pour la France »). Marx Scherer est mort à Paris le 1er octobre 1973, à l’âge de 90 ans. Dans certains documents le concernant, il figure sous le prénom de Maurice.
Il n’avait pas effectué de service militaire à cause de sa mauvaise vue. Il fut cependant récupéré en février 1915 au 21e RIC. Il écrit que, dans son groupe, se trouvaient cinq curés dont quatre ont demandé à être versés dans les services sanitaires et sont partis sous les huées. De septembre 1915 à mars 1916, il combat en Artois avec le 41e RIC (Souchez, Ablain-Saint-Nazaire, crête de Vimy) ; il a participé à des attaques ; le froid et l’humidité étaient terribles, les abris rudimentaires ; beaucoup de soldats ont eu les pieds gelés.
La deuxième phase de guerre a été très particulière : sa connaissance de l’allemand l’a fait désigner dans le service spécial d’écoute des communications téléphoniques de l’ennemi dans les Vosges. Il appartenait alors au 8e Génie (voir les notices Barreyre, Corbeau, Lassale, Lesage, Marquand, Petit).
Ayant été en 1918 en contact avec les troupes américaines, il a été nommé interprète auprès du 362e régiment US de la 91e division (Wild West Division) en septembre. Il a servi auprès du colonel « Machine Gun » Parker. Il a rencontré un Anglais qui, juste avant le vote de la conscription dans son pays, s’est engagé dans l’armée française en choisissant l’artillerie lourde, « as heavy as possible ». Le régiment a participé à l’attaque de Saint-Mihiel et y a subi de lourdes pertes. Il a remarqué les tanks Renault avançant « en se dandinant ».Il s’est ensuite dirigé vers Ypres et Audenarde où il a reçu la nouvelle de l’armistice qui a rendu les boys fous de joie. Avant d’être démobilisé, il a passé quelque temps à Coblence. Les renseignements sur cette troisième phase et quelques documents sont reliés à la fin du livre sur les écoutes téléphoniques.

Notes accompagnant Le Feu de Barbusse
Comme je l’ai dit plus haut, ces notes ne suivent pas la chronologie ; elles éclairent parfois des aspects ponctuels, parfois des questions plus marquantes :
– M. Scherer a peu apprécié les « vantardises des soi-disant anciens combattants », engagés dans la logistique et l’intendance, certes indispensables, mais qui n’ont pas combattu. Sur une page, il a noté : « en français : embusqués ; en allemand : Etappenschwein, cochon d’étape ; en anglais : Tenderfeet, pieds tendres. »
– Il a décrit un officier faisant un discours violent, menaçant, insultant, devant un groupe de soldats assez nombreux pour que ne soit pas repéré celui qui lança : « Vivement qu’on monte aux tranchées pour qu’on lui apprenne à vivre. »
– On disait : « Il nous emmerde le vieux con avec sa guerre de 70 » ; on dira « la même chose de nous ».
– Il a évoqué les premiers masques à gaz, les divers types de grenades, les méthodes pour faire dilater les bidons et obtenir ainsi une plus forte ration de vin. On ne lui a pas distribué d’alcool avant les attaques.
– Quand Barbusse parle de « la bonne blessure », Scherer ajoute : « Des camarades auraient volontiers donné un bras ou une jambe ; moi, j’ai toujours voulu tout ramener ou rien. »
– Au printemps, Barbusse écrit que « le haut de la tranchée s’est orné d’herbe vert tendre » (p. 209), et Scherer ajoute en marge « et parfois de coquelicots ».
– La dernière page ajoutée au livre de Barbusse est particulière. Scherer écrit que, lors de la guerre de 70, les monarchistes et les napoléoniens ont tout fait pour ne pas combattre alors que la France aurait pu gagner ; cela aurait permis d’éviter 14-18 et même 39-45. En dehors de ce passage, les notes ne comprennent pas d’allusions politiques ou religieuses.

Passages intéressants sur la baïonnette
À deux reprises, sur 3 pages, puis sur 5 pages, Marx Scherer évoque la baïonnette. D’abord l’escrime à la baïonnette, exercice ridicule car on n’était plus au temps de la bataille de Fontenoy. Apprendre à se servir de la baïonnette contre la cavalerie était particulièrement stupide en 1915. Quant aux « charges à la baïonnette », M. Scherer écrit : « C’est la question qui m’a le plus souvent été posée. » Il revient sur le passé, Fontenoy, les guerres de la Révolution et de l’Empire : la baïonnette avait un rôle tant que l’opération de recharger les fusils prenait du temps. « En 1914, la méthode a encore été employée mais les pertes ont été énormes, c’est le moins qu’on puisse dire. En effet, les fusils étaient à répétition et surtout les Allemands avaient de nombreuses mitrailleuses. Comme parfois on partait à 100 mètres, les pertes étaient hors de proportion avec les résultats, quand il y en avait. N’étant pas un mobilisé du premier jour, je n’ai pas connu cela, mais les camarades – il en restait encore du début de la campagne – m’ont largement renseigné. Toutes les attaques que nous avons faites l’ont été par bonds successifs et souvent en rampant. Entre temps, l’artillerie pilonnait la position et, quand nous arrivions sur l’ennemi, il n’y avait plus personne sauf des morts. Si sur la position il y avait des tranchées, il fallait souvent les nettoyer à la grenade. En tout cas la baïonnette n’était pas très utile car encombrante. » Sur la question, on ne peut que renvoyer aux remarques de Jean Norton Cru dans Témoins et à la thèse de doctorat de Cédric Marty, « À la baïonnette ! » Approche des imaginaires à l’épreuve de la guerre 1914-1918, Université de Toulouse Le Mirail, février 2014.

Notes sur le livre d’Alain Boursin
« Comme pour Le Feu, j’ai commencé par souligner et annoter les endroits et les faits qui concordaient avec ceux que j’avais vécus. Par la suite j’ai été amené à faire un historique personnel. » Le livre d’Alain Boursin, sur la vie d’un poste d’écoute, correspond exactement à la deuxième période de la guerre de Marx Scherer de mars 1916 à septembre 1918 et au même terrain, les Vosges, en particulier au Linge. Notons que l’auteur du livre n’a pu le faire paraitre en 1919 car il aurait révélé trop d’aspects encore secrets, et qu’il a dû attendre 1937. On ne sait pas à quelle date M. Scherer l’acheta. Les phrases qui suivent sont de M. Scherer.
« Le téléphone de campagne n’avait qu’un seul fil. Le retour se faisait par le sol (retour par la terre où le son se propage par ondes concentriques). Si l’on pouvait planter un piquet de terre dans le voisinage de ces ondes, on pouvait, avec un écouteur gradué à cet effet, entendre ce qui se disait sur la ligne ennemie. Ces postes n’étaient installés uniquement que dans les secteurs très mouvementés et où le no man’s land était très étroit. Les piquets de terre étaient plantés dans les petits postes auprès des sentinelles. On leur conseillait de pisser dessus pour y entretenir de l’humidité. Au Linge, notre poste se trouvait en toute première ligne. À une dizaine de mètres devant nous, la sentinelle, qui était à quelques mètres de la sentinelle allemande. En cas de bombardement ou d’attaque, elle avait l’ordre de se replier vers le PC. Souvent la sentinelle oubliait de nous informer de son départ et quand j’allais voir au petit poste il n’y avait plus personne. Il nous fallait alors déguerpir en vitesse avec nos armes, débrancher l’appareil et l’emporter avec le cahier de rapports et filer en vitesse vers le PC en plein bombardement. En cas d’extrême urgence, nous devions briser l’appareil à coups de crosse, et surtout les lampes. On se réinstallait avec la contre-attaque. Tous mes camarades interprètes étaient tous sans exception des volontaires déserteurs ou insoumis de l’armée allemande. En cas de capture, leur position devenait très critique » [c’est pourquoi ils avaient une fausse identité].
Quand les Allemands ont interdit de téléphoner à moins de 300 mètres de la première ligne, les postes d’écoute ont été dotés d’amplificateurs. Quand ils ont communiqué en morse, il a fallu apprendre le morse. L’électrification des réseaux de fil de fer brouillait l’écoute. En dehors de messages de réglage d’artillerie, le poste de Scherer a capté des listes de victuailles envoyées pour Noël et des phrases peu amènes pour les « Herren Offizieren » qui, lors de la relève, se réserveraient « la belle blonde ».
Les notes de M. Scherer évoquent aussi la nourriture et la fabrication d’objets à partir des fusées d’obus dont on faisait commerce.

Descriptions vosgiennes
« Le Lingekopf. La crête dominait la vallée de Munster. Quand je suis arrivé, la crête était à peu près déboisée. De la forêt de sapins, il ne restait que des troncs de quelques mètres. L’année suivante, c’était un désert de sable. Tout au sommet, une tranchée ou ce qui en restait subsistait encore. Mais comme elle nous permettait de voir la vallée, elle était continuellement prise et reprise et a fini par se trouver entre les lignes. […] L’hiver, ils nous arrivait de faire la relève en traineau, pas pour nous éviter la fatigue mais pour transporter les accus. […] Les tranchées étaient infestées de rats. »
« Tous les secteurs que j’ai occupés n’étaient pas aussi mouvementés que le Linge. Tout est relatif, je les trouvais plutôt tranquilles. Pourtant, dans l’un d’eux qui avait subi une attaque aux lance-flammes, j’ai vu des abris aux poutres calcinées avec une épaisseur de charbon d’au moins un centimètre. Cela a dû être affolant. Toutefois, le Violu fut tout de même plus nerveux que les autres secteurs. La crête était d’un sol très sablonneux. Les tranchées s’écroulaient facilement. On les étayait tant bien que mal par des portants en bois, mais les sentinelles étaient souvent accroupies dans un trou d’obus ou un restant de tranchée. […] Dans le bas, à notre gauche, le ravin de la Cude où se trouvait l’auberge à trois servantes, les 6 Fesses [mentionnée aussi par Lucien Laby]. À droite en montant, creusés dans la paroi de la colline, des abris divers. Dans l’un d’eux, celui du menuisier qui fabriquait des cercueils. Comme il en avait pas mal d’avance, il les mettait dehors, adossés à la paroi. »

Pour terminer cette notice, je choisis cette phrase : « Au Linge, même pendant les bombardements, les oiseaux chantaient. Ils devaient être habitués. »
Rémy Cazals, mars 2016
Les deux livres doivent être déposés en archives publiques. Dès que je connaitrai leur destination, je la mentionnerai ici.

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Schaarschmidt, Helene (1886- ?)

Née à Davos, Helene Schaarschmidt, de nationalité allemande, se trouvait vraisemblablement en vacances en France lors de l’entrée en guerre en 1914. Elle fut internée au camp de Garaison (Hautes-Pyrénées) du 7 septembre au 3 novembre 1914, après un détour par Flers en Normandie. Le camp de Garaison, installé dans le collège religieux Notre-Dame de Garaison devenu disponible en 1903, faisait partie des camps d’internement dans lesquels le gouvernement français décida de retenir les civils mobilisables, ressortissants des puissances en guerre contre la France.
On sait très peu de choses au sujet de la biographie d’Helene Schaarschmidt. Son dossier des Archives des Hautes-Pyrénées nous apprend qu’elle était alors célibataire. À son retour en Allemagne, elle publia un bref récit de 60 pages : Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich nach Ausbruch des Krieges [Expériences d’une Allemande en France au lendemain de l’entrée en guerre], Chemnitz, Thümmlers Verlag, 1915. Les extraits de ce récit relatifs au passage à Garaison viennent d’être traduits en français : Helene Schaarschmidt, Une Allemande en France au lendemain du déclenchement de la guerre, traduit de l’allemand par Hélène Florea, Hilda Inderwildi, Hélène Leclerc, Alfred Prédhumeau, in Gertrud Köbner, Helene Schaarschmidt, Récits de captivité. Garaison 1914, textes édités par Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc, Toulouse, Le Pérégrinateur, 2016. La traduction intégrale de son récit-journal (trad. Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc) est prévue pour 2019.
Le récit d’Helene Schaarschmidt ne se présente pas comme un journal ; les dates sont peu présentes, le texte est rédigé au passé, assumant le décalage entre temps narré et temps de la narration ; il relève donc davantage du récit de souvenirs. À sa lecture, on a l’impression que l’auteur en a volontairement escamoté tout indice biographique. Cette discrétion s’applique également à ses co-internés. Ainsi ne trouve-t-on aucun nom dans le texte d’Helene Schaarschmidt, les lieux traversés ne sont que très peu décrits, en particulier le couvent de Garaison ; l’auteure semble se concentrer sur l’attitude des Français envers les Allemands, évoquant notamment l’hostilité immédiate et le développement d’actes antiallemands.
Ce texte se caractérise en effet par l’expression d’un patriotisme allemand. Helene Schaarschmidt, qui n’était vraisemblablement que de passage en France au début du mois d’août 1914, défend, dès la première page de son récit, l’Allemagne, accusée de militarisme outrancier par les amis français de l’auteure : « Je dis que cela n’est pas tout à fait exact. L’Allemagne ne souhaite pas la guerre, elle est juste contrainte à préserver ses forces défensives pour se protéger. » Elle évoque plus loin « le fossé » qui s’est « soudain [creusé] entre gens de nationalité différente ». Elle insiste tour à tour sur les violences policières (p. 11-12), l’attitude hostile de sa logeuse parisienne (p. 14) et dénonce la mauvaise organisation des départs forcés (p. 16), les inscriptions antiallemandes (p. 17) ou les Normands de Flers qui la logent uniquement par cupidité (p. 18). Un leitmotiv de son récit sont les insultes et les crachats dont sont victimes les Allemands (p. 23-25). Toutefois, elle sait reconnaître le rôle de la propagande et l’influence de l’école républicaine et de l’Église, qui alimentent le ressentiment antiallemand : « Ce n’est toutefois pas entièrement de leur faute ; car l’école d’abord leur inculque ces bêtises ; par exemple, en 1870, l’Allemagne a provoqué la guerre et l’a commencée à partir de rien ; les Français n’auraient jamais perdu si Bazaine n’avait pas vendu l’armée aux Allemands, etc. Et le peu de bon sens populaire qui reste encore est laminé par l’Église ; les sermons en chaire ne sont que haine de l’Allemagne. » (Helene Schaarschmidt, Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich nach Ausbruch des Krieges, op.cit., p. 23)
En dépit de sa dénonciation de l’anti-germanisme français, qui, tel qu’il est décrit, semble attester l’existence d’une « culture de guerre », Helene Schaarschmidt tente donc finalement de disculper les Français qu’elle rencontre ; malgré le sort qu’elle subit, elle se montre encore prête au dialogue et à la compréhension, ce qui tendrait cette fois à relativiser la notion de « culture de guerre ».

Hélène Leclerc, MCF Université de Toulouse Jean Jaurès, mars 2016

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Köbner, Gertrud (1879- ?)

Gertrud Köbner, épouse John, est née à Berlin en 1879. De nationalité allemande, elle résidait en France, à Neuilly, depuis 1906, avec son époux Eduard John, né lui aussi à Berlin, en 1875. D’après le dossier des Archives départementales des Hautes-Pyrénées le concernant (9_R_88), Eduard John était publiciste, un document le qualifie d’ « intellectuel boche ». Le couple avait deux enfants, nés en France. Toute la famille John, ainsi que la mère de M. John, fut contrainte de quitter son domicile dès l’entrée en guerre de la France et arriva au camp de Garaison dans les Hautes-Pyrénées le 11 septembre, après un long périple et détour par Flers en Normandie. Le camp de Garaison, installé dans le collège religieux Notre-Dame de Garaison devenu disponible en 1903, faisait partie des camps d’internement dans lesquels le gouvernement français décida de retenir les civils mobilisables, ressortissants des puissances en guerre contre la France ; Garaison était plus spécifiquement dédié à l’accueil de familles. C’est donc toute la famille John qui y fut internée. Le 2 novembre 1914, Gertrud Köbner fut toutefois rapatriée en Suisse, en compagnie de ses enfants et de sa belle-mère, Eduard John, mobilisable, devant rester à Garaison, d’où il s’évada en août 1916. Elle semble être restée en Suisse, comme l’atteste la correspondance qu’elle adressa à son époux en août et septembre 1916 (Eduard John s’étant évadé de Garaison, l’administration française a conservé les lettres à lui adressées après son évasion ; son épouse lui écrit de Lenzburg en Suisse. Cf. dossier 9_R_88 Archives départementales des Hautes-Pyrénées). Gertrud John publia sous son nom de jeune fille, peu de temps après son rapatriement un récit assez circonstancié (214 pages) : Drei Monate kriegsgefangen. Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich [Prisonnière de guerre pendant trois mois. Une Allemande en France raconte], Berlin, Kronen-Verlag, 1915). Les extraits de ce récit relatifs au passage à Garaison viennent d’être traduits en français : Gertrud Köbner, Trois mois de captivité. Une prisonnière de guerre allemande raconte, traduit de l’allemand par Hélène Florea, Hilda Inderwildi, Hélène Leclerc, Alfred Prédhumeau, in Gertrud Köbner, Helene Schaarschmidt, Récits de captivité. Garaison 1914, textes édités par Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc, Toulouse, Le Pérégrinateur, 2016.
Si Gertrud Köbner apparaît comme sans profession dans la fiche établie par les autorités de Garaison lors de son évacuation pour la Suisse, son récit révèle une observatrice informée et cultivée, familière de la presse et de la vie politique française, engagée avant-guerre dans les mouvements pacifistes ; elle participa en effet en août 1913 à l’inauguration du Palais de la Paix à La Haye et place son récit sous l’égide de Bertha von Suttner qu’elle évoque dès la première page. Dans ce récit, Gertrud Köbner revendique d’emblée sa position de témoin subjectif, porteur d’une vision nécessairement partielle, voire erronée, du fait de son éloignement du théâtre des événements, de son accès restreint aux sources d’information, de sa situation d’Allemande dans le sud-ouest de la France. Ayant conscience d’être un témoin particulier, elle met en avant l’intérêt pour ses compatriotes du point de vue d’une « Allemande en France ». Les pages consacrées à Garaison (p. 179-214) ne représentent qu’un sixième du texte qui privilégie le récit des événements en amont de l’arrivée au camp, depuis l’entrée en guerre de la France et la tentative vaine pour la famille John de regagner l’Allemagne, le séjour à Flers en Normandie et le long périple en train de Flers à Lannemezan, puis en charrette ou à pied jusqu’à Garaison. Gertrud Köbner consacre en réalité les plus longs développements de son journal – les soixante premières pages – à l’entrée en guerre proprement dite ; encore à Paris jusqu’au 7 août, elle parvient à se procurer la presse, dont elle insère de longs extraits.
Ce texte n’est en rien un brûlot anti-français ; vivant en France depuis de nombreuses années, Gertrud Köbner considère ce pays comme sa seconde patrie et le début du conflit représente pour elle un douloureux déchirement : « Telle une décharge électrique, une pensée m’assaille : ici, en ce moment, tu te trouves face à un tournant de l’histoire ! Ce tournant, j’en fais l’expérience en pays ennemi [terme souligné par l’auteure], un pays dans lequel je vis depuis de nombreuses, très nombreuses années et que j’ai appris à aimer de tout mon cœur. Que les sentiments de ce pauvre cœur torturé soient partagés … qui pourrait en douter ! De l’autre côté du Rhin, mes frères, mes parents, tous ceux qui me sont chers, partent servir le drapeau noir-rouge-or et attaquent avec canons, fusils et baïonnettes ceux auxquels je suis attachée de ce côté-ci du Rhin et qui appartiennent à un pays dans lequel je me sentais heureuse et auquel j’associe un nombre infini de beaux souvenirs. » (Gertrud Köbner, Drei Monate kriegsgefangen. Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich, Berlin, Kronen-Verlag, 1915, p. 6-7). Ce récit se caractérise par une propension à atténuer la portée des actes d’hostilité des Français à l’égard des Allemands qui se retrouvèrent dans sa situation par le récit de marques de générosité dispensée par des Français, comme l’accueil chaleureux d’une Normande (p. 69) ou l’appel du maire de Flers à traiter les Allemands avec humanité (p. 72). La volonté persistante de ne pas accabler la France se double toutefois progressivement du sentiment d’être une étrangère en France, une « Franco-Etrangère » (p. 31), où Allemand devient synonyme et quintessence de l’étranger, et de l’affirmation répétée de son identité allemande.
Le récit s’achève par un message résolument pacifiste : « Et pourtant, voici qu’au moment où le train me reconduit à Berlin, ma ville natale, mes pensées, nostalgiques s’envolent vers mon second chez-moi, la France, et vers mon mari, resté là-bas. Doucement, tout doucement, mon esprit tisse les fils qui relient le pays des Allemands à celui des Français. C’est alors que s’élève sur l’horizon lointain un timide soleil de novembre, pareil à une pâle lueur d’espoir, un espoir très très faible mais qui pourrait peut-être malgré tout devenir réalité… » (Gertrud Köbner, Trois mois de captivité. Une prisonnière de guerre allemande raconte, Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc (éds), op.cit., p. 51).

Hélène Leclerc, MCF, Université de Toulouse Jean Jaurès, mars 2016

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Huet, Albert (1897-1977)

Albert Huet est né le 14 décembre 1897 à Dame-Marie (canton de Bellême, Orne), un petit village de Normandie. D’un milieu très modeste, il apprend sommairement à lire et à écrire. Son livret militaire lui attribue la profession de domestique. En janvier 1916, il fait ses classes au 102e RI à Chartres. La guerre a débuté depuis deux ans et tout le monde sait que les choses sont très dures : les morts se comptent déjà par centaines de milliers et tous les villages sont touchés. Une épidémie d’oreillons lui fait gagner du temps, mais le voici dans les tranchées en ce terrible hiver 1916-1917. Comme beaucoup d’autres soldats, il signale que le pain et le vin sont gelés. Au printemps, il estime que les « généraux ivres de carnage », parmi lesquels « le fameux Nivelle », ont lancé « une offensive idiote nous coutant des pertes terribles ». En conséquence, écrit-il encore, se produit la révolte des armées, et « on fusilla à tort et à travers » (ce qui est inexact, mais ce qui nous intéresse chez un témoin c’est ce qu’il a pensé).
Lui-même ne connait le baptême du feu que le 26 juin en Champagne au sein du 363e RI, formé de débris de régiments où l’on rencontre des gars du Midi, des Bretons, des Parisiens. Là, en Champagne pouilleuse, « la terre constamment remuée par les obus laisse apparaitre des ossements humains constamment enterrés et déterrés ». En septembre 1917, il est au Chemin des Dames où il connait « 18 jours de misère terrible ». En permission, il a du mal à supporter les réflexions des notables qui lui font la morale. En 1918, il participe à la résistance à l’avance allemande, puis à la contre-offensive en encadrant les bleus de la classe 18 et en lien avec les Américains. Fin septembre, son masque à gaz étant percé par des éclats d’obus, on peut toujours en trouver un autre : « En cherchant un peu, il y a là des anciens copains qui n’en ont plus besoin. » Atteint par les gaz, il est soigné, il part en convalescence puis en permission et il note : « Si jamais la guerre n’est pas finie comme on le chuchote, je ne sais pas ce que je ferai, j’en ai marre de la guerre, je le dis à tout le monde, j’aime mieux la prison. » Au final, il s’estime bien heureux de s’en être tiré, et sans blessure.
Après la guerre, il se marie avec la sœur d’un copain de régiment de son village et part vivre en région parisienne où il a trouvé du travail dans une compagnie de chemin de fer. De son passage à l’armée il a conservé une terrible addiction au tabac qui se transforme en un cancer du larynx en 1955. Après une trachéotomie d’urgence, ablation du larynx et des cordes vocales et traitement au radium, il survivra et dira souvent : “les boches n’ont pas réussi à m’avoir, ce n’est pas un cancer qui m’aura”. Il meurt le 23 novembre 1977.
Il a écrit ses souvenirs de la guerre dans les années 1950, sur 19 pages d’un cahier d’écolier. Les sentiments exprimés semblent ceux de l’époque de la guerre ; ils n’ont pas été retouchés ou atténués au moment de l’écriture. Le cahier a été retrouvé par hasard en 2013 par sa petite fille. Il est désormais numérisé. Une transcription du cahier page par page se trouve sur le site de son arrière-petite-fille Hélène Huet aux côtés de quelques photos retrouvées d’Albert et de son régiment.

Le cahier : https://helenehuet.org/albert-huets-diary/

Les informations : https://helenehuet.org/about/

Rémy Cazals, mars 2016, à partir de renseignements fournis par Hélène Huet. Complément juillet 2018.

Septembre 2020 : Hélène Huet a réalisé une carte permettant de situer des lieux importants pour Albert. Chaque point renvoie à une page du cahier manuscrit et à une explication bilingue français-anglais. Voir https://helenehuet.org/wwi-diary-of-albert-huet-the-map/

 

 

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Chapatte, Auguste (1893-1966)

Le témoin
Fils de boulanger, il est né à Damprichard (Doubs). Devenu comptable dans une usine d’horlogerie. Service militaire en septembre 1913 ; réforme temporaire. Repris du fait de la guerre. Au front en janvier 1915 au 152e RI. Deux fois blessé ; la deuxième blessure, grave, lors de l’attaque du 21 décembre 1915 sur l’Hartmannswillerkopf, le fait classer service auxiliaire. Après la guerre, il devient « une figure respectée » du monde ancien combattant du Doubs, et il siège pendant vingt-six ans au conseil municipal de Damprichard.
Le témoignage
La rédaction de son témoignage date des années 30. Il n’y a en effet aucune rupture de ton entre le récit de l’années 1915 et celui du pèlerinage au Vieil Armand en février 1930. Le texte a été édité en 1946 à Besançon. Il est repris sous le titre Hartmannswillerkopf 1915-1916, Souvenirs d’un poilu du 15-2, par Bernard Giovanangeli en 2011, 158 p. avec une présentation par l’éditeur lui-même.
Un « personnage » essentiel du livre est le Vieil Armand : il « entre en éruption », il a « un nouvel accès de démence ». Récit détaillé de l’attaque du 23 mars 1915 (p. 36), de la nuit du 23 au 24 (p. 44), de la nouvelle attaque du 26, de la reprise du sommet par les Allemands (p. 66), de l’attaque du 21 décembre (p. 110). Entre temps, Auguste Chapatte et son régiment tiennent le secteur de l’Hilsenfirst en septembre (p. 91).
Des contradictions ?
Ce qui saute immédiatement aux yeux, c’est l’existence de deux séries de notations, contradictoires et complémentaires à la fois. D’une part il aligne tous les clichés d’un récit héroïque : il a hâte de monter vers le front ; mourir pour la patrie est le sort le plus beau ; « je fais le sacrifice de ma vie » ; « la France est en péril, nous partons pour la défendre » ; « Alsace ! Que de fois, au cours de mes années d’enfance et d’adolescence, j’ai pensé à toi, toi séparée injustement de la mère patrie » ; « Ma plus grande fierté est d’avoir combattu dans les rangs de ce magnifique régiment » ; évocation des « morts immortels »… D’autre part il pousse des cris de révolte contre l’horrible tuerie et ceux qui en portent la responsabilité (sans les nommer, ce qui laisse penser qu’il ne s’agit peut-être pas seulement de Guillaume et François-Joseph) ; « est-il possible qu’en plein vingtième siècle, siècle de progrès, on tue des gens à bout portant ? » ; « qui donc arrêtera cette boucherie ? » ; « pourquoi faut-il que cette belle jeunesse soit massacrée ? »…
On trouve même une opposition directe entre deux passages. L’un (p. 67) : « Que de vies humaines seraient économisées si, d’un côté comme de l’autre, on renonçait à conquérir un sommet qui devient intenable pour le vainqueur dès qu’il s’en est emparé. A quoi bon poursuivre une lutte qui n’a d’autre résultat que d’engloutir des régiments ? » L’autre (p. 101) : « Ce secteur immortalisé par des luttes sanglantes, par des actes de dévouement, d’héroïsme qui, dictés par l’esprit de sacrifice, ont atteint au sublime et peuvent rivaliser, sinon les dépasser, avec les plus beaux que l’Histoire ait enregistrés. »
Quelques notations particulières
– p. 23-28 : opposition entre les jeunes pleins d’enthousiasme au départ et ceux qui « y retournent » (entre guillemets dans le texte) et ceux qui y sont déjà qui ne demandent qu’une chose, « un bon tuyau sur la fin de la guerre qu’ils appellent de tous leurs vœux ».
– p. 39 : l’angoisse avant l’attaque.
– p. 41 : les cris des blessés.
– p. 42 : donner une cigarette à un Allemand prisonnier.
– p. 52 : le tir trop court du 75 brise une attaque française.
– p. 62 : le capitaine distribue de l’argent aux soldats qui ont eu une belle conduite.
– p. 65 : une trêve par réciprocité.
– p. 69 et p. 99 : qu’il fait bon vivre en période de repos (mais les exercices sont désagréables et stupides) ; qu’il est bon de manger chez les civils [idée théorisée par Jules Puech dans sa correspondance publiée sous le titre Saleté de guerre ! Voir aussi Manger et boire entre 1914 et 1918, sous la direction de Caroline Poulain].
– p. 72 : les totos font souffrir mais sont un sujet de plaisanteries [voir Louis Barthas et les dessins de Dantoine].
– p. 75 : la bonne blessure.
– p. 86 : la stupidité de porter la capote par une chaleur accablante.
– p. 98 : armistice d’un jour en novembre 1915 à cause des intempéries.
– p. 117 : la grave blessure, le transport du blessé par des PG pris comme brancardiers, les soins.
Rémy Cazals, février 2016

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Baudens, Emile

Voir la notice Puech-Milhau, Marie-Louise, et le livre de Marie-Louise et Jules Puech, Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916 présentée par Rémy Cazals, Paris, Ampelos, 2015.

C’est dans sa lettre du 8 septembre 1915 que Marie-Louise parle pour la première fois d’Emile Baudens. Engagée dans une œuvre en faveur des familles séparées par l’occupation du nord de la France, elle a reçu une lettre de ce soldat de 37 ans, mitrailleur au 8e RI. Il se présentait comme ouvrier  dans le civil, aux usines Cail à Denain et souhaitait prendre contact avec sa femme et ses enfants restés en pays envahi, et se faire appeler dans une usine métallurgique. Le 3 novembre, Marie-Louise écrit qu’elle a reçu la visite de celui qu’elle appelle son filleul, ce qui signifie qu’elle lui a envoyé quelques colis. Il revenait d’une permission passée près de sa mère à Saint-Omer : « Il a l’air d’un brave homme et m’a dit qu’il avait son dernier qui s’appelle Marceau ; il n’avait que 7 mois quand il est parti. Voilà un homme qui, depuis plus d’un an, ne sait rien de sa femme et de ses 4 enfants. Chez sa mère, il a appris que des cousins étaient prisonniers ; il va leur écrire pour leur demander d’avoir des nouvelles de sa femme, et de lui en donner des siennes car les prisonniers peuvent écrire dans les territoires occupés par l’ennemi. »

Nouvelle visite annoncée dans la lettre du 6 juin 1916, les envois de lettres et de colis n’ayant pas cessé. « Il m’apportait un cadeau : une douille de 75 en cuivre qu’il a gravée au poinçon et orné de feuilles de chêne. C’est très touchant et cet homme est vraiment un brave garçon. Il a une terrible nostalgie de ses enfants, surtout une fillette de 4 ans qui en avait 2 quand il est parti et qui lui chantait des chansons. » Marie-Louise s’engage à faire des démarches pour qu’il soit appelé dans l’industrie. Elle les entreprend en effet et ce n’est pas facile car les colonels ne veulent pas perdre des effectifs. Elle y réussit toutefois et Baudens lui écrit à deux reprises, en mai et novembre 1917, que grâce à elle, après avoir connu l’enfer, il croit se trouver « au paradis ».

Rémy Cazals, mars 2016

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