Chansou, Joseph (1890-1983)

Né à Fronton (Haute-Garonne) le 7 décembre 1890 dans une famille très catholique dont plusieurs membres sont des religieux. Lui-même est ordonné prêtre le 22 août 1915. Il a fait toute la guerre dans l’artillerie, au 57e RAC.
Son témoignage est déposé aux Archives départementales de la Haute-Garonne ; il est publié par l’Association des Amis des Archives, décembre 2014, 118 pages format A4, sous le titre Un prêtre frontonnais dans la Grande Guerre, Joseph Chansou, Journal 1914-1918 : amis.archives@laposte.net

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Pierre, Joseph (1880-1917)

L’information ci-dessous est tirée de La Lettre du Chemin des Dames, n° 35, octobre 2015, p. 16-19, confirmée par la fiche de mort pour la France sur le site Mémoire des hommes.
Joseph Pierre est né à Saint-Cast (Côtes du Nord, aujourd’hui Côtes d’Armor) le 1er mars 1880, fils d’un laboureur devenu exploitant de carrière. Lui-même a travaillé comme carrier. Il a fait le service militaire dans la marine et a obtenu le grade de quartier-maître. Mais il est mobilisé en 1914 dans l’infanterie, au 78e RIT, avant de passer au 201e RI où il devient sergent. Le témoignage, complété par le JMO du 201e, repose sur des lettres adressées à une jeune femme prénommée Aline, qui était peut-être sa fiancée. S’y ajoutent quatre photos.
La lettre du 22 décembre 1914 est envoyée du secteur de Berry-au-Bac. Elle décrit la situation misérable dans les tranchées, les morts sur le no man’s land, les ruines. Au repos, « tout le monde trouve déjà drôle de ne plus entendre le sifflement des balles et des obus mais je les reconsole en leur disant que demain nous retournons ». Après ce trait d’humour, il ajoute : « Probablement que prochainement nous donnerons un coup d’assaut pour chasser ces barbares. Cela nous coûtera cher en fait de vies humaines mais cela ne peut durer ainsi. Espérons que nous aurons le dessus et que nous les renverrons chez eux pour toujours. »
De Bouffignereux (Aisne), le 1er janvier 1915, il remercie Aline de sa lettre récente : « car ici le seul désennui que j’ai c’est de lire les rares correspondances que je reçois ». L’humour est toujours présent, comme dans cette scène qui s’est déroulée dans le cimetière de Berry-au-Bac : « Les obus tombaient tout autour de nous, les plus près bombardaient tout et nous recouvraient de terre, nous étions méconnaissables, et lorsqu’on voyait qu’aucun de nous n’était blessé sérieusement on en rigolait, c’est épatant on ne pense pas à mourir. » Il se réjouit des dégâts faits par un obus sur la tranchée allemande : « Nous avons très bien vu têtes, jambes, bras sautés séparément à 15 mètres en l’air, tu parles si on était contents. » Une description peut-être exagérée car il a écrit que la tranchée ennemie était à 200 mètres et que la visibilité était obscurcie par fumées et projection de terre. Il continue ainsi : « Si le système de tranchées continue, la guerre durera bien dix ans. » Il termine sur les rigueurs du temps, la pluie, la boue, le froid aux pieds.
Le 17 mai suivant : « Ah ! Ce qu’on a pu perdre du monde, c’est épouvantable. Je t’assure que je voudrais bien que tout ça soit terminé, j’en ai plein le dos, c’est tout de même trop long pour nous surtout depuis décembre que nous sommes dans les tranchées et dire qu’il y a encore des régiments qui n’ont pas vu le feu. »
Aucune autre lettre n’est donnée, on peut le regretter, mais c’est qu’elles ne concernaient pas les alentours du Chemin des Dames. En mars 1916, à Verdun, il reçoit une citation pour avoir « tué de sa main un officier allemand qui, d’un poste d’écoute, repérait nos positions ». Joseph Pierre participe ensuite à l’offensive de la Somme, puis aux combats sur l’Yser où il est tué le 31 juillet 1917 au cours d’une attaque.
Rémy Cazals

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Fangeaud, Jules (1897-1917)

Le plus jeune des trois frères Fangeaud d’Oran engagés dans la Première Guerre mondiale (voir les notices de François et Émile Fangeaud). Cinq lettres de lui à ses parents sont reproduites, avec quelques photos, dans La Lettre du Chemin des Dames n° 34, mars 2015, p. 21-23. Après François, tué près de Soissons le 8 janvier 1915, Jules est mort le 10 mai 1917 au Mont des Singes. Peut-être à la suite des conseils de ses frères d’éviter l’infanterie, il avait choisi de s’engager en juillet 1915 au 2e régiment de cuirassiers. On le retrouve au 40e régiment de tirailleurs sénégalais à Dakar et en Guinée, puis au 23e colonial dans la Marne. Il aurait été cassé de son grade de caporal lors de l’offensive de la Somme en 1916. Les cinq lettres reproduites précèdent de peu sa mort.
Le 12 avril 1917, en décrivant les « vraies montagnes d’obus » en prévision de l’offensive Nivelle, il pense que « la victoire nous est certaine », d’autant que les Allemands crèvent de faim jusqu’à manger les chiens. Le 19 avril, l’offensive ayant échoué, le ton est moins optimiste : « Nous avons eu des pertes, je vous raconterai tout cela lorsque j’irai en permission. » Le 24 avril : « Nous en avons tous marre car nous ne voyons que jamais cela finira. » Le 4 mai : « Comme nous sommes des régiments d’élite (les coloniaux), il faut que nous fassions plus d’attaques que les autres, mais je crois que cela ne va pas durer car on en a déjà tous marre et un de ces jours ça va barder. » La lettre du 7 mai signale que les prisonniers allemands disent eux aussi qu’ils en ont marre. « J’ai toujours espoir de revenir de cette guerre », conclut-il. Jules Fangeaud est tué trois jours plus tard.
Rémy Cazals, avril 2016

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Creugnet, Georges

La Lettre du Chemin des Dames de mars 2015 (n° 34) a publié des documents concernant les frères Fangeaud d’Oran. Georges Creugnet y figure (p. 19-20) comme l’auteur de lettres adressées à Émile Fangeaud à propos de la mort de son frère François (voir la notice François Fangeaud). Ces six lettres, du 9 janvier au 4 février 1915, sont un bon exemple de la façon de faire connaitre une mauvaise nouvelle avec des ménagements. Ainsi, le 9 janvier, annonce-t-il que François a été blessé et qu’il ira le voir à Soissons où il a été évacué. Le 12 janvier, il écrit qu’il vient d’aller voir François, que sa blessure « est affreuse ». Le 13 janvier, le blessé serait à la dernière extrémité, mais il reste encore un espoir. Les autres lettres reconnaissent finalement que François a été tué dans l’attaque du 8 janvier. Le 4 février, Creugnet ajoute à l’intention du jeune frère en âge de participer à la guerre : « Ne fais pas l’imbécilité de venir. » Il rejoint ainsi une expression de François dans sa dernière lettre à Émile : « Ne fais pas l’imbécilité d’être volontaire en quoi que ce soit. »
On sait seulement que Georges Creugnet, d’Alger, était le caporal de l’escouade de François Fangeaud.
Rémy Cazals

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Fangeaud, François (1893-1915)

Les trois frères Fangeaud, d’Oran, sont venus combattre en France. La Lettre du Chemin des Dames de mars 2015 (n° 34) a publié plusieurs documents les concernant, avec quelques photos (p. 16 à 23). Voir les notices Fangeaud Émile, Fangeaud Jules et Creugnet Georges.
François était commis postier vers 1910. En 1913, il faisait le service militaire dans le Génie à Montpellier. Après un séjour à Timgad, il s’embarque pour Marseille et arrive au 2e Génie vers Soissons. Il est tué le 8 janvier 1915 à Vauxrot, au premier jour de la bataille de Crouy.
Sa lettre du 9 décembre 1914 évoque la proximité des deux lignes ennemies et la peur éprouvée sous les balles et les obus. Le 25 décembre, il décrit un colonel donnant ordre à quelques soldats de sortir de la tranchée pour aller couper les fils de fer en préalable à une attaque : « Ils hésitent un peu car c’est la mort certaine qu’ils voient devant eux, le colonel leur renouvelle l’ordre et les menace de les faire fusiller sur le champ. » Les camarades sortent et sont fauchés par les mitrailleuses, de même qu’une deuxième équipe : « Notre attaque a complétement échoué et bénéfice net une centaine de blessés et une trentaine de morts. »
Le repas du 1er janvier, grâce aux colis reçus et mis en commun, apporte un dernier moment de joie. Le 7 janvier, il écrit à son frère Émile qu’il s’agit peut-être de sa dernière lettre car une attaque est prévue pour le lendemain « au petit jour » : « Je vois la peine que vous aurez s’il m’arrivait malheur, j’ai eu jusqu’à présent du courage et j’en aurai jusqu’au bout car je suis algérien et avant tout français et je tiens à défendre mon pays lâchement attaqué par cette maudite race teutonne. » Et il donne la liste des personnes à prévenir en cas de décès.
Il peut cependant écrire encore à son frère le lendemain matin : « J’en ai marre d’être dans les tranchées depuis près d’un mois sans y sortir ; ce n’est pas le filon et j’ai un conseil à te donner : si tu peux rester à Hussein-Dey, restes-y, ne fais pas l’imbécilité d’être volontaire en quoi que ce soit ; demande plutôt d’aller à Ghardaïa ou à Biskra que de venir en France, car le plus mal que tu puisses être dans le bled, tu seras bien mieux qu’à ma place car ce n’est plus une vie que nous menons, étant à chaque moment exposés aux plus grands dangers ; lorsque nous étions à Kouba, il nous tardait de partir, mais maintenant que l’on y est il nous tarde de revenir. »
La contradiction de ton entre les deux dernières lettres s’explique par le fait que celle du 7 janvier, destinée à être lue par toute la famille, doit conserver une dimension patriotique affichée. Celle du 8 décrit la réalité de la situation et des sentiments de François et s’adresse uniquement à son frère afin de lui donner des conseils de sauvegarde personnelle.
Une série de lettres de Georges Creugnet, camarade de François Fangeaud, adressées à Émile entre le 9 janvier et le 4 février 1915, constitue un bon exemple de la façon d’annoncer avec précaution une mauvaise nouvelle (voir la notice Creugnet). En fait, François Fangeaud a été tué sur le coup le 8 janvier vers 10 heures, au cours de l’attaque.
Rémy Cazals

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Duhamel, Marcel (1885-1970)

Quatorzième et dernier enfant d’une famille de cultivateurs normands demeurant à Brionne, dans l’Eure, Marcel Duhamel quitte très jeune sa famille pour aller travailler à Paris. En 1914, il est devenu propriétaire d’un magasin de cycles et motos situé dans le 17e arrondissement, au 16 de la rue Jouffroy.
Mobilisé le 3 août, célibataire, il doit fermer son magasin pour rejoindre le 22e Régiment d’artillerie à Versailles. Son grade de maréchal des logis lui permet d’être choisi comme agent de liaison cycliste pour l’état-major du groupe.
Débarqué à la gare de Laon, le régiment équipé de canons de 75 se dirige vers la frontière belge, jusqu’au pont de Solre-sur-Sambre atteint fin août. Commence ensuite la retraite harassante vers le sud jusqu’à Villers-Saint-Georges, près de Provins. À partir du 8 septembre, le régiment remonte vers le nord et s’arrête devant Berry-au-Bac, où il reste dix-sept jours. Se retrouvant sans directives après la mort de ses chefs, Marcel Duhamel laisse sa fonction de cycliste et prend d’autorité la place de chef de la 7e pièce (3 caissons, 18 hommes, 20 chevaux) de la 24e batterie.
D’octobre 1914 à mai 1915, il est cantonné dans le secteur de Suzanne-Maricourt, près de Péronne. Par amitié pour un brigadier, il accepte d’échanger sa place de chef de la 7e pièce pour devenir chef de la 3e pièce, à la batterie de tir. Une attaque contre les positions allemandes menée en décembre se solde par un échec. En mai 1915, il quitte ce secteur pour participer à l’offensive d’Artois. Dix des douze canons y seront détruits. En septembre 1915, il participe à l’offensive de Champagne et, en juillet 1916, à l’offensive de la Somme. Le 7 juillet, fortement commotionné et atteint de surdité, il est mis au repos dans une unité anti-aérienne.
C’est seulement à la fin de sa vie, vers 1968, que Marcel Duhamel rédige ses souvenirs des années 1914-1916 à la demande de son fils. Publié par la famille en 2014, le récit est complété de divers documents (photos, citation attribuée le 15 juillet 1916, carte retraçant l’itinéraire de son régiment). Rien n’est dit de ses années d’après-guerre sinon qu’en 1956 il était le président des Anciens Combattants de Brionne.
Le titre de la publication, Ça jamais, mon Lieutenant !, reprend un cri du cœur exprimé par Marcel Duhamel pendant la retraite de 1914 : un lieutenant lui demandait d’utiliser son revolver pour empêcher les fantassins (épuisés de fatigue et ne pouvant plus marcher) de s’asseoir sur les caissons de l’artillerie tirés par des chevaux ; certains s’endormaient, tombaient et passaient sous les roues des voitures suivantes. La réponse vigoureuse de Marcel Duhamel décontenança le lieutenant. La description de la retraite rapportant l’épuisement des hommes et des chevaux, le manque de ravitaillement et de sommeil, les villages incendiés, correspond au témoignage donné par Paul Lintier, maréchal des logis au 44e RAC, dans Ma pièce.
Plusieurs remarques mentionnent les souffrances endurées par « les pauvres fantassins » ; ainsi, pour réconforter un canonnier : « Je le consolai de mon mieux et lui remontai le moral en lui faisant valoir la chance qu’il avait de ne pas avoir été versé dans l’infanterie ». Il note l’efficacité du matériel allemand, comme les obus explosifs, ou l’importance du réseau de barbelés que les Allemands mettent en place la nuit en toute sécurité contrairement aux Français, vite repérés par les fusées éclairantes allemandes. Il relate un malheureux tir, qui a tué un fantassin français dans la tranchée de première ligne ; l’erreur résultait de ce que les obus, à poids égal, n’avaient pas tous la même puissance de tir selon qu’ils provenaient de tel ou tel fournisseur. À la fin de ses souvenirs, il ironise sur les officiers qui restaient dans leurs abris pendant les canonnades, et s’indigne de l’attribution des médailles à des soldats non méritants : « Puis j’ajoutai que, de ce jour, je considérais que la Croix de Guerre avait été instituée, non pour récompenser, mais pour décourager les meilleures volontés. »
Issu du monde rural, Marcel Duhamel a conservé un regard bienveillant sur les vaches ou les chevaux, et note l’intelligence d’un cheval rentré seul aux échelons, signalant ainsi la mort du lieutenant qui le montait.

* Marcel Duhamel, ça jamais, mon Lieutenant ! Guerre 1914-1918, Paris, L’Harmattan, « Mémoires du XXe siècle – Première Guerre mondiale », 2014, 77 p.

Isabelle Jeger, avril 2016

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Planté, Alban (1882-1919)

Né à Valence-sur-Baïse (Gers), le 16 avril 1882. Études au séminaire d’Auch. Curé de Margouet-Meymes. Nommé à Cassaigne le 18 avril 1914, il ne peut occuper son poste que pendant quelques mois car il est mobilisé et affecté à la 17e section d’infirmiers militaires de la 67e division de réserve (celle du docteur Voivenel, voir ce nom).
Henri Faget a retrouvé dans sa famille et autour les lettres envoyées à ses paroissiens notables par le curé devenu soldat (« déguisé en soldat », comme il le dit lui-même dans sa lettre du 28 août 1914, lettre qui demande aussi des nouvelles de « Monsieur Maurice », Maurice Faget, fils de ses correspondants principaux, et père d’Henri). Voir la notice Faget Maurice. Les lettres sont réunies dans un petit livre à compte d’auteur d’Henri Faget, publié sous le titre Alban Planté, Lettres d’un prêtre-soldat à ses paroissiens, avril 1914-décembre 1916, chez l’auteur (henri.faget459@orange.fr), 2014, 102 p.
Dans ses lettres, le curé emploie un ton de respectueuse et amicale plaisanterie. Il se préoccupe de la décoration de sa chère église ; il lance quelques piques à certains confrères à propos du denier du culte. Il demande l’envoi de son calice pour pouvoir dire la messe, mais il doit y renoncer car le paquet risquerait de s’égarer. De Cassaigne, ces dames lui envoient une étrenne qu’il utilise pour venir en aide à une famille éprouvée (p. 46 et 50). Lors des grandes fêtes chrétiennes, il adresse des lettres pastorales à ses paroissiens pour les réconforter.
Au début de la guerre, il passe quelque temps à Toulouse (p. 10), mais il arrive à Suippes en Champagne le 16 août, il gagne l’Argonne, puis se replie vers Verdun avant que la victoire de la Marne ne rétablisse la situation (p. 88). Il écrit : « Les services de la voirie n’ont plus de secrets pour moi, puisque j’ai passé un peu par tous : j’ai raclé la boue, cassé des cailloux, curé des fossés, enlevé des fumiers, déchargé du sable et du ciment, charrié du gravier avec la brouette pour la reconstruction d’un pont. […] Enfin, le 8 décembre, j’étais à ma grande joie affecté comme infirmier-major à la salle des fiévreux dans notre ambulance de Sommedieue. » Il lui arrive de dormir dans un grenier infesté de souris et de rats (p. 30-31), mais il est souvent accueilli dans des couvents (p. 20 et 38) car « les bonnes sœurs n’ont pas voulu que je couche dans le foin ».
Les lettres contiennent une fois l’expression « maudite guerre » (13 novembre 1914, p. 30), et reconnaissent l’existence du « cafard » qui est l’équivalent du spleen ou de l’ennui (p. 35). Mais il ne cesse de dire que la santé morale de l’armée est bonne (30 octobre 1914), que les soldats sont étonnants d’enthousiasme (17 janvier 1915), alors que les Allemands connaissent la faim (d’après la lettre d’un prisonnier qui aurait écrit : « assi lou pan coummenço à manca »). D’un autre côté, c’est Dieu qui dirige les opérations : « les fautes de la France pèsent bien lourd dans un plateau de la balance de Dieu », mais cela peut être compensé par les pleurs, les prières, les sacrifices (p. 25). Dans tous les cas, le Christ aime les Francs (p. 43) et Dieu ne voudra pas imposer à la France des épreuves trop dures (p. 47). Quant à la religion, « elle nous réconforte en ce sens qu’elle nous apprend à accepter la souffrance de la main de Dieu (p. 49).
La lettre pastorale pour être lue le 25 décembre 1915 (p. 75-80) revient sur « le courage incontestable de nos valeureux soldats et le génie incontesté des chefs qui les commandent ». Elle expose les raisons de ne pas faire la paix « dans l’état actuel des choses » et elle souhaite « que notre Patrie sorte de l’épreuve actuelle grandie moralement aux yeux du monde entier ».
La lettre du 5 avril 1916 est envoyée de Dax où le curé Planté est soigné par les Pères Lazaristes. Son état de santé s’est dégradé à un tel point qu’il a été évacué. De là, il s’insurge contre la « rumeur infâme » exposée par un journal de Toulouse (La Dépêche, dont il ne cite pas le titre) qui prétend que les prêtres ne font pas leur devoir militaire de Français. « Tous les prêtres-soldats de France ont magnifiquement rempli jusqu’au bout le rôle qui leur a été départi au début de la campagne. » Que les journalistes qui font la guerre à Toulouse viennent passer quelque temps dans les tranchées !
La dernière lettre retrouvée, de décembre 1916, envoyée aux paroissiens, évoque son départ pour l’armée d’Orient. Il en profite pour faire l’histoire des premières années du siècle, ouvertes par l’Exposition universelle et les affirmations de « Science, Civilisation, Progrès ». Mais « la principale préoccupation était le plaisir ». Puis on a voulu chasser les congrégations et imposer la loi de Séparation « pour étrangler l’Église de France ». C’est le danger de la Patrie et la guerre qui ont fait retrouver l’union.
Henri Faget nous informe qu’aucune autre lettre n’a été retrouvée. Revenu à son presbytère de Cassaigne, Alban Planté y est mort le 5 avril 1919.
Rémy Cazals, avril 2016

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Gavrilenko, Stéphane Ivanovitch (18..-1968)

Originaire de Taranov, village cosaque du Kouban. Caporal dans le corps expéditionnaire russe envoyé combattre en France en 1916. Il avait une certaine instruction lui permettant de rédiger un carnet bien développé, d’écrire des poèmes et une courte pièce de théâtre. D’après Rémi Adam, il serait le seul homme de cette troupe dont les carnets de guerre nous sont parvenus. Il s’agit de trois cahiers qui rendent compte de la période du 1er janvier 1916 au 27 mai 1917 ; la pièce de théâtre est datée de l’automne 1917. Ces textes montrent l’évolution de sa pensée, depuis une adhésion totale au tsar jusqu’à la révolte. Le texte, traduit du russe, est présenté par Rémi Adam, avec l’aide de Jean Gavrilenko, fils de l’auteur : Rémi Adam, Le journal de Stéphane Ivanovitch Gavrilenko, Un soldat russe en France 1916-1917, Toulouse, Privat, collection « Destins de la Grande Guerre », 2014, 189 pages, illustrations.
Rémi Adam donne d’abord une introduction « didactique » sur l’histoire du corps expéditionnaire russe : sa formation ; le voyage, l’arrivée en France, le front ; la chute du régime tsariste ; l’offensive d’avril 1917 et la décomposition du corps expéditionnaire ; la manifestation du 1er mai 1917.
La première partie du journal concerne le voyage de Saratov au camp de Mailly (43 pages du livre) : « l’immense Sibérie » ; les traces de la guerre russo-japonaise en Extrême-Orient ; le périple en mer ; les rues de Colombo ; la mer Rouge ; le canal de Suez. On assiste à des manifestations de fidélité au tsar (« Longue vie à Sa Majesté Impériale Nicolas Alexandrovitch ») ; on chante à la messe avec ardeur. Le 12 avril, le bateau arrive en France, et les Russes reçoivent un accueil chaleureux de « la merveilleuse Marseille ». Puis c’est en chemin de fer qu’ils découvrent la « beauté » et la « splendeur » de la France, toujours ovationnés par la population. Le 15 avril, au camp de Mailly, il note : « Nous n’avions aucune envie de sortir de ce rêve féerique qu’avait été notre voyage. »
La période qui va jusqu’en février 1917 constitue une seconde partie. Peu après l’arrivée à Mailly, on célèbre par une parade la fête patronymique de Sa Majesté l’Impératrice Alexandra Feodorovna, puis une visite de Poincaré, puis encore « le jour du couronnement de Leurs Majestés Impériales », et la fête de la Sainte-Trinité. Mais un poème de mai 1916 est consacré à la triste mort d’un soldat russe « en terre étrangère » et un autre aux belles années de sa jeunesse qui « sont restées en Russie ». Des descriptions plus terre à terre sont également présentes : les maisons closes près du camp ; les exercices, les vaccinations ; l’attribution de marraines de guerre ; le système des tranchées, les bombardements, les attaques. La période est entrecoupée par un séjour à Paris autour du 14 juillet. Les Russes font du tourisme, découvrent le métro et le tombeau de Napoléon. La fin de 1916 est marquée par des critiques de plus en plus dures des officiers, lâches et brutaux, et des Français qui traitent les Russes comme des chiens (p. 127). Dès lors, un poème dit clairement « On en a marre ». Il faut fêter Noël en pays étranger, loin de sa famille, pour mener une « guerre ruineuse et insensée » (p. 130). En février, il s’élève contre les chefs, buveurs du sang des soldats.
Lorsque les soldats russes en France apprennent l’abdication du tsar, celui-ci n’est plus « Sa Majesté Impériale » mais « le souverain russe Nicolas II ». Pour Stéphane Ivanovitch, le gouvernement provisoire « s’efforce d’établir pour les Russes la liberté et la citoyenneté ». « Un tel événement nous causa de la joie. Nos chefs au contraire étaient mécontents à un point qu’on ne peut décrire. » Ces derniers doivent s’incliner devant le comité de soldats qui prend position contre les punitions. L’offensive désastreuse du 16 avril aggrave le mécontentement. Les comités réussissent à organiser une grande manifestation, le 1er mai, où les orateurs, simples soldats, exaltent la liberté de la Russie et obligent un colonel à demander pardon pour son attitude passée. Le 17 mai, lorsqu’on leur donne l’ordre de reprendre les exercices avant de retourner au combat, les comités décident de ne pas obéir « aussi longtemps qu’on n’aurait pas amélioré les conditions de vie du soldat et ses lieux de cantonnement ».
Le journal de Stéphane Ivanovitch ne va pas au-delà du 27 mai ; la courte pièce de théâtre qu’il a écrite et qui a été jouée devant ses camarades à l’automne 1917 se termine pas ces mots « Défends à fond ton comité ».
« En guise d’épilogue », Rémi Adam évoque le corps expéditionnaire russe après la révolte du 1er mai 1917, la mutinerie du camp de La Courtine et sa répression, le devenir des soldats russes. Stéphane Ivanovitch accepte de travailler en France comme cultivateur en Haute-Saône. Le rapatriement est tardif. Gavrilenko reste en France, se marie et devient ébéniste dans la région de Belfort. En 1967, avec son fils, il peut retourner pour la première fois au Kouban où il rencontre des membres de sa famille. Il meurt en janvier 1968.
Rémy Cazals, avril 2016

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Bergey, Daniel Vivien Michel (1881-1950)

Né le 19 avril 1881 à Saint-Trélody, près de Lesparre, dans le Médoc, département de la Gironde. Fils d’un bordier (salarié agricole) et d’une domestique. Vicaire de son oncle à Saint-Émilion en 1906, il lui succèdera comme curé en 1920 et le restera jusqu’à sa mort. Avant 1914, militant actif contre la loi de Séparation des Églises et de l’État et contre la franc-maçonnerie. Aumônier à la 36e DI pendant la guerre, blessé en janvier 1915 sur le Chemin des Dames. Créateur, principal auteur et éditeur du journal de liaison des poilus de Saint-Émilion et des environs (au sens large), Le Poilu St Émilionnais. Le premier numéro du journal n’est pas daté ; la première date apparaît avec le numéro 4, le 3 juillet 1915 ; son « tirage intermittent » le porte jusqu’en février-mars 1919, numéro qui annonce sa « mort joyeuse » puisque les combats ont cessé.
Le journal contient d’abord une série d’articles de fond, la plupart écrits par l’abbé Bergey lui-même. Ils établissent les bases du patriotisme ; ils défendent la famille et toutes les valeurs chrétiennes. Si certaines choses vont mal dans la guerre, ce n’est pas de la faute des chefs militaires, mais des hommes politiques. Amour de Dieu et Amour de la France ! Honneur au poilu et Honte aux embusqués ! On donne des nouvelles des poilus, vivants, blessés, prisonniers, et de la vie à Saint-Émilion. On signale les morts, en reproduisant parfois leur photo. Pour faire supporter les mauvaises conditions de vie pendant la guerre, des articles disent « mort au cafard ». On plaisante sur la nourriture et la boisson. À partir du n° 7, du 25 octobre 1915, le dessin-titre en première page montre un poilu agitant une bouteille de saint-émilion vers les lignes ennemies où les Boches paraissent prêts à se rendre pour venir en boire (variante du thème des Allemands qui se rendent pour une tartine de confiture). Des caricatures agrémentent les pages, ainsi que de petites histoires à l’humour appliqué signées de pseudonymes hilarants comme K. Lotin ou K. Rafon (on trouve même Bismuth comme pseudonyme !). À partir de Noël 1917, apparaissent des textes en basque, en patois béarnais et en patois du Médoc, mais la grande majorité des pages sont en français.
Ce journal conçu sur le front peut-il être qualifié de « journal de tranchée » ? D’une part, il est imprimé, et bien imprimé, à Bordeaux. D’autre part, si on estime son tirage à 200 exemplaires d’abord, puis peut-être 500, on ignore s’il était principalement lu dans les tranchées ou du côté de Saint-Émilion. On ne distingue sur les pages aucune trace de censure extérieure mais, bien sûr, l’autocensure du rédacteur est évidente. Il ne dit rien qui puisse fâcher les autorités militaires et il ne parle surtout pas des mécontentements profonds des soldats et des mutineries.
C’est une initiative très originale de la mairie de Saint-Émilion (Gironde) que d’avoir réuni en un volume de format 21 x 27 la collection complète en fac-similé du journal du front édité par l’abbé Bergey de 1915 à 1919, ainsi que ses suppléments Nos Filleuls et Le Rayon. Le livre a pour titre Le Poilu Saint-Émilionnais, présenté par Mireille Lucu, Saint-Quentin-de-Baron/Saint-Émilion, Les Éditions de l’Entre-deux-Mers/Ville de Saint-Émilion, 2014, 460 p. Le livre est présenté par un texte de 55 pages de Mireille Lucu, agrégée d’histoire. Il est bien documenté sur l’histoire locale de Saint-Émilion et sur la 36e DI en guerre, résumé qui n’occulte pas les mutineries de 1917. Le projet a reçu le label et le soutien de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale.
Rémy Cazals, mars 2016

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