Tout témoignage, même très conformiste et soumis sans esprit critique à une intense propagande conservatrice, patriotique et catholique, doit être pris en considération à condition d’en connaître le contexte. Celui des carnets d’Anne-Marie Platel est donné dans la présentation générale de Magali Domain au livre Mes années de guerre 1914-1919, aux éditions du Camp du Drap d’Or, Balinghem, 2018, 317 p., encart de 8 pages de photos. Cette présentation, sur 18 pages, très complète, rend possible une lecture en survol du témoignage lui-même.
Anne-Marie est née à Lille en 1897, fille aînée d’un industriel de Calais. Etudes chez les Ursulines. Elle demeure pendant la guerre à Calais (bombardée par avions et zeppelins) ou dans la résidence secondaire de Polincove, puis à Rennes à partir de l’automne 1917. Elle écrit sur de petits carnets dont le contenu n’était pas destiné à la publication, même s’ils ne contiennent rien d’intime. Elle restitue les informations données par L’Echo de Paris et La Croix ; elle en reçoit des officiers belges qui logent à Calais ; elle suit la marche des drapeaux sur une carte du front affichée par son père. L’épisode qu’elle décrit précisément est le bombardement du dépôt de munitions des Anglais à Audruicq dans la nuit du 20 au 21 juillet 1916. Du début à la fin, elle reste convaincue que la guerre menée par les Français, une juste guerre, sera victorieuse. Le 8 janvier 1917, s’interrogeant sur l’avenir, qui n’appartient qu’à Dieu, elle écrit : « Nous avons grand espoir que ce sera l’année de la victoire décisive de la Justice et du Droit sur la Barbarie et le Mensonge. » Et le 11 novembre 1918 est « le jour de Gloire ».
Les notations sur le début de la guerre évoquent la panique vers les banques et les épiceries. Les réclames de Kub et de Maggi sont des signaux placés par l’espionnage allemand. Avec cette note complémentaire (20 août 1914) : « La ruse du bouillon Kub et des potages Maggi était connue de l’état-major depuis 2 ans. Ils ont toujours fermé les yeux, laissant les Allemands compter dessus. Ceux-ci auraient pu, se voyant découverts, inventer autre chose qui nous aurait peut-être échappé. Ils ont donc fait semblant de rien et aussitôt la déclaration de guerre tout s’est trouvé arraché. A trompeur, trompeur et demi. » De plus, les Français possèdent cette poudre miracle qu’est la turpinite. Les Allemands ne tiendront pas car ils meurent de faim ; les Russes vont de victoire en victoire. Mais (26 août 1914), la France anticléricale avait besoin d’une punition. Elle l’a eue.
Par la suite, Anne-Marie signale le début de la bataille de Verdun (25 février 1916), les troubles en Irlande provoqués par les Boches (28 avril 1916), l’abdication du tsar (17 mars 1917), le recul des Allemands ce même mois, signe de déroute, l’offensive du 16 avril, la nomination des très catholiques généraux Foch et Pétain, le « monstrueux canon » qui bombarde Paris (30 mars 1918). Le 12 novembre 1917, Anne-Marie écrit que la victoire des maximalistes est ce qui peut arriver de pire à la Russie. Et le 2 décembre : « Les chefs du parti maximaliste sont Lénine et Trotski – de purs Boches dont la véritable identité est « von » quelque chose. » Malvy et Caillaux sont des traîtres. Un passage du 12 décembre 1917 mérite d’être largement cité : « Il [Caillaux] projetait de décider l’Italie à signer une paix séparée, puis, pensant arriver promptement au pouvoir, entraîner notre France dans cette déchéance et former une alliance avec l’Italie et l’Allemagne contre l’Angleterre et la Russie ! Il avait déjà conçu ces plans avant la guerre, et pour empêcher le perspicace et énergique Calmette qui avait vu clair dans son jeu, d’en signaler le danger, sa femme ne recula pas devant le crime monstrueux dont le retentissement fut étouffé par la grande catastrophe qui fondait sur le monde. Dernièrement, il fit une criminelle propagande en Italie, qui contribua en grande partie aux douloureuses défaites de ses armées. Enfin le voilà pris, il a beau se défendre en discours et en tirades, le « Tigre » Clemenceau est là pour faire la justice de ce traître qui, pendant que nos soldats se battaient généreusement, leur tirait dans le dos ! »
Rémy Cazals, avril 2019
Bauchond, Maurice (1877-1941)
1. Le témoin
Maurice Bauchond est un notable valenciennois, un érudit passionné d’Histoire de l’Art qui exerce la profession d’avocat. Âgé de 37 ans à la mobilisation, il est exempté à cause d’une forte myopie mais sert en août 1914 comme infirmier civil de la Croix-Rouge. Habitant avec sa mère, il vit toute l’occupation au centre-ville de Valenciennes; Il ne se marie qu’en 1922 et est après la guerre un des principaux animateurs du cercle Archéologique et Historique de la ville.
2. Le témoignage
Les «Souvenirs de l’invasion » de Maurice Bauchond, un journal d’occupation qui tient à l’origine en 500 pages d’écriture serrée, ont été publiés sous le titre Vivre à Valenciennes sous l’occupation allemande 1914 – 1918, Journal de l’avocat Maurice Bauchond, 374 pages, parution au Cercle archéologique et historique de Valenciennes Tome XIV – Volume 1 – 2018. L’ouvrage est édité, annoté et présenté par Philippe Guignet, Professeur émérite de l’Université de Lille et spécialiste d’Histoire Moderne. La préface, qui situe ce témoignage par rapport à l’historiographie actuelle, est rédigée par Yves Le Maner. L’édition, supprimant redites et longueurs, ne reprend pas l’intégralité du manuscrit, qui lui-même est muet pour l’année 1915. La publication, soignée, est accompagnée de photographies et de reproductions de documents locaux d’époque, ainsi que de 700 notes érudites, très utiles pour la connaissance du valenciennois pendant la guerre.
3. Le témoin
Ce journal d’occupation décrit, du point de vue d’un bourgeois local, les grandes phases de l’occupation, qui vont de l’incrédulité à la fin de l’été 1914, à l’apprentissage des relations avec les envahisseurs (logement, règlementation, réquisitions, alimentation…) puis à l’aggravation de la situation en 1917 (pénuries, disettes, amendes répétées) et 1918 (bombardements aériens, rapprochement de la bataille). Le diariste évoque les nouvelles, les anecdotes de l’occupation et ses propres relations avec les Allemands. Il les fréquente d’abord comme infirmier civil, puis évoque surtout à partir de 1916 ses responsabilités d’interlocuteur français des occupants dans le domaine des beaux-arts et de la préservation du patrimoine.
Les rumeurs
Le journal reprend presque quotidiennement les nouvelles, qui sont basées sur les conversations avec les connaissances de l’hôpital, du Palais – où il semble plaider rarement -, du musée ou de la Caisse d’Epargne, où il exerce des responsabilités. L’auteur recueille aussi des informations dans les journaux français, que l’on trouve encore au début de l’occupation, puis dans la presse allemande et le communiqué officiel. L’auteur évoque nombre de bruits et de on-dit, souvent faux, à un degré plus ou moins étendu : c’est le règne de la rumeur, à laquelle on ne croit qu’à moitié, souvent précédée de « on raconte » ou « on dit que », caractéristique des journaux d’occupation, surtout quand le front est actif. Il évoque par exemple en octobre 1914 (p. 89) une victoire française à Cassel « des troupes françaises massées au Mont-Cassel auraient canardé presque au sortir des trains les troupes allemandes en marche vers la côte.» ou p. 97 « on raconte que le Kronprinz est mort, que son corps a été autopsié par deux médecins allemands et un médecin belge, on aurait découvert qu’il avait été frappé par une balle allemande. » En général, les éléments rapportés par l’auteur sont plus proches des faits réels, mais la vérité émerge toujours avec un retard important.
Les pénuries, les privations
M. Bauchond évoque les pénuries, les réquisitions et les privations, mais en bourgeois aisé, il n’en souffre pas lui-même. Curieusement, il a tendance à plusieurs reprises à minorer les souffrances alimentaires des populations civiles, comme en mars 1916 (p. 158), «depuis 18 mois, le conseil municipal annonce à la population qu’on va être affamé et depuis 18 mois, on ne manque de rien, du nécessaire pour le moins. » Certes le ravitaillement de Valenciennes est meilleur durant la guerre qu’à Lille ou Douai, mais l’auteur, qui fréquente surtout un « entre-soi » social et reste au centre-ville, est peu sensible aux lourdes difficultés de la vie quotidienne des couches populaires, notamment des femmes de mobilisés. Plus averti des privations en 1917, il évoque (p. 256) une « Affiche étrange du maire conseillant de bien mastiquer les aliments et de les tenir longtemps dans la bouche avant de les avaler. »: il n’y a rien là d’étrange quand on sait ce qu’est la faim, et on peut faire la même remarque avec le terme « curieux » en mars 1917 (p. 262) « On assiste parfois à des scènes curieuses. Lorsque les soldats rentrent du charbon dans les bureaux allemands, c’est une foule de malheureux, hommes, femmes, enfants qui viennent quémander quelques morceaux, ils ont des seaux ; les soldats les remplissent. Ces jours-ci, j’ai assisté plusieurs fois à ce spectacle. » On le voit, cette distance sociale n’exclut pas l’empathie.
La protection du patrimoine
L’auteur évoque à de nombreuses reprises en 1917 et 1918 ses fonctions de co-responsable du Musée des Beaux-Arts, il doit réceptionner une série d’œuvres, issues des abords du front, et qui sont envoyées à l’arrière par précaution. Il reçoit par exemple des toiles venant du château de Saint-Léger-les-Croisilles (front au sud d’Arras, p. 215), de Cambrai ou de Lille; il explique en juin 1917 (p. 283) que « La ville reçoit un avis de l’inspection des étapes, le musée recevra la garde des objets d’art du front. Des salles du musée devront être à la disposition de l’autorité allemande pour les exposer. » Expert local et interlocuteur des spécialistes allemands, il négocie la préservation de quelques cuivres artistiques et de ferronneries d’art lors des réquisitions de métaux (p. 289) : « Sur ma demande, M. Burg se rend encore dans plusieurs maisons pour déconsigner des cuivres artistiques. » Avocat, il plaide la cause d’un certain nombre de cloches de la ville, justifiant leur sauvegarde par leur caractère patrimonial original et précieux : la plupart de celles de l’agglomération sont saisies, mais, dans le cadre d’une négociation, il réussit à en sauver un certain nombre, (p. 305) « J’ai pu sauver la cloche de l’heure de l’hôtel de ville dont on avait commencé l’enlèvement ».
Une relation particulière avec les Allemands
Les officiers-experts qui s’occupent du Musée et des œuvres sont cultivés et francophones, et P. Guignet souligne dans sa présentation « l’évidente jubilation que M. Bauchond éprouve à s’entretenir avec eux d’histoire et d’histoire de l’art » (p. 22). On peut par exemple citer ce passage d’emploi du temps assez représentatif (août-septembre 1917, p. 300) : « Au musée, le baron von Adeln procède à un nouveau rangement de toutes les salles ; il est très correct et très aimable avec moi et me raconte volontiers des anecdotes de sa vie. (…) Quelques visites d’officiers importants au musée ; visite du professeur Goldschmidt de l’Université de Berlin, auquel je suis présenté. Il examine les primitifs et les manuscrits carolingiens. ». Si, cédant à un anachronisme tentant, Y. Le Maner évoque les situations d’accommodement décrite par P. Burrin pour 1940-1944, P. Guignet parle malicieusement d’une attitude bavarde, aux antipodes de celle des hôtes français du « Silence de la mer » de Vercors. Cédant à ce même anachronisme, il nous est difficile de ne pas penser aux ennuis – mesurés – que l’auteur aurait probablement eus en 1944. Reste qu’après la guerre – la Grande – on lui sait gré de son action en faveur du patrimoine valenciennois.
Un bourgeois pacifiste
M. Bauchond est un pacifiste, il déteste la guerre et le dit du début à la fin du conflit, par exemple le 13 septembre 1914 (p. 59) : «Comme nous désirons de tout cœur et ardemment la victoire des Français. Mais on ne peut souhaiter la mort de ces pauvres gens [les soldats allemands]. Oh non ! Le patriotisme bien entendu n’entraîne pas la haine. Que la guerre est donc odieuse ! » Il souligne à plusieurs reprises la correction des Allemands logés en ville, déclare qu’il a toujours vu le soldat allemand sans haine (janvier 1916), et qu’il déteste les jusqu’au-boutistes, « suppôts de l’Action française et autres journaux nationalistes » (p. 193), et « Maurice Barrès et sa bande ». Lors de ses conversations, il est souvent obligé de taire ses opinions modérées avec ceux qu’il rencontre, et si on ajoute la mention fréquente de valenciennois détestant l’occupant, l’auteur apparaît plutôt isolé. Il rapporte ainsi une rencontre avec un de ces « nationalistes», personne qui par ailleurs fait preuve d’une étonnante clairvoyance chronologique (11 novembre 1916, p. 224) : « Rencontre d’Albert Carlier : quel fougueux nationaliste et quel esprit dangereux ! Pour lui, la guerre durera encore deux ans au moins et ne peut se terminer que par l’écrasement total d’un des adversaires, dût-on tous périr de chagrin. […] Et dire que ces gens se croient des chrétiens. »
L’Alsace- Lorraine
Pour hâter la fin du conflit, et dans cette même logique d’apaisement international, l’auteur mentionne à plusieurs reprises son désintérêt pour la récupération de l’Alsace-Lorraine, et il évoque son hostilité avec ceux qui en font un préalable à toute paix ; il le dit en 1916 (p. 165) : «surtout que les Alsaciens-Lorrains ne désiraient pour la plupart rien moins que le retour à la France. » Il le reformule en 1917 (p. 303) à l’occasion d’ouvertures de l’Alliance «Va-t-on sacrifier quelques millions d’hommes pour récupérer une province qui n’est pas française et que l’on sait si peu désireuse de le redevenir que l’on craint de confier la décision au sort d’un plébiscite.». Le thème revient encore au début de 1918 (p. 311) : «L’Alsace-Lorraine toujours : ce brandon de discorde se dresse toujours bêtement pour continuer à faire tuer des gens qui s’en fichent pas mal. »
Les opérations autour de Valenciennes en 1918
La ville est de plus en plus frappée par les attaques aériennes anglaises en 1918, et le récit évoque les alertes, les quartiers frappés, les victimes. A l’automne, le front se rapproche, et l’auteur narre le déménagement par les Allemands de tous les objets du musée pour les mettre en sécurité à Bruxelles. En octobre la bataille de l’Escaut est violente, et – outre ceux qui ont été évacués de force – beaucoup d’habitant essaient de fuir vers la Belgique. Le diariste raconte que son départ à pied a été remis car la poussette chargée de ses bagages était beaucoup trop lourde. Il se claquemure chez lui en attendant les Anglais (15 octobre 1918, p. 343) : «Il revient énormément d’évacués. Tous sont d’accord pour décrire la misère terrible de la route : gens malades, ravitaillement impossible, logements difficiles, accidents, poussettes cassées, membres brisés, enfants égarés, plusieurs blessés et même quelques morts. ». C’est le samedi 2 novembre à 8 heures du matin qu’une clameur l’alerte : « Voilà les Anglais ! »
En définitive, comment replacer ce témoignage singulier, comment évaluer sa représentativité ? P. Guignet et Y. Le Maner soulignent les discordances avec une certaine « vulgate historiographique » de l’occupation, passée comme récente ; le pacifisme foncier de M. Bauchond, attitude rare au sein de la bourgeoisie, le rapprocherait plutôt de la gauche socialiste, mais on a vu qu’en fait il en est très loin, à la fois par son statut de notable traditionnel et par son manque d’intérêt pour les conditions de vie réelles de la majorité de la population. Par ailleurs, son insistance sur l’Alsace-Lorraine le singularise également ; ce n’est pas que les autres diaristes, occupés comme soldats du front originaires du Nord, soient pour ou contre son retour, mais ils n’en parlent en fait pratiquement jamais : pour eux, ce qui compte, c’est avant tout que les Allemands soient chassés des « Régions envahies», celles de 1914.
Vincent Suard, mars 2019
Vernier, Alphonse (1897-1969)
Le livre de Bernard Vernier, La Guerre comme spectacle et comme réalité, est sous-titré Journal à deux voix de Magdeleine Lambin-Hassebroucq et de son fils Alphonse Vernier dans Comines occupée 1914-1917 (Paris, L’Harmattan, 2018, 642 p. + 16 p. d’illustrations quadri reproduisant des pages des carnets originaux). La petite ville de Comines (département du Nord) se trouve sur la Lys, juste à la frontière belge, très proche du front pendant la guerre (croquis p. 62-63). Passage incessant de troupes allemandes, de prisonniers français, anglais et même russes, à qui les habitants donnent quelque nourriture. Les témoins s’étonnent de passer des « soirées tranquilles » si près des combats (p. 133, 26 avril 1915). Les deux témoins étaient chacun au courant de l’existence du journal de l’autre ; les deux avaient commencé à écrire avant la guerre. La masse documentaire était trop importante pour être intégralement publiée ; un choix rationnel a été effectué. Cette brève notice ne peut donner qu’une idée très insuffisante de la richesse de ces deux témoignages. Ils débutent le samedi 1er août 1914 et vont jusqu’au 29 mai 1917, date de l’évacuation des habitants de Comines vers Waregem. Avant-propos long et précis de Bernard Vernier, fils d’Alphonse et petit-fils de Magdeleine.
Voir la notice Hassebroucq, Magdeleine (1874-1951).
Alphonse Vernier est né le 6 octobre 1897, après la mort de son père. Famille très catholique d’industriels. Etudes chez les jésuites. Ses propos pendant la guerre dénotent un garçon très conservateur, hostile aux dreyfusards, au général André, au nouveau ministère de mars 1917 : « Le dégoût nous prend à lire la liste des nouveaux ministres en France. Quel sale ministère ! » « Précocement politisé à droite », écrit Bernard Vernier dans son avant-propos. Il a beaucoup de goût pour le dessin et la peinture ; il deviendra artiste peintre. Ses carnets sont illustrés de dessins.
Pendant la guerre, il prend place souvent dans le grenier de la maison de sa grand-mère pour observer, pour contempler le spectacle extraordinaire qu’est la guerre. Il signale tous les bombardements, allant jusqu’à compter les obus qui tombent sur Comines. Surtout, il est passionné par l’apparition des avions et les combats aériens : « Je suis resté longuement au grenier à regarder évoluer les aéros » (2 novembre 1916). Il décrit les divers types d’appareils, leurs performances, les progrès réalisés. Il note les nouveaux modèles, les façons de combattre dans le ciel. Le 27 février 1917, par exemple, il admire les biplans Fokker qui sont un progrès « comme rayon d’action et ils tirent par devant ! Espérons que de notre côté les progrès n’ont pas été moindres sinon nous aurons un été funeste à notre aviation. »
Rémy Cazals, février 2019
Hassebroucq, Magdeleine (1874-1951)
Le livre de Bernard Vernier, La Guerre comme spectacle et comme réalité, est sous-titré Journal à deux voix de Magdeleine Lambin-Hassebroucq et de son fils Alphonse Vernier dans Comines occupée 1914-1917 (Paris, L’Harmattan, 2018, 642 p. + 16 p. d’illustrations quadri reproduisant des pages des carnets originaux). La petite ville de Comines (département du Nord) se trouve sur la Lys, juste à la frontière belge, très proche du front pendant la guerre (croquis p. 62-63). Passage incessant de troupes allemandes, de prisonniers français, anglais et même russes, à qui les habitants donnent quelque nourriture. Les témoins s’étonnent de passer des « soirées tranquilles » si près des combats (p. 133, 26 avril 1915). Les deux témoins étaient chacun au courant de l’existence du journal de l’autre ; les deux avaient commencé à écrire avant la guerre. La masse documentaire était trop importante pour être intégralement publiée ; un choix rationnel a été effectué. Cette brève notice ne peut donner qu’une idée très insuffisante de la richesse de ces deux témoignages. Ils débutent le samedi 1er août 1914 et vont jusqu’au 29 mai 1917, date de l’évacuation des habitants de Comines vers Waregem. Avant-propos long et précis de Bernard Vernier, fils d’Alphonse et petit-fils de Magdeleine.
Voir la notice Vernier Alphonse (1897-1969).
Magdeleine Hassebroucq est née en 1874 dans une famille d’industriels du textile. Elle a fait ses études chez les Bernardines et est restée catholique très pratiquante. Pendant la guerre, elle exprime son horreur de voir que l’église devra être partagée entre offices catholiques et culte protestant. Elle critique la République anticléricale et souhaite que la France retrouve sa place de fille aînée de l’Église. Le maire, de gauche, est systématiquement critiqué et traité de « canaille ».Certains propos de Magdeleine ont une dimension antisémite, caractéristique de la droite de l’époque. Membre de la Conférence de St Vincent de Paul, elle fait des études d’infirmière qui vont lui servir pendant la guerre. Amie de Louise de Bettignies, rencontrée à plusieurs reprises à Lourdes.
En 1896 elle a épousé Alphonse Vernier appartenant au même milieu et en a eu un fils également prénommé Alphonse. Son mari meurt en 1897. En 1907, elle se remarie avec Louis Lambin, d’une famille de notaires et de rentiers.
Très tôt, les troupes allemandes occupent Comines. On prie pour être protégé des bombardements, on distribue de l’eau de Lourdes aux blessés. Il faut se mettre à l’heure allemande et subir perquisitions et réquisitions. Celles-ci conduisent à la description des caves pleines de centaines de bouteilles de vin, ce qui rappelle le témoignage d’Albert Denisse (voir cette notice). On cache des pommes de terre et du grain. Parmi les occupants, il y a des barbares et des « gens convenables ». Certains sont odieux et atteignent « le dernier degré du sans-gêne » ; d’autres rendent des services. Alphonse offre une aquarelle à un Allemand sympathique ; certains viennent en « aimable visite ». On assiste à des disputes entre Saxons et Bavarois (20 juin 1915), à des jugements discourtois de Saxons sur les Prussiens (20 avril 1917). Un blessé allemand raconte la fraternisation de Noël 1914 (17 janvier 1915).
Les nouvelles parviennent assez rapidement : le torpillage du Lusitania ; les changements de ministère en France ; la révolution russe dès le 16 mars 1917. Celle-ci est plutôt mal perçue (p. 584) : « Mais ils élaborent aussi tout un programme de réformes à faire ! Ce n’est vraiment pas le moment. » L’offensive Nivelle du 16 avril 1917 est annoncée dès le 17. La présence des soldats allemands permet de suivre l’évolution de leur moral. Avec la durée de la guerre, leur confiance s’en va. On comprend que ça va mal en Allemagne car les occupants envoient toutes sortes de choses à leurs familles (p. 511). L’exaspération des occupés grandit aussi : « ils encombrent notre maison avec toute leur bocherie ! » (4 janvier 1917).
L’évacuation est un drame, d’abord une crainte, puis une réalité. Le lundi 28 mai 1917, Magdeleine écrit ce passage étonnant : « Puis ce sont les provisions dont nous avons encore tant ! Nous en garnissons tout un panier : riz, haricots, sucre, un peu de farine, cacao, chocolat, etc. Il en reste encore. Alphonse et Louis commencent à jeter dans les cabinets du riz, du sucre, de la crème de riz, etc. Nous en avons un vrai crève-cœur : « Jeter toutes ces provisions, tandis qu’une partie de l’Europe meurt de faim ! » Alors j’en entasse encore dans ma malle, dans les sacs, savons-nous ce que nous trouverons là où on nous enverra ! Mais l’idée fixe, c’est de ne rien laisser aux Allemands ! »
Rémy Cazals, février 2019
Meunier, Henri (1869-1943)
1. Le témoin
Médecin pneumologue à Pau et père de famille, il a 45 ans à la mobilisation et est chargé de nombreuses responsabilités hospitalières. Il garde en même temps une activité de recherche et une petite clientèle privée. Il vient de perdre en janvier 1914 sa femme Geneviève, cette épouse disparue était une des sœurs d’Albert Deullin (voir cette notice).
2. Le témoignage
L’As et le Major, édition établie par Jacques Résal et Pierre Allorant, éditions Encrage, Amiens, 2017, 148 pages, avec une préface de Jean Garrigues, continue l’ambitieuse entreprise éditoriale qui exploite l’important fonds d’archives d’une famille bourgeoise (voir notices des frères Résal), depuis le milieu du XIXème siècle et à travers la Grande Guerre. Etablie sur la base du prêt des archives des familles Goursaud et Meunier, cette publication associe deux corpus différents, d’une part (p. 31 à p. 83), les lettres envoyées par A. Deullin à sa sœur Elisabeth, et d’autre part (p. 85 à p. 143), celles envoyées par H. Meunier à son collègue et ami Henri Meige, un neurologue hospitalier réputé. La juxtaposition de ces deux correspondances est un peu artificielle, la seule vraie rencontre citée entre les acteurs ayant lieu en septembre 1916 lorsque A. Deullin emmène son beau-frère faire un vol au-dessus du front de Champagne.
3. Analyse
Le principal intérêt du témoignage du docteur Meunier réside dans la description de l’énorme labeur qui lui échoit en août et septembre 1914 en tant que responsable du dépôt de Pau, alors qu’il pensait faire partie, à la mobilisation, « d’une équipe de vieux médecins civils plus ou moins militarisés qui seraient chargés de surveiller quelques hommes laissés à la caserne » (p. 90) ; il raconte à son ami Henri Meige qu’il cumule la responsabilité du service médical du dépôt, de la surveillance des viandes (« j’ai dû en trois jours m’improviser vétérinaire »), de la surveillance de trois hôpitaux temporaires de la Croix-Rouge, du service de l’hôpital militaire proprement-dit, de la rédaction d’innombrables certificats et examens à produire, avec en plus l’inspection individuelle d’aptitude des 4800 hommes du dépôt. Il n’est aidé que par trois confrères civils, et parle de son épuisement devant cette tâche harassante. Il décrit en décembre 1914 (p.97) une intéressante journée-type « en attendant, voilà ma vie quotidienne depuis des semaines », et suivent, pour la journée, 18 rendez-vous/horaires, qui commencent à 8 heures – «c’est tard je le reconnais, mais attends la fin » – et se finissent à minuit (« rangement, tournée aux enfants, puis coucher et récréation en lisant le journal »). On peut simplement mentionner à titre d’exemple 14 h : « A l’infirmerie, incorporation de 160 à 180 hommes, c’est-à-dire défilé de ces hommes nus comme des vers que je dois apprécier le plus exactement possible au point de vue de l’aptitude à servir (…) Pendant 15 jours cela a été la classe 1892 (hommes de 42 ans), les 2/3 invoquant une raison de ne pas servir. Depuis une semaine, c’est la classe 1915 (hommes de 19 ans). C’est mieux et ça veut marcher. Mais quand j’arrive vers 17 h, je suis abruti, idiot et je commence à ne plus savoir ce que je fais. » Suivent encore des rendez-vous vous, tournées et contre-visites, et à 20 heures : « Dîner, fatigué, abruti, table silencieuse triste, les enfants n’osent parler. » Et il conclut par « voilà le cycle habituel. » Epuisé, il obtient un allègement partiel de ses fonctions en mars 1915.
Un autre intérêt des lettres réside dans l’évocation des préoccupations morales du docteur, lorsqu’il ausculte des individus pour des visites d’aptitude au front, et c’est un rare témoignage « de l’intérieur », où il montre qu’il a bien conscience de la portée de ses décisions (février 1915, p. 99) : « et cet examen, toujours grave, puisque, pour la plupart, il s’agit de la vie ou de la mort, je m’efforce de le faire avec toute mon intelligence et avec tout mon cœur. Que de psychologie, que de philosophie préside à cette tâche journalière ! » Il raconte à son ami le repérage de simulateurs (août 1915, p. 106) et les conséquences imprévues de ce signalement : « J’ai eu deux cas épatants pour lesquels j’ai mené une enquête digne de Sherlock Holmes (ictère picrique). » Il reprend son récit dans une lettre de novembre 1915 (p. 107) : « T’ai-je dit que j’avais été appelé à témoigner au tribunal et que j’avais passé là deux sales heures en entendant le commissaire du gouvernement réclamer pour mon bonhomme… le poteau !!! Je t’avoue que j’ai eu chaud et que, si jamais une pareille condamnation avait eu lieu, je n’aurais plus, ni aucun major de France, examiné un simulateur. Ma déposition, dans ces conditions, a été tout miel et, les avocats aidant, le bonhomme (…) s’en est tiré avec dix ans de travaux. » Sa générosité honore le médecin, mais le nombre important avéré d’exécutions après expertise médicale (« Crise des mutilations volontaires ») amène évidemment à relativiser la portée de son propos.
Disposant au printemps 1915 d’un emploi du temps plus raisonnable, il essaye de reprendre un peu de clientèle privée, « c’est que depuis neuf mois que j’ai fermé les guichets des recettes, je m’aperçois que le gouffre se creuse» (p. 103). Il évoque aussi plusieurs fois son sort privilégié, et son regret de ne pouvoir servir directement sur le front. Cette gêne morale est, dit-il, partagée par quelques-uns de ses amis, mais « pas Béarnais »: en effet, il est très critique vis-à-vis de l’esprit d’embuscade qu’il constate à Pau, et à la fin de la guerre, en avril 1918, s’il partage l’émotion des Parisiens touchés par les bombardements « gothiques et berthiques », il regrette de tout cœur que Bertha ne puisse lancer quelques obus à 1000 km, « ce serait une excellent chose pour l’équilibration de la mentalité territoriale. » (p. 126)
Vincent Suard , décembre 2018
Deullin, Albert (1890-1923)
1. Le témoin
Maréchal des logis au 8e Régiment de Dragons à la mobilisation, il fait le début de la campagne (23 août) au 31e Dragons. Promu sous-lieutenant en décembre au 8e Dragons, il passe dans l’aviation en avril 1915, et vole sur Maurice Farman (MF 62, juillet 1915 – janvier 1916), puis sur Nieuport (N3, janvier 1916 – février 1917) ; nommé commandant de la Spa 73 à cette période, il rédige aussi des synthèses théoriques (emploi tactique de la chasse). Plusieurs fois blessé, il termine la guerre avec le grade de capitaine et vingt victoires homologuées. Resté pilote dans la vie civile, il se tue lors d’un essai de prototype en 1923.
2. Le témoignage
L’As et le Major, édition établie par Jacques Résal et Pierre Allorant, éditions Encrage, Amiens, 2017, 148 pages, avec une préface de Jean Garrigues, continue l’ambitieuse entreprise éditoriale qui exploite l’important fonds d’archives d’une famille bourgeoise (voir notices des frères Résal), depuis le milieu du XIXème siècle et à travers la Grande Guerre. Etablie sur la base du prêt des archives des familles Goursaud et Meunier, cette publication associe deux corpus différents, d’une part (p. 31 à p. 83) les lettres envoyées par A. Deullin à sa sœur Elisabeth, et d’autre part (p. 85 à p. 143) celles envoyées par H. Meunier à son collègue et ami Henri Meige, un neurologue hospitalier réputé. La juxtaposition de ces deux correspondances est un peu artificielle, la seule vraie rencontre citée entre les acteurs ayant lieu en septembre 1916 lorsque A. Deullin emmène son beau-frère faire un vol au-dessus du front de Champagne ; ces deux témoignages n’en ont pas moins, l’un pour l’aviation et l’autre pour les hôpitaux de l’arrière, un réel intérêt (voir notice Meunier Henri).
3. Analyse
L’auteur utilise dans ses lettres à sa sœur un style enjoué, énergique et très oral, comme par exemple en décembre 1914 (p. 42): « nous avions combiné un coup épatant pour chiper une patrouille de uhlans ». Le ton est gouailleur, p. 35, après la Marne « Eh bien, que dis-tu de cette pile ? Est-ce soigné et appliqué à temps ? » ou en octobre 1914 (p. 40) « les Boches semblent avoir pris une bonne frottée sur l’Yser ! ». A sa sœur qui s’inquiète de le voir passer dans l’aviation, il répond qu’on n’y risque guère plus qu’ailleurs, et (p. 43) « Alors ? Et au moins, on doit s’amuser. » Un bon exemple du ton général des lettres peut-être pris dans un passage où, avant sa mutation dans l’aviation, il est observateur d’artillerie (mars 1915, p. 44) : « Et dix secondes plus tard…Bjii…ou…ou. Une bonne dégelée de mélinite me passe au-dessus de la tête et culbute mes Boches dans leur trou. La nuit, tandis que je pionce tranquillement dans mon gourbi, j’ai la volupté de les entendre réparer ce que nous venons de leur démolir. C’est très amusant et on recommence. »
L’auteur note que son sort de cavalier est plus enviable que celui de fantassin, mais la crainte d’être muté dans la « biffe » ne semble pas à la base de sa demande de mutation dans l’aviation (mai 1915, p. 47) : « J’y ai coupé la dernière fois et j’aurais été bon comme la romaine la prochaine. Remarque que je serais passé dans l’infanterie sans récriminations, mais je préfère auparavant choisir une arme bien dans mes cordes. » Il évoque ses combats, mais ne rentre dans aucun détail tactique ; son opinion sur les Allemands qu’il rencontre reste tout au long de la guerre méprisante, il les accuse de maladresse et de couardise, « c’est vraiment curieux de voir la sale mentalité de tous ces types-là. » (p. 53) ou en septembre 1915 (p.54) « (…) le Boche qui n’insiste pas dès qu’on lui court dessus, et nous sommes malades de rire, Colcomb et moi, de voir le vaillant guerrier piquer à mort vers le poulailler dès qu’il a reçu quelques balles… Immondes volailles ! » Il n’a pas de respect pour l’ennemi dans ses écrits (on pense au « couic » méprisant de Guynemer), et il n’évoque pas l’esprit chevaleresque, thème qui accompagne parfois la médiatisation de l’as dans les feuilles de l’époque ; c’est toujours un ton supérieur, sportif et détaché, qui accompagne les évocations de combat : (p. 70) mai 1916 Somme « Je ne sais pas s’ils ont [les Allemands] actuellement beaucoup de jeunes pilotes, mais la moyenne est lamentable au point de vue manœuvre, et on s’amuse de la plus charmante façon. »
Les lettres s’espacent à partir de l’été 1916 et deviennent plus concises, au moment où l’auteur fait « la chasse » à la N3 avec Brocard et Guynemer (« le gosse»), puis en 1917 où il prend le commandement de la N 73. C’est un chef énergique (4 mars 1917, p. 72) « je liquide deux pilotes qui ne me plaisent pas et je fais venir à leur place Charles de Guibert et Pandevan. Quelques jours de prison et de salle de police ont « rétabli l’ordre à Varsovie » et, somme toute, ça ne s’annonce pas trop mal. » Il est blessé en juillet 1917 après sa 17ème victoire (« boum, me voilà à l’hôpital ») et témoigne de la dépression qui touche son groupe à la nouvelle de la disparition de Guynemer (septembre 1917, p. 74) « tout le groupe est démonté depuis avant-hier par la disparition du gosse, qui n’est pas rentré de patrouille. » En 1917 et 1918, le ton est moins enjoué, et l’auteur informe souvent sa sœur des deuils de pilotes appréciés, il s’agit la plupart du temps de tués dans des combats, mais aussi à l’occasion d’imprudences caractérisées : (26 janvier 1918, p. 77) «Un Caudron de la C47 vient nous faire une visite (…). Vers 4 h nous les remettons dans leur aéro. Ils veulent nous épater par un décollage en chandelle. Perte de vitesse, vrille. Les deux types sont tués raides au milieu du terrain. On a beau être un peu cuirassé, c’est toujours très désagréable de voir de chics types se tuer bêtement. »
Pour l’exploitation historique du témoignage, il est difficile de savoir si le ton enjoué et hâbleur d’A. Deullin vise à rassurer sa sœur ou s’il est habituel et appartient au caractère énergique de son auteur; au vu de son palmarès (20 victoires) et en croisant avec d’autres lettres hors corpus, par exemple avec le capitaine Brocart des Cigognes, on optera pour le 1er degré : le pilote, issu des Dragons, adopte le style très « crâne » des jeunes cavaliers passés dans l’aviation, c’est une attitude souvent cultivée avec coquetterie, et dont l’exemple le plus célèbre est Roland Nungesser (courage, énergie et excentricité). C’est un habitus courant dans l’aviation, mais ce n’est pas le seul (voir Trémeau ou Vanier).
Vincent Suard, décembre 2018
Camondo (de), Nissim (1892-1917)
Né à Boulogne-sur-Seine le 23 août 1892. Puissante famille juive de Constantinople établie en France sous le Second Empire. Son père Moïse, riche banquier, fait construire un splendide hôtel particulier au parc Monceau, légué à la République pour devenir musée à la mémoire de Nissim, ce qu’il est aujourd’hui.
Études au lycée Janson-de-Sailly jusqu’au bac. Service militaire dans la cavalerie (3e hussard) de 1911 à 1913. Maréchal des logis. Après le service, ses études de Droit sont interrompues par la mobilisation. Il passe ensuite au 21e dragon comme mitrailleur et combat comme l’infanterie (« C’est un sale truc au fond que d’être fantassin », écrit-il en octobre 1915). Enfin il est transféré à l’escadrille MF33 d’abord comme observateur, puis comme pilote. Son avion est abattu par un Fokker le 5 septembre 1917 au-dessus de la Lorraine.
Le musée conserve les lettres envoyées principalement à son père, son journal de campagne, des coupures de presse et 1200 photos. Le courrier reçu par Nissim est perdu.
Le livre (Nissim de Camondo, Correspondance et Journal de campagne 1914-1917, aux éditions Les Arts décoratifs, 2017, nombreuses illustrations), après des pages de présentation générale de Sophie d’Aigneaux-Le Tarnec et Philippe Landau, est divisé en quatre chapitres :
– 1914 Un hussard patriote
– 1915 Les désillusions d’un dragon
– 1916 La cinquième arme
– 1917 Vie et mort d’un pilote aviateur
Un précieux index des noms de personnes termine l’ouvrage.
Balmelle, Marius (1892-1969)
Les Archives départementales de la Lozère et les éditions Sutton ont publié en 2018 le livre Chroniques de la Lozère en guerre 1914-1918 : Carnets de Marius Balmelle, présentés par Thomas Douniès et Yves Pourcher. C’est le troisième témoignage important sur la vie dans ce département loin du front, après ceux d’Émile Joly et d’Albert Jurquet (voir les notices « Joly » et « Jurquet » dans 500 témoins de la Grande Guerre et dans le présent dictionnaire). Je mentionne mon léger désaccord avec les auteurs de la présentation à propos de Jean Norton Cru (voir la notice « Cru » dans les mêmes ouvrages). On ne peut pas dire que « les seuls témoins qui comptent [pour JNC] sont les combattants, les hommes qui ont connu l’épreuve du feu ». L’objectif du travail de JNC était d’analyser les récits des combattants ; il n’avait donc à se préoccuper que des combattants et pas des autres contemporains, même s’ils pouvaient être des témoins intéressants sur la vie à l’arrière. D’autre part, la référence à l’œuvre de JNC aurait gagné à signaler le grand livre Témoins et non le petit livre Du témoignage, d’ailleurs dans une édition amputée. Cette réserve faite, le livre de Marius Balmelle apporte beaucoup.
Le témoin
Il est né à Mende le 22 septembre 1892. Son père était agent voyer. Il a reçu une bonne éducation qui lui a permis de devenir un érudit passionné par son département natal. Même dans les années de guerre, il en décrit les beautés et il publie son premier livre sur « les richesses du sous-sol et les richesses hydrauliques du département de la Lozère ». Il écrit aussi de la poésie et « un conte moyenâgeux » (p. 231). « Je suis croyant » (catholique), dit-il. Avec le curé de Mende, il se plaint que la guerre « nous prend aussi la vertu des femmes et des filles » (p. 76). Le passage du 18 septembre 1914 sur les missionnaires dont « certains se trouvaient perdus dans les forêts équatoriales au milieu de tribus sauvages parfois anthropophages », qui sont « revenus accomplir leur devoir de Français » est trop long pour être repris ici en entier (p. 56).
Le 12 juin 1915 (p. 88), il décrit ses « cultes » : la famille ; la volonté ; la solitude ; la Nature natale ; l’étude ; les fleurs. On est étonné de ne pas y trouver la patrie, alors que de nombreuses pages stigmatisent la barbarie des Allemands. Les auteurs de la présentation soulignent le fait que, classé service auxiliaire et affecté à Mende, il n’exprime jamais le regret de ne pas combattre.
Le témoignage
Les présentateurs constatent aussi que, chez Balmelle, la guerre n’a pas déclenché l’écriture d’un journal, mais qu’elle lui a donné un nouveau sens. Il a commencé à tenir son journal en 1911 et l’a poursuivi jusqu’en 1948. Le livre ne reprend que les pages allant de Noël 1913 au 31 décembre 1919. Plusieurs feuillets ont été arrachés, des phrases effacées ; on en ignore les raisons. La partie sur 1918-1919 est très brève : lassitude ? coupures ? temps consacré à d’autres formes d’écriture ? Travaillant à l’intendance, il était bien placé pour donner des renseignements sur la vie matérielle en Lozère ; il a aussi tenu compte du récit d’un combattant venu en permission (sur huit pages en janvier 1916). Le journal de Marius Balmelle a été déposé par la fille de l’auteur aux Archives départementales qui ont organisé en 2016 une exposition sur le thème « Marius Balmelle, un érudit au service de la Lozère ».
Contenu
Dès la fin de juillet, les habitants de Mende font des provisions, échangent les billets de banque pour de l’or, retirent leurs fonds de la Caisse d’épargne. La mobilisation s’accompagne d’angoisse et de pleurs. Les soldats affluent et boivent. Le départ se fait dans l’enthousiasme. Marius pense, dès le 6 août, que les Allemands sont des brutes féroces, pires que des animaux. La presse locale aspire au moment « où la bête malfaisante sera écrasée, afin que la menace allemande ne plane plus constamment sur la paix du monde pour enrayer tout envol vers l’idéal, vers la science, vers l’art et la bonté ». Bientôt arrivent des réfugiés, des blessés, des prisonniers allemands. Des hôpitaux doivent être installés dans les établissements scolaires et la rentrée est difficile. Il signale l’espionnite, les lettres anonymes de dénonciation, les rumeurs, une vaccination collective contre la typhoïde, les emprunts de la Défense nationale, la hausse des prix. En 1915, quatre déserteurs sont arrêtés par la gendarmerie (p. 131). Plus loin (p. 141), figure la liste des entreprises qui travaillent, en Lozère, pour la défense, avec mention particulière des mines du Mazel. Il effectue plusieurs voyages, mêlant l’utile (visite des poudreries de Bergerac et de Toulouse) et l’agréable (tourisme archéologique à Cordes, Carcassonne, etc.).
Le livre donne des index (lieux, personnes, thèmes), sources et bibliographie locales, important encart d’illustrations.
Rémy Cazals, décembre 2018
Rama, Auguste (1883-1973)
Le livre d’Auguste Rama, Souvenirs 1914-1919, Une traversée de la Grande Guerre (2018) fait partie des ouvrages produits par la piété familiale. Il est disponible chez ses petits-enfants : cecilerama@laposte.net.
Auguste Rama est né à Quintenas (Ardèche), près d’Annonay, dans une famille paysanne. On comprend qu’il est catholique et qu’il a reçu une certaine instruction qui lui a permis de devenir imprimeur à Romans en 1911, associé avec ses frères. À 80 ans, il a écrit 700 pages de souvenirs ; les p. 433 à 565 concernent la période de la guerre ; ce sont celles qui sont reprises dans le livre. S’il se souvient bien de « la vie quotidienne au front » (titre d’un chapitre), il avoue un trou dans sa mémoire en septembre-octobre 1917 (p. 210) et il place l’offensive de la Somme en février 1917. Sur les mutineries, il écrit : « Le général Pétain eut le mérite de calmer les esprits, de remettre de l’ordre au moindre prix. Mais la période avait été plus que critique. Tous les régiments d’infanterie n’avaient pas été touchés par cette vague de rébellion. Le 99e entre autres avait été épargné. Jamais je n’avais perçu le moindre symptôme. » Or Denis Rolland (La grève des tranchées, Les mutineries de 1917) signale un trouble au 99e RI le 1er juin à Œuilly.
Son mariage, prévu le 8 août 1914, ne put être célébré qu’en février 1916. Il décrit l’angoisse lors de la mobilisation, la pagaille à la caserne du 261e RI à Privas, les départs « à Berlin ». Caporal, son état de santé lui vaut un emploi de bureau jusqu’en juillet 1916 ; il expose ses craintes d’être considéré comme un embusqué.
Il part en juillet 1916 vers le front de Verdun, au 99e RI, et il découvre « un autre monde », celui des tranchées, des bombardements, du gaz. Deux phrases significatives :
– p. 97, sous le bombardement : « cette attente de celui [l’obus] qui va peut-être vous mettre en bouillie » ;
– p. 137, avant de sortir pour une attaque : « ce dernier quart d’heure d’attente est quelque chose d’inhumain ».
Auguste Rama n’aime pas Mangin (« le nom seul de Mangin faisait frémir », p. 104). Il parle d’un « complot de politiciens » qui « manœuvrait pour faire monter Nivelle » au détriment de Pétain (p. 89). Thème repris p. 168 à propos de l’offensive du 16 avril 1917 : « Attaque voulue par le sinistre général Nivelle qui avait, grâce à des influences politiques, remplacé le général Pétain, et qui, par ambition, fit massacrer inutilement une partie de l’armée française, et de ce fait accentua le malaise et le découragement des troupes pour en arriver à la période noire des désertions, des rébellions collectives. »
Rémy Cazals, décembre 2018
Astruc, Rosa, épouse Roumiguières (1889-1972)
Trois livres
Des extraits du très important corpus de lettres échangées entre Rosa et Alfred Roumiguières pendant la guerre de 1914-1918 ont déjà été publiés dans le livre de Gérard Baconnier, André Minet et Louis Soler, La Plume au fusil, les poilus du Midi à travers leur correspondance, Toulouse, Privat, 1985. En 2013, la Société culturelle du pays castrais éditait un important volume, toujours au niveau des extraits (Un instituteur tarnais dans la guerre 1914-1918 ; voir la notice Roumiguières dans le présent dictionnaire). Le même éditeur et le même présentateur (François Pioche) apportent un nouveau regard en donnant principalement la parole à l’épouse, à l’arrière, même si le livre reprend des passages du mari, mobilisé : Cinquante-cinq mois d’attente, une épouse de soldat pendant la Grande Guerre, 2018. La couverture est illustrée d’une photo de Rosa avec ses deux enfants, prise en décembre 1914 et envoyée vers le front, vers celui qui ne les verra pas grandir. Ainsi Alfred écrit-il, le 20 janvier 1918 : « J’aime bien que tu me racontes les petites scènes dont nos enfants sont les héros. Un de mes plus grands regrets que me donne la guerre, c’est celui que j’ai de ne pouvoir profiter de nos enfants tant qu’ils sont petits. »
Rosa Astruc est née le 23 mars 1889 à Burlats, près de Castres (Tarn) dans une famille de petits cultivateurs. École normale d’Albi, mariage en 1910, deux enfants nés en 1911 et 1913. Lors de la déclaration de guerre, Alfred et Rosa sont en poste à l’école publique de Sorèze (Tarn). (Note : un colloque sur le thème Enseigner la Grande Guerre a eu lieu à Sorèze en octobre 2017 et a été publié en 2018, sous la direction de Rémy Cazals et Caroline Barrera.)
Le poilu
Même si ce n’est pas le plus important, le nouveau livre fournit des précisions ou des rappels sur la biographie et les sentiments du sergent, puis adjudant Roumiguières. Par amour de la vérité et de la justice, il est devenu socialiste et s’est abonné à L’Humanité ; il remarque que les socialistes font leur devoir mieux que les bourgeois. Il éprouve une grande antipathie pour les bourgeois rétrogrades. Il regrette d’avoir reçu une instruction insuffisante dans le domaine des « humanités » et il voudrait lire L’Iliade et L’Odyssée (14/8/1917). En janvier 1917, il fait part d’un « grand événement » dans sa vie, son passage à Paris ; lors d’une nouvelle visite en août, il tient à voir le mur des Fédérés. Son frère est tué sur le front ; sa sœur meurt de la grippe espagnole. Il écrit qu’il a tué un Allemand (11/11/1914). Il est blessé en octobre 1915 et constate qu’à l’hôpital on ne trouve à lire que des livres catholiques. Blessé à nouveau en juillet 1918. Ses lettres autour du 11 novembre 1918 sont citées dans Rémy Cazals, La fin du cauchemar, 11 novembre 1918 (Toulouse, Privat, 2018).
Comme tous les poilus, il n’aime pas les embusqués patriotes et leur conseille de s’engager (27/10/1914). Il donne des détails concrets : il pèse 68 kg, mais 93 kg en tenue de campagne ; il reçoit deux lettres par jour en moyenne, de sa femme et de correspondants divers ; il explique comment, dans l’armée, on en vient à devenir fumeur. Il note (30/3/1915) que beaucoup d’hommes réclament la paix ; que les soldats aiment rendre service aux paysans, ils ont plaisir à manier la faux : il leur semble qu’ils sont chez eux (5/6/1915). Il pense que les permissions ont été instituées en songeant à la classe 35 (7/7/1915). Sur la nourriture et « la façon de manger », il rejoint les griefs de Jules Puech : « Tu me vois assis par terre mangeant quelques pommes de terre ou quelques haricots brûlés que nous fournit l’ordinaire. Sans doute, je mange à ma faim. La plupart du temps, j’en ai même de reste, mais c’est la façon de manger qui n’est pas toujours ce qu’il y a de plus agréable. »
Rosa
Les lettres de Rosa contiennent rarement des expressions comme « ces maudits allemands », « ce maudit Guillaume ». Le 4 juillet 1918, elle écrit : « Il me semble qu’on ne peut pas éprouver de haine contre ces malheureux. Les soldats allemands doivent bien être comme nous. Beaucoup aimeraient mieux être chez eux qu’à la guerre, sans doute. » Elle est fière des décorations de son mari, elle estime qu’il doit faire son devoir, mais pas de zèle. Elle lui demande conseil pour placer de l’argent et regrette qu’il ne soit pas là pour lui apprendre à monter à bicyclette. Comme dit plus haut, elle lui décrit la vie de ses enfants.
Rosa expose des analyses intéressantes sur la guerre, la diplomatie, la politique. Elle critique les réactionnaires locaux, en particulier le maire de Sorèze et les cléricaux qui veulent profiter des difficultés pour retrouver leur puissance (3/10/1914). Le maire favorise l’école catholique et néglige l’entretien de l’école publique (27/1/1915). « On parle d’une union sacrée (24/2/1915), mais je crois que les réactionnaires ne la veulent qu’à une condition, c’est qu’eux auront le droit de tout dire. » On peut citer encore ce passage de sa lettre du 17 octobre 1917 : « Moi aussi, je suis de ton avis. Je trouve que la République n’a pas démérité depuis la guerre. Mais par exemple, si j’étais quelque chose, je t’assure que Daudet aurait perdu ou perdrait la fantaisie de parler à tort et à travers et que son Action française n’actionnerait pas longtemps quelque chose. Je l’ai toujours pensé et dit. La formule Union sacrée a servi qui ? Toujours les mêmes ces réactionnaires. Ils veulent donner des leçons de patriotisme aux autres et ils amèneraient un roi dans les fourgons de l’étranger comme autrefois. Quelle aberration ! » Et encore, sachant que Daudet fut un des principaux ennemis de Caillaux : « Moi, je ne suis pas comme toi. Je m’intéresse à l’affaire Caillaux. Je reconnais qu’il n’est pas des nôtres, qu’il a connu toutes les grandeurs comme tu dis. Mais peu importe. Il est homme et Français. Comme tel, il a droit à la justice. Et je n’admets pas que n’importe qui puisse accuser n’importe qui sans raison. Je souhaite donc et j’attends impatiemment que toute la lumière se fasse. »
Les lettres de Rosa donnent de multiples informations sur la vie à l’arrière. Ses grandes élèves tricotent pour les soldats. Elles participent aux « journées », par exemple en faveur des orphelins de guerre, mais (27/6/1915) : « Comme les insignes représentaient une nudité, les archevêques avaient publié des lettres pastorales dans lesquelles ils disaient que toute personne chrétienne ne devait pas porter ces insignes qui étaient une offense à la pudeur. » Et cela se poursuit au niveau individuel. Marguerite, sa fille (4 ans en 1915) confie à Rosa : « Maman, il te faut aller à la messe pour aller au ciel, Françounelle me l’a dit, il faut faire la prière. Au ciel, on est bien : tu veux des gâteaux, tu en as. »
Rosa signale le passage et les méfaits d’un chien enragé (16/10/1915) ; l’instauration des cartes de sucre (26/2/1917) ; la difficulté et la longueur des voyages…
Une certaine lassitude
Comme l’ont bien montré les notices publiées dans 500 témoins de la Grande Guerre, la séparation a ravivé les sentiments d’amour conjugal. Le 8 mai 1915, Rosa écrit à Alfred : « Je t’aimais bien quand nous nous sommes mariés, mais ce sentiment-là n’est pas comparable à celui que j’éprouve maintenant. Les sentiments comme les âmes sont grandis et mûris par les épreuves. » Toutefois, la longueur de la guerre provoque quelques tensions et quelques incompréhensions, à partir de novembre 1916. Revenu en permission, Alfred parait distant parce qu’il est obnubilé par la nécessité de repartir (14/12/1916). Le 2 juillet suivant, il écrit : « Tu ne me fâches pas en me disant que je suis devenu abruti. C’est d’ailleurs la vérité. Comprends un peu ma situation et tu ne t’en étonneras pas. D’abord un abandon complet de toute idée personnelle. Je ne fais que ce qu’on me dit de faire, que je trouve bien ou idiot, je le fais de mon mieux par discipline. » Le 4 janvier 1918, il estime que Le Feu de Barbusse a une couleur « poilue », mais que ce livre donne le cafard car il ne décrit que les mauvais moments.
Pour terminer
Rosa (28/1/1917) a critiqué la réaction tardive du président américain Wilson : « Son message au Sénat, il aurait dû l’adresser au mois de juillet 1914. C’est alors qu’il aurait dû se poser en arbitre. » Le 8 juillet suivant, elle écrit : « Je crois que la guerre finira par une révolution en Allemagne. Ce serait d’ailleurs ce qu’ils auraient de mieux à faire dans leur intérêt. Balancer leur kaiser qui, somme toute, n’est qu’une personne. » Le 5 juillet 1918 : « Se peut-il qu’au 20e siècle, il y ait eu un homme, des hommes assez fous pour déclencher cette tuerie ? Se peut-il que des millions d’autres hommes n’aient pas résisté à l’un d’eux, ni plus fort, ni plus intelligent, seulement parce qu’il se nommait empereur ? Et on vante l’intelligence et la raison humaines ! »
Même si le livre est avant tout celui de Rosa, je terminerai avec une phrase d’Alfred, du 4 novembre 1918 : « A la réflexion, c’est tout de même un temps merveilleux que nous vivons. Les trônes croulent comme des feuilles mortes et partout la république s’apprête à remplacer les empereurs ou les rois impérialistes. Après la république russe, voilà que nous allons avoir la république bulgare et la république autrichienne (tchèque, hongroise ou yougoslave ou peut-être même les trois). Comme Jaurès avait raison lorsqu’il nous démontrait que l’idée démocratique était en progrès en Europe ! Le jour n’est pas loin où nous allons avoir la république en Allemagne. Quel bouleversement tout de même ! »
Rémy Cazals, décembre 2018