On ne sait que peu de choses de la vie d’Eugène Adrien Isidore Henwood avant la Première Guerre mondiale. Né à Paris, le 19 février 1880, autodidacte, il exerça divers métiers – vendeur de journaux, garçon de café, chanteur de café concert, gérant d’un dépôt de vin puis d’une entreprise de dentelles, etc. -, tout en écrivant des poèmes, des chansons et des nouvelles, avant de se consacrer au journalisme. En 1914, il était à la fois le directeur et le rédacteur en chef d’un journal hippique dont le premier numéro était paru l’année précédente.
Exempté de service militaire, pour raison médicale, en 1901, il fut par contre jugé apte au service armé par le conseil de révision devant lequel il dut à nouveau passer le 31 décembre 1914.
D’abord affecté au dépôt du 150e régiment d’infanterie, à Chartres, il passa peu après au 4e régiment mixte de zouaves et tirailleurs qu’il rejoignit près de Bergues (Nord) le 11 juillet 1915. Il ne revint à Paris que le 10 octobre 1918 après avoir passé 583 jours en divers cantonnements plus ou moins éloignés du front, (dans le Nord, le Pas-de-Calais, l’Aisne, la Marne, la Meuse, l’Aube et l’Oise), 343 jours en secteur, dont 143 dans les tranchées de 1ères lignes (en Belgique tout d’abord, près d’Arras ou de Lens ensuite, puis à Verdun et enfin sur le Chemin des Dames), 183 jours à l’hôpital, (la 1ère fois après avoir été blessé à Verdun le 27 octobre 1916) et 75 jours en permission.
Carnets et autres écrits
39 mois durant, Eugène Henwood a consigné, jour après jour, avec une grande régularité, ses actions et ses réflexions, sur 17 carnets de format et d’épaisseur variables, soit un total de 940 pages. Son goût pour l’écriture et son désir de dépeindre divers aspects de la vie quotidienne des poilus, l’amena, en outre, à écrire plus de cinquante articles qualifiés de « contes », « nouvelles », ou « scènes vécues », écrits entre mars 1916 et février 1919, et parus, pour la plupart, dans les colonnes de journaux socialistes (La Petite République ; Les Hommes du Jour ; Le Journal du Peuple ; La Tache d’encre ; La Jeunesse française et La Vague). La plupart de ces articles mettent en scène – sous des pseudonymes – des camarades de l’auteur.
L’édition, par son petit-fils Philippe Henwood, de l’ensemble des écrits de guerre d’Eugène Henwood – carnets et articles – dans une édition enrichie d’un apparat critique, permettra prochainement au lecteur d’aujourd’hui d’en mieux apprécier l’intérêt et l’apport.
L’ouvrage devrait paraître aux éditions Pierre de Taillac en septembre 2015.
Un poilu comme les autres ?
Si l’expérience qu’a connue Eugène Henwood au cours de la Première Guerre mondiale est loin d’être rare, pas plus que n’est rare le fait d’avoir tenu un carnet de route, cette expérience et le poignant témoignage qu’il nous en a laissé n’en sont pas moins singuliers et complémentaires d’autres expériences et d’autres témoignages, qu’ils soient déjà publiés ou encore inédits, tant du point de vue des faits rapportés que de la manière de les relater.
Les carnets de route d’Eugène Henwood constituent, en effet, un témoignage particulièrement riche et précis, qui permet de mieux connaître les divers aspects du quotidien d’un simple soldat d’un régiment de zouaves et de tirailleurs, tout en suivant, jour après jour, son parcours, les nombreux changements de secteurs opérés, la variété des cantonnements, etc. C’est là le témoignage à la fois ordinaire et extra-ordinaire d’un individu entraîné malgré lui, comme des millions d’autres, au sein d’une terrible et macabre aventure ; la chronique sensible d’un homme qui, tout en souffrant et en se plaignant, fait « simplement » son devoir ; le reflet de volonté affirmée de témoigner d’un homme mûr et cultivé, qui ne cache pas ses idées et ses convictions, mêlant, au fil des jours, les faits et les réflexions que ces faits lui inspirent, les descriptions et les analyses ; un matériau « brut » enfin, ni retravaillé, ni réécrit, ni romancé, que complètent et enrichissent, nous l’avons dit, et de très plaisante manière, plusieurs dizaines de courts récits, vivants instantanés du quotidien de quelques-uns des soldats de la Grande Guerre.
Comme beaucoup d’autres, Eugène Henwood a partagé la constante préoccupation de ses camarades pour le climat et souffert de toutes sortes d’intempéries ; il a souvent changé de « lieu de résidence », entre les tranchées de 1ère ligne, le front, les secteurs et les cantonnements de repos, changements opérés parfois en train ou en camion, mais plus souvent encore à pied ; il a dormi dans des endroits très divers (du château à la porcherie…) ; il a vécu dans la boue, a été dévoré par les poux et a partagé ses abris de fortune avec les rats ; il a été assourdi et abruti par le vacarme infernal des champs de bataille ; il a côtoyé celle qu’il nomme « Dame Camarde » et lui a échappé à plusieurs reprises ; il a connu l’horreur ; il a été blessé ; il a connu l’attente, l’ennui et la nostalgie de la vie d’avant la guerre, le découragement, le désespoir ; il a attendu et souvent espéré, voire cru, en « une paix prochaine », scrutant les journaux pour y trouver « quelque lueur, quelque espoir ». Puis il s’est résigné, et s’en est remis à la fatalité …
Comme d’autres, il a critiqué l’attitude de certains de ses concitoyens qui, à l’arrière, feignaient d’ignorer la souffrance de ceux qui étaient au front, l’attitude aussi de certains civils rencontrés en divers lieux de cantonnements : propriétaires égoïstes, commerçants exploitant les soldats, femmes aisément consolées de l’absence de leurs maris …
Mais plus que beaucoup d’autres, peut-être, parce qu’il était de santé fragile, parce qu’il était plus âgé, plus cultivé et davantage porté à l’analyse et à la critique que la plupart de ses compagnons d’infortune, Eugène Henwood a souffert au cours de ces terribles années, tout en reconnaissant qu’il avait souvent eu de la chance.
Plus que beaucoup d’autres, sans doute, il s’est indigné de l’attitude de certains officiers qui non seulement ne s’imposaient pas à eux-mêmes les règles qu’ils exigeaient des autres, mais encore traitaient les hommes placés sous leurs ordres avec arrogance, grossièreté et inhumanité, ces officiers dont il a dénoncé les travers et dont il s’est – sans doute un peu trop ouvertement – moqué, au point d’être qualifié de « mauvais esprit » et d’être renvoyé dans une unité combattante, après avoir passé deux ans dans une compagnie « hors rang » où il était employé, la plupart du temps, comme secrétaire ou téléphoniste.
Plus que beaucoup d’autres, sans doute, il a dénoncé la propagande, le « bourrage de crâne », et s’en est pris, avec virulence, aux journalistes de la « presse bourgeoise », « folliculaires de l’arrière qui se bornent à exposer leur patriotisme en phrases creuses et redondantes » et qui « bien tranquillement à l’abri en de confortables cabinets de travail, les pieds sur les chenets, se contentent de faire la guerre avec … la peau des autres ».
Plus que beaucoup d’autres, surtout, il a supporté avec difficulté la vie collective. Et, s’il a connu quelques bons camarades et a partagé avec certains quelques agréables moments, s’il en a mis en scène quelques-uns, sans méchanceté voire avec une certaine tendresse, dans plusieurs des « scènes vécues » qu’il destinait aux journaux, si la citation qui lui fut octroyée le 8 novembre 1917 porte « A toujours été pour ses camarades plus jeunes un exemple de dévouement et d’entrain », il a cependant beaucoup souffert de la promiscuité forcée avec certains de ses compagnons qu’à l’instar de certains journalistes et de certains officiers, il n’a guère épargnés dans ses écrits, dénonçant à l’envi l’abrutissement et l’ignorance, la bêtise et la stupidité, le manque de dignité, le « je m’en-fichisme à outrance » et l’indifférence de « pauvres hères » qui « ne lisent pas, ne pensent pas » et ne trouvent rien de mieux à faire pour se distraire et oublier leur situation que de s’enivrer, laissant ainsi croire à l’excellence du moral des combattants.
Refusant tout avancement, n’éprouvant nulle haine pour l’ennemi, Eugène Henwood n’a pu trouver un relatif apaisement qu’en s’isolant pour lire et écrire.
D’une guerre à l’autre
L’intérêt d’Eugène Henwood pour le sport hippique est toujours vif au lendemain de la guerre. Démobilisé le 9 mars 1919, il crée la même année le Guide préféré des sportsmen puis La Vie hippique, artistique et littéraire, publication qui le fera vivre pendant plus de vingt ans et dont le dernier numéro paraîtra en mai 1940.
Il ne reniera cependant pas ses idées et ne cessera pas son combat, écrivant encore plusieurs articles dans lesquels il encourageait ses camarades à opposer « la vérité au mensonge » et à ne pas laisser « poétiser, idéaliser [leur] douloureux calvaire ».
Il mourut le 30 septembre 1944, à l’âge de 64 ans.
Philippe Henwood (petit-fils d’Eugène), février 2015
Le livre annoncé vient de paraître : Eugène Henwood, « Maudite soit la guerre… », Ecrits censurés d’un journaliste dans les tranchées (1915-1918), présentés par Philippe Henwood, Villers-sur-Mer, Editions Pierre de Taillac, 2015, 543 p.