Résal, Louis (1895-1925)

Louis Résal, né à Lyon en 1895 ; est en classe préparatoire scientifique en 1914 ; il intègre l’artillerie. Pendant son stage d’aspirant à Fontainebleau à l’été 1915, il est muté dans l’aviation comme observateur. Il effectuera des réglages d’artillerie jusqu’en 1918 (C 51 puis C 260). Sous-lieutenant en avril 1916, il finit la guerre avec deux avions ennemis descendus, deux blessures et quatre citations. En 1919 il entre à Polytechnique. Il meurt accidentellement en 1925.
Voir la notice Résal, Paul.

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Résal, Paul (1894-1983)

1. le témoin
Paul Résal, né en 1894, est licencié en Lettres et en année préparatoire à Sciences-Po en 1914. Caporal en 1915 au 18e régiment d’artillerie, il obtient l’aviation après un séjour de 9 mois à Carency en Artois. Volant à la N 83 (protection), il est blessé en mars 1917, puis revole en janvier 1918 à la C 46 (chasse) dont il prend le commandement (comme sous-lieutenant) en octobre 1918 ; deux victoires, trois citations, légion d’honneur en avril 1917. Il meurt en 1983. Voir les notices de ses frères Salem, Younès et Louis.
2. le témoignage
L’important fonds épistolaire de la famille Résal, constitué pendant la Grande Guerre, a déjà donné lieu à l’élaboration d’un film documentaire (L. Veray, Cicatrices, 2013) et à la publication de Femmes sur le pied de guerre. Chronique d’une famille bourgeoise 1914 – 1918 (Résal J., Allorant P., Septentrion, 2014). Avec La Grande Guerre à tire d’ailes, correspondance de deux frères dans l’aviation (1915 – 1918), édition établie par Jacques Résal et Pierre Allorant, Edition Encrage (Prix aéro-club de France 2015), l’accent est mis surtout sur les échanges des deux frères Louis et Paul. Il s’agit d’un choix de lettres, échangées de 1915 à 1918, qui nous permet d’entrer dans le vécu de la guerre de deux jeunes étudiants issus de cette famille d’ingénieurs polytechniciens. Ces deux frères, sportifs et passionnés d’aviation avant-guerre, deviennent respectivement observateur et pilote de chasse et s’écrivent régulièrement, échangeant aussi avec leurs parents et leurs frères et sœurs. Ce choix de lettres est complété par des extraits d’Heures de Guerre (annexe 22), rédigé en 1942 par Paul et qui raconte son expérience du conflit.
3. analyse
a) le quotidien
Les échanges de lettres décrivent d’abord ce qu’est la vie de l’aviateur de la Grande Guerre (formation, missions, combats, anecdotes). Paul et Louis veulent témoigner sur ce qu’ils font, décrire leur quotidien, expliquer leurs vols. Le danger est minoré dans la correspondance avec la mère, les détails techniques s’effacent pour les sœurs mais sont centraux avec les frères et le père. Louis lui écrit (4 novembre 1915, p. 54) : « tu m’as demandé depuis longtemps quel est le travail que je fais », s’ensuivent trois pages synthétiques qui décrivent la fonction d’observateur d’artillerie telle qu’il la pratique au quotidien. Paul évoque toutes les étapes de sa formation (Avord, avril 1916) : « Maintenant que j’ai 1 h 3/4 de vol, je pars tout seul (le moniteur met ses mains sur mes épaules), je vole seul malgré le vent et les coups de tabac.» Dans une autre lettre (septembre 1916), il évoque longuement la technique de l’atterrissage sur Nieuport 10, avec une clarté qui ferait honneur à un manuel de pilotage. Les combats sont décrits avec enthousiasme ou tourment moral (Paul à Louis, 5 mars 1917) « tu as su par la famille [il a écrit à son père] le combat que j’ai eu, et au cours duquel l’avion que je protégeais a été descendu. C’est une malheureuse affaire, et, pour moi, un début fâcheux bien que je n’aie rien à me reprocher. » Louis raconte des vols « intéressants », mais aussi une descente rapide alors que son pilote est blessé (18 mars 1916) ou les circonstances de sa propre blessure le 31 mai 1918. La volonté didactique de ces lettres, jointe à la clarté des descriptions donne un témoignage utile à qui s’intéresse à la guerre aérienne.
b) la guerre vue par des aviateurs
Un second thème se dégage avec des réflexions sur la guerre, sa conduite, son arrière-plan moral et politique. Le témoignage, sans allusion religieuse, évoque un arrière-plan conservateur, Louis qualifiant (p. 58) la gauche de l’Union sacrée en 1915 de « braillards lamentables », et évoque « ces salauds de socialistes, qui font encore du sentimentalisme absurde, et qui, du haut de leur grandeur, considèrent que la France serait déshonorée si elle reprenait l’Alsace-Lorraine aux Boches. » L’héritage antidreyfusard de la famille apparaît une fois (Paul, 31 janvier 1918, p. 209): « Il y a trois juifs à l’escadrille, caractère que je n’aime guère, mais ce sont des garçons instruits et bien élevés, avec qui je peux parler agréablement. » Leur vision de la situation stratégique en 1915 est souvent erronée, ils dépendent de la grande presse, « il paraît que les Russes filent une pile aux Boches ; de notre côté on ne mollira pas et je pense que c’est le commencement de la fin » (17 septembre 1915, p. 31) ou « les Serbes sont des types épatants et les affaires ont l’air de mieux tourner là-bas » (14 novembre 1915, p. 58). L’offensive de Champagne est vue comme une victoire française et ils gardent confiance au printemps 1918 devant les derniers succès allemands.
Paul, brigadier dans l’artillerie en Artois, décrit fin mai 1915 à Carency un moral très bas : « Je ne sais s’il en est de même dans ta région, mais ici l’esprit des hommes n’est pas fameux, j’allais dire détestable en pensant à certains types en particulier. Ils trouvent que cela va trop doucement, c’est vrai – et que jamais on ne repoussera le boche, qu’il vaudrait mieux terminer tout de suite, et que les biffins ne veulent rien savoir, et qu’ils en ont assez » (31 mai 1915, p. 277). Le thème des embusqués est récurrent, et Paul décrit ainsi ses condisciples : « Pour ce qui est des élèves, nous sommes très nombreux, 200. Les 3/4 sont des cavaliers qui, sur le point d’être mutés dans l’infanterie, ont demandé l’aviation. Sauf quelques amateurs, les autres sont venus là pour quitter le front et y retourner le plus tard possible. (…) Tous arrivés par piston. »
Les pilotes ont la réputation d’être des « noceurs » et Louis résume dans un passage intéressant – « je commence à bien les connaître »- ce qu’il faut penser des aviateurs (16 février 1916, p. 76) : « Ils sont enviés et c’est probablement pour cela qu’on dit qu’ils font la noce ». Il développe l’idée que bien que « chics » et parfois « un peu bluffeurs », les aviateurs sont simples et ne s’amusent pas différemment des autres militaires : lors d’un stage de tir à Cazeaux, 30 stagiaires sont cantonnés à Arcachon, « les premiers jours, des poules sont venues de Bordeaux sachant cette arrivée, et pour avoir de la clientèle. Au restaurant, on s’est fichu d’elles et, comme elles n’avaient aucun succès, elles ont fichu le camp et chacun de nous vit d’une façon bien pépère et bourgeoise. » Pour lui, ceux qui font une « noce carabinée » sont rares et ne sont pas approuvés par les autres aviateurs.
c) le combattant intime
Système des valeurs, relations avec la famille, maîtrise de soi : ces lettres évoquent l’espace intime du combattant et l’habitus d’une famille bourgeoise du début du XXe siècle. Les frères présentent nominalement à leurs parents leurs camarades, et leur mère s’enquiert d’eux souvent : elle leur écrit par exemple à l’occasion de blessures, elle s’informe de leur rétablissement. Malgré la mort d’un autre frère tué à sa batterie en 1914, Paul et Louis partagent confiance et énergie. Le combat aérien est recherché pour vivre un moment « très sport » avec un comportement que l’on espère « très chic ». Cet enthousiasme diminue chez Louis avec la durée de la guerre, il est remplacé par une recherche de contrôle de soi. En novembre 1915, sa mère Julie lui avait écrit (p. 53) : « quand tu as le noir, il ne faut pas te laisser aller à cette impression qui ne peut être que mauvaise pour toi. Tu admires l’énergie, et avec raison ; en cette circonstance, domine-toi et veuille reprendre ton équilibre. » Lors d’une crise morale beaucoup plus grave après l’échec d’avril 1917, il échange avec sa sœur : « J’ai peut-être fait des choses bien depuis que je suis sur le front, mais pas une ne m’a coûté l’effort de maintenant. (…) Malgré mes idées noires j’espère passer une bonne permission à Chaumes, qui me remontera un peu et me redonnera l’insouciance que j’avais en arrivant sur le front. Excuse-moi de te dire toutes ces choses peu remontantes, mais ça me fait du bien de te communiquer ce que je pense en ce moment. Ne montre pas cette lettre à Maman qui serait un peu affolée, dis-lui seulement que je vais très bien physiquement » (p. 164). Paul est blessé gravement et perd un œil dans un combat le 24 mars 1917 (il réussira à voler en opérations avec un œil de verre), il écrit à son père : « Tu as l’air étonné que j’aie accepté mon infirmité avec désinvolture, je trouve que ce serait le contraire qui serait surprenant : il est évidemment fâcheux de perdre une partie de ses facultés, mais devant le fait accompli et définitif, il me semble inutile et enfantin de se plaindre. (…) C’est, je crois, ce qu’un certain Zénon avait écrit à son père, il y a trois mille ans ; c’est assez simple, et je me demande pourquoi il en faisait un tel chiqué. » L’intime masculin affectif et surtout sexuel est rarement évoqué dans les écrits de la Grande Guerre, ce qui rend précieux un passage de Louis (20 ans) à son frère où il expose sa conception de ce que doit être sa sexualité (p.76) : « pour moi, tu seras peut-être épaté par ce que je vais te dire : je n’ai jamais baisé de femme et je ne suis pas allé au bordel ; voici pourquoi : d’abord je ne veux pas faire cette opération avec n’importe qui, cela me dégoûte et me fait le même dégoût que de me laver les dents avec une brosse à dent d’une personne étrangère ; on me proposerait de le faire avec telle jeune femme que je connais depuis longtemps et qui est bien, évidemment j’accepterais, mais avec la première putain venue cela me couperait la chique (…) cela ne m’empêche pas de dire des grivoiseries et d’en entendre et de les comprendre, et même de grosses cochonneries (…). Mes camarades à l’escadrille se doutent bien de ce que je suis, mais ils ne me blaguent pas à ce sujet, et me comprennent bien, du reste. » Une autre richesse de ces lettres est de nous présenter un parler « taupin », l’expression d’une oralité qui nous rend ces acteurs très vivants : les vols, les missions sont « épatantes », « très chouettes » ou « à la noix de coco », l’expression la plus récurrente étant « ça gaze » (ça va, c’est bien). Louis évoque des soucis pour une homologation de victoire « pour mon boche, cela ne gaze pas fort, on n’a pas assez de preuves, une seule n’est pas suffisante : alors, pour la croix, macache tu penses » (p. 168).
En 1942 Paul rédige ses souvenirs dans Heures de guerre et sa conclusion confirme, a posteriori, l’extrême diversité de la perception du conflit par les combattants et anciens combattants, à la fois à cause du cadre spécifique de l’aviation, très différent de la tranchée, et de celui des valeurs personnelles, sociales et politiques, avec lesquelles le conflit a été vécu : « Si la guerre est une réalité abominable, elle est, pour ceux qui se battent, l’occasion, même s’ils n’en ont pas conscience, de mener l’existence la plus conforme à leur vocation d’homme, le désintéressement et l’esprit de sacrifice étant l’exigence fondamentale de la nature humaine ; c’est pourquoi tant de ceux qui ont fait la guerre, ont gardé la nostalgie d’une époque exaltante, dont souvent ils n’ont pas retrouvé l’équivalent dans le bonheur de la paix » (p. 312).

Vincent Suard, février 2016

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Fau, Pierre (1878-1949)

Né à Castres le 26 juin 1878 dans une famille de la bourgeoisie protestante de l’industrie textile. Séjour en Allemagne (Leipzig, Berlin) de 1899 à 1901. Marié en 1907 à Mazamet dans le même milieu ; travaille alors dans l’entreprise de son beau-père. Pas d’enfants. Sa mauvaise vue le fait classer dans le service auxiliaire, mais il est repris dans le service armé le 12 novembre 1914. Après un séjour au dépôt du 143e RI à Carcassonne, il est envoyé en avril 1915 au 346e RI qui a eu de lourdes pertes.
Il a rédigé son témoignage le 1er mai 1922 afin de fixer ses souvenirs. Il ajoute qu’il s’est efforcé « de passer sous silence les heures trop pénibles de cette partie » de sa vie : « Pour celles-là je n’ai pas besoin d’aide-mémoire, je ne les oublierai pas. » Mais le lecteur de son témoignage ne les connaitra pas. Le texte n’était destiné qu’à lui-même. Ses héritiers l’ont conservé et l’ont confié pour édition à la Société culturelle de sa ville natale : Pierre Fau, Pour me souvenir, Mémoire de guerre 1914-1918 d’un bourgeois castrais, Cahiers de la Société culturelle du pays castrais, 2014, format A4, 48 p. Le fascicule contient un tableau généalogique, une liste des secteurs évoqués, avec les croquis correspondants, et des photos de l’album de Pierre Fau. Parmi les secteurs : le Bois-le-Prêtre, le tunnel de Tavannes, le Bois-le-Comte près de Baccarat, le sud de l’Alsace et Pfetterhausen.
Il reconnait que sa nomination d’agent de liaison cycliste en octobre 1915 a été pour lui un événement capital et il fait tout pour conserver un poste, certes quelquefois dangereux, mais qui le fait échapper aux attaques (p. 17) et lui permet assez souvent de bénéficier de meilleures conditions de vie que les hommes en ligne. Il ne veut surtout pas de « l’honneur vague et dangereux d’un grade quelconque » qui risquerait de modifier une « situation de 1er ordre pour ce qui était des troupes du front ».
Les moyens financiers dont il dispose rendent assez souvent possible d’échapper à la condition commune. En août 1915 (p. 12) : « Je vais prendre mes repas non à la roulante mais dans un café où l’on me fait la cuisine. » Même date (p. 13) : « Excellent vin des Vosges. » Septembre 1916 (p. 18-19) : « Le Bois-le-Comte est pour nous un vrai paradis. […] On ne se croirait pas à la guerre. Je vais tous les jours à Baccarat où j’ai pris une chambre à l’hôtel, où je déjeune tous les jours. » Et encore en janvier 1917 (p. 20) : « Je vais tous les jours à Lunéville où j’ai une chambre à l’hôtel des Vosges. Je déjeune aussi à l’hôtel où la cuisine est excellente. »
Il critique les mercantis. À Dugny en août 1916 (p. 15) : « C’est du reste là, la dernière étape avant la mort pour tant de jeunes gens, que l’on rencontre le plus de mercantis de la race la plus abjecte. » En septembre 1917, à Dannemarie (p. 26), il a affaire à « une Alsacienne qui, avec des sentiments très francophiles, exploite de son mieux les soldats ».
On trouve encore des notations intéressantes :
– p. 10 : le 75 qui tire trop court
– p. 12 : la proximité avec Fritz qui fait que, toutes les nuits, on travaille côte à côte
– p. 28 : un coup de main qui échoue à cause de l’artillerie amie qui « fait des victimes parmi les nôtres »
– p. 33 : « le Caporetto français » lors de l’offensive allemande de mai 1918, la débâcle des artilleurs et des civils, tous mêlés sur les routes
– p. 44 : un projet d’attaque criminel alors que l’armistice va être signé.
En tant qu’agent de liaison, il peut témoigner de certains faits spécifiques :
– p. 16 : apporter « le résultat de combats imaginaires, ceci étant destiné dans l’esprit du lieutenant à se faire valoir auprès du colonel »
– p. 18 : un agent de liaison « couché avec 40° de fièvre » sommé d’aller à la ville voisine envoyer un télégramme à la femme d’un capitaine pour annoncer qu’il va venir en permission
– p. 32 : l’expérience lui ayant fait comprendre l’inutilité de certaines missions, il ne les fait pas.
Ajoutons encore ce colonel en fuite, passé en conseil de guerre, mis à pied puis à qui on a rendu un commandement. Conclusion de Pierre Fau (qui n’est pas un esprit particulièrement subversif) : « Un simple soldat aurait naturellement été fusillé. »
Pierre Fau est démobilisé le 19 février 1919, cinq jours après Louis Barthas.
Rémy Cazals, janvier 2016

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Peschet, Albert (1884-1934 ?)

Claude Le Roy, poète, auteur de plusieurs ouvrages sur les Chouans, le bocage, la Normandie, signe le petit livre intitulé La guerre de mon grand-père d’après sa correspondance 1914-1918, Condé-sur-Noireau, Éditions Charles Corlet, 2014, 79 p. Dans sa présentation, il avertit le lecteur que ces quarante cartes postales apportent beaucoup de banalités, renseignements météo, nouvelles de la santé, souci du travail à effectuer à la ferme. Par exemple (page 64) : « Tu me dis que le cochon va bien, tant mieux. J’espère que tu vas avoir beau temps pour le sarrasin, car il fait chaud ici. » Ou (p. 72) : « Tu me dis que tu coupes le blé. Aie soin de bien ramasser tout le foin. Ne laisse pas la faucheuse longtemps dans le champ sans la démonter et mets-la sous les pommiers. »
Ce paysan d’Athis-de-l’Orne était né le 28 juillet 1884 ; père de quatre fillettes en 1914, il tenait la ferme de La Masure appartenant an châtelain local. Territorial, au 32e RIT, Albert Peschet n’est pas allé sur le front ; il a passé toute la guerre dans des affectations autour de Paris à garder des gares et autres points névralgiques (carte p. 15). Par erreur Claude Le Roy écrit (p. 20) qu’Albert appartenait à « l’armée de réserve » et que pour cette raison il n’avait pas à monter en première ligne.
Son service lui laisse du temps pour des activités qui lui rapportent quelque argent : il confectionne des paniers de vannerie, il jardine pour des particuliers. Il troque un panier contre des photographies. Il obtient plusieurs permissions agricoles et participe aux travaux sur sa ferme. Il s’ennuie beaucoup (p. 43, 11 janvier 1916) : « Je m’embête encore plus que d’habitude. Vivement la fin de tout ce fourbi-là ! » Une cousine, dont le frère est sur le front, écrit, de son côté (p. 60) : « Quand donc cette maudite guerre finira-t-elle ? »
Fallait-il publier ce petit livre ? Il aura peut-être peu de lecteurs, mais il rappelle aux historiens que l’expérience d’Albert Peschet est aussi une facette de la Grande Guerre. Voir aussi les notices Banquet, Blayac, etc.
Rémy Cazals, janvier 2016

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Gamel, Roger (1896-1962)

Sur le livre Impressions de guerre 1914-1918, Carnet de guerre de Roger Gamel, poilu aveyronnais, pas de mention d’éditeur mais un ISBN 978-2-7466-7598-8. Si on retourne le livre, c’est une nouvelle couverture, celle des Impressions de guerre 1914-1918, Journal de guerre de Mimi Jacob (voir ce nom). Le livre double, imprimé en 2014, est le résultat d’un travail pédagogique réalisé au lycée Louis Querbes de Rodez (Fax 05 65 78 12 32) sous la direction de Jean-Michel Cosson, professeur d’histoire et de géographie, et de Sandrine Garriguet, documentaliste. Il semble hors commerce mais il est peut-être possible de se le procurer en s’adressant à ce lycée. Je l’ai moi-même reçu sans commentaire. Les deux témoins n’ont aucun rapport, l’un avec l’autre.
Roger Gamel est né à Rodez le 29 juin 1896. Deux lignes de son carnet (p. 51 et 91) nous apprennent qu’il était employé de commerce, ayant travaillé à Paris à la Samaritaine et aux Galeries Lafayette où il reprit du service lors de sa démobilisation en septembre 1919. Le fait que le cahier ait été trouvé par hasard dans un grenier à Lille est peut-être à mettre en rapport avec ses emplois successifs. Marié en 1920 à Deuil-la-Barre (actuellement dans le Val d’Oise), il mourut dans ce même département, à Belloy-en-France, le 26 octobre 1962. Roger Gamel ouvre son cahier en affirmant qu’il est la copie conforme des notes prises pendant la guerre, notes brèves pour la période du 16 avril 1915 (incorporation au 4e RIC) au 29 août 1916 (mutation au 23e RIC) et plus complètes ensuite. Quelques fautes d’orthographe de l’auteur ou de transcription. Les points de suspension dans les citations qui suivent sont de Roger Gamel.
Sans surprise, on trouve dans ce témoignage les habituelles descriptions concernant la vie des poilus. La pluie (p. 16) : « Ma capote tient debout toute seule tant elle a été mouillée. » Le froid (p. 29, 2 janvier 1917) : « Nos boules de pain nous arrivent gelées aussi faut-il nous servir de nos pelles bêches pour les partager en quatre, nous les faisons passer au feu vif pour pouvoir manger ce pain. » Les poux (p. 56) et les rats (p. 85) : « Un rat m’a mordu à la joue, teinture d’iode… » La boue (p. 56) : « Les boyaux ne sont plus que des canaux de boue dans lesquels on s’enfonce par endroit jusqu’à la poitrine. » Les mercantis (p. 27) « sans scrupules qui nous écorchaient de leurs prix excessifs ». L’aide aux paysans (p. 43) : « Blancs et noirs aident nos paysans dans les travaux des champs. Comme partout, on a craint l’arrivée des « Coloniaux » dont la mauvaise renommée n’a été répandue que par des curieux et des jaloux ; et quand les « Coloniaux » s’en vont, on les regrette et on ne se cache pas pour nous le dire. » En permission, l’accueil démoralisant des « civils très patriotes » qui ne comprennent pas ce qu’est la guerre (p. 62) ; et toujours, au moment de repartir, un terrible cafard. L’officier d’état-major, « très élégant et pommadé », qui, tout pâle, passe une heure avec les fantassins : « Il pourra en raconter long sur la vraie guerre ! » La peur au cours d’une patrouille, la vie au milieu des morts, la mauvaise surprise des obus à l’ypérite (p. 59). Plus originale, la situation du groupe à qui on ne peut faire parvenir de nourriture par voie terrestre (p. 34) : « Par signaux optiques, notre aviation est prévenue du danger que nous courons… une dizaine d’avions survolent notre secteur et nous jettent quelques boites de conserves qu’il nous est impossible de retrouver… »
Intéressante description d’une corvée de soupe (p. 57) avec cette précision très concrète : avant d’avoir à affronter le retour, chargés à l’excès, dans la boue et sous les obus, les hommes de corvée ont le plaisir de boire et manger chaud. Jules Puech (voir ce nom) et d’autres l’ont noté. Jules Puech et sa femme Marie-Louise ont également donné de nombreux exemples de prosélytisme catholique en particulier dans les hôpitaux. Roger Gamel en fournit un cas personnel (p. 59) : « Je quitte l’ambulance de Beaurieux… la sœur me coud à ma vareuse un scapulaire et me donne deux médailles elle m’embrasse et je remonte en ligne.»
Nommé observateur du régiment (7/12/1916), il assiste à la destruction du village d’Andéchy (13/12) ; ayant repéré un groupe de travailleurs ennemis, il les signale et a « la satisfaction à voir éclater 8 coups de 75 en plein but ». Il ajoute : « J’ai bien travaillé. » Lors du recul des Allemands dans l’Oise (21/03/1917), il note la joie des habitants sortant de leurs caves pour recevoir les soldats français, et il condamne les dévastations : « Nous voyons partout les arbres fruitiers sciés, les caves inondées, les puits bouchés avec du fumier… là, par ces abominables manières à faire la guerre on reconnaît l’âme boche… la destruction systématique de ce riche pays est complète… pourquoi avoir scié les arbres fruitiers ? est-ce cela qui arrête une armée ? »
Le 16 avril, son régiment est en réserve. Le 18, il décrit l’attaque du mont des Singes. En juin, secteur calme en Alsace. Une brève allusion aux troubles, le 22 juillet : « Quelques régiments se sont révoltés… ça barde… le 20e Corps qui occupe une partie du secteur a un mauvais moral… les pires canards circulent. » Retour vers le Chemin des Dames, fin juillet. Caverne du Dragon (p. 51), Hurtebise jusqu’en novembre (p. 51-61).
Montagne de Reims en février 1918 ; fort de la Pompelle en mars. Le 19 octobre, il est évacué, atteint de grippe espagnole, mais s’en sort rapidement. Le 11 novembre le surprend à Paris, retour de convalescence.

Rémy Cazals, septembre 2015

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Jacob, Brunette dite Mimi (1894-1942)

Cet intéressant témoignage sur les sentiments d’une Lorraine de Sarrebourg au cours de la première année de guerre est intitulé Impressions de guerre 1914-1918, Journal de guerre de Mimi Jacob, sans mention d’éditeur mais avec un ISBN 978-2-7466-7598-8. Si on retourne le livre, c’est un nouvelle couverture, celle des Impressions de guerre 1914-1918, Carnet de guerre de Roger Gamel, poilu aveyronnais. Le livre double est le résultat d’un travail pédagogique réalisé au lycée Louis Querbes de Rodez (Fax 05 65 78 12 32) sous la direction de Jean-Michel Cosson, professeur d’histoire et de géographie, et de Sandrine Garriguet, documentaliste. Il semble hors commerce mais il est peut-être possible de se le procurer en s’adressant à ce lycée. Je l’ai moi-même reçu sans commentaire.
Les renseignements biographiques concernant Mimi Jacob sont donnés par sa petite-fille Michèle Raccah. Mimi est née en 1894 à Schalbach, Moselle, dans une famille juive. Pendant la guerre, célibataire (elle se mariera en 1919), elle vit avec ses parents à Sarrebourg. Son journal personnel est tenu sur deux cahiers, du 31 juillet 1914 au 21 avril 1915, écrits en français. Certains passages en allemand sont traduits. Le fond sonore de ces récits est le bruit du canon. Il y aurait un troisième support, un carnet, dont le contenu n’a pas été transcrit.
Le milieu social de l’auteur n’est pas précisé, mais il semble bien que Mimi ait appartenu à une famille aisée et qu’elle ait fait suffisamment d’études pour écrire avec une certaine facilité. L’expression de ses sentiments révèle de la finesse. Ainsi, dès le 31 juillet 1914 (p. 6), après la description du départ d’un jeune officier, père d’un bébé de trois jours, cette phrase : « Tous ces affreux détails vous glacent d’effroi et vous font entrevoir cette horrible chose inconnue qui s’appelle « la guerre » ! » Elle ne sait pas ce qu’est la guerre, mais elle comprend qu’elle sera horrible.
Mimi et sa famille sont des Lorrains restés français de cœur. Cela se voit dès le début, et de plus en plus en avançant. Les Allemands sont décrits (p. 48) comme des « Huns effrayants qui achèvent à coup de crosse, impitoyablement, ceux que les obus n’ont pas tués ». « Puisse leur châtiment être aussi affreux que leurs crimes ! » A l’hôpital, les infirmières allemandes sont de mauvaises femmes, avec cependant une exception (p. 54). L’enterrement d’un soldat provoque la compassion (p. 107) : « Nous aussi nous pleurons et nous souffrons sincèrement pour cet étranger, cet Allemand, autant dire cet ennemi ; au fond tout de même le cœur n’a pas de frontière, et c’est bon de le sentir. »
Les premières pages décrivent l’atmosphère au moment de la mobilisation (p. 7-10) : les arrestations préventives de « bourgeois de la ville soupçonnés antiallemands » ; le triste départ des hommes de la Landsturm ; un ouvroir où les dames qui cousent des chemises ne parlent que français ; l’inscription de Mimi dans un cours d’infirmières. Arrivent de nombreux blessés bavarois qu’il faut rapidement évacuer car, s’écrie un médecin allemand : « L’ennemi approche, l’ennemi va entrer ici, et il ne doit pas tuer nos blessés dans leurs lits ! » Les 16 et 17 août, la description de Sarrebourg « entre deux feux » constitue une très belle page (p. 17). Le 18 août, « grande, belle, bonne émotion de cette guerre : des cuirassiers français à Sarrebourg ! » Les Jacob se réfugient dans la cave, pleins d’angoisse pour eux-mêmes et pour les soldats français qui rencontrent une vive résistance (p. 19) et doivent se replier et abandonner la ville.
Désormais, on vit comme sous une occupation. Il est défendu de parler français dans les rues. « Les Allemands et les pangermanistes d’ici deviennent de plus en plus insolents », écrit Mimi, formulation ambigüe. Y aurait-il des Lorrains pangermanistes ? L’exemple qu’elle donne ensuite prouve que c’est bien le cas. Les Allemands célèbrent la prise d’Anvers, mais qu’est-ce qu’une victoire ? « La ville en flammes, la population en fuite, en partie tuée en route par les bombes qui éclatent de toutes parts, voilà les sinistres éléments dont se compose une victoire ! »
Mimi est consciente de la partialité des journaux allemands ; elle sait qu’il faut décrypter les nouvelles triomphales qu’ils diffusent. On arrive à lire quelques journaux suisses ou italiens, et même une belle page décrit une scène de lecture clandestine de deux journaux français parvenus on ne sait comment (p. 114). L’opposition de Liebknecht à la guerre est connue le 20 mars 1915, et Mimi signale la suspension de périodiques socialistes pour avoir publié des articles blessants pour l’Autriche. Elle donne même le texte d’un article du Vorwärts condamnant le chauvinisme, malheureusement sans donner la référence précise, ni expliquer comment elle se l’est procuré (p. 109).
Elle sait montrer la confusion de la situation et des sentiments, l’alternance des moments d’exaltation et d’abattement. La faim et les restrictions menacent l’Allemagne (p. 82) : « Nous saluons toutes ces nouveautés avec un vif contentement, quoique nous soyons les premiers à en souffrir ! » L’armée allemande semble éprouver des difficultés sur le front russe (p. 83) : « Il est à espérer que c’est bon signe ; mais là aussi la joie s’accompagne de regrets, car beaucoup d’Alsaciens-Lorrains ont été expédiés là-bas, pour y endurer toutes les souffrances et toutes les privations. »
Je pense que ce texte mériterait d’être connu.

Rémy Cazals, septembre 2015

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Filoche, Albert (1883-1918)

Albert Filoche est né le 25 mars 1883 à Grazay en Mayenne.

Ses parents tiennent une auberge et une boucherie dans le centre du bourg et font le commerce des bestiaux. Il fréquente l’école de son village avant de passer deux ou trois ans dans une institution de la ville voisine de Mayenne. Il est musicien, aime chanter et accompagne volontiers sa soeur au piano. Adulte, il devient marchand boucher à son tour.

Mobilisé comme trois de ses frères en août 1914, Albert Filoche, de santé fragile, ne rejoint le front qu’en février 1915. Il devient brancardier en juillet de la même année (par volonté de faire son devoir sans être contraint de donner la mort à ses semblables) et le reste pendant presque toute la durée du conflit. Son unité, le 124e régiment d’infanterie, change plusieurs fois d’affectation mais c’est en Champagne qu’Albert vit l’essentiel de son temps de soldat : deux ans et demi. Il se trouve aussi à deux reprises dans le secteur de Verdun et pour une courte période dans la Somme.

Après une attaque aux gaz, il meurt le 13 août 1918 à 35 ans.

Albert Filoche est un de ces poilus qui ont beaucoup écrit. Des lettres, des notes rédigées quotidiennement pendant tout le temps où il est front, des contes fantastiques et visionnaires, des récits, des romans inspirés de sa vie passée. Albert Filoche n’a jamais repris ou retouché ses textes, ceux-ci ont été rangés comme des reliques avec les papiers de famille après la mort du brancardier.

Les notes constituent la majeure partie de l’ensemble. Elles sont le résultat d’un va-et-vient entre les tâches du soldat, la lecture des journaux, les rumeurs, les bavardages, les angoisses et les espoirs de ce marchand de bestiaux peu ordinaire qui s’intéresse passionnément aux autres hommes. Tous retiennent son attention : compagnons de tranchées, civils rencontrés au hasard des pérégrinations du régiment, responsables politiques et chefs militaires qui tiennent le sort du monde entre leurs mains. Aussi le poilu Filoche s’interroge-t-il autant sur la situation internationale, les difficultés économiques, les problèmes sociaux, les révolutions que sur les opérations auxquelles il participe ou les batailles dont l’écho se propage d’un front à l’autre. Profondément attaché à la campagne et à sa Mayenne natale, il trouve un peu de répit dans la nature quand il s’éloigne de la « zone de mort ». Sa foi religieuse lui permet de tenir malgré doutes et tourments, du moins au début. Avec le temps, les doutes l’emportent. Tiraillé entre le bien et le mal, la liberté et l’aliénation, la justice et l’iniquité, l’ironie et la compassion, le courage et la peur, la beauté de la nature et l’horreur des champs de bataille, Albert Filoche prie Dieu pour se donner une raison de vivre et se consoler de devoir mourir.

Doué d’une plume alerte et mordante, Albert Filoche écrit comme on se parle à soi même, rapidement par la force des choses et longuement, hanté par le sort des hommes.

Trop étonnants pour tomber dans l’oubli, les textes d’Albert Filoche ont été présentés sous le titre, Moissons rouges, Albert Filoche, brancardier au 124e RI, 1915-1918, par Jocelyne et Michel DLOUSSKY, éditions de L’Oribus, 2004 (328 pages).

Ce titre reprend l’intitulé d’un poème composé en 1915 sur le front de Champagne. En août 1918 alors qu’il se retrouve presque dans la même zone de combat, le poilu Mayennais écrit encore :
« Moissons blondes, combat pour la vie dans la paix,
Moissons rouges, marche à la mort. »

Albert Filoche sur le front

Champagne, mars 1915 – avril 1916
Verdun, mai – juin 1916
Champagne et Oise, juillet – décembre 1916
Somme, janvier – février 1917
Verdun, mars – mai 1917
Champagne, mai – août 1917
Hospitalisation en Champagne, août – novembre 1917
Champagne, novembre 1917 – février 1918
Mourir en Champagne, février – août 1918

Jocelyne DLOUSSKY, docteur en histoire, auteur d’ouvrages sur le Bas-Maine et la Mayenne
Michel DLOUSSKY, correspondant de l’Institut de l’Histoire du Temps Présent – CNRS

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Puech-Milhau, Marie-Louise (1876-1966)

L’âme du réseau de Borieblanque, de 1940 à 1945, était Marie-Louise Milhau, épouse de Jules Puech (voir notice précédente), désignée souvent comme « la bonne fée » aussi bien par des correspondants de la Deuxième Guerre mondiale que de la Première. Elle est née à Castres (Tarn), dans une famille bourgeoise protestante qui a eu des revers de fortune ; c’est pourquoi, titulaire d’une licence, elle accepte en 1900 un poste d’enseignement à l’université McGill à Montréal (Canada), ce qui la met en contact avec le mouvement féministe américain. Revenue en France pour se marier en 1908 avec Jules Puech, un ami d’enfance, son travail intellectuel devient inséparable de celui de son mari dans les organisations en faveur de la paix. Sa connaissance de l’anglais et de l’allemand lui permet d’assurer, dans La Paix par le Droit, les comptes rendus de livres et la « revue des revues » en langue étrangère. De 1915 à 1918, son mari étant dans l’armée, elle le remplace dans ses diverses tâches et abat un travail de secrétariat considérable. Ses archives contiennent la copie de centaines de lettres adressées à diverses personnalités, à quoi il faut ajouter la correspondance quotidienne avec Jules.
D’un autre côté, elle a reçu et conservé dans trois boîtes marquées « Soldats 14-18 » environ 700 lettres à elle adressées par 75 correspondants : des membres de sa famille mobilisés ; des anciens élèves canadiens de McGill, eux aussi sur le front (l’un d’eux lui écrit : « You belonged to the days before things have got so topsy-turvy and unreal ») ; des prisonniers en Allemagne ; des poilus ayant toute leur famille en pays envahi ; et jusqu’à un Alsacien, passé en France à la fin de juillet 1914, engagé dans l’armée française, mais qui ne sait écrire qu’en allemand (voir la notice Auguste Bernard). Tous décrivent leurs conditions de vie et la remercient de toute sorte de bienfaits. Elle leur envoie des colis de nourriture et de vêtements, des livres, des mandats, avec toujours une lettre personnelle, appréciée de ses correspondants. « J’ai vu des camarades tout déçus de recevoir des colis sans la moindre pensée, ni un mot de sympathie, tandis que vous n’oubliez ni le corps ni l’âme », lui écrit Maurice Lévêque, PG à Giessen (30 avril 1918). Elle sait s’adresser aux œuvres pour venir en aide aux soldats, et elle participe aussi directement à la Sauvegarde des Enfants. Le mélange de bonté et d’efficacité quelle que soit la situation qu’on lui expose, qui caractérisera son action sous l’Occupation de 1940-44, est déjà sensible en 1914-18. Ainsi, elle réussit à réunir les membres de familles déplacées. Cherchant des nouvelles sur le sort d’un camarade, le maréchal des logis Charles Kuentz lui écrit (19 mai 1917) : « J’avais pensé à m’adresser au général Hébert, mais j’ai préféré m’en remettre à vous qui approchez tant de personnalités influentes et qui incarnez cet esprit de charité attentive grâce à quoi les déshérités de cette guerre ne se sentent pas absolument abandonnés. » Un autre la prie d’écrire à son officier une lettre de recommandation et s’en trouve bien (26 mai 1918) : « Vous pouvez penser avec quelle joie je constate être remonté dans l’estime du lieutenant. Je vous remercie donc de la lettre que vous lui avez adressée… » Elle réussit à faire affecter dans une usine en mai 1917 un ouvrier métallurgiste de 37 ans, Émile Baudens, père de quatre enfants, sur le front depuis le début : « Sa me semble au Paradis cher Madame, au si longtemps que je vivrée je penserait à vous », lui écrit-il. Le même a besoin de son soutien moral après la guerre. Le 4 mai 1919, il avoue : « Ma petite fille n’est plus la même, elle me dit de retourner [d’]ou je vient, ici ce n’est pas ta maison, elle a 8 ans. » Il conclut : « Il nous faudra 10 ans pour revoir la vie comme en temps de paix. »
Après la guerre, Marie-Louise Puech-Milhau est secrétaire de l’Union pour le Suffrage des Femmes et préside l’Union féminine pour la SDN ; elle est membre du Conseil international des Femmes et une personnalité marquante de l’AFDU (Association des Femmes Diplômées des Universités) section française de l’International Federation of University Women. Dans le cadre de ces diverses associations, elle voyage beaucoup à travers le monde et elle pourra faire jouer tous ses réseaux de relations en faveur des intellectuelles polonaises, tchèques, juives d’Allemagne et d’Autriche réfugiées en France en 1940 et menacées par la victoire des nazis. Son action est très bien documentée grâce à la conservation de milliers de pièces d’archives personnelles. Une école de l’agglomération albigeoise porte son nom.
Rémy Cazals, juin 2015

*Les archives de Marie-Louise sont déposées aux Archives départementales du Tarn. Voir Magalie Amiel, Paroles de poilus, Lettres reçues par Marie-Louise Puech-Milhau pendant la Grande Guerre, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, 2001, 182 p. Et Rémy Cazals, Lettres de réfugiées, Le réseau de Borieblanque, Des étrangères dans la France de Vichy, Paris, Tallandier, 2003, 471 p. [réédition limitée pour l’association Les Audois en 2016, disponible à cette adresse : Les Audois, BP 24, 11020 Carcassonne Cedex]. Voir aussi Marie-Louise et Jules Puech, Saleté de guerre ! Correspondance 1915-1916 présentée par Rémy Cazals, éditions Ampelos, 2015, 572 p. Voir l’article » Paris 1916″ sur le site de la Mission du Centenaire de la Grande Guerre. Il a été question de Marie-Louise Puech dans des colloques tenus à Paris en 2014 et à Gênes en 2015 dont les actes sont en cours de publication.

* Voir dans Cahiers d’études germaniques n° 71 (2016) les articles de Rémy Cazals, « Comment tromper la censure. Correspondance 1915-1916 de Jules et Marie-Louise Puech », p. 151-157, et de Françoise Knopper, « Un épistolier alsacien dans la Grande Guerre », p. 159-169.

* Il est également question de Marie-Louise dans les conclusions de Rémy Cazals au colloque franco-canadien de 2014 à Ottawa et 2015 à Paris : Le Canada et la France dans la Grande Guerre 1914-1918, sous la direction de Serge Joyal et de Serge Bernier, Montréal, Art Global, 2016, 650 p. [p. 633-644].

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Puech, Jules (1879-1957)

Ce n’est pas sa participation à la Première Guerre mondiale qui est en général mise en valeur dans la biographie de ce militant fidèle de la Paix par le Droit depuis le début du XXe siècle jusqu’à la disparition de la fameuse « revue verte » en 1949, docteur en droit avec un beau volume sur Le proudhonisme dans l’Association Internationale des Travailleurs (Paris, Félix Alcan, 1907, 285 p.), docteur ès lettres avec La vie et l’œuvre de Flora Tristan (Paris, Marcel Rivière, 1925, 514 p.), éditeur de Proudhon, vice-président de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848… Pourtant, et bien que réformé pour raisons médicales, il a passé quatre ans sous les drapeaux, dont une bonne partie le fusil à la main.
Né à Labastide-Rouairoux (Tarn) le 20 juin 1879 dans une famille de la bourgeoisie industrielle protestante typique de la région. Études au collège de Castres, illustré vingt ans auparavant par Jean Jaurès, puis à la faculté de Droit de Toulouse où il soutient le combat du professeur dreyfusard Célestin Bouglé qu’il suit à Paris. Membre de la Ligue des Droits de l’Homme, admirateur d’Anatole France, il occupe un poste rémunéré par la Dotation Carnegie pour la Paix internationale, qui lui permet de participer à la gestion de la Bibliothèque Frédéric Passy, de la revue La Paix par le Droit et de la Société française pour l’Arbitrage entre Nations où il côtoie le prix Nobel de la Paix, le sénateur d’Estournelles de Constant. Marié en 1908, pas d’enfants.
N’ayant pas fait de service militaire, il s’engage dans l’infanterie, début 1915 (affecté au 258e RI d’Avignon) pour la raison simple que, si l’on veut établir la Paix par le Droit, il faut détruire le militarisme allemand. Il est alors assez proche de Gustave Hervé. Il poursuit avec sa femme, mais par écrit, les conversations sur les sujets qui les intéressent, et il décrit avec minutie ses tâches militaires, ses lectures et ses sentiments. Le corpus de sa correspondance du temps de guerre compte des centaines de lettres. De mars à juin 1915, avec d’autres « vieux » récupérés, il fait ses classes en Provence et découvre qu’il est bon tireur. En juillet, le voici sur le front, secteur de Verdun, en face du « gibet » (code pour que sa femme comprenne Montfaucon). Jusqu’au 24 septembre, il ne tire pas un seul coup de fusil ; le temps passe en heures de veille en première ligne et en corvées de terrassement. Là, autre découverte, il s’aperçoit qu’il n’est pas du tout doué pour manier la pelle (il préfère la pioche). Et aussi que son bon moral est en contradiction avec celui des autres soldats ; il comprend que cela tient à ce qu’ils ont vécu, eux, le premier hiver de guerre dans les tranchées (voir la notice Robert Hertz). Toutefois, il n’est pas mal vu de ses camarades : « Je crois pouvoir dire que j’ai une bonne presse dans la section ; les camarades me pardonnent assez bien de n’être pas bâti tout à fait sur leur patron. Certains me considèrent comme une sorte de savant occupé à des besognes supérieures ; d’autres comme une sorte d’original que les affaires militaires laissent absolument indifférent, d’autres enfin, comme animé de bonne volonté et ne me faisant pas tirer l’oreille ! Je ne dis pas qu’il n’y en ait point qui détestent ma classe et moi avec par généralisation, et qui ne soient bien aises de voir un bourgeois peiner avec eux ; mais ceux-ci doivent en être pour leurs frais en me voyant d’excellente humeur. » En novembre, ses chefs décident qu’un docteur en droit qui manie très mal la pelle sera plus utile comme secrétaire au bureau du cantonnement, à Montzéville. Ses conditions de vie s’améliorent et il a quelque mauvaise conscience d’être à demi embusqué. Lors de l’offensive allemande sur Verdun en février 1916, les bombardements se font de plus en plus violents ; les derniers civils doivent évacuer les villages, peu à peu détruits. Le 258e disparaît dans les attaques de la fin de mars. Jules Puech passe au 365e RI, d’abord en secteur calme à la frontière suisse. Puis c’est le départ vers la Somme. Aux civils qui saluent les soldats passant dans le train, ceux-ci répondent par des cris « À bas la guerre » (16-6-16). Désormais, les personnages qu’ils détestent le plus sont, dans l’ordre, en premier le Kronprinz, et en second à égalité Guillaume II et Poincaré. Jules Puech lui-même, s’il espère toujours la victoire, n’approuve plus le jusqu’au-boutisme de Gustave Hervé. Il demande ce qu’attend Barrès pour aller au feu. De plus en plus souvent, dans ses lettres, figurent l’expression « saleté de guerre » et le souhait de reprendre au plus vite une existence utile, de se remettre à « travailler ». C’est dans la bataille de la Somme, près de Flaucourt, en juillet 1916, qu’il est pris dans la fournaise, avec son fusil, sous le déluge de feu de l’artillerie et des mitrailleuses. Sur une carte hâtivement rédigée, il annonce qu’il est sain et sauf ; puis, sur une lettre plus longue, il raconte tous les détails du combat de la Maisonnette, non loin de Péronne. Il montre que les soldats (dont lui-même) sont terrorisés à l’idée d’une troisième campagne d’hiver qui s’annonce. « J’accepterais sans scrupules d’être évacué », écrit-il le 29 juillet. Son mauvais état de santé est reconnu. Il est envoyé vers l’arrière, déclaré inapte à l’infanterie et affecté en COA à Limoges en avril 17. Il ne reviendra pas sur le front.
Dès lors, il reprend ses activités dans les organisations pour la Paix et en faveur de la SDN, occupant désormais un poste au ministère des Affaires étrangères jusqu’à sa retraite en 1940. Il peut alors se retirer sur son domaine agricole de Borieblanque, près de Castres (Tarn), d’où il envoie à Pétain des lettres de critique (anonymes évidemment), où il participe à une résistance intellectuelle avec son ami de jeunesse Albert Vidal (voir ce nom) et surtout où il aide sa femme à faire vivre un réseau de soutien à des intellectuelles étrangères réfugiées en France et sans ressources (voir notice suivante).
Rémy Cazals, juin 2015
* Voir Rémy Cazals, « Faire la guerre pour établir la Paix par le Droit : Jules Puech (1915-1916) », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, janvier-mars 2014, « Les protestants français et la Première Guerre mondiale », p. 399-416. Les lettres de guerre de Jules Puech sont déposées aux Archives départementales du Tarn depuis leur publication en octobre 2015 : Marie-Louise et Jules Puech, Saleté de guerre !, correspondance 1915-1916, présentée par Rémy Cazals, Paris, Ampelos, 2015, 572 pages.

* Les lettres de féroce critique envoyées de manière anonyme au maréchal Pétain en 1941 et 1943 devaient être publiées par les éditions La Découverte en janvier 2016. En affirmant des sentiments pétainistes et en se présentant comme admirateur du général SS Reinhard Heydrich, un petit-neveu de Jules Puech (pas un fils, pas un neveu) a surgi et a interdit cette publication. La loi dit qu’il en a le droit ! Affaire à suivre.

* Voir dans Cahiers d’études germaniques n° 71 (2016) l’article de Rémy Cazals, « Comment tromper la censure. Correspondance 1915-1916 de Jules et Marie-Louise Puech », p. 151-157.

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