Escholier, Marie (1876-1956)

1. Le témoin

Née à Mirepoix (Ariège) dans une famille de notables, propriétaires de la ferme de Malaquit où elle revient chaque année en vacances après son mariage avec Raymond Escholier en 1905. Celui-ci était un critique d’art, conservateur de musée à Paris.

Après la guerre, Raymond et Marie écriront des « romans du terroir », parmi lesquels Cantegril obtint le prix Fémina en 1921. Elle est décédée à Malaquit le 21 mars 1956.

2. Le témoignage

A Malaquit, Marie Escholier et ses deux fils attendent Raymond qui doit « descendre » de Paris en cet été de 1914. Mais il ne viendra pas. Marie commence alors un journal, qu’elle va tenir jusqu’au 12 mai 1915. Son fils Claude pense qu’après cette date, en accord avec son mari, elle a abandonné son journal pour se consacrer à l’écriture de leur premier roman, Dansons la trompeuse. Le manuscrit du Journal n’était pas destiné à la publication, mais rien ne l’interdisait. Retrouvé par Claude Escholier, il a été publié en 1986 sous un titre qui n’est pas d’origine : Marie Escholier, Les saisons du vent. Journal août 1914 – mai 1915, Carcassonne, GARAE/Hésiode, 1986, 154 p., prenant aussi le n° 10 dans la collection « La mémoire de 14-18 en Languedoc ». Une présentation des éditeurs explique en quelques pages le choix du titre. Postface de Claude Escholier, « Naissance d’une écriture ». Le volume donne une liste des romans publiés en collaboration entre Marie et Raymond Escholier, et un lexique des mots occitans employés dans le Journal.

3. Analyse

La grande finesse de l’auteur lui permet de comprendre les individus ; son sens de l’observation lui permet de décrire l’impact de la situation de guerre sur une société rurale, la campagne ariégeoise autour de Mirepoix. On peut regrouper les principaux apports en trois grandes parties.

Bouleversements et brassages

La mobilisation des hommes jeunes a des conséquences fortes sur le travail des champs, sur l’aspect de la rue, et sur l’honorabilité de quelques jeunes filles qui ne pourront pas « réparer leur faute » dans le mariage. Des réfugiés arrivent du Nord, de Belgique, de Paris en août, avant la bataille de la Marne. Cela produit quelques frictions. La classe 14 vient faire des manœuvres autour de Malaquit ; les jeunes soldats ont l’air d’un « troupeau d’enfants malades », d’autant qu’une épidémie de méningite fait des ravages. L’ambiance générale est triste : pas de foire, pas de fête. Mais, en février, il y aura la fabrication de la charcuterie à partir du cochon élevé à domicile : l’ordre immuable de la cérémonie sera respecté.

L’information

Le grand thème, c’est l’attente des nouvelles. Le facteur prend une importance inhabituelle. Les lettres deviennent source collective d’informations (« la lettre d’un soldat appartient à tout le monde »). Echanges d’objets avec le front : colis de vêtements et de nourriture d’un côté ; produits de l’artisanat des tranchées de l’autre. Les silences et les contradictions de la presse sont assez vite perçus ; on ne croit plus à ce que disent les journaux (« dont les fanfaronnades imbéciles me font mal au cœur », écrit Marie dès le 6 septembre 1914). Mais on les lit tout de même. Les rumeurs circulent, dans la version « archaïque » des prophéties (p. 28, 48, 60, 79).

Sentiments et attitudes

L’état de guerre crée une conception plus profonde de la vie. On regarde avec respect ceux qui vont partir au feu. Les enfants sont confondus de voir pleurer un homme adulte, un soldat blessé venu en convalescence et qui repart. Les lettres contiennent des formules terribles dans leur laconisme : « Je suis encore en vie, la plupart des copains sont morts » ou « J’ai bien changé, je sais ce que c’est que la vie, nous sommes moins qu’une fumée ».

L’enthousiasme patriotique est vite remis en question. Dès le 4 octobre, un soldat qui va partir remarque : « Nous sommes de la viande de boucherie. » Un autre, réformé, rayonne. Une mère dont le fils est prisonnier à Magdeburg est radieuse, et Marie Escholier précise : « On a des bonheurs qui feraient la désolation des jours ordinaires. » Une réfugiée belge annonce que dans quinze ans la France et l’Allemagne seront alliées contre l’invasion russe. L’Union sacrée aussi est remise en question. La campagne critique la ville. On recherche le bouc émissaire : pour certains, ce sont les curés et les riches qui ont déchaîné la guerre ; pour d’autres, la défaite est due à la débandade des soldats d’Antibes, aux socialistes, aux officiers, ou tout simplement à la « trahison ».

Au total, des pages admirables.

4. Autres informations

– Voir la notice Raymond Escholier dans Témoins de Jean Norton Cru.

– Alexandre Lafon, « Un couple dans la guerre : Raymond et Marie Escholier », dans Patrimoine Midi-Pyrénées, n° 1, octobre 2003, p. 58-59.

– Bernadette Truno, Raymond et Marie-Louise Escholier. De l’Ariège à Paris, un destin étonnant, Canet, Editions Trabucaire, 2004, 222 p., illustrations.

Rémy Cazals, 02/2008

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Garbissou, Paul (1892-1914)

1. Le témoin

Né à Ouveillan (Aude) le 23 octobre 1892 dans une famille de petits propriétaires viticulteurs. Titulaire du Brevet élémentaire. Il fait son service militaire au 80e RI de Narbonne lorsque la guerre éclate. Grièvement blessé, il meurt à l’hôpital de Zuydcoote (Pas-de-Calais), le 27 décembre 1914.

2. Le témoignage

Dès le 1er août 1914, il prend des notes au crayon sur un très petit carnet, de format 10 x 6,5 cm. La dernière date mentionnée est celle du 25 décembre 1914 : « Nous nous préparons à revenir dans les tranchées […] ». Le carnet fut envoyé après sa mort à sa famille, qui l’a conservé. Le texte a été édité à la suite de celui d’Antoine Bieisse, sous un titre emprunté à ce dernier : Plus d’espoir, il faut mourir ici !, carnets d’Antoine Bieisse et de Paul Garbissou, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1982, 62 p. [le carnet de Paul Garbissou occupe les p. 27 à 49 ; son portrait se trouve en 4 de couverture].

3. Analyse

Début de la guerre dans les Vosges, puis transfert vers la Belgique en passant par l’Aisne. Bataille de l’Yser. Du 1er au 20 novembre, « journées terribles, ayant attaque sur attaque, et laissant chaque jour beaucoup de morts et de blessés ». En dehors des périodes de combat, il décrit les journées « tranquilles », il s’intéresse à la nourriture, il signale les rencontres avec des « pays ». Les nombreuses et longues marches sont aussi mentionnées.

Rémy Cazals, 11/2007

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Moulis, Charlotte (1891-1957)

1. Le témoin

Née à Albi (Tarn) le 16 avril 1891. Domestique engagée par la famille de Moustier, elle est aide de cuisine, sous les ordres du chef Thibault au château de Clémery, près de Nomény (Meurthe-et-Moselle). Restée célibataire, elle est décédée à Albi le 12 septembre 1957.

2. Le témoignage

Sur un petit carnet, Charlotte Moulis a pris des notes d’août 1914 à janvier 1915, texte qui se termine par la phrase : « Six mois de front inoubliables ». Le carnet (qui contenait aussi un certificat de bonne conduite) a été retrouvé dans le tiroir d’un meuble acheté aux enchères plus de vingt ans après son décès, qui appartenait peut-être à sa soeur. Il est publié dans Récits insolites. Carnets de Charlotte Moulis, Emile Bonneval, Etienne Loubet, présentation générale de Rémy Cazals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 67 p. [Charlotte Moulis : Six mois de front inoubliables, p. 13-33], illustrations.

Il est intéressant de remarquer que la fille des châtelains, Anne-Marie de Moustier, a publié son propre récit ; il existerait également un texte écrit par sa mère, la comtesse de Moustier elle-même.

3. Analyse

Le château de Clémery se trouve quasiment sur la frontière de 1914 entre la France et l’Allemagne. Pendant six mois, le secteur est épargné par les tirs d’artillerie, si bien que les nobles propriétaires et leurs serviteurs peuvent rester au château. La guerre qui se déroule à proximité, et jusque dans le parc, n’oppose que des patrouilles et ne fait que quelques morts et quelques blessés, soignés au château, qu’ils soient français ou allemands. Ceux-ci étant qualifiés de Prussiens, cela renforce encore le caractère anachronique de ces épisodes. Ce n’est qu’en janvier 1915 que Charlotte emploie le mot « les Boches » et que l’artillerie rend impossible de rester au château. Auparavant, Charlotte avait décrit les atrocités commises à Nomény, et la victoire de la Marne alors que tout le monde croyait que les combats avaient encore lieu en Belgique.

4. Autres informations

– Anne-Marie de Moustier, Six mois dans un château aux avant-postes. Journal de guerre du 1er août 1914 au 15 janvier 1915, s. l., 1916, 183 p. [se trouve à la BM de Nancy].

Rémy Cazals, 12/2007

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Loubet, Etienne (1887-1976)

1. Le témoin

Né à Pezens (Aude) le 23 février 1887 dans une famille de vignerons propriétaires et de commerçants, épiciers, transporteurs. Catholique pratiquant. Titulaire du Brevet élémentaire. Célibataire en 1914. Marié après la guerre et fixé à Aragon (Aude) comme vigneron, et où il est mort le 28 novembre 1976.

2. Le témoignage

Publié dans Récits insolites. Carnets de Charlotte Moulis, Emile Bonneval, Etienne Loubet, présentation générale de Rémy Cazals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 67 p. [Etienne Loubet : Ma campagne de Sibérie, p. 51-66], illustrations.

Dans le carnet d’Etienne Loubet, toutes les pages antérieures au 10 décembre 1918 ont été arrachées, vraisemblablement par lui-même avant sa mort. On pense dans la famille qu’il confia certains papiers à des amis pour les brûler. Son séjour sur le front en France n’est connu que par les témoignages familiaux.

3. Analyse

Blessé en février 1915, horrifié par ce qu’il avait enduré sur le front de l’ouest, et ne voulant plus y retourner, il se porta volontaire pour partir en Extrême-Orient en mars 1916. Après un séjour en Indochine, le Bataillon colonial sibérien arriva à Vladivostok le 9 août 1918. Il se dirigea vers l’ouest par le transsibérien pour prendre les Rouges à revers et il se trouvait à Novosibirsk le 11 novembre. Etienne Loubet ne participe pas aux affrontements. Il décrit surtout les déplacements en train et la température hivernale. La retraite commence le 24 décembre. Arrivé à Tien Tsin, il achève ainsi son carnet : « Campagne de Sibérie terminée le 19 février 1919 ».

4. Autres informations

– JMO du Bataillon colonial sibérien, SHDT, 26N 868.

Rémy Cazals, 12/2007

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Bonneval, Emile (1888-1936)

1. Le témoin

D’une famille originaire de la Corrèze, Emile Bonneval est né le 21 mars 1888 à Saint-Denis, banlieue parisienne, d’un père employé dans les transports publics. A l’école jusqu’au Certificat d’études primaires. Il entre lui aussi dans la compagnie des transports où il monte les échelons en passant des concours internes : il finit inspecteur de la STCRP. Blessé dès le 4 septembre 1914, bien soigné par les Allemands, il doit cependant subir la dure vie de travail dans les kommandos, ce qui altère sa santé. Il meurt à 49 ans, le 12 mai 1936.

2. Le témoignage

C’était d’abord un tout petit carnet soustrait aux innombrables fouilles des gardiens. Après la guerre, il retranscrit ses souvenirs sur le cahier qui, pendant le service militaire, lui avait servi à copier un répertoire classique de chansons. Le cahier est conservé par la famille. Il est publié dans Récits insolites, Carnets de Charlotte Moulis, Emile Bonneval, Etienne Loubet, présentation générale de Rémy Cazals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 67 p. [Emile Bonneval : Le prisonnier aux mille tours, p. 35-49], illustrations.

3. Analyse

Au début de la guerre, rejoint le 156e RI à Troyes. Blessé le 4 septembre en Lorraine, ramassé le 6 par une patrouille allemande. Déplâtré le 4 novembre. Interruption des notes de novembre 1914 à mars 1916. On connaît seulement ses déplacements, d’un camp à l’autre. En avril, envoyé en représailles du côté de Tilsitt, où il évoque Napoléon. Travail à la tourbière, colis, punitions. En octobre 1916 au camp de Stendal et en kommandos agricoles, puis dans diverses activités où il n’hésite pas à pratiquer quelques sabotages.

Rémy Cazals, décembre 2007

Complément : photos du fonds Bonneval dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 21 (deux gamins russes prisonniers en Allemagne) et p. 87 (au camp de Stendal, PG français prêts pour un déplacement).

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Bieisse, Antoine (1893-1947)

1. Le témoin (1893-1947)

Né à Castelnaudary (Aude) le 27 septembre 1893, petit-fils de meunier, fils d’un brigadier d’octroi devenu ensuite percepteur à Saint-Papoul (Aude). Etudes secondaires au collège de Castelnaudary. Joueur de rugby au Quinze Avenir Castelnaudarien (photo dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 74). Au service militaire au 143e RI de Castelnaudary lors de la mobilisation. Gravement blessé, fait prisonnier, il est rapatrié par la Suisse en décembre 1915. Commis des contributions indirectes à Angoulême en 1917, puis à Albi (Tarn) où il se marie en 1919. Il est ensuite percepteur à Cadalen (Tarn) où il meurt le 1er avril 1947.

2. Le témoignage

Antoine Bieisse, « Souvenir de la campagne 1914-1915 », dans Eckart Birnstiel et Rémy Cazals, éd., Ennemis fraternels 1914-1915, Hans Rodewald, Antoine Bieisse, Fernand Tailhades, Carnets de guerre et de captivité, Toulouse, PUM, 2002, 191 p. [p. 133-153], illustrations.

Première édition sous le titre Plus d’espoir, il faut mourir ici !, carnets d’Antoine Bieisse et de Paul Garbissou, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1982, 62 p.

Dans les deux cas, il s’agit de la transcription directe des notes prises pendant la guerre par le témoin.

3. Analyse

Les premières pages contiennent des notes brèves sur l’atmosphère à la caserne du 143e RI en juillet 1914 et sur les premiers jours de la campagne. Arrivé sur le front en Lorraine le 9 août, il est grièvement blessé le 20, et ramassé par les brancardiers allemands le 25. Prisonnier à Ingolstadt, rapatrié via la Suisse en décembre 1915. La publication de son témoignage reprend le texte de son petit carnet rédigé en captivité, qui décrit longuement l’expérience traumatisante de ces cinq jours et cinq nuits passés allongé sur le champ de bataille.

Photo dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 74

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Aribaud, André (1896-1989)

1. Le témoin

Né à Montolieu (Aude) le 27 décembre 1896 dans une famille de cultivateurs, fils de Joseph Aribaud et de Marguerite Combettes. Le lendemain de son succès au certificat d’études primaires en 1909, il entre au travail dans une usine textile (où, à partir de 1915, on produit du drap bleu horizon). Engagé volontaire pour quatre ans dans l’artillerie en 1916. Brigadier le 17 mars 1918. Maréchal des logis le 26 août 1919. Rengagé en 1920. Marié le 14 mars 1922. Sous-lieutenant en 1933. Commandant de réserve en 1953, puis lieutenant-colonel. Médaille interalliée, médaille militaire, chevalier de la Légion d’Honneur en 1950. André Aribaud est mort à Carcassonne le 31 mars 1989.

Photo d’André Aribaud dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 37.

2. Le témoignage

André Aribaud, Un jeune artilleur de 75, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 72 p., illustrations.

Texte rédigé en 1984, à l’âge de 87 ans, en suivant de près ses carnets de notes de l’époque et sans ajouter de commentaires anachroniques.

3. Analyse

Le premier chapitre raconte brièvement son enfance et son adolescence à Montolieu, petite ville d’industrie textile proche de Carcassonne, puis la période des classes au 3e RAC. Il arrive sur le front à Verdun en mai 1917, au 273e RAC (97e division), participe à la reprise de la cote 304 et du Mort Homme, puis à la défense face à l’offensive Ludendorff dans l’Aisne en mai 1918 (seule occasion de pointer à vue sur l’infanterie ennemie). En septembre 1918, le régiment est employé dans la reconquête de la poche de Saint-Mihiel et dans la poursuite jusqu’à l’armistice.

Le récit d’André Aribaud suit de près le contenu de ses carnets originaux, sans prise de position pour ou contre la guerre, mais avec des descriptions concrètes utiles pour illustrer l’accueil des bleus par les anciens, l’angoisse sous les obus à gaz, l’horreur du champ de bataille, la compassion pour les blessés, même allemands… Un chapitre explique précisément le fonctionnement de l’artillerie au front. André Aribaud montre, lui aussi, ce que Jean Norton Cru avait tiré de son expérience personnelle et de ses lectures : l’infanterie allemande sans défense contre un barrage par les batteries de 75, et celles-ci, à leur tour, victimes de l’artillerie lourde ennemie (Témoins…, p. 27). Les derniers chapitres de l’ouvrage portent sur l’occupation en Allemagne, les troubles en Haute Silésie en 1920-21, dans la Ruhr en 1923.

4. Autres informations

– Registre matricule, Archives de l’Aude, RW 642.

– Notice dans Les Audois, dictionnaire biographique, sous la dir. de Rémy Cazals et Daniel Fabre, Carcassonne, 1990, p. 39.

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