Résumé de l’ouvrage :
Le village aux toits rouges. Bourmont et ses environs vus par des Américains (1917-1919). Les lettres non censurées d’une cantinière.
SHAL (Bourmont), 2021, 175 p.
Katharine Morse est cantinière, attachée à la compagnie A du 23e RIUS du corps expéditionnaire américain basé à Bourmont (Haute-Marne) à la fin de 1917. Elle débute, à son arrivée dans le village, le 24 novembre, une auto-correspondance qui raconte son action pour la distraction et le bien-être, dont alimentaire, des Doughboys. Mais elle évoque aussi le lien, parfois surréaliste, avec la population et le quotidien de la présence américaine, en nombre, dans le secteur, ce jusqu’au 10 mars 1918, date du départ du régiment pour le front, en Meuse.
Eléments biographiques :
Katharine Duncan Morse est née le 19 juin 1888 à Amherst, dans le Massachusetts (Etats-Unis), dans une famille aisée et cultivée de 7 enfants. Son père, Anson Daniel Morse est un historien et universitaire de renom qui eut parmi ses étudiants le 30e Président des Etats-Unis, Calvin Coolidge. Il meurt en 1916. L’une de ses sœurs, Margaret Morse Nice deviendra une ornithologue réputée. A 16 ans, Katharine voyage en Europe et à 18 ans, elle entre aux prestigieux Smith College, la plus grande université pour femme des Etats-Unis. Elle ne termine toutefois pas son cursus dans cet établissement. Lettrée, elle publie régulièrement des poèmes dans le magazine de l’université. Elle reprend pourtant ses études à l’Université de Californie (l’UCLA) en 1912-1913. La guerre déclarée, elle se met au service de la Y.M.C.A. et part pour la France fin octobre 1917. Elle est basée à Bourmont, (depuis 2018 Bourmont-entre-Meuse-et-Mouzon) du 23 novembre 1917 au 8 février 1918 puis à Goncourt, la commune voisine, du 9 février au 11 mars 1918. Son parcours est ensuite meusien, avec des séjours de durées variables, à Dieue-sur-Meuse, Gondrecourt, Abainville ou Mauvages mais elle relate également des déplacements à Paris, ou en permission à Etretat, Aix-les-Bains, Saint-Malo ou Cauterets. Le 10 janvier 1919, alors qu’elle a déjà dépassé son contrat d’engagement de 8 mois, elle quitte Mauvages, pense repartir au pays puis se ravise et arrive à Paris le 7 février, pensant qu’elle peut être encore utile. Elle dit : « Si je repartais au pays maintenant, j’aurais l’impression d’être une dégonflée et je ne pourrais plus me regarder en face pendant tout le reste de ma vie ». Elle poursuit donc son travail de cantinière pour l’armée dans l’Est (Bar-le-Duc, Verdun, Conflans-Jarny) et le 15 mai 1919 ; elle quitte la France sur le paquebot Imperator. En août 1920, elle publie the Uncensored letters of a canteen girl puis elle publiera divers autres ouvrages de poésie, des pièces de théâtre ou des livres pour enfants. La Deuxième Guerre mondiale la retrouve volontaire au Seamen’s Church Institute à New-York où elle retrouve, comme dans la guerre précédente, un monde d’hommes, soldats et marins. Elle continue à publier des poèmes, parfois nourris de son expérience aux services des militaires, puis s’établit sur Staten Island dans les années 1950, se consacrant au jardinage et à l’observation des oiseaux. Entrée en maison de retraite au début des années 1970, K.D. Morse s’éteint le 12 juillet 1975. Elle repose aujourd’hui à côté de son frère, Harold, qui s’est noyé accidentellement à l’âge de 11 ans, en 1896, au Wildwood Cemetery de Amherst.
Commentaires sur l’ouvrage :
Publié aux Etats-Unis en 1920, les lettres non censurées d’une cantinière sont présentées par Jean-Marie G.-H. Pierre, qui expose, dans une préface introductive, ses recherches sur les Américains dans leur concours à la France à partir de 1917. C’est à la suite de la découverte de la version américaine de cet ouvrage qu’il décide d’en effectuer une traduction. En effet, natif de Bourmont, il lit dans ces pages une véritable « appropriation » de son village par Katharine Morse. Ayant découvert des descendants de ce témoin, il en reconstitue le parcours et publie les pages consacrées à sa présence à Bourmont et Goncourt. Le présentateur explique également le pourquoi d’un titre si énigmatique, évoquant des « lettres non censurées ». En fait, « non censurées » car « non envoyées » « il s’agit [en fait de lettres], d’avantage d’une sorte de « journal de bord » tenu presque quotidiennement du 24 novembre 1917 au 21 avril 1919 avec pour point de départ des notes jetées sur « des bouts de papier, lors de rares moments de répit, à la cantine, ou la nuit, à la lueur d’une bougie dans (son) cantonnement ou le matin devant l’âtre de Madame, les pieds sur une chaufferette » (page 11). Dès lors, cette initiative de traduction et de réintroduction dans l’histoire locale de ce petit village de l’est haut-marnais, aux portes des Vosges, permet en filigrane une excellente illustration anthropologique du lien entre les soldats américains et la population rurale bourmontaise. Elle qui révèle également la différence des mondes entre France et Etats-Unis du début du vingtième siècle, ce qui fait d’ailleurs dire aux soldats : « Ce pays a mille ans de retard ! » (pages 43 et 107). L’autre apport appréciable est que Katharine Morse nous connecte également à de nombreuses reprises à l’état d’esprit des Doughboys. Un très bon témoignage d’une jeune femme à hauteur d’homme. L’ouvrage est bien présenté, sauf l’appareil de notes, rejeté en fin d’ouvrage, et un peu compliqué à retrouver.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 01 ; Cantonne dans la famille Chaput
3 : Description de l’intérieur, M. Chaput couche dans un lit à alcôve
5 : Leçon de lessive « à la française »
: Ambiance d’après pécule
7 : Phrases des anciens combattants pour « remettre les jeunots à leur place »
8 : Sur l’argent, les billets et leur durée de conservation par les américains, surnom
9 : Sur les pièces de monnaie, surnoms, tromperie d’argent mexicain sans valeur
10 : Sur les 8 langues utilisées dans une escouade
13 : Nègre
15 : Problème de langue entre français et américains
19 : Sombre intérieur des maisons
20 : « On se sentira bien seules quand les Américains partiront »
21 : Espionnite (vap 61 sur une empoisonneuse, et p. 68)
25 : Tabac gratuit envoyé par le Fonds du Tabac Sun
26 : Coutume de la buche de Noël
28 : Sur le gui
31 : Vue d’un enterrement d’un soldat US
38 : Froid, encre qui gèle
: Sur le vol de couverture, considéré au rang de crime
42 : Chop suey, plat chinois
: Ennui à Bourmont ; les hommes demandent à monter au front
43 : « Frénésie » de l’apparition de la moustache chez les soldats US qui se font prendre en photo avec pour l’envoyer à leur petite amie (vap 106)
: Fusil (Springfield US M17 ?) surnommé « Betsy, l’embroche-crapauds », Betsy était le surnom du fusil de Davy Crocket
: Patriotisme émoussé à la confrontation de la guerre et du séjour en France
: « Depuis mon arrivée, j’ai vu le soleil deux fois » « et encore on aurait dit qu’il était un peu moisi »
45 : Cour martiale
49 : Mangeurs de grenouilles
: Puni pour avoir utilisé son casque comme bouilloire, condamné à une amende de 20 dollars
50 : Hospitalisée à Paris pour rougeole
64 : « Depuis l’arrivée des Américains, toutes les femmes ont quitté l’usine pour laver les vêtements des américains »
69 : Vue de l’hôpital de Goncourt (16 malades)
71 : Bataillon MILK car il est composé des compagnies I, K, L et M
: Vitex, ersatz de verre
72 : Maisons consignées à cause de l’alcool (vap 74) et rumeur d’utilisation comme « bordel » pour les officiers
76 : Problèmes d’indiscipline et de violence, raison : « Prenez un échantillon moyen de deux mille cinq cents garçons, soustrayez les à toute bonne influence capable de les restreindre, faites les marcher toute la journée dans la boue et sous la pluie jusqu’à ce qu’ils tombent d’épuisement au bord de la route, ramenez les le soir vers des greniers ou des granges sombres, endroits froids, humides, crasseux et infestés de vermines, ajoutez à cela la tension provoquée par la perspective de monter au front pour la première fois, fermez leur toutes portes sauf celles du café et donnez leur de l’argent – et dites moi quel résultat on peut attendre de tout ceci ? »
78 : Auto-blessure de la main pour échapper au front
80 : Martin surnom français d’une mule, Maud chez les américains
: Batiste, toile noire
83 : Prix de la cantine et ce qu’on y trouve
: Visite de Pershing
85 : Etonnée de la grossièreté des hommes : « Avant, j’ignorais combien le Corps Expéditionnaire Américain pouvait être aussi régulièrement et continuellement grossier une fois livré à lui-même. Ce qui est étonnant – car ceci semble être leur manière normale de s’exprimer – c’est comment ils arrivent à se débarrasser de toute grossièreté quand on les entend parler de manière un peu affectée dans les cantines. »
86 : Ordre de raser les crânes avant de monter au front
: Conseil à K.D. Morse : « Restez à l’écart de tout ceci. C’est pas pour les fillettes ce qui se passe là-bas » et « Vous envoyer au front sans vous avoir fait subir les exercices avec des masques n’est rien d’autre qu’un meurtre de sang-froid »
107 : Sur les tas de fumier
116 : Leave Areas, zones de permission
Yann Prouillet, 21 avril 2025
Baudlot, Camille (1903-1994)
Résumé de l’ouvrage :
J’avais dix ans en 1913, slnd, 22 p.
Né en 1903, Camille Baudlot, fils de pâtissier dans la commune de Nurlu, à une dizaine de kilomètres au nord de Péronne dans la Somme, se souvient, à l’aube de ses 80 ans, de son adolescence dans la Grande Guerre. Dès la déclaration, il se rappelle du départ de son père, au 13ème jour de la mobilisation, puis de son retour, 15 jours plus tard, sans qu’il s’explique cette « libération ». Le 17 août, il voit passer des réfugiés belges, bientôt suivis par l’armée française en déroute. Le canon se rapprochant, les parents de Camille mettent ce qu’ils peuvent sur une charrette et prennent eux-aussi la route de l’exil. Hébergé quelques jours chez une lointaine cousine, la famille est « rattrapée » par les Uhlans ; elle rentre alors à Nurlu. Vers le 6 septembre, le village est libéré après la bataille de La Marne mais les Allemands reviennent, manquant de fusiller son père. Et le village de s’enfoncer dans l’occupation. Le 10 octobre, les Allemands embarquent son père comme prisonnier civil ; il ne rentrera dans ses foyers que le 17 janvier 1916. Il se souvent également (page 9) d’un espion français, apparemment déposé par un avion (?), muni de pigeons voyageurs, logé pendant 12 jours chez un voisin, et renseigné par des résistants de sa famille. Il évoque également un trafic de viande. Vers le 25 juillet 1916, « étant la première maison du village » en direction de Péronne (p. 11), la famille est expulsée. Il se souvient encore de la mort en combat aérien du sous-lieutenant Henri Desnos le 24 septembre 1916 – un monument marquant cet évènement est toujours visible au centre de Nurlu. Quatre jours plus tard, les Allemands décident d’évacuer le village. Par Beauvois-en-Cambraisis (où il se souvient avoir fait se première communion, le 13 novembre), puis Caudry, dans le Nord, la famille échoue à Revin dans les Ardennes. Elle se retrouve dans la loge de concierge d’une usine ; elle va y passer le reste de la guerre. À 14 ans, l’adolescent est réquisitionné au travail obligatoire et est affecté comme jardinier, se considérant comme « un peu moins malheureux » (p. 15). En 1918, son père et son frère (âgé de 17 ans), sont à nouveau prisonniers civils. Son père sera gravement blessé et évacué en Allemagne ; il ne rentrera qu’en mars 1919 mais gardera toujours des séquelles de ses blessures mal soignées. Resté seul avec sa mère, les troupes ennemies se retirant de la ville, Camille est évacué à Rocroi, se souvenant d’une des nuits les plus terribles qu’il ait vécue, celle du 10 au 11 novembre 1918. A 9 heures, des Italiens, accompagnés de dragons français, arrivent et annoncent la fin de la guerre. Camille et sa mère restent à Rocroi jusqu’en mars 1919, rejoint par les deux frères puis par leur père. Nurlu étant entièrement rasé, la famille échoue dans un premier temps dans une ferme de Brétigny-sur-Orge, ce jusqu’en 1920, quand ils retournent enfin dans leur village dont ils ne retrouvent l’emplacement de leur maison que par quelques tessons de la vaisselle familiale ! Avec des briques récupérées et grattées, ils reconstruisent une baraque provisoire, puis participent à la renaissance du village, en 1921. Le 13 novembre, il fait son service militaire au 5e régiment de Chasseurs à Cheval avant de fonder enfin lui-même une famille. Il termine son récit par cette affirmation, que le lecteur ne saurait remette en cause : « Tout ce que j’ai raconté est rigoureusement exact » !
Eléments biographiques :
Camille Georges Henri Baudlot est né le 14 août 1903 à Nurlu dans la Somme. Il est le fils d’un pâtissier, décédé le 11 septembre 1926, et de son épouse, mère au foyer. Camille est la cadet de la fratrie, ayant deux frères, Edmond, né en 1895, et Maurice, né en 1900. Il se marie le 21 septembre 1931 et de son union naîtront deux filles. Son épouse, qu’il qualifie de « compagne idéale » (p. 22), décède en 1968. Il est un temps recensé comme gérant, domicilié à Amiens, rue Béranger, en 1936. Il dit avoir fait la Deuxième Guerre mondiale et « un peu de résistance » (p. 22). Il décède le 25 janvier 1994 à Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine) à l’âge de 90 ans.
Commentaires sur l’ouvrage :
Peu d’erreurs, peut-être chronologiques, sont relevées dans ce petit livret de 22 pages, auto-édité, en forme de rapide autobiographie de guerre d’un adolescent, de 11 à 15 ans, balloté de son village de Nurlu, dans la Somme, aux Ardennes occupées, où toute la famille a été déportée, avant de ne rentrer dans un foyer arasé à reconstruire qu’en 1920. Un récit dense et intéressant malgré sa brièveté et son absence de profondeur, à classer dans les souvenirs de guerre d’adolescent.
Yann Prouillet, 20 avril 2025
Guillot, Gaston (1889-1960)
Résumé de l’ouvrage :
La nuit Casquée, Spès, 1931, 227 p.
Douze années après la guerre, des poilus d’un régiment non dénommé, possiblement le 1er BCP, en garnison avant l’été 1913 à la caserne Beurnonville de Troyes (Aube), puis à Senones (Vosges), survivants de la Grande Guerre, se retrouvent dans une taverne de Montmartre avec leurs épouses. Chacun d’entre eux se rappelle tour à tour les vivants et les morts dans des petits récits anecdotiques truculents ou tragi-comiques, certains trouvant leur siège dans l’Aube, ou pour la plupart en Lorraine, en Meurthe-et-Moselle ou dans les Vosges, à divers moments de la Grande Guerre.
Eléments biographiques sur l’auteur
Gaston Guillot est un né à Paris le 27 novembre 1889. Il indique en exergue-hommage de son livre avoir un frère de 22 ans « qui laissas dans une ambulance allemande ton pauvre corps ». Il parle d’Aimable Guillot, 2e classe au 156e RI, né 6 janvier 1893 à Paris, tué à l’ennemi à Morhange le 20 août 1914. Il évoque également un frère aîné, Georges, mort à 37 ans d’un éclat d’obus à la poitrine au Fort de La Pompelle (Marne). Mais une incertitude demeure ; s’agit-il en fait de ce soldat du 30e RI né le 12 décembre 1879 à Paris, mort de ses blessures à l’ambulance 1/44 de Dugny dans la Meuse ? Journaliste, traducteur et romancier, il publie une quarantaine d’œuvres de fiction entre 1906 et 1957. Ancien combattant dont la carrière militaire n’est toutefois pas connue, Gaston Guillot est signalé membre du Service Médical du Bureau de l’Association des Ecrivains Combattants pour l’exercice 1933. Gaston Guillot meurt à Paris le 8 janvier 1860.
Commentaires sur l’ouvrage :
Cet ouvrage, à classer dans l’imposante cohorte des contes de guerre, modèles des récits rocambolesque et invraisemblables nés de 1914-1918. Suite d’anecdotes, pour certaines basées sur un fond de vérité (les quelques patronymes ou toponymes cités existent), les situations exposées sont toutefois improbables et, à l’étude, comportent des erreurs parfois grotesques qui font douter que l’auteur fut lui-même un combattant. Par exemple, il voit une Bourguignotte aux combats de Bru (Vosges) début septembre 1914 (p. 67), situe La Chapelote (sic) à 20 km du premier village (p. 83), évoque un no man’s land de 10 km en octobre 1914 dans les Vosges (p. 120) ou attribut à Blâmont le statut de hameau (p. 127). Il fait également des erreurs terminologiques qui dénotent l’absence de maitrise du vocabulaire combattant ; il fixe une bougie au bocquillon (sic) d’une baïonnette (p. 193) ou trouve la lame de la Rosalie triangulaire ! (page 200). Cette suite carnavalesque, livre-cliché inutile de récits de guerre, ne saurait en aucune façon constituer un témoignage et est à ranger dans les curiosités locales ; nombre de récits siégeant leur « développement » dans les secteurs de Baccarat, La Chipotte, La Chapelotte ou Senones, dans les Vosges.
Yann Prouillet,18 avril 2025
Puistienne, Jean (1896-1983)
Résumé de l’ouvrage :
Escadrille 155. Jean Puistienne & Jean Bommart. Berger-Levrault, 1935, 222 p.
8 mars 1917, après une blessure, Jean Puistienne, du 105e R.I., est versé comme élève pilote dans l’aviation. Il débute alors son journal de guerre qui l’amène, de son arrivée à l’école de Dijon, en passant par Istres, Avord et Pau, à sa nomination comme pilote de chasse à la N 155. Il raconte dans ses écrits sa formation, son intégration comme « bleu », ses combats jusqu’à l’apothéose de la victoire, « défilant » au-dessus de Metz, le 19 novembre 1918, pour y récolter … une radiation du personnel naviguant !
Eléments biographiques :
Jean, Charles, Victor Puistienne est né le 29 octobre 1896 à Vichy (Allier). Il est le fils de Léon, docteur en médecine et médecin-chef de l’hôpital thermal de la ville et de Marie Charlotte Berlencourt. Il s’unit à Casablanca au Maroc le 23 février 1935 à Simone Raufast, née en 1906. Il a une sœur, Colette, née en 1900, et semble être chef d’entreprise à Casablanca après la Grande Guerre. Il y a peu d’éléments sur son parcours militaire. Classe 1916, étudiant célibataire, il est recruté à Roanne et appelé préliminairement au 121e RI le 9 avril 1915 puis passe au 105e R.I. de Riom (Puy-de-Dôme). Blessé au visage sur la Somme à l’automne 1916 par éclat d’obus, il souhaite changer d’arme et, en mars 1917, après quatre demandes infructueuses, parvient à entrer en formation d’élève pilote. Il dispose d’une fiche de personnel sur le site personnel de l’aéronautique dans Mémoire des Hommes. Il passe avec succès les différentes phases de formation, du débourrage à Dijon dès le 31, à son affectation comme pilote à l’escadrille N 155 stationnée alors à Mélette, près de Châlons-sur-Marne (aujourd’hui Châlons-en-Champagne) et dont l’insigne est le Grand Cacatois, un perroquet puis le Petit Poucet en mars 1918 (p. 133). Il passe caporal le 20 juillet 1917 et termine sa campagne comme sergent. Fin 1918, il obtient une citation qui reprend ses actions teintées de courage (reportée p. 218). Le 11 novembre, il sous-entend qu’il est un miraculé ; il dit : « Décidément nous n’aurons pas laissé notre peau dans la bagarre ». Sa carrière comme aviateur, pourtant brillante, malgré 14 mois à tromper la mort dans le ciel, s’achève dans une bacchanale aérienne qui le destitue. Le 19 novembre, au-dessus de Metz reconquise, il survole, en compagnie de 4 camarades, le défilé de la victoire. Il dit : « Et c’est le drame : … Lequel a commencé ?.. Un carrousel aérien se déclenche… Loopings, glissades, boucles… au-dessus de la foule ravie… Soudain, une clameur s’élève… Avec fracas, un Spad vient de s’écraser sur le pavé… ». Le 13 décembre, la sanction tombe. « Le sergent Puistienne, du 105e d’infanterie, détaché à l’escadrille SPA 155, cité à l’ordre de l’armée… Une blessure… et ses quatre camarades sont punis de quinze jours d’arrêts de rigueur, radiés du personnel navigant de l’aéronautique et renvoyés dans leurs armes respectives, avec le motif suivant : « Pilotes absolument inconscients, sont un danger pour la sécurité publique ». « Nous nous sommes inclinés, sans protester. La guerre était finie. On n’avait plus besoin de nous (p. 215 à 219). » Il termine, amer, son journal en disant « Si – ce qu’à Dieu ne plaise – on avait un jour de nouveau besoin de nous, il serait inutile de nous appeler » (p. 219) mais il semblerait toutefois que Jean Puistienne soit resté dans l’aviation puisqu’il figure au grade de capitaine à l’effectif de l’escadrille ERC (Escadrille de réserve de chasse) 571 stationnée à Casablanca le 10 mai 1940. Pascal Poly confirme en effet qu’il a été commandant de la 6e escadrille du GC III/4 de décembre 1939 à juillet 1940. L’escadrille ERC 571 a été intégrée au GC III/4 et le capitaine Puistienne a pris le commandement de la 6e escadrille de ce GC III/4 créé en mai 1940 à partir de l’ERC 571 et l’ERC 573 stationnée à Casablanca le 10 mai 1940. Jean Puistienne décède le 23 janvier 1983 à Lagardelle-sur-Lèze (Haute-Garonne) à l’âge de 86 ans.
Commentaires sur l’ouvrage :
A l’instar de Georges Villa dans son carnet de guerre paru dans Au-dessus de la tranchée pour l’aviation d’observation, Jean Puistienne livre dans son carnet de vol un témoignage vivant, « sur le vif », haletant même si peu délayé, mais qui rapporte excellemment la vie et l’évolution d’un pilote de chasse de la Grande Guerre en formation puis en combat sur les deux dernières années de guerre. Après un an d’apprentissage, il vole sur le Môme Jeannette, décrivant une lutte aérienne de manière haletante et finalement impressionnante, évoquant un véritable « sabbat » (p. 176). Il est heureux quand il abat enfin son premier « boche » le 27 janvier 1918 (page 120). Un ouvrage à placer alors dans les tout meilleurs témoignages sur l’aviation. Le livre est préfacé par Gilbert Sardier, ancien chef d’escadrille de la SPA 48 qui évoque « notre jeunesse sportive ; insouciante, fougueuse, dont le patriotisme exalté par l’appel du Pays en danger fut mûri par le climat ardent de l’Aviation de Chasse ». L’ouvrage est co-présenté par le journaliste et romancier Jean Bommart, dont on n’identifie toutefois pas le rôle exact dans la publication.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 36 : Tente D.W., Dickson-Walrave (vap 157), tente au velum blanc (p.177)
42 : Terminologie des élèves par rapport à leur niveau d’apprentissage
43 : Tenue copurchic
68 : Le Fantôme, fuselage d’avion fixé au sol et son fonctionnement
86 : Casque Roold, et chanson sur
92 : Avion camouflé
98 : Tricots Rasurels et lutte vestimentaire contre le froid
105 : Réseau tissé par les balles incendiaires
109 : « Mission spéciale » du dépôt d’espion derrière les lignes ennemies
119 : Différence entre guide et chef meneur d’homme
121 : Ce qu’il faut faire en cas de capture (brûler l’avion, lexique, Colt + 3 chargeurs)
: Bague touchwood, porte-bonheur
133 : Choix du Petit Poucet comme nouvel insigne, proposé par le lieutenant Persillie
135 : « Beau spectacle, un peu bruyant » des mitrailleuses et de la DCA
139 : Nom des avions (Spad, Nieuport, Morane, Bréguet, Caudron, Dorand, Farman, Sopwith, Letord, Voisin, Caproni) et caractéristiques
158 : Assèchement du terrain à l’essence enflammée
177 : « J’ai retrouvé un éclat de ferraille incrusté dans mon bloc-notes »
179 : Enrayage trop fréquent des Wickers
181 : Degorce se lave les dents avec une allumette enduite de craie pour enlever le tartre
196 : Autrey (Vosges)
201 : Citation de l’Escadre de combat n°1 signée par Pétain. La N155, en 7 mois, a abattu 106 avions et incendié 42 drachens,
208 : Au retour d’un combat, il compte 23 balles dans son avion, dont deux dans le pare-brise
210 : « Penché sur le vide, son mitrailleur distribue une mort scientifique six cents fois à la minute »
213 : Il survole le Bois-le-Prêtre et dit : « Pont-à-Mousson passe, les anciennes lignes silencieuses, mortes, qui font tâche dans le paysage vert comme la cicatrice d’une vieille blessure »
219 : Affaire de l’accident aérien de Metz, qui lui vaut sa radiation
Yann Prouillet, 17 avril 2025
Monnet, François (1900-1937)
Résumé de l’ouvrage :
L’abbé François Monnet. Chapelain de Saint-Dié. Curé du Thillot. 1900-1937 par l’Abbé X. Charles, Imprimerie Coopérative Saint-Michel, 1938, 109 p.
François, Marie, Camille Monnet naît le 16 octobre 1900 à La Bresse, dans les Vosges. Troisième d’une famille de huit enfants, deux sœurs le précèdent. Son père est fondé de pouvoir de M. Bodenreider, industriel, et sa mère élève la fratrie dans la religiosité. Dès l’âge de 11 ans, il souhaite être prêtre. Après une première formation au presbytère de sa commune, il entre à 13 ans au petit séminaire de Mattaincourt. Son père est mobilisé alors que la commune n’est pas loin du front de la Grande Guerre dans les Vosges mais il poursuit ses études à partir de la réouverture de son établissement scolaire religieux en mars 1915. Ne pouvant rejoindre Saint-Dié, sous la menace des canons allemands, pour intégrer le grand séminaire, il poursuit à Mattaincourt et c’est étudiant qu’il vit l’Armistice, qu’il décrit quelque peu. En octobre 1920, il fait son service de deux années au 170e R.I. qui tient garnison en terre allemande, à Kehl. Il est caporal, nommé secrétaire du chef de bataillon. La fin de la guerre est pour lui une période de trouble qui correspond au basculement de la guerre à la paix mais également à un après-guerre qui questionne sa foi comme sa vie de jeune adulte dans les prémices de la Belle Epoque. Il dit, peu avant l’Armistice, le 2 novembre : « Moi-même ne suis-je pas un représentant du XXe siècle ? » (p. 12), poursuivant en écrivant : « Si je n’étais pas chrétien, je serais un Renan, sensible, porté à une métaphysique nuageuse, avec des attraits de mysticisme, cherchant toute jouissance d’esprit et de cœur ; peut être de plus basses » (p. 13). Son biographe décrit ses sentiments le soir du 11 suivant, entrevoyant « une vague de jouissance qui va déferler » faisant tressailler son âme sacerdotale devant un « débordement de plaisirs » : Le jeune séminariste dit : « Quelle va être mon attitude à moi ? Quelle doit être l’attitude d’un prêtre et d’un séminariste devant ces événements ? Il me semble qu’il faut répondre : compenser par des mortifications… Voici une nouvelle ère de l’histoire du monde » (p. 16). [Car il pratique la mortification et plus loin il en décrit les instruments : cilice, bracelet, privations de vin, heure de travail parfait, bréviaire debout, travail à genoux, dizaine de chapelet bras en croix, etc. (page 65)] Son temps militaire effectué, il entre, en octobre 1922 au grand séminaire de Saint-Dié. Il est nommé prêtre le 5 avril 1924 et nommé vicaire à la paroisse Saint-Maurice d’Épinal dès le 11 suivant. S’en suivent de multiples affectations (curé d’Housseras en 1928-1929), missions et direction spirituelle dans les Vosges avant d’être nommé curé du Thillot en 1935. Le 26 janvier 1937, il est victime d’un accident de moto sur la route du Thillot à la Bresse et meurt à l’hôpital de Remiremont le 3 février suivant à l’âge de 37 ans.
Commentaires sur l’ouvrage :
Cette biographie compréhensiblement laudative vaut par l’âge de son sujet, qui, de 14 à 18 ans, vit la Grande Guerre au petit séminaire de Mattaincourt. Ne tenant pas de carnet, sauf quelques rares éléments repris dans un court cahier de notes tenu du 21 octobre au 20 novembre 1918, ce livre n’est pas un témoignage de guerre. De fait, très peu de références au conflit ne sont contenues dans cet ouvrage, à rapprocher des souvenirs de l’abbé Alphonse Haensler dans son ouvrage Curé de campagne par le parcours d’un prêtre vosgien contemporain de la Grande Guerre. L’ouvrage recèle quelques photographies. Sont cités dans l’ouvrage en notes plusieurs prêtres Vosgiens contemporains dont l’aumônier Gustave, Paul, Henry, né le 31 juillet 1875 à Mattaincourt et mort pour la France le 29 juin 1916 à La Grange-aux-Bois, près de Sainte-Menehould dans la Marne (page 45).
Yann Prouillet,16 avril 2025
Dutoo, Charles (1886-1964)
Résumé de l’ouvrage :
Les mémoire d’un chef de fanfare, Charles Dutoo, Ets Douriez-Bataille éditeur, 1963, 96 p.
Aumônier du 56e BCP, l’auteur, au début des années 1960 couche sur le papier ses mémoires de guerre et notamment le rôle qu’il accepte du successeur de l’emblématique colonel Driant, mort dans les premiers jours de la bataille de Verdun, le commandant Berteaux, de monter une fanfare régimentaire. Bénéficiant pour ce faire d’un appel de Maurice Barrès dans la presse, 6 000 francs sont collectés, permettant la créant de l’ensemble musical, l’acquisition des partitions et des instruments. Un appel « aux chasseurs ayant des connaissances musicales et la pratique d’un instrument » reçoit la candidature de 50 d’entre eux. La fanfare est ainsi rapidement montée, avec 28 exécutants, majoritairement des gars du Nord et du Pas-de-Calais. La générale se passe à la tête des troupes en traversant Belfort en mai 1916. Dès lors, la formation se produit au gré des mouvements du bataillon, se rodant au camp d’Arches, dans les Vosges, puis sur la Somme en juillet, dans le secteur du fort de Vaux et en Champagne en 1917. La formation accompagne les messes ou les visites d’autorités, distrayant les soldats entre deux attaques. Parallèlement à la vie de son unité sonore, Dutoo relate sa vie particulière d’aumônier-musicien au front. Il raconte le côtoiement étonnant des soldats noirs du Bataillon du Pacifique, dont le roi de l’île de Lifou. Musicien bien entendu, l’auteur explique le fonctionnement de son « unité », son registre, ses archives, bientôt complété par une chorale. L’hiver 1917 se passe en Alsace avant un retour en Champagne à l’été 1918. Il est en Flandre et participe aux derniers combats en Flandre belge à la fin de la guerre lorsque le 15 octobre, à 10 heures du matin, il est blessé à la jambe par un éclat d’obus. C’est sur la place d’Avranches qu’il participe à la joie délirante de la population à l’annonce de l’Armistice. Il vit ces grandes journées en territoire belge, défilant avec la 77e Division avant d’entrer en territoire allemand aux premiers jours de 1919, logeant ses fanfaristes chez des allemands. Il décrit enfin la dissolution du 56e bataillon, réparti dans les 9ème et 18e BCP, lui-même étant versé au 9ème. Le 29 mars 1919, à Mohon, dans les Ardennes, il est démobilisé pour reprendre son service de vicaire à l’église Saint-Etienne de Lille.
Eléments biographiques :
Charles Dutoo nait le 20 avril 1886 à Tourcoing, dans le Nord. Il fait ses études au collège du Sacré-Cœur, où il cultive très tôt sa vocation religieuse. Il entre au Grand séminaire à Cambrai et Saint-Saulve, près de Valenciennes et fait entre temps son service militaire au 8e BCP à Amiens. Il est ordonné prêtre le 7 juillet 1912 et est nommé professeur au collège de Tourcoing. C’est là que la guerre le mobilise au 26e BCP, celui du colonel Driant, dont il devient l’aumônier. Il retrouve à Tourcoing le 4 décembre 1918 sa mère, « que je n’avais pas revue depuis 4 ans ». Après la guerre, il reprend son métier de vicaire pendant 10 années puis devient sous-directeur puis directeur diocésain des Œuvres de Lille pendant les 18 années qui suivent. Il est également Pasteur à Notre-Dame-de-Fives et curé-doyen à Lille Saint-Maurice. Il fonde l’Action civile ouvrière puis l’Action catholique, ayant une action sociale tournée vers les « humbles gouvernantes de presbytère, à ces femmes qui par leur dévouement caché aident le ministère des prêtres pour un salaire souvent modeste » (selon un discours posthume anonyme). Il restera très marqué par la guerre et décède de longue maladie le 27 janvier 1964 à l’âge de 78 ans. Il était chevalier de la Légion d’honneur, et avait également reçu la Croix de guerre et la Médaille militaire.
Commentaires sur l’ouvrage :
Le témoignage de l’aumônier-fanfariste du bataillon des chasseurs de Driant Charles Dutoo est par cette fonction un livre de souvenirs singulier. Même si peu profond dans sa matérialité testimoniale, souvent se raccrochant aux secteurs parcourus, un peu moins précis sur les dates, il permet toutefois de retracer la réalité peu connue d’une fanfare de bataillon au front, activité périphérique le plus souvent dévolue au service de santé, ainsi que son animation musicale dans la guerre. Constituée par la conjonction de la volonté, « le rêve » du colonel Driant et l’appui de Maurice Barrès pour sa constitution, Dutoo n’élude rien de sa création, de son économie, de son fonctionnement, de ses œuvres et autres caractéristiques (comme la création périphérique d’une chorale) en replaçant cette existence dans les différents fronts de sa Grande Guerre, entrant par cette relation dans le champ testimonial. Ceci principalement de 1916 à la dissolution du bataillon (28 février 1919) et sa démobilisation (31 mars 1919). Mais il n’est pas seulement musicien ; sa tache au front est également la gestion des morts et le renseignement des vivants. Il dit à ce sujet : « Les lendemains d’attaque, je recevais toujours une avalanche de lettres. Familles ou amis voulaient apprendre de l’aumônier où, quand et comment leur être cher était tombé. Après avoir trié prudemment ; on comprend pourquoi, toute la correspondance du défunt, je renvoyai aux siens les modestes mais précieux souvenirs, qui alimenteraient sa mémoire, peut-être au cours de plusieurs générations » (page 29). Plusieurs descriptions de cette tâche sont à relever dans l’ouvrage. Dutoo décrit également son côtoiement avec les soldats d’un Bataillon du Pacifique et de son roi.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 30 : Monseigneur de Liobet, évêque de Gap, futur archevêque d’Avignon, atteint par la loi Dalbiez, versé à 42 ans dans une division du 30e corps.
32 : Chasseur mort de froid
33 : Fouille les morts pour restituer objets et documents, rédige des cartes macabres à l’intention des familles
: « Il n’y a avais plus [à Verdun] que des ossements et de la poussière ! Je me disais que le sol de Verdun était réellement fait de la cendre des morts : que la terre entière aussi était faite de tous ceux qui nous avaient précédés, depuis des millénaires, et que l’Eglise avait raison de nous rappeler chaque année que, comme les autres, « nous sommes poussière et nous retournerons en poussière »»
34 : Ramassage des corps éclatés
37 : Nom et paternité de morceaux joués par la Fanfare
40 : Espionnite, affaire des signaux, en fait une chasse aux pigeons
45 : Nécrophores (insectes) empêchant le transport des corps, traînés sur le champ de bataille
: Constitution d’un cimetière, gravage des noms sur des boîtes de conserve, carte des croix
48 : Baptême de l’air proposé aux officiers au repos
52 : Bataillon du Pacifique, nom de roi, difficulté climatique et repos à Saint-Raphaël, utilisation privilégiée du tutoiement, hommes champions du lancer de grenade (fin 55)
65 : Kouglof appelé gouqueloupf
80 : Sur les caves de Reims
84 : Reçoit en don d’un prisonnier allemand un parabellum
86 : Aime son Adrian, « ce cher casque « ennobli », lors de ma démobilisation, d’une visière supplémentaire de cuivre »
92 : Démobilisé, il reçoit « un costume civil gris de douteuse qualité », le costume Abrami.
Yann Prouillet,16 avril 2025
Gaston, Gras (1896-1961)
Résumé de l’ouvrage :
Douaumont, 24 octobre 1916, Frémont (Verdun), 1929, 159 p.
Gaston Gras, classe 1916, jeune sergent, commandant une escouade de la 4e section de la 3e compagnie du 4e bataillon du régiment d’infanterie coloniale du Maroc (RICM) se souvient, à Toulon, le 3 mars 1928, de l’attaque et de la reprise du fort de Douaumont, le 24 octobre 1916. Son récit de deux semaines haletantes débute à Stainville, le 20 octobre, relate la montée en ligne, la capture du fort, l’état dans lequel il se trouve, reconquis aux Allemands, sa réorganisation, la relève, épique et mortifère, le repos à Verdun et son retour à Stainville, le 3 novembre, auréolé de victoire.
Eléments biographiques :
Gaston, Marius, Joseph, Antoine Gras naît le 28 février 1896 à Toulon (83) de Victor, François, Pierre, Gras et de Marie, Gabrielle, Joséphine, Françoise Funel. Il est marié à Germaine, Paula, Adèle Bergondy et, après la guerre, fait une brillante carrière d’avocat, terminant bâtonnier. Il s’éteint étonnamment à l’opéra de Toulon le 7 janvier 1961. Son épouse décède quant à elle le 26 juin 1975 à l’âge de 75 ans.
Commentaires sur l’ouvrage :
Gaston Gras ouvre son ouvrage sur ces mots : « Ces pages, écrites voici près de trente ans, parues pour la première fois en 1929. (…) j’ai pensé que ces souvenirs – ce témoignage de bonne foi – ne seraient point inopportuns ». L’ouvrage s’ouvre également ensuite sur le RICM, premier Régiment du Monde, qui écrit la page de gloire qui suit, également rappelé dans la préface du lieutenant-colonel, alors capitaine, Dorey.
C’est à Stainville, le 20 octobre 1916, que Gaston Gras, à la tête de sa section, monte dans les camions qui, par Bar-le-Duc, le déposent à la Citadelle de Verdun. Par le Faubourg Pavé, il monte en ligne, sur le Bled. Suivent les pages épiques de l’attaque du Fort de Douaumont, son description après sa reprise à l’ennemi qui l’a occupé depuis le 25 février, et son organisation pour sa conservation. Quelques jours plus tard, l’ordre de relève, la tâche accomplie, arrive ; c’est le retour à Verdun dans une marche vers l’arrière épique et mortifère. Il revient à Verdun, qu’il décrit, au tout début de novembre avant de revenir, en camion, à Stainville, pour que le régiment y reçoive, des mains du Président de la République, la Légion d’Honneur. L’ouvrage se décompose donc ainsi en épisodes : Montée en ligne, en avant !, le Fort, après la conquête, retour… et Stainville encore. Ces deux semaines homériques sont précisément décrites, à quelques rares exceptions, les noms sont indiqués dans un style quasi journalistique, fourmillant de tableaux vivants et de données utiles. L’ouvrage est bien entendu teinté d’hommage, voire un hymne au RICM qui a payé un lourd tribu (rappelé page 19) pour cette reprise au retentissement mondial.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 15 : Peinture des camions
16 : Parachute de fusée utilisé comme foulard
19 : Pertes et captures du RICM à la guerre
20 : Légende des gendarmes pendus à Verdun à des crocs de bouchers
21 : Comment on prononce shrapnels
29 : Caresse hideuse de la boue, son bruit
: Eau sortant de la tranchée dans le champ de bataille de Verdun au « goût indécis de terre grasse et de poudre délayée, de sang peut-être »
: Horreur d’un soulier 28/4 dépassant dans la tranchée
32 : Odeur d’une cagna
42 : Nuit d’avant-combat
43 : Sur les Sénégalais « ce sont des électeurs, mais on voit sur leur poignet, à moitié caché sous les manches, des courroies de cuir brun ; leurs gri-gri, qu’ils serrent fanatiquement »
Martiniquais et le froid
44 : Eclat d’obus terminant sa course dans sa capote (vap 48)
: Humour, bravade factice à la mort imminente
: Belles phrases que quelques minutes avant l’assaut, finalement libératoire
45 : Calepin réclame de Pétrole-Hahn, bloc-note de coopé
48 : Touché par une balle sans force
: Horreur
50 : Service de récupération et délai de retours des sacs
51 : « Cigares gros comme des Zeppelins »
: Prisonniers allemands heureux
55 : Calicots blancs pour signaler la présence aux avions
: Annonce de la prise de Douaumont (vap 58 comment)
57 : Fusées et signalisation
62 : Rôle et difficulté des nettoyeurs
66 : Sur la légende du drapeau, de la prise par le 321
67 : Sergent Belton Chabrol, « flic » à Paris, décisif dans la prise du fort
68 : Problème de l’aiguille de la boussole déviée par le fer du casque et l’acier du révolver
69 : Compagnie 19/2 du Génie, nettoyeuse du fort
: Sergent Salles, un des premiers à pénétrer dans le fort, qui capture le capitaine allemand Prollius, commandant le fort
: Surprise allemande
71 : Etat des allemands : « Ce sont de pauvres loques humaines, qui ont faim, qui ont froid, qui ont peur, et qui portent dans ls portefeuilles grossiers qu’ils nous tendent des photographies de femmes ou d’enfants, comme on aurait trouvé dans nos portefeuilles de faux cuir. Alors je comprends que la Victoire, ce n’est guère que de la Pitié »
72 : Singe en boîte rouge
75 : Pour Dessendié, « on est embusqué toutes les fois qu’on, est pas « à portée de grenade des Boches » »
77 : « Nous avons bu ce soir-là pour la première fois, de cette eau bourbeuse qui stagnait dans les trous de 105 ou de 210. Un affreux relent de terre pourrie, de fumier humain régnait dans nos bouches, mais il fallait calmer la fièvre » (vap 99)
81 : Bilan de la prise de Douaumont : 200 prisonniers et le commandant, pertes : 2 morts et une douzaine de blessés légers
85 : Odeur de l’ennemi, « odeur de rat mouillé qui le caractérise à notre odorat – cette odeur que nous devions exhaler aussi bien que lui après cinq ou six jours de négligence corporelle »
: « Mais Fritz avait le génie de l’installation » et explication
86 : La Chipotte et Charleroi citées comme des lieux de combats de 1914
91 : Couleurs des cartouches des pistolets lance-fusée de signalisation
: Description du contenu de la musette, trophées : bidon allemand et une patte d’épaule
92 : Gros homme surnommé « Crapouillot »
96 : Pêche à la grenade dans la Meuse, qui a détruit une passerelle
: Ode à la toile de tente : « La toile de tente, c’était notre maison volante, c’était notre édredon nocturne, et ce pouvait être aussi notre linceul éternel »
103 : Ravitaillement dans les sacs allemands : « A la guerre on boit ce qu’on peut »
114 : Fiche rouge d’évacuation
: Homme blessé alors qu’il urinait
117 : Boue s’insinuant partout, jusque dans les parties intimes
121 : Sur la miction au front
122 : Lecture du journal au garde à vous
123 : Sa tentative de réveiller deux hommes morts le fait analyser la mort des hommes
132 : Horreur d’un coup direct sur un homme projeté par l’explosion
141 : Son aspect après la bataille
142 : Roulante surnommée le « torpilleur »
143 : Liste des survivants de sa compagnie (vap 148, 100/800 au début de la bataille)
: Photo grotesque de soldats déguisés à Verdun dans l’Illustration
: Vue de Verdun fin octobre 1916
146 : Le sommeil « c’est une sorte de mort accablée qui vous absorbe entièrement »
147 : Coupe sa capote à cause de la boue
155 : Effets changés et hommes tondus
156 : Revue et décoration du RICM par Poincaré, Nivelle, Mangin, Guyot de Salins, colonel Régnier
159 : Assassinat par un officier allemand prisonnier du commandant Nicolay
Yann Prouillet,15 avril 2025
Chatot, Eugène (1880-1973)
Résumé de l’ouvrage :
Eugène Chatot (1880 – 1973), affecté au 8e Génie, est interprète auprès de la 35e division de l’armée américaine. La partie éditée de son carnet de guerre couvre la période du 31 juillet au 30 décembre 1918 et débute dans les Vosges, près de l’ambulance alpine du camp Larchey, sur les pentes sud du Klinzkopf, dans les Hautes Vosges. Début septembre, il part pour l’Argonne avant d’être légèrement blessé par un obus et gazé à la fin du mois. Evacué et hospitalisé, il vit l’Armistice en convalescence, revient au front et termine son journal dans la Meuse à la toute fin de décembre 1918.
Eléments biographiques :
Eugène Chatot naît à Gizia (Jura) le 3 septembre 1880 de Claude Antoine Chatot, instituteur, qui décède dès l’année suivante, et de Marie Adelina Garnier, qui deviendra en 1887 receveuse des Postes dans le Doubs. En 1893, Eugène Chatot étudie au collège de Baume-les-Dames puis il devient ami avec Louis Pergaud. De formation intellectuelle, il publie dans différentes revues sous le pseudonyme de Max Garnier (le nom de jeune fille de sa mère) des poésies et une notice biographique. Il travaille sa connaissance de l’anglais au Val College de Ramsgate (Angleterre) de 1902 à 1904. Le 24 août 1907, il se marie à Belfort avec Louise Gressebucher ; tous deux travaillent aux PTT, avant qu’Eugène soit nommé à la bibliothèque du Ministère à Paris. Louis toutefois est cardiaque, mal dont souffrira également sa fille. Marie-Louise, sa fille, y nait le 7 janvier 1914. Le 2 juin 1917, Eugène est affecté au 8e régiment du Génie. Maitrisant l’anglais, il est traducteur pour l’Armée américaine, traduisant également des documents. Il dit être nommé brigadier le 11 août 1918, fait mineur pour lui qui précise : « L’évènement n’a rien de sensationnel. Il aura cependant pour résultat une légère augmentation de ma solde, et en cas de malheur, de la pension servie à ma veuve ». Il est démobilisé le 30 janvier 1919 et remis dès le lendemain à la disposition de son employeur, les PTT, où il fera toute sa carrière. Le 28 juin suivant, à l’occasion du Traité de Versailles, il est chargé du bureau de poste temporaire, installé pour la signature. Le couple à la douleur de perdre Marie-Louise, à l’âge de 12 ans, le 24 août 1926 et Louise décède elle-même le 22 avril 1934 à l’âge de 51 ans. Le 1er septembre 1935, il est l’un des animateurs de la Société Littéraire des PTT qui vient d’être crée. Le 6 juin 1936, Eugène épouse en seconde noce Delphine Duboz, veuve de Louis Pergaud, à Paris, où ils s’installent. Cette dernière décède le 16 juillet 1963 et le 19 janvier 1965 est créée l’Association des Amis de Louis Pergaud sous l’instigation d’Eugène Chatot qui décède le 5 juillet 1973 à l’âge de 92 ans. Il est enterré auprès de son unique fille Marie-Louise à Bonnay dans le Doubs.
Commentaires sur l’ouvrage :
L’ouvrage débute par un double rappel opportun pour la compréhension périphérique du carnet de guerre d’Eugène Chatot :
– La 35e division américaine en France, origine (Kansas et Missouri), formation (dans l’Oklahoma en septembre 1917), composition (69e brigade d’infanterie composée des 137e et 138e régiments, du 129e bataillon de mitrailleuses et de la 70e brigade d’infanterie composée des 139e et 140e régiments et du 130e bataillon de mitrailleuses. A ces formations s’ajoutent la 60e brigade d’artillerie de campagne, le 128e bataillon de mitrailleuses, des unités du Génie, des signaleurs, le train de combat, les formations sanitaires et la Police Militaire.
– L’ambulance alpine du Camp Larchey. Eugène Chatot se trouve dans ce camp lorsque débute son carnet, le 31 juillet 1918. L’ambulance alpine 1/65 est une formation sanitaire partie d’Orange le 6 août 1914 pour arriver dans les Vosges dès le 23. Elle s’installe au camp Larchey, cote 1210, sur les pentes sud du Klinzkopf. Les installations se composent d’un abri blindé pour 20 hommes, d’un baraquement pou 20 hommes et des abris en tôle. Le 19 janvier 1917 est installé un poste de réconfort dans le réfectoire et une infirmerie ainsi que la construction d’un abri pour automobiles. Le 1er février suivant, l’ambulance change de nom pour s’appeler l’ambulance alpine 302. Elle est alimentée en électricité fin mars 1918 puis est réduite en un poste de recueil, de secours et d’évacuation, dont le matériel médical est « réduit au strict nécessaire » le 10 avril suivant. A l’arrivée des troupes américaines dans ce secteur le 29 juin 1918, elles installent une infirmerie dès le 4 juillet, jusqu’au 12 octobre.
Eugène Chatot relate, avec un certain style journalistique, parfois s’envolant stylistiquement, le fil de ses six mois de campagne répartis du 31 juillet au 30 décembre 1918 dans les Vosges et en Argonne. Il y décrit les lieux, les hommes, les mœurs et les activités tant dans les Vosges que lors de ses différents déplacements à la suite des opérations militaires de l’armée américaine à l’automne 1918 en Lorraine. L’ouvrage bénéficie d’une excellente présentation par Eric Mansuy et Brice Leibundbut, président des Amis de Louis Pergaud, qui ouvre l’ouvrage sur un avant-propos. Ainsi sont architecturés une biographie, un rappel sur la 35e division américaine, l’ambulance alpine du camp Larchey, le carnet de guerre, un glossaire militaire, une notule biographique de 44 personnages cités dans le livre, un index des patronymes et des toponymes et un opportun cahier photographique. De nombreux détails de la vie quotidienne peuvent être puisés dans cet ouvrage bien édité.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 25 : Sur après la mort, enterrement à part d’un allemand pour éviter aux soldats « de dormir à côté de lui leur dernier sommeil ». Vue du cimetière d’Oberlauchen. Inscriptions injurieuses sur une croix ennemie
28 : Bruit de l’obus
29 : Orage impressionnant, crépitement d’un paratonnerre, couleur des éclairs
30 : Pas de lettre, place du courrier
38 : Enterrement d’un capitaine et modification du sentiment sur la mort, vue de la tombe, différence entre les soldats
42 : Auberge de Talsperre
: « Et le tabac, n’est-il pas l’indispensable narcotique du soldat ? »
: Faucheux (araignée) appelée granddadies long legs que Chatot écrabouille
43 : Propagande allemande avec des petits ballons rouges, envoi de journaux « La guerre qui vient » de Delaisi et la Gazette des Ardennes. Envoi qui sert également pour « vérification pratique de la direction et de la vitesse du vent », possiblement préliminaire à un bombardement par obus à gaz.
Sur l’Amérique, dry and wet states, dry and wet towns, précision sur les alcools
45 : Souci postal, non-respect américain du courrier (Vap 65)
46 : Explication de la bochification de Kruth, de la lutte contre par les français et du « régime privilégié », notamment sur le tabac et les denrées alimentaires, l’allocation aux femmes de mobilisés allemands !
47 : Brins d’herbe et fleurs du front conservés et encadrés par les civils
48 : Respect des arbres, ornements dans les cimetières, gestion de la forêt vosgienne, « où tous les arbres [sont] numérotés, étrillés et soignés comme des purs-sangs »
49 : Baraques de bûcherons comme les lumbermen du Maine ou du Michigan
: Idiosyncrasie des constructions (ambulance, artillerie, chasseurs alpins, etc.)
54 : Sur le réemploi des invalides par la rééducation professionnelle
57 : Volonté de pèlerinage après-guerre
: Obus à croix verte = toxique
58 : Menu des 3 repas de la journée
: Cuisine américaine exécrable, ce qu’on mange et comment
60 : Cuscutine (médicament)
: Prix d’une lessive ! Estampage des américains, abus sur les prix y compris pour les soldats
: Bureaucratie américaine, red-tapisme
65 : Réputation américaine et sociologie des soldats
66 : Pétanque
67 : Indiens scalpeurs
: Chiffres de pertes
: Problème surréaliste de langue entre alliés en Orient : « …les Français et les Serbes pour se comprendre de parler allemand, et les Turcs ou les Bulgares de parler français »
69 : Suicide d’« un homme né d’un père allemand et d’une mère américaine suspecté et raillé par ses camarades »
71 : Sur la réalité de la guerre dans les Vosges : « J’ai conscience de n’avoir pas vu le vrai front, l’enfer innommable que l’imagination d’un Dante n’aurait pu concevoir »
Son sentiment sur sa mort, pourquoi il écrit et pour qui
Tourne dans un film cinématographique et raconte ses « trucages »
75 : Espionnite américaine et le pourquoi
76 : Sur les mœurs faciles des meurthe-et-mosellanes : « Il semble que dans ce pays-ci, les femmes ont la cuisse plus facile qu’ailleurs » et le pourquoi
: Médiocrité des majors de cantonnement
77 : Village lorrain nettoyé par les Américains
: Différence de mentalité ente français et américains par rapport à la propriété
78 : « Il fait un temps affreux. Les routes sont boueuses et la pluie tombe à gros torrent. C’est vraiment un temps rêver pour aller à l’abattoir »
82 : Vue d’italiens sales
: Problème de l’eau non potable, récupérée sur les toits
87 : Enfants mascotte abandonnés
88 : Bully beef, équivalent américain du Singe
89 : Vue de la partie allemande de Vauquois le 2 octobre 1918
90 : Odeur de l’ennemi
92 : Note 100 sur le Renseignement français, portant au col une tête de sphynx
93 : Sur la rumeur de femme combattante dans l’armée allemande : « On a dit qu’il y avait des femmes parmi les servants des positions de mitrailleurs. Cela me parait invraisemblable, mais j’ai vu un prisonnier qui avait bien l’air d’être une femme : face imberbe, efféminée, fessier tout féminin… à moins que ce soit un inverti »
94 : Vue horrible de champ de bataille
96 : A l’hôpital, ne donne pas son adresse dans l’espoir d’en partir plus vite
: Il fustige l’inaction à l’hôpital
98 : Peur de perdre son journal. Frais d’hôpital non remboursés (Vap 101 et 122)
99 : Tient également un cahier d’impression (Vap 100 et note 124)
102 : Mari disparu rentré à la maison après l’Armistice (rappelle Le Fou d’Abel Moreau)
: Description du cimetière de Saint-Dizier
104 : Regrette de ne pas avoir été interprète d’allemand pour « vivre des heures inoubliables d’émotion et d’enthousiasme » avec « la joie virile de fouler en vainqueur le sol de l’ennemi orgueilleux et cruel »
: Vue du « camp Nègre » de Koeur
106 : Vue de Chauvoncourt le 17 novembre 1918
107 : « Les Américains de ce régiment ont le génie de la destruction » et description des dégâts gratuits causés par les américains
111 : Mort dans une rixe anglo-américaine
: Insatiabilité sexuelle d’une femme qui « ne se conterait pas d’un « sifflet d’un sou » mais il lui faut un outil viril et consistant » (vap 114)
: Belles lignes sur la boue
113 : Prostitution familiale à Commercy d’« une femme mère de trois filles, dont l’ainée a dix-huit ans et la plus jeune douze, était signalée aux autorités américaines comme attirant chez elle des soldats et donnant chaque nuit à quatre d’entre eux une hospitalité totale (une pour la mère et trois pour les filles) »
115 : Roosevelt surnommé l’Idole
: Assassinat d’un officier
116 : Sur l’âme et l’orgueil américains, insupportable (fin 117)
121 : Cuisse facile des filles de Boncourt, description et le pourquoi
122 : Lieutenant « poivré », « avarié » par une femme malade
Yann Prouillet, 1 avril 2025
Pierre-Jan (1876 – 1916)
Par la plume et par l’épée
Nicolas Jan
1. Le témoin
Pierre-Jan est le nom d’auteur de Pierre Jan, né en 1876 à Dinan (Côtes d’Armor). Il se destine d’abord à la peinture, puis à l’écriture, mais vit surtout une vie de Bohème à Paris avant de vivre de sa plume comme journaliste. Mobilisé dans l’artillerie territoriale, il demande à passer dans une unité de front en janvier 1916. Affecté au 26e BCP, il est en secteur en Champagne, puis combat à Verdun et dans la Somme à Bouchavesnes. Il y est tué lors d’un assaut le 7 octobre 1916.
2. Le témoignage
Nicolas Jean, arrière-petit-fils de Pierre-Jan, a fait paraître aux éditions Anovi « Par la plume et par l’épée – Pierre-Jan, homme de lettres et caporal au 26e Bataillon de Chasseurs à Pied » (2008, 372 pages). L’ouvrage est surtout une biographie, alimentée par une longue enquête : présentation de la famille de Pierre-Jan, de ses fréquentations littéraires, du monde du journalisme, de sa guerre…. N. Jan s’appuie sur des articles, des essais, des lettres et un court journal de marche qu’a laissé Pierre-Jan, il donne souvent la parole à son aïeul. Nous avons donc ici enchevêtrés une biographie, un témoignage ainsi que le récit de N. Jean sur l’aventure qu’a représenté pour lui la réalisation de ce livre.
3. Analyse
Journalisme Notre témoin fréquente avant-guerre des artistes et des poètes, des brasseries d’avant-garde, et s’il est lié à Ernest Lajeunesse, Paul Brulat ou Francis Carco, il n’arrive pas à produire d’œuvre significative. Stabilisé dans le domaine du journalisme à Nice (« La Grande France, l’écho de l’Esterel, le Petit Niçois), il est en août 1914 rédacteur en chef du « Littoral ». Ces titres conservateurs sont parfois animés par d’anciens antidreyfusards et Pierre-Jan est politiquement conservateur, déjà très germanophobe avant 1914.
Territorial Son titre s’arrête en août et le journaliste est mobilisé au 57e RA à Vincennes : au « groupe territorial » de la 73e batterie, il se morfond à aménager des chemins de fer à voie étroite pour munitions (Camps retranché de Paris).
Romancier Son affectation lui laisse le loisir de la rédaction des « Contes du Poilu », qu’il destine d’abord à son fils Yves, né en 1910. La documentation est trouvée dans de nombreux articles de presse recopiés ou découpés, qui constituent la trame des contes. On peut par exemple citer un extrait du « Père noël et le petit sapin » (p. 158) : « bien entendu, il n’est pas dans mes intentions de visiter à la Noël les demeures de petits Boches, des petits Autrichiens et des petits Bulgares. J’entends les punir en bloc de la conduite horrible de ceux de leurs papas qui font la guerre en sauvages et en voleurs. » L’écriture de ces contes, « sans grand talent » (N. Jan), sera assez rapidement interrompue. Peut-on parler ici de culture de guerre ? Méfiant envers ce concept « fourre-tout » qui ne dit pas grand-chose, je soulignerais ici le fait que la germanophobie est celle d’avant-guerre, exploitée et développée certes, mais cette culture de guerre, c’est la culture d’avant-guerre, c’est la même…
Lettres, courrier N. Jan présente toute une série de lettres de son aïeul, dont sa demande d’affectation au front, à 39 ans en janvier 1916, dans l’infanterie et de préférence les chasseurs à pied. Une lettre d’amis niçois, à qui il annonce sa décision, montre que la femme de celui-ci n’est pas au courant de cette démarche (p. 170) « tu peux compter sur notre discrétion auprès de ta femme. » Si son ami le félicite, sa femme n’est pas de son avis : « Je trouve que lorsqu’on a une femme aussi charmante que la vôtre et que l’on est père de famille, on doit se sacrifier aux siens. Je ne vous en admire pas moins. »
Incorporé au 26e BCP, après un temps assez court d’entraînement, il se retrouve en ligne en Champagne en avril 1916 ; on a à cet occasion une lettre « d’ambiance », que Pierre-jan adresse à un ami, qui la fait publier dans le périodique « L’Espagne » (25 avril 1916, titre « Une lettre du front »). La tonalité ne se différencie guère de celle des quotidiens de l’époque, on peut lire par exemple : « Ces hommes n’attendent que le moment de foncer en avant, d’entreprendre la guerre en rase campagne dont ils rêvent. », ou quand il évoque un éclat d’obus « Un seul morceau de fonte, épais et mal taillé, le drôle ! a fait le geste de me gifler au passage » sans oublier « notre brave petit 75 ». Pierre-Jan n’est pas seul comme littérateur au 26e BCP de Vincennes, N. Jan y signale André Salmon, Henri Massis ou Louis Thomas (qui signe Capitaine Z.) ; il a eu la bonne idée d’aller voir ce que Norton Cru disait de la fiabilité des journalistes faisant l’expérience du front (ici pour A. Salmon) : « les élucubrations de ces journalistes en uniforme ne valaient guère mieux que celles des [journalistes] civils. (…) .
Carnets de guerre Pierre-Jan a commencé à tenir un carnet de route dès son départ de Vincennes, mais hélas il n’en reste que quelques extraits (tranchées de Champagne, et engagement à Verdun). Il décrit sa situation en secteur, une attaque boche vers Navarin, l’arrivée d’un prisonnier (p. 206) « Une tête massive, taillée à coup de serpe, un menton qui avance en galoche. (…). On le croirait surgi d’une de ces pages du Simplicissimus où les caricaturistes boches ont toujours si bien réussi à faire des portraits ressemblants et vrais des soldats du Kaiser. Que peut-il se passer dans l’âme de ce grand diable au faciès bestial ? (…) » Ici aussi son style de diariste reste marqué par son écriture journalistique. Les notes de Verdun (fin juin – début juillet 1916) montrent d’après N. Jan un progrès vers la vérité (p. 224) «C’est quand il ne songe plus à faire du journalisme que son récit se fait bien plus réaliste ! » À la lecture, c’est aussi mon avis, avec une bonne description de la recherche d’une mitrailleuse disparue à Tavannes ou d’un secteur sous le feu vers Vaux-Chapitre le lendemain 25 juin 1916. C’est le 7 octobre 1916, dans le secteur de Bouchavesnes (ferme du Bois Labé), que Pierre-Jan est tué d’une balle dans la tête ; avec son camarade Jean Lafaurie, tué en même temps, ils suivaient la première vague d’assaut, et tentaient de mettre en batterie leur mitrailleuse.
L’enquête L’auteur Nicolas Jan donne à la fin du livre toute une série d’informations sur sa recherche ; il évoque les impasses de l’enquête, les rencontres fructueuses (François Caradec le conseille sur le monde littéraire), il visite beaucoup d’archives, fait le pèlerinage du Père Lachaise, puis de Bouchavesnes. Il raconte aussi un événement dramatique survenu dans le petit Musée des Chasseurs, qui se trouve au Fort de Vincennes, juste à côté des archives militaires : il y rencontre le colonel Puel de Lobel, conservateur, pour discuter de Pierre-Jan et d’une publication dans la revue le « Cor de Chasse », mais son interlocuteur, âgé et visiblement malade, se lève, s’effondre et décède sur place (p. 340). Certes ce conservateur est« mort dans son musée » mais après ce drame, notre enquêteur « rentre penaud, le moral au plus bas, mes documents sous le bras, dans un RER glauque… » C’est une singulière anecdote où passé et présent, vieillesse et jeunesse, témoignage oral et interruption brutale de la transmission se télescopent… Notre enquêteur en vient à poser la question : « Le récit de la vie de Pierre-Jan, personnage secondaire de ce Paris artistique et littéraire de la Belle-Époque, méritait-il qu’on y consacre autre chose que quelques lignes dans des revues spécialisées ? Peut-être l’implication familiale était-elle trop forte. » Par sa démarche, il en vient ainsi à séparer expérimentalement, lui le non-spécialiste, l’Histoire de la Mémoire. Il insiste aussi sur l’amélioration de la qualité du témoignage tardif de Pierre-jan, confronté à la réalité des combats, « ces instantanés pris dans le feu de l’action, quand il ne pense pas à faire du journalisme et laisse de côté le bourrage de crâne, sont plus révélateurs de ce qu’il a vécu que sa prose réfléchie et travaillée d’avant l’action ! »
C’est donc cette double aventure qui fait l’originalité de cet ouvrage, avec le monde vu par un journaliste patriote et cocardier, qui veut aller au bout de ses valeurs et qui finit par en mourir, alors qu’il pouvait l’éviter, et la longue enquête de son descendant, mêlant sentiments subjectifs et mémoriels à une démarche d’abord très déterministe, puis, la réalité se dessinant, de plus en plus objective et historique. La femme de Pierre-Jan s’est remariée en 1922, et son fils Yves, le grand-père de Nicolas, est toujours resté secret sur son père, qui les avait quittés pour faire son devoir ; c’est aussi un livre sur l’impossibilité de renouer avec les disparus, sur le temps qui s’enfuit, sur la mélancolie…
Vincent Suard, février 2025
Dhalluin, Marie-Thérèse (1897 – 1972)
Journal de Marie-Thérèse, 1914 – 1918, une famille dans Lille occupée
Paule Huart-Boucher
1. La témoin
Marie-Thérèse Dhalluin est au début de la guerre une jeune femme de 17 ans de la bourgeoisie lilloise ; elle habite avec sa mère Marguerite chez la grand-mère Valentine, qui a eu 9 enfants et qui est veuve d’Henri Deschamps, professeur de médecine à la Faculté catholique, et fondateur de la prospérité familiale. Pendant la guerre, sous l’autorité de « Bonne Maman », Marie-Thérèse aide sa mère à s’occuper de trois neveux qui ont en 1914 respectivement 10, 6 et 5 ans. Marie-Thérèse se marie après la guerre avec le médecin Maurice Boucher.
2. Le témoignage
Paule Huart – Boucher (1931 – 2023), fille de Marie-Thérèse, a mis en forme, commenté, illustré et fait éditer aux éditions Persée le Journal de Marie-Thérèse, 1914 – 1918, une famille dans Lille occupée (2013, 336 pages). Les mentions sont d’abord quasi-journalières, puis espacées tous les trois ou quatre jours. P. Huart-Boucher a intercalé dans la retranscription des reproductions d’affiches, et des lettres et documents issus des archives familiales. Le style est alerte, souvent indigné et parfois facétieux.
3. Analyse
Le rythme des écrits est scandé par les « grands » événements soulignés par les diaristes lillois (bombardement d’octobre 1914, « affaire des sacs » en 1915, enlèvement des jeunes femmes à Pâques 1916, etc…), et par les nouvelles quotidiennes, bruits et canards, ainsi que des informations sur la grande famille dispersée, on peut évoquer quelques thèmes.
Bombardement de Lille La description est intéressante car le domicile de Marie-Thérèse est assez proche des zones en feu : on prend prudemment des nouvelles en remontant de la cave [avec autorisation de citation] (p. 47, 12 octobre 1914) « Les coups de canon s’espacent, nous osons ouvrir la porte de la rue et regarder : c’est affreux, des hommes, des femmes échevelées, des enfants que l’on porte et qui pleurent, tous fuient devant l’incendie. »
Logement d’officiers allemands La diariste évoque des Allemands toujours plus nombreux en ville, l’espoir de leur proche départ toujours déçu, et la défense efficace de leur bonne Anna contre les tentatives de réquisition dans ces grandes maisons bourgeoises : « Vieille dame très malade ! » (22 oct.) ou « Dame kapout! » (4 nov.) ; en novembre 1914, elles finissent par obtenir, après 9 visites, la mention Krankheit sur la porte. Elles réussissent à éviter presque complètement cette corvée, ce qui est très atypique : (p. 197, sept. 1916) « notre bonne étoile nous protège toujours, nous les avons encore évités cette fois-ci, mais les voisins qui n’y coupent pas nous regardent d’un mauvais œil. »
Le son du canon Au début de l’occupation, les canards optimistes sont fréquents, et Marie-Thérèse croit à une libération en 1914, mais la réalité lui apparaît en novembre 1914 (p. 78) « Mme Hauriez revenue de Bruxelles, nous apporte les nouvelles. Elle a eu en mains des communiqués français réels. Nous sommes véritablement atterrées d’apprendre qu’on se bat encore autour de Reims, de Verdun ». Le quotidien est marqué par le bruit du canon, plus ou moins fort suivant l’intensité du combat (lignes à 15 km au nord et à l’ouest) et le régime des vents. Sans nouvelles, les Lillois se figurent souvent, par la variation des bruits du front, que la libération est proche. Il y a les intensités plus ou moins grandes (offensives), des tirs d’artillerie lourde anglaise sur les communes au nord de Lille et sur la Citadelle (peu éloignée de leur domicile), et aussi des tirs contre les avions anglais ; le danger est réel, car outre les éclats qui retombent sur la ville, un certain nombre de 77 mm n’éclatent pas en altitude et retombent intacts au sol… Le 30 juin 1916, un obus retombe sur l’église Saint-Sauveur à l’heure du culte (p. 190) « On n’a constaté que 3 blessures graves, mais combien d’enfants, de jeunes filles se promènent ce soir, pâles, le bras en écharpe ou la tête bandée. Malgré tout, il y a un miracle de préservation. » En janvier 1918, un obus (ou une bombe) explose dans la cour derrière la maison et en brise presque toutes les vitres, mais il n’y a pas de blessés, on « remercie Dieu de sa protection visible. »
Recevoir des nouvelles Très inquiète sur le sort de son frère Jean qu’elle croit d’abord prisonnier civil, l’autrice se plaint régulièrement de ne pas avoir de nouvelles, mais dès décembre 1914, on s’aperçoit que la famille reçoit des informations par des sources multiples :
– relations clandestines avec la tante de Valenciennes, qui elle-même réussit à correspondre avec l’oncle de Castres (on ignore comment),
– des lettres arrivent à une autre tante de Lille (12 janv. 1915) « dans un paquet de Hollande adressé à la Kommandantur ! »
– la grand-mère utilise l’adresse d’un correspondant à Rotterdam (« écrire sous double enveloppe », indique-t-elle comme consigne).
– une lettre de Gaston Grandel, frère de la Grand-mère « nous parvient par un officier allemand, fil de Mr Fendrich, son correspondant à Leipzig. » (p. 98).
– des mentions signalent des passeurs réguliers, qui se livrent à la contrebande de marchandises (« fonçage »), et qui emportent aussi du courrier à travers la frontière belge : (9 fév. 1915, p. 101) « Comme pour faire la nique aux tyrans, nous venons de recevoir d’une manière secrète et que nous ignorons, des nouvelles de la famille par l’oncle Augustin et l’oncle Maurice ; ces petites lettres sont du 25 janvier, et nous pouvons donner une réponse ! »
– la maisonnée a connaissance de la feuille clandestine de résistance « La Patience » (plusieurs titres successifs), ainsi p. 144 (septembre 1915): « Dans notre petit journal « La Patience » on nous rappelle ces trois mots : « patience, courage, confiance » et nous tâchons d’obéir à ce mot d’ordre.»
– à partir de 1916, le courrier a minima fonctionne par le biais de la Croix-Rouge: « Nous avons enfin notre petit billet de Francfort. Il n’est pas très loquace, mais c’est mieux que rien. »
– à la fin de 1917, les annonces du Matin sont très courues, ce quotidien fait l’objet d’une diffusion clandestine, ses petites annonces véhiculant des nouvelles familiales (18 octobre, p. 241) : « Enfin des nouvelles ! [du 3 oct.] « Gast. Fract. Maxill. Service Nuytz. Guéris 3 mois. M H inst. Paris. Av. enfants. Vass. Mant. Jean bord de mer. Cécile garç. Georg.b tjrs Orient. Vs espérons. » » Les autorités françaises finissent par interdire ces annonces au Matin à cause de l’espionnage (août 1918) : Le « Matin » nous manque, voilà 3 mois que nous ne savons rien; il nous semble qu’il y a un siècle. »
– on peut ajouter des jets réguliers de journaux par avion, la communication fonctionnant ensuite par le bouche-à-oreille: (août 1916, p. 196) « Quelle solidarité chez les Lillois ! Depuis ce matin, on est venu 11 fois pour nous donner des nouvelles trouvées dans le « Cri des Flandres » qu’un aéroplane a jeté aujourd’hui. »
Même si les arrivées de lettres sont irrégulières, et parfois très espacées, ces mentions de nouvelles reçues de la France non-occupée confirment bien, comme chez une autre Marie-Thérèse (Maquet), du même quartier Vauban, que la position sociale et professionnelle détermine un « réseau », des aptitudes et des moyens, pour trouver quand-même à communiquer ; en revanche, la population ouvrière, majoritaire en nombre, qu’elle soit féminine dans Lille occupée, ou masculine dans la tranchée avec les unités du 1er CA par exemple, ne dispose pas de ces canaux, et souffre durement de l’absence parfois totale de nouvelles sur une grande durée.
Les évacuations par la Suisse Ces évacuations organisées pour se débarrasser des bouches inutiles sont interprétés en deux temps ; d’abord on plaint les victimes indigentes arrachées à leur quotidien, on parle d’évacuation « terrible et inhumaine » (avril 1915, p. 118). Ces certitudes chancèlent en juin, une amie est partie (p. 127) « Elle s’est décidée en une journée. Dieu sait ce qui lui arrivera ! On raconte des aventures si effrayantes que c’est à donner la chair de poule à ceux qui veulent partir. » ; La perspective s’inverse à la fin de 1915, avec le choix de tante Marie-Henriette de partir, en décembre, avec ses trois enfants : «Le compartiment était très bien composé : Mme de Valmaire, Jeanroy, Ménard. ». La grand-mère Valentine hésite sur les décisions à prendre, on tergiverse beaucoup en 1917 et 1918, au gré des convois. En cas de départ, la maison serait pillée ; puis la grand-mère, veuve d’une notabilité et donc potentielle otage, est ensuite inscrite sur une liste de personnes interdites d’évacuation. Finalement :
– Henri (1904) est évacué en décembre 1917 (urgence par rapport à son âge)
– Albert (1908) et Jean-Marie (1909) partent avec la tante Marthe (célibataire) en août 1918 (inquiétudes à cause de la disette et des combats futurs autour de Lille) ; ils restent hébergés en Belgique dans de bonnes conditions jusqu’en décembre 1918.
– Émile (1899), cousin de Valenciennes, choisit d’éviter la déportation du travail en devenant mineur de fond sur place, puis réussi à être transféré en France libre avec un faux-certificat médical en 1918. (p. 262) «un certificat médical terrifiant, et le voilà de l’autre côté ; peut-être déjà à la caserne maintenant. »
Enlèvement des jeunes gens en avril 1916
En 1915, l’affaire des sacs est évoquée (tissage de sacs à remplir de terre pour la tranchée allemande), et Marie-Thérèse ressent durement des critiques parisiennes dont elle a eu vent à cette occasion, et qui condamnent les ouvriers qui cèdent à l’occupant. Soulignant les souffrances des occupés, elle est outrée du terme « Boches du Nord » dont elle a appris l’existence (pas de référence de source, deux occurrences p. 169 et 178). Les perquisitions de Pâques 1916 et la déportation agricole des jeunes gens, garçons et filles, sont très bien racontées, avec les réquisitions par quartier, et naturellement la visite à leur domicile à 5 heures du matin (p. 179) ; personne n’y est enlevé. Une lettre de la grand-mère adressée à la famille de Castres décrit aussi ces événements, et on constate que peu de monde a été pris dans ce quartier bourgeois (p. 184) : «De notre paroisse, nous avons deux amies enlevées : Barrois et Boninge. Quelle tristesse pour les pauvres mères qui restent. Remerciez Dieu avec nous de nous avoir épargnées ainsi que les sœurs de Marie-Henriette pour qui nous tremblions. » Dans une autre lettre à sa fille Marie-Henriette (évacuée en 1915), elle précise que dans son ouvroir (atelier qui fournit une revenu minimum aux ouvrières sans ressource) « on en a pris 37 (p. 185) » ; cela confirme les informations des carnets du recteur Lyon, montrant que si la peur – on peut parler de terreur – touche tout le monde, les enlèvements de jeunes femmes concernent essentiellement les couches populaires ; c’est moins le cas pour les jeunes hommes.
Dans un autre domaine, citons une mention sur les nouvelles professions ouvertes aux femmes : (6 décembre 1916, p. 204) « nous voyons les premières femmes receveuses sur les tramways. Ce n’est pas réellement un métier de femme et on se demande combien de temps elles résisteront ; en tout cas, cela fait prévoir un nouvel enlèvement d’hommes. »
Enfin en ce qui concerne le style, l’autrice s’amuse parfois à paraphraser des auteurs classiques, ainsi p. 105 : « Les Allemands mentent effrontément, c’est une population foncièrement fausse… « Nous l’allons montrer tout à l’heure ! » ou p. 227 « Un événement extraordinaire, inattendu, ahurissant… je vous le donne en 100, je vous le donne en 1000… » (arrivée d’une lettre inespérée de tante Mariette). La dernière ligne de ce journal précieux, qui s’arrête avec la libération de Lille par les Anglais, est : « Vive la France».
Vincent Suard, février 2025