Bayle, Eugène (1887-1915)

Clément Eugène Bayle est né à Alès (Gard) le 20 mars 1887 dans une famille protestante. Caporal à l’issue du service militaire, il est en 1914 employé à la succursale de la Banque de France dans sa ville natale, et célibataire. Mobilisé au 255e RI à Pont-Saint-Esprit, il décrit la pagaille qui règne, ainsi que les défilés avec chants patriotiques. Il commence à déchanter lors des marches exténuantes à accomplir pour un entraînement accéléré et lors du transport vers le front dans des wagons de marchandises. Il écrit régulièrement chez lui et tient un carnet personnel, tous documents conservés par la famille, qui rendent possible une intéressante lecture croisée. Beaucoup plus que pour informer, la correspondance est là pour rassurer, entretenir le lien, maintenir le moral de tous : l’autocensure élimine les réflexions pouvant susciter l’angoisse. Mais il fallait bien un exutoire : le carnet joue ce rôle.
Sans surprise, on constate que ses lettres se préoccupent des nouvelles du « pays », c’est-à-dire d’Alès. Répondant aux attentes de l’arrière, elles contiennent des références religieuses (qui ne sont pas dans les carnets). Un très beau passage (15 mars 1915) évoque la soirée au cantonnement : « Après la soupe du soir je ferai la lecture du journal dans ce repaire comme au temps des camisards, et mes fidèles soldats aiment beaucoup que je leur lise et explique les nouvelles à haute voix. » La dénonciation des journaux n’est pas absente de la correspondance : « C’est un vrai régal de voir toutes ces caricatures et de lire les articles si beaux que suggère la guerre à nos grands écrivains. À nous qui vivons la réalité des choses, il ne semble pas que l’on puisse en tirer de si nobles sujets. » De même la critique du luxe des officiers (21 mars 1915) : « Sur le morceau de journal que j’ai reçu hier, vous avez pu lire que les officiers allemands étaient logés dans les tranchées dans des abris où ne manquait pas le confortable ; je vous dirai que chez nous, les officiers ne sont pas installés moins luxueusement, parquets en briques, draps tendus en guise de tapisserie et de plafonds, tapis, tables, chaises rembourrées, vases, glaces, poêles en porcelaine, etc., etc., et entre parenthèse les soldats qui, pendant le jour, travaillent à ces somptueux aménagements, couchent le soir dans des gourbis inondés et sur du fumier. Aujourd’hui encore, nos abris ont été un peu améliorés, mais dans bon nombre on ne peut y remuer, entrer ou sortir que sur les genoux ou les mains, autrement dit à quatre pattes. Dans le mien, par exemple, une fois assis sur la paille, mon képi touche le toit. » Mais seul le carnet contient le récit du baptême du feu, la révolte contre les horreurs de la guerre, ces « crimes épouvantables » (8 septembre 1914), l’impuissance de l’infanterie sous le bombardement, les balles qui sifflent tout près. « Est-ce possible de voir de telles atrocités ? Qui donc est le criminel responsable ? », se demande-t-il à lui-même le 24 avril 1915. Il est tué le lendemain dans le secteur de Rouvrois (Meuse). Son carnet est alors envoyé à ses parents.
RC
*Frédéric Rousseau, « Réflexions sur le moral d’un homme mort de la guerre monotone, le caporal Eugène Bayle (août 1914-avril 1915) », dans Supplément d’âme, mars 1998, p. 5-24.

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Bloch, Marc (1886-1944)

D’une famille alsacienne juive ayant opté pour la France en 1871, fils de l’historien Gustave Bloch, Marc Bloch est né à Lyon le 6 juillet 1886. Lui aussi s’est dirigé vers le métier d’historien, passant par l’ENS et l’agrégation. En 1914, il est professeur au lycée d’Amiens ; il a déjà écrit des articles d’histoire médiévale et sa thèse est en cours. Sergent au 272e RI dans la Meuse, il fait la retraite et la Marne et s’installe dans la guerre de position en Argonne. Adjudant en novembre 1914, il est évacué pour cause de typhoïde de janvier à juin 1915. En Argonne avec le 72e jusqu’en juillet 1916, il échappe à l’offensive de Champagne de septembre 1915 et à Verdun. En mars 1916, il est nommé sous-lieutenant. Il participe à l’offensive de la Somme. De janvier à mars 1917, il est en Algérie, du côté de Constantine. En juin, sur le Chemin des Dames. En août, lieutenant, il est officier de renseignements. Il finit la guerre comme capitaine.
Ses « écrits de guerre 1914-1918 » sont très divers : des carnets contenant des notes laconiques ; des rapports en style officiel, rédigés par lui, mais signés par le colonel ; quelques lettres, dont des testaments à envoyer à sa famille en cas de décès ; des listes de livres à lire, ce qui montre qu’il n’avait pas oublié son projet intellectuel ; des souvenirs rédigés en 1915 ; un article de réflexion publié en 1921. Les « Souvenirs » ont été écrits pendant sa convalescence, « avant que le temps n’efface leurs couleurs aujourd’hui si fraîches et si vives ». Ils montrent d’abord le Paris de la mobilisation, paisible, solennel : « la tristesse qui était au fond de tous les cœurs ne s’étalait point » ; « les hommes pour la plupart n’étaient pas gais ; ils étaient résolus, ce qui vaut mieux ». Dans la retraite, le « cruel tableau » de l’exode des paysans, les pillages, la vie dans la boue, le 75 qui tire trop court, autant de notations présentes dans les carnets des fantassins. Concernant les chefs, Marc Bloch note qu’il ne connaît « qu’un moyen de persuader une troupe de braver un péril : c’est de le braver soi-même ». « Comme tout le monde, ajoute-t-il, j’ai constaté l’extrême insuffisance de notre préparation matérielle et de notre enseignement militaire. » Et : « Je n’ai pas toujours été content de tous les officiers. Je les ai trouvés parfois médiocrement attentifs au bien-être de leurs soldats, trop ignorants de la vie matérielle des hommes et trop peu désireux de la connaître. »
Dans la liste des livres à lire, figure celui de Fernand van Langenhove, Comment naît un cycle de légendes. Francs-Tireurs et atrocités en Belgique (Paris, 1916). Cet ouvrage et quelques autres ont servi de base à l’article de Marc Bloch, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », paru dans la Revue de synthèse historique en 1921. Dans l’histoire, dit-il, de faux récits ont été capables de soulever des foules. Or, la guerre de 1914-18 peut être considérée comme « une sorte de vaste expérience » en ce domaine, qui montre qu’une légende ne se crée que si l’erreur trouve « dans la société où elle se répand un bouillon de culture favorable ». Dans le cas de la guerre récente, il faut souligner le rôle de l’émotion et de la fatigue qui affaiblissent le sens critique, de la censure et du bourrage de crâne qui perturbent le sens du vrai et du faux, mais aussi le « renouveau prodigieux de la tradition orale » et l’importance des lieux de rencontre, notamment les cuisines qui furent comme « l’agora » du petit monde des tranchées.
Même s’il n’est pas possible de le développer ici, il est clair que l’œuvre historique ultérieure de Marc Bloch fut marquée par son expérience de la guerre, qu’il s’agisse de l’étude topographique des paysages ruraux ou de la réflexion comparative sur la défaite de 1940. Résistant sous l’Occupation, Marc Bloch fut pris par les Allemands et fusillé le 16 juin 1944, dix jours après le Débarquement.
RC
*Marc Bloch, Écrits de guerre 1914-1918, textes réunis et présentés par Étienne Bloch, introduction de Stéphane Audoin-Rouzeau, Paris, Armand Colin, 1997, illustrations.
*Olivier Dumoulin, Marc Bloch, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.

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Lavaissière de Lavergne, René de (1886-1983)

1. Le témoin
René de Lavaissière de Lavergne, jeune avocat à Paris lors de la mobilisation, rejoint comme lieutenant de réserve le 17e régiment d’artillerie (3e DI). Il participe aux batailles des frontières (Virton) et de la Marne, passe l’automne 1914 en Argonne et participe aux combats de la Woëvre en 1915. Il plaide parfois comme avocat au conseil de guerre de la 3e DI. Après l’offensive de Champagne en septembre-octobre 1915 (Hurlus) et le secteur de Souilly (Meuse) en 1916, il obtient sa mutation en juin comme observateur dans l’aviation. Titularisé officier observateur en décembre 1916 (escadrille C 11), il est promu capitaine en mai 1917, faisant aussi de l’instruction et des conférences. Il commande l’escadrille 287 en février 1918 et termine la guerre comme commandant de l’aéronautique du 38e corps d’armée ; il est démobilisé en mars 1919. Il mène ensuite jusqu’en 1958 une carrière au barreau comme avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation.

2. Le témoignage
Son récit de campagne a été rédigé en 1963, et le manuscrit qu’il considérait comme son « œuvre majeure » a été publié par son arrière-petit-fils Etienne de Vaumas en 2011. Il est illustré de nombreuses photographies personnelles de la collection de l’auteur et de reproductions de documents et de cartes. L’auteur a rédigé un récit précis, appuyé sur ses notes et ses archives qui évoquent les événements militaires, les combats mais aussi ses préoccupations personnelles : c’est un document intime. L’intérêt du témoignage réside dans l’expérience de deux armes différentes, avec la vie d’une batterie d’artillerie au feu et à l’arrière, puis la description de la fonction d’observateur aérien et celle en 1918 de commandant d’une unité d’aviation. La rédaction des Souvenirs, presque cinquante ans après le début du conflit, produit un étirement du temps du témoignage qui doit être pris en compte. La publication (2011) n’a pas eu lieu du vivant de l’auteur, on ne sait pas si c’était délibéré. Ici la guerre est vue à travers le prisme culturel d’un grand bourgeois parisien ; son vécu est souvent éloigné de l’expérience commune du fantassin de la tranchée, bien qu’il puisse parfois s’y superposer. Enfin le récit est aussi un plaidoyer pro domo, mais qui n’essaie pas de cacher les hésitations et parfois le découragement. La qualité de rédaction, les descriptions précises et l’atmosphère intime créée par la restitution des préoccupations et des enthousiasmes de l’auteur finissent par projeter ici un sentiment de sincérité.

3. Analyse
Pendant les deux ans qu’il passe dans l’artillerie, le lieutenant de Lavergne décrit l’itinéraire de son unité, le service en campagne, les combats de sa batterie, les bombardements de contre-batterie, les efforts et les peines de son unité ; c’est un document vivant et précis de l’ambiance vécue par ceux qui servent les 75. Au début d’août 1914, il fait partie des optimistes à la mobilisation, et son souvenir évoque plus que de la résignation.
p. 13 « A 11 heures 23, le train quitte la gare, train naturellement bondé de réservistes rejoignant leurs unités. Leur entrain fait de bonne humeur et de sang-froid est réconfortant. Les cris « A Berlin » fusent de toutes parts. Moi-même, j’avais d’ailleurs écrit dans une lettre à ma fille que son papa allait lui rapporter « une belle poupée allemande ». Je partageais ainsi l’optimisme général. »

Le changement d’opinion sur la guerre est rapide, puisque la découverte du feu le 22 août 1914 à Ethe lui montre la réalité des combats et le fait réagir pour protéger les siens.
p. 25 « Bientôt sur la route, passent devant nous des charrettes de paysans transportant des morts et des blessés revenant de la ligne de feu. Je ressens alors l’horreur de la guerre en voyant des soldats en pantalon rouge et capote bleue, les uns inertes, les autres gémissants, le teint terreux et couverts de sang. (…) Ma pensée va à ce moment, à mon jeune neveu, Georges qui, d’après les nouvelles que j’ai reçues, a l’intention de s’engager, et dans la journée, je griffonne un mot à ma famille : « Que Georges reste tranquille. Il ne peut pas et vous ne pouvez pas savoir ce que c’est. Il faut avoir vécu une journée comme celle d’aujourd’hui pour être fixé. J’ai appris avec beaucoup d’admiration le désir de s’engager. Il faut laisser les aînés faire leur devoir. »

Son émotivité est au début très forte, il évoque sa sensibilité lorsqu’en réserve d’échelon, il récupère des blessés de sa batterie qui agonisent l’après-midi et qu’il fait enterrer le soir.
p. 32 bataille de la Marne « le 7 septembre sera pour moi la journée la plus émouvante de cette période. (…) A peine avais-je rempli ce triste devoir qu’un deuxième blessé décédait après une agonie douloureuse et déchirante. Il était 18 heures et nous avons recommencé pour lui la triste cérémonie déjà accomplie pour son camarade. Cette journée m’a beaucoup impressionné. C’étaient les premiers morts de notre batterie que je voyais et que j’avais la pénible mission d’ensevelir. Bien des fois au cours de la journée, j’ai dû détourner les yeux pour ne pas pleurer devant mes hommes. »

L’endurcissement est rapide, la dureté des combats et la répétition des spectacles cruels produisent une atténuation de l’émotion. Ce changement de sensibilité après la victoire de la Marne se fait différemment suivant l’origine des cadavres
p. 35 12 septembre 1914 « L’aspect des pays que nous traversons est affreux. Il est le résultat des durs combats d’artillerie : trous d’obus sur les routes et dans les champs, chevaux crevés sur les chemins et dans les fossés, hélas aussi centaines de cadavres de soldats. (…) Nous passons au milieu de ce carnage, ressentant une profonde émotion à la vue de tant des nôtres qui sont tombés, mêlée d’une joie sauvage au spectacle des cadavres ennemis tombés parfois par paquets les uns sur les autres. »
p. 36 « Sur la paille, sont alignés des soldats et des officiers allemands blessés. C’est un tableau rappelant les peintures et dessins de la guerre de 1870. Puis-je dire que je n’ai pas ressenti à cette vue la commisération et la pitié que m’avaient inspirées nos morts et nos blessés de la Garderie d’Amboise, et je n’ai pas été choqué de voir des soldats s’emparer de casques ou d’équipements que les blessés avaient encore près d’eux. »
L’auteur n’évoque par ailleurs que rarement les Allemands et jamais les motivations ou les buts de la guerre, prise dans son ensemble.

L’auteur évoque aussi la peur, présente lorsque sa batterie est violemment bombardée, peur qu’il domine à cause du regard de ses hommes : le courage se construit par la volonté.
p. 40 15 septembre 1914 « J’avoue que j’ai eu peur mais l’amour propre l’a emporté. Je ne voulais pas devant mes hommes abandonner mon but. »
p. 41 « Je m’efforce, au milieu du chaos, de rester calme et de ne pas donner à mes hommes l’impression que j’ai peur. Je me joins à eux pour rétablir l’ordre dans notre cavalerie affolée car je pense qu’il est capital de donner l’exemple aux hommes et à défaut de véritable crânerie, l’amour propre commande d’inspirer confiance et de rester le chef.
Et le combat finit par fournir une véritable ivresse.
p. 96 « Mes trois camarade et moi étions grisés par le combat et nous tirions avec rage. »

La prise de conscience du fait que la guerre va durer est très précoce chez l’auteur, son moral s’en ressent, au point de déboucher sur une véritable crise de dépression.
p. 64 «Rien d’intéressant à noter les 19, 20 et 21 novembre [1914] que cette tristesse que nous apporte cette vie monotone, jointe à la certitude que nous donnent les événements que la guerre sera beaucoup plus longue qu’on ne le pensait. Loin de nous réconforter, les encouragements à la patience que nous prodigue l’arrière et la transmission des « bobards » auxquels nos familles se laissent prendre ne font que nous irriter, et mes lettres à ma famille se ressentent de cette irritation. A certains moments, j’en arrive à souhaiter être blessé pour quitter au moins temporairement ce front désespérant. Ce n’est certes pas de la lâcheté mais un profond découragement qu’à d’autres étapes de la guerre, tant que je serai dans l’artillerie, je ressentirai encore. »

La position d’officier et d’artilleur de Lavergne lui permet, contre le règlement, de faire venir sa femme en janvier 1915 : il est ainsi nettement privilégié par rapport à ses hommes et plus encore à l’infanterie.
p. 80 « Le projet de voyage de ma femme me préoccupe. Il comporte de sérieux aléas de parcours et d’arrivée dans notre bled, en violation des consignes qui interdisent de tels déplacements dans la zone des armées. Mais j’apprends que mon camarade et ami Pierret qui est lieutenant au 3e groupe en cantonnement à Givry vient d’être informé que sa jeune femme est arrivée à Bar-leDuc et se dispose à le rejoindre. J’apprends aussi que les trois autres femmes d’officiers viennent d’arriver. ».
p. 81 « Le 28 [janvier 1915], j’ai la joie tant désirée de voir arriver ma femme qui a courageusement affronté les difficultés du voyage et qui, descendue du chemin de fer à Revigny, a gagné Le Châtelier dans une voiture de paysan. Je l’installe chez les Lalancette dans la chambre que j’occupe. Et pendant une dizaine de jours, en dehors de mes heures de service, je puis passer avec ma femme des moments d’heureuse détente (…). Mon capitaine ferme les yeux sur la présence de mon épouse. Le commandant, je crois, ne l’a pas connue. Et tout ce séjour se passe sans incident. Je me souviens du mot de Defrance [son ordonnance] qui le premier soir, après avoir rassemblé les reliefs du repas, nous quitte sur un « Bon divertissement, mon lieutenant. »
Ultérieurement, et contre les ordres, Lavergne fera encore venir sa femme pendant plusieurs séjours, puis son passage à l’aviation rendra sa situation encore plus privilégiée.

Il participe aux durs combats du printemps 1915 comme chef de batterie, et est cité à l’ordre de la division avec attribution de la croix de guerre (21 avril 1915).

Lors des luttes acharnées à Vauquois et aux Eparges, les tirs trop courts de l’artillerie française, et les conflits qui en avaient résulté, avaient fini par faire imposer la présence d’un officier d’artillerie en première ligne, aux côtés de l’infanterie, lors des tirs des 75; Lavergne paraît peu convaincu de l’utilité de cette mission. Pendant les combats violents de la Woëvre (attaque du 20 juin 1915), il témoigne sur les relations entre les deux armes et une description de la tranchée avant l’assaut, vue par un individu extérieur qui ne doit pas « sortir ».
p. 116 « A 15 heures, le colonel me charge de me rendre dans la tranchée de 1ère ligne et de vérifier si le parapet de la tranchée ennemie et les réseaux de barbelés qui la précèdent sont démolis par notre tir. Je pars avec le sous-officier qui m’accompagne, d’abord par les boyaux qui mènent aux tranchées, puis dans les tranchées. Une pluie de projectiles tombe sur et autour des tranchées que je parcours. Nous passons en courant aux endroits particulièrement dangereux, au milieu des éboulis que provoque le tir ennemi, rampant là où des poutres ou des arbres obstruent les boyaux ou les tranchées. Dans celles-ci, nous sommes parfois obligés d’enjamber des fantassins qui y sont terrés. Nous passons sur des sacs, des fusils, des bidons, des jambes, courbés en deux pour éviter de recevoir, en dépassant le parapet de la tranchée, une balle ou un éclat. (…)
[Nos fantassins] Ils sont debout, appuyés à la paroi, serrant leurs fusils baïonnette au canon dans leurs mains crispées, attendant l’ordre de franchir le parapet. Quels tragiques regards je lisais dans leurs yeux. J’étais à côté d’un tout jeune sous-lieutenant qui commandait l’une des sections d’attaque. Et j’avais pitié de lui. Il attendait sans bouger l’ordre de s’élancer, une angoisse se lisait dans ses yeux. A l’instant du départ, il a franchi le premier le parapet et les hommes les uns après les autres l’ont suivi. Il y a eu un crépitement de fusillade et de mitrailleuses, puis plus rien. Les fantassins après leur bond en avant s’étaient tapis dans les trous d’obus ou derrière des arbres. Puis la fusillade a repris par moments. Je suis resté jusqu’à 20 heures à mon poste d’observation sans pouvoir d’ailleurs communiquer avec l’arrière, les lignes téléphoniques étant depuis longtemps coupées. Et ne pouvant rien faire, je suis revenu au poste du colonel. Je pensais combien il était désolant d’avoir risqué à maintes reprises d’être tué pour un rôle d’une totale inutilité puisque là où j’avais été, je ne pouvais correspondre avec personne pour transmettre des indications utiles ou régler un tir, d’ailleurs impossible à régler au milieu des arrivées de nos obus provenant de toutes nos batteries qui tiraient ensemble. C’était une exigence singulière du commandement de l’infanterie de vouloir qu’un officier d’artillerie soit présent, dans ces conditions, aux tranchées de première ligne. Enfin, je suis là, indemne et c’est le principal mais j’avoue que cette journée m’a laissé assez démoralisé. Ne devrais-je pas avoir honte quand j’en ai vu tant aujourd’hui partir à la mort ? »

A partir de l’été 1915, le moral de l’auteur se dégrade encore significativement : l’action et le danger l’affectaient déjà, mais en lui donnant la possibilité de se dépasser ; l’inaction et la routine des secteurs tranquilles le dépriment et lui font demander sa mutation.
p. 129 « J’ai trop le temps de penser à tout ce qui me désole. (…) Si je relis mes lettres de l’époque, je suis effrayé de l’état d’esprit qu’elles révèlent. »
p. 155 Noël 1915 Bois de l’Hôpital « Je voudrais m’évader de cette ambiance où je ressens trop de peine mêlée à de la rage pour tout ce qui me sépare des miens et, dans l’espoir de me rapprocher d’eux, je songe à solliciter mon affectation à une formation automobile de combat (autos blindés, autos mitrailleuses ou autos canons) dont les stationnements se trouvent plus en arrière et faciliteraient des voyages de ma femme et moi. Je parle discrètement de mes intentions au commandant avec la crainte que mon désir de quitter le groupe me nuise dans son esprit. Il comprend mon état d’esprit. Je prie ma famille d’être mon interprète auprès de certaines personnalités de façon à être sûr que si je dépose une demande de mutation, celle-ci aboutira à un résultat certain; Mais tout s’avère inutile et mon désir reste irréalisé. »
p. 161 « Je suis de plus en plus dans un état nerveux qui frise la dépression et je prends en haine tous ceux qui dans ma famille me prêchent la patience et la résignation. On m’incite à passer une visite médicale qui peut-être aboutirait à un séjour à l’arrière mais j’ai trop d’amour propre pour me plier à cette comédie d’ailleurs bien problématique. Puisque le passage qu’on avait sollicité pour moi dans les autos canons n’a donné aucun résultat, je songe à demander à passer dans l’aviation comme élève pilote, ce qui me procurerait un certain temps à l’arrière pendant mon stage d’entraînement et une fois en escadrille me permettrait, les terrains d’aviation étant situés à l’arrière, de recevoir des visites de ma femme, ce à quoi tendaient tous mes désirs. Ainsi, tout en satisfaisant ce besoin impératif de me rapprocher d’elle, je n’aurais l’air ni d’un poltron, ni d’un dégonflé, ce que je ne voulais paraître à aucun prix car je n’en avais pas l’étoffe. Mais cette vie insipide dans une artillerie figée dans la même position pendant des mois m’était devenue insupportable.
Ces aveux peu glorieux, écrits plusieurs décennies après les faits, sont intéressants pour une perception de « la guerre qui dure » en 1915 ; ils nous interrogent aussi, venant d’un combattant déjà très privilégié par rapport au sort commun. Enfin, ils nous font nous poser la question suivante : un aveu de ce type, de la part d’un honorable avocat au Conseil d’Etat, serait-il envisageable dans des écrits publiés dans l’entre-deux-guerres ?

Avec, semble-t-il, des soutiens importants et réitérés à l’arrière, un « piston » enfin efficace, la mutation dans l’aviation espérée arrive, contre l’avis de son commandant d’unité.
p. 165 « Et le 19 juin [1916] à 7 heures 30, je suis réveillé par le téléphone et on m’annonce du bureau du colonel que ma nomination comme observateur à l’escadrille C 11 vient d’arriver. »
Après sa nomination dans l’aviation comme officier observateur (de Lavergne passe son baptême de l’air trois jours après), la tonalité du récit change complètement ; les heures de dépression disparaissent au profit de moments exaltants, de missions où l’initiative individuelle joue un rôle fondamental, il renaît car il peut agir comme acteur de son destin :
p. 166 « L’initiative, la volonté individuelle allait être l’enjeu d’un combat passionnant. Aux coups reçus, aux dangers courus, la défense immédiate devenait possible. A une passivité aveugle succédait une action personnelle dont on pouvait apprécier l’utilité. (…) Heures exaltantes, génératrices d’un moral élevé, en dépit des risques courus et qui, mêlant aux faits de guerre un aspect sportif, ont modifié totalement mon état d’esprit et m’ont apporté une nouvelle vie entièrement différente de celle que j’avais connue dans l’artillerie. »

Son rôle est le réglage des batteries du 17e RA et des canons lourds à l’échelle du corps d’armée ; l’auteur raconte sa formation rapide, ses missions et leurs difficultés, le combat au- dessus des lignes et la satisfaction de « comprendre le but et le déroulement des opérations sur le champ de bataille (p. 166) ». Il vole à l’escadrille C 11 sur Caudron G 3 puis G 4 bimoteur. Officier d’artillerie expérimenté, il effectue presque immédiatement de nombreuses missions lors de la deuxième partie de la bataille de la Somme en septembre et octobre 1916. L’auteur évoque les pilotes qui l’accompagnent, son travail de renseignement par ses aspects techniques (canevas de tir, officier « d’antenne », photographie), l’ambiance à l’escadrille :
p. 191 « Aux heures des repas, cette salle s’emplissait des conversations et de la gaieté générale. Car, à l’exception de quelques tristes jours où la disparition ou la blessure d’un camarade effaçait les plaisanteries et les rires, une constante gaieté faite de jeunesse et d’insouciance animait chacun de nous. Un imposant phonographe, assorti des derniers disques en vogue, apportait aux heures des repas ou au cours des soirées une ambiance bruyante et joyeuse. »
L’état d’esprit de Lavergne a changé avec son passage dans l’aviation, la présence du danger – réel et constant – n’est plus paralysante, l’action et la volonté permettent de dominer la peur qui finit par disparaître, et l’observateur et son pilote forment, aux dires de l’auteur, une équipe renommée pour sa hardiesse :
p. 210 (extrait de citation, mars 1917) « Excellent équipage qui rend les plus grand services par ses reconnaissances hardies, ses réglages de tir et ses prises de photographies. Souvent attaqués par des avions ennemis et soumis à des tirs précis d’artillerie, ont toujours terminé leur mission faisant preuve journellement de courage, de sang-froid et d’énergie. »
Les dangers du vol peuvent être illustrés par trois capotages, les 29 avril, 4 mai et 11 mai 1917 :
p. 220 « En cours de réglage d’une batterie de 155 court, le moteur de gauche s’arrête et le moteur de droite manifeste des défaillances alors que nous n’étions qu’à 800 m. Il ne peut être question de rentrer au terrain et il faut atterrir droit devant nous. Mendigal pique mais en arrivant à une centaine de mètres du sol, nous rencontrons des bancs de brume qui nous ôtent toute visibilité. En en sortant, nous nous trouvons au-dessus d’arbres qu’il s’en faut de peu que nous accrochions, ce qui aurait été mortel et finalement nous finissons notre descente en butant contre le parapet d’une tranchée. L’appareil fait une superbe culbute et retombe à cheval sur la tranchée tandis que nous nous retrouvons la tête en bas, maintenus par nos ceintures. Je me dégage le premier et aide Mendigal à sortir de sa mauvaise position. Nous n’avons l’un et l’autre aucune blessure. »
p. 222 « Le 4 mai est une journée d’attaque au nord de Reims près du fort de Brimont. Je remplis le rôle d’avion d’accompagnement d’infanterie, ce qui nécessite de voler au-dessous de mille mètres pour pouvoir suivre la marche de l’infanterie au milieu des tranchées. Après une heure de vol, les culbuteurs du moteur sautent déchirant le capot du moteur dont les débris viennent briser un des mâts de gauchissement. L’avion n’est plus gouvernable. Il faut atterrir là où nous sommes. Lafouillade repère un champ, mais celui-ci est parsemé de gros trous d’obus et nous capotons dans l’un d’eux en touchant le sol. Me voici, encore une fois, la tête en bas pris sous l’appareil. Je m’en tire avec quelques écorchures. Lafouillade, de même. »
p. 223 « Le 11, au cours d’un réglage effectué avec Lafouillade, nous tombons sur deux patrouilles de six avions ennemis. Nous engageons le combat avec l’une d’elles. Une balle brise une de nos hélices, ce qui nous force à rompre et à regagner le terrain où Lafouillade, peut-être impressionné par le combat, me réserve à l’atterrissage un beau capotage qui met notre avion sur le dos. Décidément, ce mois-ci je collectionne les accidents. Mais encore une fois j’ai de la chance et je sors indemne de celui-ci. Quand je prévois le capotage à l’arrivée, je me mets en boule, je rentre la tête et j’attends. Je puis dire que je n’ai jamais eu peur, confiant dans mon étoile. »
Promu capitaine en mai 1917, il partage ensuite son temps entre la direction de cours théoriques pour former des observateurs, de cours d’officiers d’antenne (officiers des différentes armes qui seront spécialisés dans les liaisons par TSF avec les avions en vol ) et l’apprentissage du pilotage ; il passe le brevet par goût mais surtout pour pouvoir commander une escadrille, les chefs d’unité devant pouvoir voler comme pilote en mission. Il reçoit son brevet de pilote en janvier 1918, est nommé au commandement de l’escadrille 287 (observation – sur Sopwith) en février, puis exerce des responsabilités d’état-major. Il termine la guerre comme commandant de l’aéronautique du 38e corps d’armée.
Il résume ainsi son expérience du conflit :
p. 8 « En réalité, la guerre devait me prendre près de 5 années de ma jeunesse, m’apporter des heures de souffrance physique et morale, me faire connaître des instants où la mort m’a frôlé, mais aussi d’autres heures exaltantes que j’ai vécues dans l’aviation et qui ont compensé les heures sombres que j’ai connue dans l’artillerie. »

Vincent Suard, 25 juillet 2012
*René de Lavaissière de Lavergne, Souvenirs d’un artilleur et pilote de la Grande Guerre, les Editions de l’Officine, 2011, 432 pages.

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Bonneton, Armand (1885-1969)

Armand Antonin Bonneton est né à Sète (Hérault) le 22 mars 1885 d’un père employé du chemin de fer et d’une mère sans profession. Lorsqu’il s’est présenté devant le conseil de révision, il était employé de commerce. Ajourné en 1906, il a été exempté pour faiblesse générale en 1907. Il s’est marié à Sète en juin 1913. En novembre 1914, il s’est engagé pour la durée de la guerre « dans le service automobile exclusivement » et il est resté à Lyon pour une période d’exercices jusqu’en mars 1915. Il monte alors dans le Nord (Ypres, puis Artois) au 14e Train, où les camions transportent des hommes, des vivres ou des munitions. Chauffeur, il est parfois désigné comme cycliste ou comme cuisinier, cette dernière fonction étant beaucoup moins pénible et beaucoup plus appréciée. Tous les soldats de la Grande Guerre n’ont pas connu le feu. Le 7 avril 1915, Armand Bonneton et quelques camarades font une « excursion » aux tranchées. Le 25 juillet 1916, quelques marmites ayant coupé la route devant le convoi de camions, il note qu’il a vécu son « baptême du feu ». Par contre, les conditions de vie des chauffeurs sont souvent très dures. Ils subissent la pluie, le froid, les ordres stupides qui provoquent des fatigues inutiles, l’absence de ravitaillement. Faute de cantonnement, ils dorment parfois dans des hamacs suspendus dans le camion. Voici le récit du 22 octobre 1915 : « Durant toute la nuit, la pluie n’a cessé de tomber avec force et, dans notre camion, l’on aurait dit des cailloux qui tombaient du ciel sur notre bâche. À notre réveil une belle lune se montrait et qui a favorisé notre marche jusqu’à l’aurore. La route est grasse, nombreux dérapages. Les camions marchent comme des crabes et font la valse. J’ai mal aux poignets de tenir le volant et avec mon compagnon nous nous remplaçons souvent. Près de Barlin un camion, le n° 1, a glissé dans un fossé, à nous de l’en tirer car nous sommes les derniers de notre convoi. Nous y arrivons après l’avoir remorqué sur un parcours de 100 mètres, ce n’est pas malheureux. Nous reprenons la route et à une descente le derrière menace de passer devant ; ça y est, c’est la danse. Enfin nous arrivons à Nœux-les-Mines et le soleil qui ressemble ici à la lune s’est enfin montré. Où est le soleil du Midi doré et brillant ? Une heure d’attente au four à chaux de Nœux et la relève des tranchées de Loos arrive ; c’est du 77e d’infanterie de Cholet. Tout le monde est embarqué et en route. Toujours des dérapages et la valse continue. […] Je ne suis plus maître de ma direction et les roues arrière commencent le patinage et finalement glissent dans le rebord de la route. Les poilus rouspètent et se cognent les uns contre les autres. Pour ma part je tempête plus qu’eux. Pas moyen de me dégager et je continue la descente par côté. En bas je finis par m’arrêter et tout le monde descend ; ça y est, je vais être engueulé. Non, pas du tout, tous rient. Un Poilu me dit à l’oreille : « Dis, vieux, tu n’aurais pas pu nous blesser ? » »
Ce catholique fervent ne rate aucune occasion d’exercer ses talents d’organiste dans les églises du pays, d’assister à la messe y compris celle « dite par un aumônier militaire dans une voiture chapelle » le 13 juin 1915. Quelques jours plus tard, ému par la proximité de l’anniversaire de son mariage, il écrit : « Ce n’est point par pure dévotion que je me dirige avec mes compagnons vers ce clocher qui tous les jours dans ses sons d’airain annonce pour moi une victoire prochaine, mais, comme à Sète, j’y retrouve les mêmes chants, les mêmes airs et les mêmes idées, le tout orné et fait au même moule. L’on y voit également la même main qui y est passée, et pour Qui cela a été fait. Tout cet ensemble, dans son architecture simple et quoique pourtant bien loin de ceux qui me sont chers, me fait un peu oublier mon éloignement et semble me rapprocher de mon pays natal. » À cette même date (20 juin 1915), il souhaite « que cette maudite guerre d’extermination soit terminée le plus promptement possible avec notre succès final ». Plus tard (1er janvier 1916), lui et ses camarades souhaitent « que 1916 nous apporte la victoire et la paix surtout ».
Le Cercle occitan de Sète conserve le « carnet de route » d’Armand Bonneton qui se termine curieusement : « Le 25 sept. 1916. Départ pour Amiens à 5 h 20 le soir. Fini permission. Adieu le bonheur, etc., etc., jusqu’à la démobilisation le 7 avril 1919. » On comprend qu’il a survécu. On comprend aussi qu’il a recopié ses notes (en les illustrant de quelques photos). On ne sait pas pourquoi il s’est arrêté à cette date : avait-il cessé de prendre des notes pendant la fin de la guerre ? a-t-il renoncé à en poursuivre la transcription ? Sa fiche matricule (Archives de l’Hérault 1R 1186) nous apprend qu’il a quitté le front en octobre 1916 et qu’il a été classé « service auxiliaire » en décembre 1917 pour des problèmes de santé non liés à une blessure de guerre.
RC

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Isaac, Jules (1877-1963) et Laure

Les volumes du fameux cours d’histoire « Malet-Isaac » constituent un véritable monument. L’opération fut lancée par Albert Malet ; Jules Isaac y participa dès 1909 et en prit la direction après la mort de son collègue, tué en Artois le 25 septembre 1915. Jules Isaac était né le 18 novembre 1877 à Rennes où son père, officier, était en garnison. La famille, juive détachée de la religion, avait ses racines en Alsace et en Lorraine. Dans la formation de l’historien, l’affaire Dreyfus joua un grand rôle, de même que ses relations avec Péguy et les Cahiers de la Quinzaine. Agrégé en 1902, Jules Isaac se maria la même année. Il avait deux enfants en 1914 lorsqu’il fut mobilisé au 111e RIT. L’Association des Amis de Jules Isaac conserve 1800 lettres écrites du front par l’historien, ainsi que quelques centaines de sa femme Laure, des carnets et un texte de réflexion de 1917 après sa blessure. Pour conserver au livre publié en 2004 une dimension raisonnable, il a fallu effectuer un choix, toujours regrettable, mais indispensable. On peut consulter les originaux à la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence.
Le régiment territorial, terrassier et chemineau plus que combattant, se trouvait dans l’Aisne en octobre 1914 lors de l’arrivée de Jules Isaac sur le front ; en Champagne d’avril 1915 à mai 1916 ; puis à Verdun où le sergent Isaac devient observateur détaché dans l’artillerie. Il est blessé sous un bombardement fin juin 1917 et, dès lors, avec la satisfaction profonde d’avoir survécu, il ne reviendra pas au front. La description des conditions de vie des poilus est sans surprise. La boue est la « pire ennemie » ; le nettoyage des tranchées consiste, dans le premier sens du terme, à les dégager des cadavres et des débris de toutes sortes, à rendre les boyaux praticables. Il décrit « cette impression de captivité et d’étouffement à rester là des heures et des jours prisonniers entre deux murs de terre sans aucun horizon » ; la tension nerveuse qui résulte du danger ; « les longues heures de veille dans la nuit noire ». « Heureusement, écrit-il le 24 décembre 1914, ce qui nous sauve, c’est le tempérament français, bon enfant, une gaieté de caractère qui tient lieu de ressort moral, le mot pour rire… » Le 29 juin 1915, il note encore l’extraordinaire capacité des hommes à s’adapter. Le 21 septembre 1916, il doit avouer : « Vraiment l’effort qu’on nous demande est presque au-dessus des forces humaines. » Cette notion de la durée d’exposition au danger sur l’évolution du « moral », Jules Isaac la reprendra dans son compte rendu de Témoins de Norton Cru. Les scènes de trêves tacites (par exemple le 10 décembre 1915, le 16 avril 1916, le 1er février 1917) ne changent rien au fait qu’il faut détruire le militarisme allemand, puis tous les militarismes, tandis que, au fil du temps, grandit la haine des embusqués et des bourreurs de crânes, souvent les mêmes individus. Le 6 juin 1917, l’historien constate dans sa propre pensée et celle des autres « cette réalité profonde qu’est l’intense désir de la paix dont les masses sont animées partout ». La révolution russe est une réaction contre les horreurs de la guerre. En France même, la paix revenue, les poilus feront un grand nettoyage.
Concernant les individus, Jules Isaac est d’abord très favorable à l’évolution de Gustave Hervé en faveur de la défense nationale, puis il se détache de lui. Henry Bordeaux et Louis Madelin produisent une « vérité pour salons académiques et sacristies distinguées ». Lavisse, « solennel » et « décevant », est coupé des réalités. Dans un texte d’après-guerre, Isaac écrit : « Pour l’historien, ancien combattant, nul devoir plus urgent, plus impérieux, que de prendre à bras-le-corps l’imposante, complaisante histoire officielle qui déjà s’employait à masquer trop d’écœurantes vérités ; nulle entreprise plus nécessaire, plus salubre que de mettre en pleine lumière les réalités de la guerre, et, par delà une victoire illusoire, la précarité de la paix. » (On songe au Plutarque a menti de Jean de Pierrefeu, voir ce nom.) Il n’est pas surprenant qu’il ait donné un long compte rendu très favorable du livre de Norton Cru dans une prestigieuse revue d’histoire, et qu’il ait entrepris une recherche sur les origines de la guerre montrant que, à côté de la responsabilité des empires centraux, il fallait bien dire que Poincaré n’avait pas eu une grande volonté de paix (thèse qui lui valut bien des ennuis). Après la Deuxième Guerre mondiale et l’assassinat de sa femme et de sa fille par les nazis, Jules Isaac écrivit encore un pamphlet sur les classes dirigeantes complices d’Hitler (Les Oligarques), et des travaux sur les racines chrétiennes de l’antisémitisme qui lui attirèrent encore des animosités. Dans la conclusion de sa biographie de Jules Isaac, André Kaspi cite ces paroles de son personnage : « J’ai une réputation de bagarreur. Je suis un vieux dreyfusard. La vérité est devenue ma règle d’or, la libre et scrupuleuse recherche de la vérité, la loi de ma vie. Somme toute, je crois que j’ai été un bagarreur assez fraternel. »
RC
*Jules Isaac, Un historien dans la Grande Guerre, Lettres et carnets 1914-1917, introduction par André Kaspi, présentation et notes par Marc Michel, Paris, A. Colin, 2004, 310 p., illustrations.
*André Kaspi, Jules Isaac, Paris, Plon, 2002, 258 p., illustrations.
*Jules Isaac, « De la valeur des témoignages de guerre », Revue historique, janvier-avril 1931, p. 93-100, cité par Frédéric Rousseau dans sa réédition critique de Témoins de Jean Norton Cru, Presses universitaires de Nancy, 2006.

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Berger, Joannès (1893-1976)

Écrivant le 30 juillet 1915, Joannès Berger signalait qu’il avait reçu 45 lettres en trois semaines. Lui-même envoyait à ses parents « une lettre par jour », titre repris par son fils pour l’édition d’un immense corpus, une édition d’une extrême rigueur, accompagnée d’une enquête sur l’écriture et sur les délais d’acheminement du courrier. Le tome I, seul paru, compte 397 pages, 1414 notes, 31 illustrations, de précieux index des noms de personnes et de lieux, et surtout des thèmes, depuis « abcès » jusqu’à « zouaves ». Une introduction détaillée situe la famille Berger dans sa région et ses activités, et insiste sur sa forte imprégnation catholique. Joannès Berger est né à Rozier-Côtes-d’Aurec (Loire) le 18 décembre 1893 d’un père serrurier et d’une mère ménagère. Dans la même commune, il s’est marié tardivement, en 1945, et il est mort le 30 avril 1976. Il avait étudié dans un pensionnat catholique ; il est devenu enseignant dans un autre.
La première série de lettres correspond à l’époque du service militaire à partir du 25 novembre 1913. On bascule dans la guerre et Joannès participe aux combats d’août 1914 en Lorraine avec le 17e RI ; en été 1915 il est en Artois avec le 158e RI ; en 1916, il passe quelque temps dans les Vosges où il est blessé accidentellement par un camarade ; en août 1917, sur le Chemin des Dames, des éclats d’obus le touchent aux deux jambes ; en 1918, on le trouve surtout à l’arrière, dans le Midi. Tous les soldats de la Grande Guerre n’ont pas été en permanence sur le front : Joannès a fait de fréquents et longs séjours à l’hôpital, en convalescence, en permission, en stage… La guerre n’a rien changé à ses convictions religieuses, même si le vin remplace bientôt le plaisir de boire du tilleul en chantant un cantique (3 octobre 1914). À plusieurs reprises, il regrette que des officiers bien pensants ne soient pas « bons » pour leurs hommes car ce sera une occasion pour ces derniers d’attaquer la religion. Le 2 avril 1915, il écrit que la guerre doit durer afin que les anticléricaux et ceux « qui sont abrutis dans leurs théories soc. » aient le temps de réfléchir et de changer d’opinion. Mais il se trouve à ce moment-là au camp d’entraînement de Nyons, dans la Drôme, et il y restera jusqu’en juin. Lui-même n’est pas volontaire pour repartir. Son « consentement patriotique » du début fait place à la volonté de rester à l’arrière le plus longtemps possible, ce qui est parfaitement humain.
RC
*Gérard Berger, Une lettre par jour, Correspondance de Joannès Berger, poilu forézien, avec sa famille (1913-1919), tome I : D’Épinal (Vosges) à Legé (Loire-Inférieure), novembre 1913 à septembre 1915, Publications de l’Université de Saint-Étienne Jean Monnet, 2005.

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Vonet, Bertrand (1895-1976)

Ce jeune homme qui arrive sur le front à 20 ans en 1915, au 412e RI, est né à Céré-la-Ronde (Indre-et-Loire) le 5 juillet 1895 dans une famille de vignerons. On a retrouvé les lettres qu’il adressait à sa sœur et à son beau-frère, horticulteurs à Montrichard (Loir-et-Cher). Elles contiennent les aspects qui reviennent habituellement dans les correspondances des fantassins non-gradés : la boue et les marches épuisantes ; les rats et les poux ; les exercices stupides à faire au « repos » ; la nourriture qui laisse parfois à désirer (« je suis bien sûr que les cochons chez nous mangent des meilleures pommes de terre »). Il déteste les embusqués, et les discours patriotiques lui donnent le cafard : « Vous pouvez dire au voisin Masset qui est si patriote qu’il y a de la place pour lui, car depuis deux jours, il a dû en tomber quelques-uns. » Il évoque « la bonne blessure » et la « tranquillité » de ceux qui sont morts : « On s’aperçoit que ceux morts sont bien tranquilles, puisqu’il faut y passer tous les uns après les autres, il vaut mieux de suite que plus tard ; moi je n’ai espoir qu’à une bonne blessure pour pouvoir tirer quelques mois à l’intérieur. » Le rapport au « pays » reste fort : « il faudra que vous me disiez si les vignes sont belles » (6 juillet 1915) ; et cette évocation même fait grincer des dents : « Et au pays, que se passe-t-il ? Les vignes doivent commencer à pousser ; tâchez de nous faire du pinard un peu meilleur que celui qu’ils nous donnent en ce moment, je ne sais pas où ils le fabriquent mais il est presque imbuvable » (28 avril 1917).
On les aura !
Dans ce registre de la révolte, Bertrand Vonet a des expressions originales. Dès octobre 1915, il pense que le manque de pain va peut-être entraîner la fin de la guerre et il s’en réjouit. Le 15 février 1916, il félicite ses correspondants de la naissance d’une nouvelle petite nièce : « Heureusement que c’est une fille, au moins comme ça on ne pourra pas l’envoyer à la Boucherie quand elle aura 20 ans. » En juin 1917, il signale qu’il lit de « petits bouquins néo-malthusiens » que son lieutenant lui conseille de cacher : « comme il vient souvent des officiers supérieurs, c’est pas la peine qu’ils nous jugent mal. » Il emploie systématiquement le pronom « ils » pour désigner ceux qui commandent : « De la façon que ça va, ils veulent faire tuer tout le monde. Car, vous savez, à présent pour gagner 2 à 3 km de terrain c’est la perte de plusieurs milliers d’hommes ; il y a que celui qui le voit tous les jours qui peut s’en rendre compte. » Ce comportement est une véritable trahison : « Depuis le début, il n’a pas été un seul jour où nous avons pas été trahis. On nous a fait massacrer comme des mouches pour l’avancement de nos grands officiers supérieurs, et encore en ce moment [26 novembre 1917] plus un général fait zigouiller de Poilus, plus il a de succès. Si tous les sacrifices que nous avons faits depuis le début avaient été bien exploités, les Boches ne seraient plus chez nous, mais tout au contraire quand l’on voyait qu’ils voulaient fléchir, on s’empressait bien vite de ne pas leur faire trop de mal car on a beau dire, les Boches sont des hommes comme d’autres et il a été un certain moment qu’on aurait bien pu les trouer d’un côté ou de l’autre. » Il joue à plusieurs reprises sur l’expression « On les aura ». Le classique « On les aura… les pieds gelés » (20 février 1916) est suivi de « On les aura… les poux dans la chemise » (25 février), « On les aura… les jambes coupées » (4 juillet), « On les aura ? mais si c’est quand tout le monde aura la gueule cassée, ce n’est pas la peine » (16 juillet), etc. En mars 1917, Bertrand envoie le texte de la « chanson du 412e d’infanterie », qui a pour titre « On en a marre » et qui réclame « vivement la paix » après avoir critiqué « les embusqués de l’arrière » qui « n’ont pas peur de faire la guerre » : « Ils n’ramènent pas leur sale gueule au créneau / Ils n’font pas les corvées dans tous ces sales boyaux. »
Si la révolte est l’aspect dominant de ce témoignage, il est également riche de notations diverses. On peut dire ce que l’on veut de la frugalité et de l’endurance du monde paysan d’avant 1914, mais c’est à la guerre que plusieurs ont découvert la faim : « On est souvent obligé de se mettre une belle ceinture. Je ne croyais jamais venir à 20 ans et être obligé bien souvent d’aller me coucher avec la faim » (13 octobre 1915). L’information sur les divers secteurs circule d’un régiment à l’autre. Au moment de partir pour la cote 304, le 22 mai 1916 [voir aussi Louis Barthas], les poilus du 412 savaient « qu’il n’y avait plus de tranchées, tout était démoli par le bombardement et que l’on était obligé de se fourrer dans les trous d’obus ». Et les survivants allaient pouvoir, à leur tour, transmettre le renseignement : « C’est avec un grand soulagement que je vous fais ces deux mots aujourd’hui [16 juin 1916] car vraiment je viens d’une fournaise où je ne croyais pas en sortir. […] Nous sommes revenus morts de fatigue. Nous avons fait 7 jours de 1ère ligne sous la pluie, et comme tout est retourné par les obus il fallait être du matin au soir allongés dans la boue. » Mais il peut y avoir aussi quelques « filons », ainsi fin 1916, lorsqu’il devient « tampon » d’un lieutenant, et surtout lorsque celui-ci, désigné pour suivre un stage, l’emmène avec lui : « Où je suis, j’y tiendrais jusqu’à la fin de la guerre » (28 avril 1917). Au repos, en août 1917, il rencontre des Américains « qui arrivent avec les poches pleines de pognon [et] sont bien vus partout ».
Il reste que l’expérience de la guerre fut terrible pour Bertrand Vonet, et que sa réflexion le conduisit à s’intéresser au journal L’Humanité et aux réunions syndicales, l’année de sa démobilisation (lettres des 29 juin et 18 juillet 1919). Marié en avril 1920 avec une couturière, fille de cultivateurs, il eut deux filles qui ne participèrent donc pas aux combats de 1940. Il est mort dans son village natal le 3 mai 1976.
RC
*Lettres conservées par Jacques Moriceau.

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Goulmy, Martial (1891-1937)

Quatrième enfant d’un charron, Jean-Baptiste Martial Goulmy est né à Donzenac (Corrèze) le 17 septembre 1891. Mobilisé en 1914 comme brancardier régimentaire au 108e RI, et musicien, il s’est marié en juillet 1917 au cours d’une permission. Après la guerre, ayant repris le métier de son père, il a fait mettre en forme son journal par Adolphe Ulry sur un cahier d’écolier, à partir de notes hâtives au jour le jour. La comparaison des dates et des faits avec le JMO du régiment montre leur exactitude, mais il semble que le témoignage ait été lissé. Par exemple pour décembre 1915 en Artois, qui connut inondations et fraternisations près de Neuville-Saint-Vaast, on ne trouve qu’une brève évocation de la boue. Les mouvements d’indiscipline au 108e le 30 mai 1917 à Aubérive, signalés par Denis Rolland, ne sont pas mentionnés. La publication du témoignage pose quelques problèmes de transcription, en particulier p. 46 à propos d’un bon secteur calme : « ce docteur n’est pas mauvais » ; ou p. 122, en Italie, les Austro-Boches devenant « les autres Boches » ; il faudrait vérifier si « la Gargotte » près de Neuville n’est pas la Targette. Le musicien brancardier a connu la retraite de 1914, la Marne, l’attaque en Artois en septembre 1915, Verdun, l’offensive Nivelle, puis l’Italie à partir de novembre 1917.
Le récit contient, sans surprise, des mentions de terribles bombardements, le 75 tuant parfois les Français (p. 74) et la description du travail des brancardiers, utilisant une brouette trouvée sur place, faute de brancards (p. 36),obligés d’abandonner lesdits brancards dans les boyaux trop étroits (p. 79), ou de passer à découvert lorsque l’artillerie a détruit tous les cheminements protégés comme à Verdun (p. 94). Les brancardiers doivent ensevelir les corps et désinfecter les tranchées (p. 67) ; ils voient passer des prisonniers allemands satisfaits de leur sort (p. 75). Au repos, concerts (p. 63), chasse au lapin pour améliorer l’ordinaire (p. 48), travail de charron pour réparer les voitures médicales (p. 50), coup de main aux paysans pour battre le blé (p. 69), évocation du « pays » avec les camarades (p. 81). Martial Goulmy fait partie des soldats qui ont décrit des exécutions (p. 87) et qui ont tenu à noter leurs impressions pénibles devant un spectacle « navrant » qui fait que « plus d’un avait les larmes aux yeux en s’éloignant du lieu de l’exécution ». Le 11 avril 1915, il écrit qu’il se laisse « aller à des pensées plutôt sombres, [se] demandant par quelle folie, à une époque de civilisation et de progrès, des hommes qui ne se connaissent pas peuvent encore s’entre-tuer rageusement pour satisfaire l’ambition de quelques-uns ». L’emploi de l’expression « le pauvre diable » à propos d’un blessé allemand prouve que Goulmy, comme bien d’autres soldats, n’a pas été transformé en brute par l’expérience de la guerre.
RC
*Destins ordinaires dans la Grande Guerre, Un brancardier, un zouave, une religieuse, Presses universitaires de Limoges, 2012, p. 13-134.

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Balanda, Germaine de (1867-1938)

Née à Perpignan le 22 août 1867, Germaine est la quatrième fille de cette vieille famille noble apparentée aux De Llobet (voir notice) à devenir religieuse. Elle choisit la Société de Marie Réparatrice créée pour réparer les souffrances du Christ par l’adoration quotidienne du Saint-Sacrement. La politique laïque de la Troisième République leur fait choisir l’exil en Belgique, à Tournai. C’est là qu’elles subissent l’occupation allemande avant un retour en France par la Suisse au début de 1918 qui va permettre à Germaine de revoir ses parents en Roussillon avant de repartir vers Gênes, et plus tard vers Maastricht où elle meurt en 1938. Le présentateur du témoignage publié pense que celui-ci a été écrit peu après la guerre, mais on en ignore la motivation.
Le texte commence par l’évocation des horreurs commises par les Allemands, avec l’exemple d’une malade « hachée en morceaux » dans son lit. Il continue par le récit des perquisitions, interdictions, tracasseries, amendes, imposées par les troupes d’occupation avec mention de « quelques soldats allemands moins inhumains que les autres ». L’habileté des occupés à passer des correspondances en fraude est notée ainsi que l’humour de publications clandestines ou d’histoires drôles, et les farces des « Charollais » (confusion avec les Marolles ?). D’autre part, les interventions divines sont fréquentes : elle écrit qu’on a vu une « forme blanche » empêchant les Allemands d’avancer lors de la bataille de la Marne ; Germaine n’hésite pas à solliciter une de ses « amies célestes » pour faire augmenter par miracle le stock de farine ; une bonne sœur « avait des communications très intimes avec Notre-Seigneur qui lui avait promis que 1918 serait une année de bénédictions ». Au cours du voyage de rapatriement par l’Allemagne, elle fait une observation étonnante : « On voit bien que la guerre ne les a pas atteints : les champs sont bien cultivés, les enfants massifs et bien portants. » Comme s’il n’y avait pas eu de blocus et de maladies de carence. L’accueil en Suisse par les dames de la Croix-Rouge est chaleureux. « Malheureusement sur 100 membres, trois seulement sont catholiques. » On distribue des médailles de la sainte vierge. « Qui sait si ce ne sera pas un petit germe de conversion pour la Suisse en récompense de sa charité. »
En conclusion : « Depuis, la guerre est terminée, mais la Révolution menace tout l’univers. Si on voulait se tourner vers le bon Dieu, ce serait vite fini. Mais les nations veulent se passer de lui et cela va de plus en plus mal. » Mais, la bonne sœur ne commit-elle point un péché contre la charité chrétienne en parlant avec mépris des « Bochesses » et en écrivant à propos d’une hôtelière savoyarde : « Madame Guenon, la bien nommée » ? Je ne saurais répondre, n’étant pas compétent en ce domaine ; la preuve, j’ignorais l’existence de la congrégation de la « Sainte Union des sacrés-cœurs de Jésus et Marie » dont il est question à la p. 287.
RC
*Destins ordinaires dans la Grande Guerre, Un brancardier, un zouave, une religieuse, Presses universitaires de Limoges, 2012, p. 249-293.

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Dardant, Louis (1890-1982)

Originaire de Châteauponsac (Haute-Vienne), il s’engage à 18 ans au 138e RI où il devient sergent. Il passe en 1912 au 4e Zouaves de Tunis, troupe de choc avec laquelle il fait la guerre de 1914-1918 : la retraite de 1914 (il est blessé le 7 septembre), les tranchées de Nieuport de janvier 1915 à avril 1916 (il est promu sous-lieutenant en mai 1915), Verdun, l’offensive d’avril 1917 vers Craonne et Hurtebise, l’attaque d’octobre sur la Malmaison (où il est à nouveau blessé). Il termine sa carrière militaire comme commandant. À l’âge de 83 ans, il décide d’écrire ses mémoires de combattant de 14-18 à l’intention de ses descendants. Disposant de peu de documents personnels et ses souvenirs étant « estompés », il puise largement dans l’Historique du régiment. Ces emprunts représentent 46 % de son texte ; ils apparaissent en italiques dans la publication. Ils concernent aussi bien les opérations que la vie quotidienne et « l’état d’esprit » du régiment, ce qui donne à ce texte, comme le souligne le présentateur, une tonalité « perpétuellement martiale ». Notons que Charles Gueugnier (voir notice) appartenait au 4e Zouaves, mais son témoignage de guerre ne porte que sur sa captivité en Allemagne.
RC
*Destins ordinaires dans la Grande Guerre, Un brancardier, un zouave, une religieuse, Presses universitaires de Limoges, 2012, p. 135-247.

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