Gay, Victor (1888-1974)

Né à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) le 29 juillet 1888, fils de maçon. Service militaire au 3e RAC de Castres, 1909-1911. Marié en 1912 à Villemur. Employé aux services commerciaux de l’entreprise Brusson Jeune. Mobilisé au 3e RAC en août 1914. C’est le régiment du capitaine Bonneau (voir ce nom). On a de lui deux lettres adressées à son patron Antonin Brusson (voir ce nom) en septembre 1914, dans lesquelles il remercie pour un mandat et il souhaite prospérité à l’entreprise (fabrication de pâtes alimentaires). La famille avait conservé son carnet de route lors de la publication de La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, Loubatières et CAUE de la Haute-Garonne, en 1993, livre qui en reproduit quelques extraits. Jean-Claude François, auteur de Les Villemuriens dans la Grande Guerre, Les Amis du Villemur historique, 2014, signale que ce carnet est actuellement égaré.
Les serveurs du canon de 75 étaient menacés par l’éclatement de la pièce. En juin 1915, Victor Gay note : « C’est la série noire des éclatements prématurés. » Le 20 juillet 1916, lors de l’offensive de la Somme, sa batterie est arrosée d’obus au gaz et c’est la première fois qu’il doit mettre son masque. En mars 1918, il est intoxiqué lors d’un nouveau bombardement au gaz et doit passer à l’ambulance « quelques jours pendant lesquels le jeûne et la tisane atténuèrent petit à petit le mauvais effet de la drogue boche ». Depuis avril 1917, il était au 248e RAC.
Il a subi les intempéries : « La neige commençant à fondre, les routes sont transformées en de véritables bourbiers où hommes et chevaux pataugeons parfois jusqu’à moitié jambe. […] Malgré les rigueurs de la température, impossible de faire un peu de feu, n’ayant ni cheminée, ni combustible. » Le thermomètre marque douze degrés au-dessous de zéro : « Impossible de monter à cheval, ni sur les caissons, la route ressemblant à une vaste glace où les chevaux ont beaucoup de peine à se maintenir. […] Le pain et les conserves sont déjà gelés, tandis que les glaçons commencent à apparaitre dans nos bidons. »
Une affectation provisoire comme planton à la 30e section d’autocanons lui donne l’occasion de constater que l’on peut vivre à l’arrière dans « les douceurs » et d’y faire « bravement la guerre ». Il passe trois jours « parmi ces jeunes embusqués qu’un heureux hasard ou un puissant piston tient éloignés de la ligne de feu ». Quant aux permissions, elles paraissent toujours trop courtes et, « au grand désappointement des Poilus, les trains qui montaient vers la zone du front étaient toujours plus pressés que ceux qui en descendaient, aussi ce n’était pas avec beaucoup d’enthousiasme que le permissionnaire voyait arriver le moment du départ ».
Comme dans beaucoup de récits de combattants, les rencontres de compatriotes émaillent le journal de Victor Gay. C’est l’occasion d’un repas si le service en laisse le temps. C’est l’occasion de faire revivre le souvenir de Villemur. Jean-Claude François a retrouvé ce passage d’une lettre de son camarade Camille Terrisse (Vermelles, 9 avril 1915) : « J’ai été voir Victor Gay à sa pièce. Il m’a montré son logement qui est très confortable [c’est un fantassin qui parle]. Lui aussi a laissé pousser sa barbe et comme à tous ça lui a changé la physionomie, mais il semble qu’il se porte mieux qu’avant et qu’il a engraissé. » Une photo de Victor Gay barbu, avec sa femme, se trouve dans La Chanson des blés durs, p. 79.
Après la guerre, il est revenu à Villemur. En 1930, il tenait un commerce de graineterie. Il y est mort le 23 février 1974.
Rémy Cazals, avril 2016

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Escalaïs, Julien (1881-1954)

Né le 29 juin 1881 à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne), de père inconnu. Reconnu en 1892 par son père, comptable dans l’entreprise Brusson Jeune. Marié en 1904, un fils né en 1912. Lui-même est employé chez Brusson (sans autre précision). Il a écrit une dizaine de lettres et cartes postales à ses patrons, conservées dans les archives de l’entreprise aux Archives de la Haute-Garonne. Il se plaint du froid, de la longueur de la guerre dès janvier 1915, et de la censure du courrier. Comme tous les salariés de l’entreprise, il a reçu de l’argent et des colis (le 17 janvier 1915, il remercie pour un colis « délicieux » arrivé intact).

Voir les notices Brusson. Voir Jean-Claude François, Les Villemuriens dans la Grande Guerre, Les Amis du Villemur historique, 2014. Photo de Julien Escalaïs dans La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, CAUE et Loubatières, 1993, p. 78.

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Deloule, Firmin (1892-1979)

Né le 31 août 1892 à Roynac (Drôme) dans une famille d’agriculteurs. Titulaire du certificat d’études primaires. Il est au service militaire au 159e RI à Briançon lorsque la guerre éclate. Il est démobilisé en août 1919 et il revient à Roynac sur l’exploitation familiale.
Il a tenu un journal. Après la guerre, il a recopié au propre sur un cahier les pages concernant l’année 1914. Pour la suite (1915-1918), il annonce qu’il a perdu ses notes et ne dispose que de sa mémoire, et il traduit ses souvenirs en vers « après plusieurs années ». Toutefois, s’ajoutent certains poèmes qui sont datés et localisés : « La Somme 1916 » ou « Au Chemin des Dames août 1917 ». Il est vraisemblable qu’ils aient été écrits au moment et que l’auteur les ait sauvegardés, à la différence des notes quotidiennes.
La plaquette 1914-1918 Mémoires de guerre, Firmin Deloule, 76 p., a été préparée par la Commission départementale d’information historique pour la paix de la Drôme, imprimée par IDS Valence en 2000, et destinée aux élèves du département et aux professeurs. Le lecteur est averti que la transcription respecte l’orthographe, mais est-on certain qu’on n’a pas rajouté des fautes de frappe ? Quelques pages reproduites en fac-similé montrent que l’écriture de l’auteur est parfaitement lisible ; tout le témoignage aurait vraisemblablement pu être donné en fac-similé. Des chronologies et des croquis accompagnent le texte.
Début août 1914, le 159e est envoyé surveiller la frontière des Alpes jusqu’à ce que l’on apprenne la neutralité de l’Italie. Il faut alors partir pour combattre les « barbares » en Alsace. Firmin Deloule a vu lui aussi le poteau frontière arraché et il signale l’accueil chaleureux d’un vieil Alsacien, ravi de voir revenir l’armée française. Le 19 août, il reçoit le baptême du feu, d’abord sans voir un seul ennemi, puis, envoyé en patrouille, il tue d’un coup de fusil son « premier Allemand ». Le 22 août, son bataillon se trouve dans un train tamponné par un autre, accident qui fait 94 morts et plus d’une centaine de blessés.
Le 25 août, le régiment arrive dans les Vosges et combat pour le contrôle du col de la Chipotte. Deloule signale plusieurs assauts à la baïonnette mais un seul corps à corps. Il souffre des bombardements, de la pluie, du manque de ravitaillement, compensé par la cueillette de pommes et de prunes. À deux reprises (p. 25 et 26), il emploie à propos des Allemands l’expression « ces s….. », mais on ignore si elle figure dans le texte original sous cette forme expurgée. Le village de Moyenmoutier a été pillé par les Allemands, mais leur retraite précipitée les a empêchés de se livrer « à d’autres projets infâmes ». Le pays est plein d’espions, « passés par les armes sans autre forme de procès ». Du 18 au 28 septembre, ce sont des combats difficiles autour de Senones.
« Après trente six heures de chemin de fer nous arrivions à Arras (Pas de Calais) le 30 septembre. » Le 2 octobre, il assiste à un combat de cavalerie entre Uhlans et Goumiers. Lui-même s’est creusé un trou ; deux blessés tombent sur lui et leurs corps le protègent des balles. Le creusement des trous se fait avec les outils adéquats, mais aussi avec la baïonnette, la cuillère, la fourchette. Le 27 octobre, « je dégringolais encore un Boche ». Le 16 novembre, arrivent les renforts de la classe 14. Pas de trêve à Noël, la fusillade est permanente. En janvier, c’est la pluie et la boue (p. 39). Il est évacué pour une légère blessure et une bronchite.
Commence alors la deuxième période, entièrement rédigée en vers, mais qui mêle souvenirs écrits après coup et poèmes datés qui rendent sensible l’évolution des sentiments. Après une deuxième évacuation, le voici à nouveau au dépôt du régiment, à Briançon, prêt à repartir. Son poème « Après un an de guerre » s’apitoie sur les « vides » dans les familles et souhaite la fin de ce « maudit fléau », que la paix vienne délivrer « l’Europe, le monde tout entier ». C’est la première mention de tels sentiments. Sur la Somme en 1916, il oppose les combattants qui souffrent et ceux qui, « à l’intérieur », continuent à danser.
En 1917 (mai ?), face au fort de la Malmaison, le régiment (172e RI) fait six attaques, refuse de faire la septième et part au repos « le fusil sur l’épaule avec la crosse en haut ». C’est dans l’Aisne en 1917 (sans autre précision, mais, là, elle n’est pas indispensable) qu’il écrit un poème sur les poux, « le fléau de cette guerre ». Plus tard, dans les Vosges (Le Violu), le régiment connait un secteur tranquille (« pas un coup de fusil, pas de bombardement ») où, d’une tranchée à l’autre, on échange des cigarettes contre des boules de pain car « chez eux cela ne tournait pas rond, ils avaient tous faim ».
Le poème intitulé « Pourquoi ? », daté de septembre 1917 (p. 63), s’en prend à la République, à Liberté, Égalité, Fraternité, des mots qui n’ont plus de sens quand les hommes politiques, « vulgaires coquins », ne savent que crier « jusqu’au bout ». Qu’ils sortent de leur bureau, qu’ils viennent risquer leur peau ! Il est vraisemblable que Firmin Deloule connaissait la Chanson de Craonne. Son poème est de la même inspiration et certains mots reviennent : « leur peau », « infâmes », « sommes nous condamnés », Messieurs « les grands ». Il se termine par : « À la Chambre que l’on s’occupe vivement / D’abolir cette affreuse guerre / Assez de crimes ! Assez de sang ! » D’autres poèmes de 1917 s’en prennent aux embusqués (p. 64), aux « ignobles bourreaux qui cachent tous leurs crimes sous les plis du drapeau » (p. 65).
L’expression « monter sur le parapet » est présente à deux reprises. Une première fois dans les souvenirs lorsqu’il dit que c’était la chose la plus terrible dans la guerre des tranchées : « Vague par vague nous montions, beaucoup étaient fauchés. » Et une autre fois dans le poème intitulé « 11 Novembre 1918 » (p. 72) lorsque la nouvelle de l’armistice permet enfin de « sortir sur le parapet » sans risquer la mort.
Les deux derniers poèmes, de 1918, illustrent une sorte de contradiction, ou une ambivalence, que Jean Norton Cru avait déjà bien remarquée dans certains témoignages. Un poème poursuit la critique des « gros » qui « nous font à tous crever la peau », et il les menace : « Dans le tombeau vous les sacrifiez / Il en restera bien assez / Prenez garde / Le destin vous regarde. » Mais l’autre poème, à peu près contemporain, célèbre de la façon la plus traditionnelle la gloire et l’honneur du 26e régiment d’infanterie, unité dans laquelle Firmin Deloule a terminé la guerre. « Dualisme déconcertant de la pensée », écrivait Jean Norton Cru (Témoins, p. 194).
Rémy Cazals, avril 2016

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Duhamel, Marcel (1885-1970)

Quatorzième et dernier enfant d’une famille de cultivateurs normands demeurant à Brionne, dans l’Eure, Marcel Duhamel quitte très jeune sa famille pour aller travailler à Paris. En 1914, il est devenu propriétaire d’un magasin de cycles et motos situé dans le 17e arrondissement, au 16 de la rue Jouffroy.
Mobilisé le 3 août, célibataire, il doit fermer son magasin pour rejoindre le 22e Régiment d’artillerie à Versailles. Son grade de maréchal des logis lui permet d’être choisi comme agent de liaison cycliste pour l’état-major du groupe.
Débarqué à la gare de Laon, le régiment équipé de canons de 75 se dirige vers la frontière belge, jusqu’au pont de Solre-sur-Sambre atteint fin août. Commence ensuite la retraite harassante vers le sud jusqu’à Villers-Saint-Georges, près de Provins. À partir du 8 septembre, le régiment remonte vers le nord et s’arrête devant Berry-au-Bac, où il reste dix-sept jours. Se retrouvant sans directives après la mort de ses chefs, Marcel Duhamel laisse sa fonction de cycliste et prend d’autorité la place de chef de la 7e pièce (3 caissons, 18 hommes, 20 chevaux) de la 24e batterie.
D’octobre 1914 à mai 1915, il est cantonné dans le secteur de Suzanne-Maricourt, près de Péronne. Par amitié pour un brigadier, il accepte d’échanger sa place de chef de la 7e pièce pour devenir chef de la 3e pièce, à la batterie de tir. Une attaque contre les positions allemandes menée en décembre se solde par un échec. En mai 1915, il quitte ce secteur pour participer à l’offensive d’Artois. Dix des douze canons y seront détruits. En septembre 1915, il participe à l’offensive de Champagne et, en juillet 1916, à l’offensive de la Somme. Le 7 juillet, fortement commotionné et atteint de surdité, il est mis au repos dans une unité anti-aérienne.
C’est seulement à la fin de sa vie, vers 1968, que Marcel Duhamel rédige ses souvenirs des années 1914-1916 à la demande de son fils. Publié par la famille en 2014, le récit est complété de divers documents (photos, citation attribuée le 15 juillet 1916, carte retraçant l’itinéraire de son régiment). Rien n’est dit de ses années d’après-guerre sinon qu’en 1956 il était le président des Anciens Combattants de Brionne.
Le titre de la publication, Ça jamais, mon Lieutenant !, reprend un cri du cœur exprimé par Marcel Duhamel pendant la retraite de 1914 : un lieutenant lui demandait d’utiliser son revolver pour empêcher les fantassins (épuisés de fatigue et ne pouvant plus marcher) de s’asseoir sur les caissons de l’artillerie tirés par des chevaux ; certains s’endormaient, tombaient et passaient sous les roues des voitures suivantes. La réponse vigoureuse de Marcel Duhamel décontenança le lieutenant. La description de la retraite rapportant l’épuisement des hommes et des chevaux, le manque de ravitaillement et de sommeil, les villages incendiés, correspond au témoignage donné par Paul Lintier, maréchal des logis au 44e RAC, dans Ma pièce.
Plusieurs remarques mentionnent les souffrances endurées par « les pauvres fantassins » ; ainsi, pour réconforter un canonnier : « Je le consolai de mon mieux et lui remontai le moral en lui faisant valoir la chance qu’il avait de ne pas avoir été versé dans l’infanterie ». Il note l’efficacité du matériel allemand, comme les obus explosifs, ou l’importance du réseau de barbelés que les Allemands mettent en place la nuit en toute sécurité contrairement aux Français, vite repérés par les fusées éclairantes allemandes. Il relate un malheureux tir, qui a tué un fantassin français dans la tranchée de première ligne ; l’erreur résultait de ce que les obus, à poids égal, n’avaient pas tous la même puissance de tir selon qu’ils provenaient de tel ou tel fournisseur. À la fin de ses souvenirs, il ironise sur les officiers qui restaient dans leurs abris pendant les canonnades, et s’indigne de l’attribution des médailles à des soldats non méritants : « Puis j’ajoutai que, de ce jour, je considérais que la Croix de Guerre avait été instituée, non pour récompenser, mais pour décourager les meilleures volontés. »
Issu du monde rural, Marcel Duhamel a conservé un regard bienveillant sur les vaches ou les chevaux, et note l’intelligence d’un cheval rentré seul aux échelons, signalant ainsi la mort du lieutenant qui le montait.

* Marcel Duhamel, ça jamais, mon Lieutenant ! Guerre 1914-1918, Paris, L’Harmattan, « Mémoires du XXe siècle – Première Guerre mondiale », 2014, 77 p.

Isabelle Jeger, avril 2016

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Planté, Alban (1882-1919)

Né à Valence-sur-Baïse (Gers), le 16 avril 1882. Études au séminaire d’Auch. Curé de Margouet-Meymes. Nommé à Cassaigne le 18 avril 1914, il ne peut occuper son poste que pendant quelques mois car il est mobilisé et affecté à la 17e section d’infirmiers militaires de la 67e division de réserve (celle du docteur Voivenel, voir ce nom).
Henri Faget a retrouvé dans sa famille et autour les lettres envoyées à ses paroissiens notables par le curé devenu soldat (« déguisé en soldat », comme il le dit lui-même dans sa lettre du 28 août 1914, lettre qui demande aussi des nouvelles de « Monsieur Maurice », Maurice Faget, fils de ses correspondants principaux, et père d’Henri). Voir la notice Faget Maurice. Les lettres sont réunies dans un petit livre à compte d’auteur d’Henri Faget, publié sous le titre Alban Planté, Lettres d’un prêtre-soldat à ses paroissiens, avril 1914-décembre 1916, chez l’auteur (henri.faget459@orange.fr), 2014, 102 p.
Dans ses lettres, le curé emploie un ton de respectueuse et amicale plaisanterie. Il se préoccupe de la décoration de sa chère église ; il lance quelques piques à certains confrères à propos du denier du culte. Il demande l’envoi de son calice pour pouvoir dire la messe, mais il doit y renoncer car le paquet risquerait de s’égarer. De Cassaigne, ces dames lui envoient une étrenne qu’il utilise pour venir en aide à une famille éprouvée (p. 46 et 50). Lors des grandes fêtes chrétiennes, il adresse des lettres pastorales à ses paroissiens pour les réconforter.
Au début de la guerre, il passe quelque temps à Toulouse (p. 10), mais il arrive à Suippes en Champagne le 16 août, il gagne l’Argonne, puis se replie vers Verdun avant que la victoire de la Marne ne rétablisse la situation (p. 88). Il écrit : « Les services de la voirie n’ont plus de secrets pour moi, puisque j’ai passé un peu par tous : j’ai raclé la boue, cassé des cailloux, curé des fossés, enlevé des fumiers, déchargé du sable et du ciment, charrié du gravier avec la brouette pour la reconstruction d’un pont. […] Enfin, le 8 décembre, j’étais à ma grande joie affecté comme infirmier-major à la salle des fiévreux dans notre ambulance de Sommedieue. » Il lui arrive de dormir dans un grenier infesté de souris et de rats (p. 30-31), mais il est souvent accueilli dans des couvents (p. 20 et 38) car « les bonnes sœurs n’ont pas voulu que je couche dans le foin ».
Les lettres contiennent une fois l’expression « maudite guerre » (13 novembre 1914, p. 30), et reconnaissent l’existence du « cafard » qui est l’équivalent du spleen ou de l’ennui (p. 35). Mais il ne cesse de dire que la santé morale de l’armée est bonne (30 octobre 1914), que les soldats sont étonnants d’enthousiasme (17 janvier 1915), alors que les Allemands connaissent la faim (d’après la lettre d’un prisonnier qui aurait écrit : « assi lou pan coummenço à manca »). D’un autre côté, c’est Dieu qui dirige les opérations : « les fautes de la France pèsent bien lourd dans un plateau de la balance de Dieu », mais cela peut être compensé par les pleurs, les prières, les sacrifices (p. 25). Dans tous les cas, le Christ aime les Francs (p. 43) et Dieu ne voudra pas imposer à la France des épreuves trop dures (p. 47). Quant à la religion, « elle nous réconforte en ce sens qu’elle nous apprend à accepter la souffrance de la main de Dieu (p. 49).
La lettre pastorale pour être lue le 25 décembre 1915 (p. 75-80) revient sur « le courage incontestable de nos valeureux soldats et le génie incontesté des chefs qui les commandent ». Elle expose les raisons de ne pas faire la paix « dans l’état actuel des choses » et elle souhaite « que notre Patrie sorte de l’épreuve actuelle grandie moralement aux yeux du monde entier ».
La lettre du 5 avril 1916 est envoyée de Dax où le curé Planté est soigné par les Pères Lazaristes. Son état de santé s’est dégradé à un tel point qu’il a été évacué. De là, il s’insurge contre la « rumeur infâme » exposée par un journal de Toulouse (La Dépêche, dont il ne cite pas le titre) qui prétend que les prêtres ne font pas leur devoir militaire de Français. « Tous les prêtres-soldats de France ont magnifiquement rempli jusqu’au bout le rôle qui leur a été départi au début de la campagne. » Que les journalistes qui font la guerre à Toulouse viennent passer quelque temps dans les tranchées !
La dernière lettre retrouvée, de décembre 1916, envoyée aux paroissiens, évoque son départ pour l’armée d’Orient. Il en profite pour faire l’histoire des premières années du siècle, ouvertes par l’Exposition universelle et les affirmations de « Science, Civilisation, Progrès ». Mais « la principale préoccupation était le plaisir ». Puis on a voulu chasser les congrégations et imposer la loi de Séparation « pour étrangler l’Église de France ». C’est le danger de la Patrie et la guerre qui ont fait retrouver l’union.
Henri Faget nous informe qu’aucune autre lettre n’a été retrouvée. Revenu à son presbytère de Cassaigne, Alban Planté y est mort le 5 avril 1919.
Rémy Cazals, avril 2016

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Lot-et-Garonnais (9 témoins nouveaux)

Impulsée en 2004 par la publication du livre Agen et les Agenais dans la Grande Guerre et en 2008 par les commémorations du 90e anniversaire de l’armistice, une vaste opération, menée notamment par les Archives départementales, a visé à faire émerger et collecter les témoignages de guerre dormant encore dans les familles lot-et-garonnaises. Plusieurs d’entre eux avaient fait l’objet d’exhumation et de publication dans le cadre de travaux associatifs à Agen, Aiguillon, Tonneins, Casseneuil ou Monflanquin (à travers les activités de la très dynamique revue Sous les Arcades). De nouvelles sources directes sont donc venues rejoindre aux Archives départementales les carnets de Valéry Capot, sergent puis adjudant au 9e RI d’Agen (voir ce nom) ou ceux de Victor Guilhem-Ducléon, lieutenant au 20e RI qui, égaré dernière les lignes allemandes après le 22 août 1914, se cache et survit en Belgique occupée avec d’autres camarades pendant plusieurs mois avant de pouvoir regagner les lignes françaises. Citons le carnet d’Armand Errard, originaire de Castelmoron-sur-Lot, maréchal-ferrant de son état, carnet tenu du 19 décembre 1914 (avec quelques pages de souvenirs du début de la campagne) au 5 septembre 1916. Il n’est pas directement en première ligne, mais juste à l’arrière avec le train de combat. Citons également la correspondance de Jean Millon d’Ainval, autre belle pièce ainsi récupérée. L’auteur, de la classe 15, écrit quasi journellement à son père et décrit avec force détails son incorporation, la vie de caserne, la première épreuve du feu. Les photographies de Jean Delbert, mobilisé en 1915 et devenu sous-lieutenant d’infanterie, témoignent quant à elles d’une vie au contact des combats et de la boue prégnante des tranchées. Enfin, la correspondance de l’agriculteur Joseph Aurel, soldat de réserve, fait montre d’un grand pessimisme, l’auteur signant toutes ses cartes postales d’un laconique « Joseph Adieu ». Lui reviendra finalement vivant de la guerre, à la différence de Philippe Feilles dit Faustin, né le 15 février 1879 à Razimet, cultivateur, mobilisé au 130e RI puis au 9e RI en 1915. Il est tué à l’ennemi, le 29 mai 1916, à Avocourt dans la Meuse. Tous ces documents ont en commun d’avoir été numérisés, ce qui garantit aujourd’hui leur conservation et leur mise à disposition d’un large public.
Dans le sillage de cette collecte, plusieurs témoignages ont pu être à leur tour publiés. L’association La Mémoire du Fleuve de Tonneins a réuni une douzaine de sources directes dont celles du séminariste Paul Glannes et de l’ouvrier-serrurier Marcel Garrigue (voir ces noms). Elles montrent toutes combien les identités en guerre ont pu être différentes. Citons dans la catégorie des témoignages publiés, à côté de la correspondance d’Henri Despeyrières, les lettres de René Charles Andrieu, d’abord simple soldat, sergent puis sous-lieutenant à la fin du conflit, ou les carnets de Jérôme Castan, modeste employé de banque mobilisé au 14e RI, rejoignant le front italien en 1917 (voir ces noms). Le bulletin de septembre 2007 de la Société des Amis du Vieux Nérac, déjà à l’origine de la publication du témoignage de guerre de l’infirmière Léonie Bonnet (voir ce nom), permet également de prendre la mesure de la richesse des sources privées locales. Citons le journal de l’avocat et conseiller général Paul Courrent, engagé volontaire de 42 ans en 1914, tantôt fantassin territorial, tantôt greffier et substitut du commissaire rapporteur d’un conseil de guerre, et le carnet de guerre de Raoul Labadie conservé pour l’année 1915 dans lequel ce sergent du 214e RI âgé de 24 ans témoigne des combats aux Éparges. Il est optimiste en avril 1915 : « Nous progressons de partout. » Il ne parlera jamais de son expérience après-guerre.
Enfin, deux autres correspondances réinventées comme document d’histoire sont venues enrichir ce déjà large panel de témoins de la Grande Guerre. Avec ses cartes postales publiées dans la Revue de l’Agenais, Abel Basset, né en 1875, agriculteur, donne vie à la parole paysanne (voir ce nom). À l’opposé du spectre social, le jeune Herman Douzon, classe 18, issu d’une famille de propriétaires, investie dans la représentation locale de la IIIe République, tente d’échapper à l’infanterie en s’engageant volontaire en 1917 dans l’artillerie lourde.
Au final, l’émergence des soldats lot-et-garonnais dans la sphère du témoignage combattant s’explique en partie par le rôle moteur des acteurs de la mémoire du département, soutenus par l’intérêt croissant de notre société pour les récits de vie. Elle montre le poids de l’écriture populaire en guerre, l’importance aussi de poursuivre le travail de collecte des sources issues de toutes les strates de la société. Ainsi est-il possible de réévaluer les liens front /arrière dans la réalité des pratiques d’échanges, le rapport des sociétés à la guerre par le biais des différentes identités sociales qui les composent, dans leurs singularités et sur la durée du conflit.
Alexandre Lafon

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Mercadié, Maurice

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, ont été recueillis des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre, regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Cultivateur à Montgesty (Lot), Maurice Mercadié a laissé son témoignage dans 200 lettres adressées à sa famille. Il a combattu au 1er RI. Dès le 19 septembre 1915, il aspirait à la « bonne blessure » : « L’autre jour, j’ai eu des camarades qui ont été blessés au cours d’un bombardement, je voudrais bien être blessé moi aussi pour aller passer quelques jours tranquilles dans un hôpital. » Et il a été blessé deux fois, en septembre 1916 et en août 1918.
Son attitude d’hostilité à la guerre s’exprime en particulier en 1918 (p. 80). Le 19 mars, après de longues marches, il conclut : « Je vous assure que nous en avions assez. » Le 21 avril, contre les officiers : « Les officiers du bataillon ont été assez nettoyés. Mais celui que j’aurais voulu voir partir par exemple, c’est le nôtre, je ne lui souhaite pourtant pas de mal mais une belle blessure qu’on ne le voie pas de quelque temps. » Il va jusqu’à s’en prendre violemment à ceux qui dirigent le monde : « Ah c’est malheureux de passer une vie si pénible ! Mais je me demande si ces bandits qui sont en tête de tout ne seront pas bientôt fatigués de faire égorger les peuples ? Où veulent-ils en venir ces misérables ? »
Rémy Cazals, avril 2016

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Méjecaze, Joseph Henri

Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, ont été recueillis des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre, regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
L’un de ces témoins est Joseph Henri Méjecaze, prêtre, issu d’une famille de propriétaires terriens, qui a rédigé ses souvenirs après la guerre à partir de ses notes. Il a bien décrit la construction de tranchées en octobre 1914 (p. 87) et plus tard la tranchéïte, maladie d’abrutissement provoquée par la vie démoralisante (p. 183). Il a montré comment se protéger en cas d’attaque au gaz (p. 111). En juillet 1916, au cœur de la grande bataille de Verdun, devant les cadavres et les débris humains, il s’est écrié : « Est-ce cela la gloire de Verdun ? » Ses descriptions ne sont certes pas « aseptisées », pour employer un mot qui fut à la mode (voir p. 115, par exemple). Une attaque (p. 116-119, les éditeurs du texte n’ont malheureusement donné ni le lieu ni la date) débute par la distribution d’une « double ration de pinard et de gnole ; en général, c’est le prélude d’un coup dur. » En effet. « L’heure s’avance ; plus que 5 minutes à attendre. Nous mettons baïonnette au canon et nous nous assurons qu’elle est bien assujettie car nous serons peut-être obligés de nous en servir : horrible perspective que celle-là. Encore deux minutes ; c’est le grand silence et personne ne songe à plaisanter. » Dans cette attaque, il est blessé et réussit à revenir vers la ligne française où une sentinelle lui tire dessus. Le sergent remarque : « Heureusement que vous avez eu affaire à un foutu maladroit, vous manquer à 4 ou 5 mètres ! »
Il a montré encore un commandant ne s’occupant pas de savoir si une patrouille a été réellement faite pourvu qu’on lui remette un rapport écrit (p. 174 ; situation pointée aussi par Jean Norton Cru dans Témoins). Un colonel venu se rendre compte des conditions d’une attaque et de ses premiers résultats navrants (« tous ces pantalons rouges qui jonchent le sol »), et ayant la sagesse de l’arrêter (30 décembre 1914, p. 92). L’attitude des poilus envers un curé (p. 182) : « Les discussions religieuses sont rares, peut-être parce que je suis là, mais aussi parce que ces questions ne les intéressent pas. Il y a bien quelques anticléricaux, mais à voir le curé qui, comme eux, patauge dans la boue, couche sur la paille et mange à la gamelle, l’antipathie s’effrite et inévitablement on finit par devenir des copains. »
Le 11 novembre 1918, l’annonce de l’armistice provoque une explosion de joie et des abus de pinard et de gnole (p. 82) : « En ce jour, excusons-les. » Il n’est démobilisé que le 23 juillet 1919 : « Le soir, je quitte définitivement les habits militaires que j’ai portés pendant 7 ans, sans grand enthousiasme, je l’avoue. Le lendemain, je fais tomber mes moustaches et je revêts la soutane, je ne suis plus soldat. »
Rémy Cazals, avril 2016

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