Aldington, Richard (1892-1962)

Richard Aldington débute sa carrière littéraire en 1911 au sein du mouvement poétique des Imagistes, qui connaît son heure de gloire entre 1910 et 1917. Après avoir fait la connaissance d’Ezra Pound, le principal initiateur de ce mouvement d’avant-garde, il épouse en 1913 l’auteure américaine Hilda Doolittle, plus connue sous les initiales H.D., laquelle fait également partie des Imagistes. Tournant le dos au romantisme, ces poètes prônent un traitement précis de l’image, loin de toute abstraction, avec recours au vers libre. Ils sont également influencés par la littérature extrême-orientale, notamment les haïkus japonais. Le premier recueil d’Aldington, Images 1910-1915, paraît en 1915.
Après avoir été rejeté par l’armée en 1914 pour avoir été récemment opéré d’une hernie, Richard Aldington essaie à nouveau en 1915 de se faire incorporer dans un centre de formation pour officiers mais sans plus de réussite. Il se consacre dès lors à sa carrière naissante, écrit pour la revue The Egoist, travaille en collaboration avec Ford Madox Ford pour des ouvrages de propagande et côtoie la bohème imagiste, soucieux de se faire un nom sur la scène littéraire. La guerre ne fait plus partie de ses préoccupations. Mais la Grande-Bretagne instaure la conscription au début de l’année 1916. Il doit rejoindre les rangs de l’armée en juin. Le passage entre la vie d’artiste et la discipline de la caserne ne va pas sans quelques difficultés d’adaptation, mais quand il arrive en France à la fin de l’année il parvient à se fondre dans la masse et à exercer sans état d’âme le métier de soldat. Son sens aigu de la satire l’aide à affronter la réalité des combats. Ainsi, il écrit en français à son ami Flint : « Ne crois pas que je veux de tes nouvelles ; c’est que je manque diablement de torche-culs. C’est un manque dont M. le Commissaire-Général se s’est point aperçu, sans doute. » Il pose sur le spectacle de la guerre un regard distant. « C’est d’une emphase qui vaut la peine d’être vue, ne serait-ce que pour s’imaginer ce que fut Pompéi au moment où les éruptions l’engloutissaient. » Il souffre cependant du mal du pays. Au printemps 1917, il accomplit sa mission de signaleur en marge de la bataille d’Arras puis revient pour plusieurs mois en Grande-Bretagne afin de suivre une formation d’officier. Il ne contient pas toujours sa colère contre les planqués et les profiteurs : « Je souhaiterais que les capitalistes se révoltent. Nous aurions alors l’occasion de les écraser définitivement. Ce jour-là, je ne serais pas armé d’un fusil mais d’une mitrailleuse. » Il craint également qu’à son retour au front ses nerfs lâchent : « Je crois que je vais me jeter au sol et pleurer comme un gosse si je dois vivre un autre barrage d’artillerie ».
De retour en France en avril 1918, dans le secteur de Loos, il déplore la piètre qualité des nouvelles recrues et continue d’écrire des poèmes de guerre, même s’il juge que sa sensibilité littéraire s’est émoussée. Son recueil, War and Love, vient de paraître et n’a pas l’impact qu’il espérait. La poésie de guerre est encore majoritairement patriotique et le public rejette pour l’instant les plumes acerbes. Recourant au style imagiste qui privilégie le détail évocateur, le poète Aldington sait pourtant mieux que nombre de versificateurs peu inspirés évoquer les instants de guerre avec une sobriété bienvenue. Dans une lettre à Hilda, il confie avoir essayé de se suicider en se plaçant délibérément dans la ligne de tir de l’ennemi. Il participe à l’offensive alliée de l’automne 1918 dans les secteurs de Doullens, Lens et Cambrai. Son unité se trouve à Wargnies-le-Grand quand sonne l’Armistice. Il n’est démobilisé que quelques mois plus tard. Comme beaucoup de ses camarades, il est épuisé par le combat et en porte les séquelles : symptômes post-traumatiques avec crises d’angoisse, insomnies et troubles psychiques.
L’expérience de combattant de Richard Aldington a été compliquée par une anxiété permanente liée à sa vie sentimentale, qui l’a miné tout au long de sa présence en France et pendant sa période de formation en Angleterre. Après la naissance d’un enfant mort-né en 1915, Hilda a vécu avec Cecil Gray, un ami de D.H. Lawrence, pendant qu’Aldington se battait en France. Elle a accouché d’une fille issue de cette liaison et vers la fin de la guerre a entamé une relation homosexuelle avec Annie Winifred Ellerman, qui publiait sous le nom de Bryther. Malgré cet imbroglio sentimental digne d’un roman à sensations, Richard Aldington ne souhaite pas rompre avec son épouse. En 1919, le couple essaie de surmonter ses difficultés mais la séparation s’avère très vite inévitable. Ils ne divorcent cependant qu’en 1938 et resteront amis tout au long de leurs vies.
Pendant près de dix ans, Aldington essaie de retrouver la position qu’il occupait sur la scène littéraire britannique au début de la guerre. C’est l’époque où T.S. Eliot monte en puissance et où le courant imagiste devient obsolète. Il écrit des critiques et une étude sur Voltaire, son modèle, et publie des traductions, notamment des correspondances de Voltaire et de Madame de Sévigné. En 1928, Aldington quitte l’Angleterre pour s’établir en France. C’est en Provence, sur l’île de Port-Cros, qu’il écrit Death of a Hero à partir d’un premier manuscrit rédigé dix ans auparavant. Roman d’un désenchantement total et d’un humour souvent exubérant, Death of a Hero est une réussite littéraire évidente qui établira durablement la réputation de l’auteur.
En 1930, Aldington publie une traduction du Décaméron et en 1933 un roman intitulé All men are enemies, qui reprend le thème de la désillusion engendrée par la Grande Guerre. En 1942, exilé aux États-Unis avec sa nouvelle épouse, Netta Patmore, il entame un cycle de biographies sur Wellington, D.H. Lawrence, Robert Louis Stevenson et T.E. Lawrence. Celle consacrée à T.E. Lawrence causera un scandale retentissant. Le milieu littéraire ne pardonnera jamais à Richard Aldington de s’être attaqué à la figure légendaire de Lawrence d’Arabie et de l’avoir en partie montré sous les traits d’un imposteur. Si par la suite les historiens donneront raison à Aldington, l’effet du livre n’en est pas moins désastreux pour son auteur dans les années 50.
Il meurt en France, à Sury-en-Vaux, en 1962. Le Times écrit alors : » Il fut un jeune homme en colère avant que ce concept ne devienne à la mode… et est resté jusqu’à la fin un vieil homme en colère. »

Francis Grembert, novembre 2016

2) L’oeuvre
Mort d’un héros, publié en 1928, est considéré dès sa sortie comme une oeuvre importante. Le roman est traduit en français en 1987 (Actes-Sud). En 1930, Aldington publie Roads to Glory, une série de nouvelles traitant également de la guerre. Ses poèmes de guerre sont publiés sous les titres Images of War (1919) et Love and War (1919). An Imagist at War: The Complete War Poems of Richard Aldington (2002) regroupe l’ensemble de sa production poétique de guerre.

3) Analyse.

Les deux premières parties de Mort d’un Héros retracent la jeunesse et le mariage moderne de George Winterbourne, ce qui nous vaut un portrait dévastateur de l’Angleterre du début du siècle. Les petits bourgeois et le monde de la bohème artistique font l’objet d’une satire féroce. La troisième partie est centrée sur la guerre.
Ce roman est le portrait d’une génération perdue. L’amertume peut parfois laisser supposer que l’auteur fait preuve de misanthropie, mais il s’agit avant tout de colère. Celle-ci est exprimée avec un humour ravageur, très britannique, et une verdeur de langue qui vaut à son auteur quelques problèmes avec la censure. La première publication en Angleterre a d’ailleurs été tronquée.
Mort d’un héros a occulté les autres oeuvres d’Aldington consacrées à la guerre. Ses poèmes de tranchées et Roads to Glory présentent pourtant un intérêt similaire et attestent de l’impact durable qu’a eu la guerre sur leur auteur. Le texte suivant, publié une première fois dans la revue The Egoist puis dans Roads to Glory, donne une idée de son style.

Je suis hanté par les aubes. Non ces aubes lointaines où je vis pour la première fois les clochers de Florence dans l’air pur de la Toscane ou les collines violettes de Ravello, auréolées de brume sous l’or du ciel ; ni ces aubes où je me réveillais à côté d’un corps aimé, aux courbes délicates, l’esprit encore fiévreux de désir, les lèvres et les yeux lourds de baisers, et contemplais la lumière glisser sur les toits de Londres tandis que les moineaux du petit matin gazouillaient dans les platanes. Ce ne sont pas ces aubes-là qui me hantent, mais d’autres, tragiques et pitoyables.
Je me souviens de réveils pénibles en hiver dans des granges françaises. Il manquait toujours quelques tuiles au toit, ce qui nous permettait de pouvoir observer le scintillement morose des étoiles, et à l’aube le chatoiement stérile de la neige. Notre haleine gelait sur les couvertures et le contact avec l’air nous était une angoisse.
Je suis hanté par les aubes sombres, dont certaines avaient un charme ironique, qui naissaient sur les champs de manœuvres, les aubes brumeuses de printemps, quand les formes indistinctes des fils barbelés ressemblaient à des ennemis qui rampaient, les aubes d’été, où le bleu profond et la fraîcheur incommensurable du ciel étaient comme un blasphème, une insulte à la misère humaine.
Mais parmi toutes ces aubes une me troubla à jamais. Tandis que les formes émergeaient petit à petit de l’obscurité et que la lente progression de la lumière en définissait les contours, de petits groupes d’hommes portant brancards à l’épaule avançaient laborieusement le long de la rue en ruines. Chaque groupe se détachait sur l’orient qui blanchissait : les casques d’acier (comme ceux portés par les soldats du Moyen-âge), les fusils en bandoulière, les corps tendus par l’effort, les cadavres qui vacillaient inutilement sous la couverture sépulcrale. Au fur et à mesure qu’ils arrivaient à leur destination, les brancardiers criaient les noms des choses qu’ils transportaient – des choses qui hier encore avaient été des vies d’homme.

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Mottram, Ralph (1883-1971)

1) Le témoin

Élevé dans une famille de confession unitarienne, Ralph Mottram vit une enfance protégée entre un père rigide et une mère attentionnée, soucieuse d’apporter à ses enfants la meilleure éducation possible. Elle emmène régulièrement sa famille en vacances de l’autre côté de la Manche et envoie Ralph quelques mois en Suisse à la fin de ses études secondaires. Perpétuant la tradition familiale, Ralph devient employé à la Gurney’s Bank, à Norwich, en 1899, où travaille son père et où son grand-père avait également fait carrière. Le jeune employé est cependant plus épris de littérature que de gestion de comptes. Encouragé par John Galsworthy, client de la banque Gurney et futur auteur de la Saga des Forsyte (prix Nobel 1932), il écrit des poèmes et publie deux recueils sous le pseudonyme de J. Marjoram, en 1907 et 1909.
Quand la guerre éclate, il s’enrôle dans un bataillon du Royal Norfolk. Devenu sous-officier après plusieurs mois de formation en Angleterre, il rejoint le front en octobre 1915 et connaît très vite l’épreuve du feu dans le secteur d’Ypres. Après un mois de combat, il tombe malade et doit être hospitalisé à Boulogne. Il est de retour au front en janvier 1916. Ses lettres laissent voir des humeurs oscillant entre l’exaltation (« Nous vivons des moments de gloire. Je ne manquerais cela pour rien au monde ») et l’abattement. De retour d’une permission en février, il apprend que le Q.G. recherche des officiers sachant s’exprimer couramment en français. Il est choisi pour être intégré à la Commission des litiges et quitte le front. Dans une de ses lettres, il remercie sa mère de l’avoir envoyé poursuivre ses études à Lausanne quelques années auparavant. Sa nouvelle affectation lui permet de bénéficier de conditions de vie qui n’ont rien à voir avec celles du front.
La mission de Ralph Mottram s’apparente à celle d’un officier de liaison. Il s’occupe des litiges entre la population locale et les troupes britanniques. Les déprédations causées par les combattants britanniques lors des cantonnements chez l’habitant font en effet l’objet de plaintes régulières. Dans chaque village de cantonnement, un officier a pour mission de régler les litiges. Une loi française sur les cantonnements militaires prévoit que les préjudices causés à la population civile, notamment la destruction de récoltes, fassent l’objet d’une compensation financière. Ralph Mottram doit évaluer les dégâts ou négocier avec des habitants refusant de loger des militaires britanniques. Il prend sa mission à cœur et se révèle un diplomate habile. Dans une de ses lettres, il qualifie son travail de « paradis sur terre ». Aussi s’inquiète-t-il quand il contracte des ennuis gastriques. Il demande au médecin-major de ne pas l’envoyer à l’hôpital, craignant d’être remplacé en son absence et de repartir ensuite au front. Mottram considère d’une part qu’il a déjà payé son dû de combat en ligne et d’autre part que sa connaissance de la langue et de la culture française font de lui un médiateur idéal pour répondre aux revendications des populations française et belge. Après s’être installée près de Boulogne, la Commission des litiges déménage plusieurs fois. D’Hazebrouck à la Flandre belge, Mottram voyage beaucoup et acquiert une connaissance précise des zones arrière. Sa mission lui permet d’avoir une vue d’ensemble sur la réalité de la guerre, des tranchées aux bases arrière en passant par toutes les structures, sanitaires, logistiques ou administratives, disséminées sur le territoire.
De retour en Angleterre pour une permission, il se marie le 1er janvier 1918. Un enfant naît en avril. Démobilisé en juin 1919, il aura largement le temps d’attester des effets de la guerre sur les territoires français et belge. Si ses quatre années de guerre lui pèsent, il a cependant la chance de retrouver immédiatement son travail à la banque et de profiter d’une vie familiale heureuse. Il consacre son temps libre à l’écriture et envisage en 1922 un ouvrage traitant de ce qu’il a vécu en France. Son mentor John Galsworthy l’aide dans son entreprise. La Ferme espagnole, paraît en 1924. Le succès sera au rendez-vous et l’incitera à écrire deux suites : Sixty-four, Ninety-four (1925) et The Crime at Vanderlynden’s (1926). Une adaptation cinématographique voit le jour en 1927 (Roses of Picardy). Grâce aux droits d’auteur, Mottram peut quitter son travail et se consacrer à l’écriture.
A l’âge de 44 ans, R.H. Mottram commence une carrière d’écrivain professionnel particulièrement prolifique. Il publie des recueils de poésie, des ouvrages d’histoire locale, des romans, des récits autobiographiques et deux biographies de John Galsworthy et de son épouse Ada. Plusieurs de ces ouvrages reviendront sur la guerre, notamment Ten years ago, publié en 1928, un ensemble de textes courts qui pour la plupart étaient précédemment parus en revue.
Dans les années 30, il devient un auteur avec lequel il faut compter. Mais aucun de ces livres n’atteindra le succès populaire et critique de sa trilogie romanesque sur la Grande Guerre. Marié pendant plus de 52 ans à Margaret Allan, avec laquelle il a eu deux fils et une fille, il meurt en 1971 après avoir publié plus de soixante livres.
2) L’oeuvre
The Spanish Farm Trilogy (1924-1926) (Traduction française du premier tome La Ferme espagnole, Stock, 1930). Ten Years Ago, 1928.

3) Analyse

Ten Years Ago L’objectif de cet ouvrage est de porter un regard rétrospectif sur ce que l’auteur a vécu et de confronter l’état d’esprit de 1928 à celui des années de guerre. Constitué de réflexions libres, de nouvelles et d’essais thématiques, ce petit livre oublié n’a quasiment pas d’équivalent dans la littérature de témoignage. Débarrassé du souci d’aboutir à un récit cohérent, Mottram nous livre des instantanés de guerre qui nous en disent autant sur le vécu des combattants que les longs récits autobiographiques.
The Spanish Farm Trilogy constitue une œuvre à part dans la production littéraire britannique de la Première Guerre mondiale. A la fois série romanesque, chronique de guerre et autobiographie, l’œuvre peut être qualifiée d’étude globale sur le front occidental sous forme de fiction. De nombreux lecteurs ont été déconcertés à sa lecture. La part occupée par les combats est quasi inexistante. L’auteur s’attache à décrire la machine de guerre dans l’ensemble de ses aspects et à nous montrer quels effets elle produit sur les hommes et les nations. Le propos est ample et désenchanté. De nombreux passages ont une valeur documentaire évidente. Le quotidien des combattants en réserve et les rouages de l’administration militaire y sont décrits dans le détail. Les ouvrages de combattants britanniques, mémoires ou fictions, évoquent régulièrement les cantonnements et les relations avec la population française ou belge mais aucun ne traite le sujet en profondeur, comme le fait Mottram.
A titre d’exemple, les pages où l’auteur explique la différence entre les notions de « combine », de « chapardage » et de « rapine » relèvent plus de l’essai que du roman et nous donnent une vision d’ensemble des problèmes auxquels doit faire face une armée combattant en terre étrangère.
La combine consiste à obtenir ce à quoi on a droit mais par des moyens détournés.
Le chapardage peut être défini comme l’obtention par des moyens illégaux de choses qu’il est quasiment impossible de se procurer autrement. Les soldats se chapardaient mutuellement les meilleurs abris ou les meilleurs secteurs pour les sections. Les sous-officiers chapardaient du rhum en maintenant leur pouce dans la louche lors de la distribe. Les officiers chapardaient les meilleures places pour les chevaux à l’échelon. Les coloniaux chapardaient du fil de téléphone pour en faire des collets. Les nations chapardaient du territoire ou des marchés. C’était surtout le bois qui était chapardé. (… ) Dans les houblonnières belges, l’armée britannique aurait détruit à elle seule un million de perches. Qui peut leur en vouloir ? Un soldat doit-il, en plus du reste, mourir de froid ?
La rapine peut quant à elle être clairement assimilée au vol. Il s’agissait de l’art d’obtenir ce sur quoi nous n’avions aucun droit, et ceci pour le simple plaisir de la possession. Les officiers et les soldats qui commettaient instinctivement ces actes n’en discutaient jamais ouvertement. Si on les avait taxés d’immoralité, ils auraient sûrement répondu pour se défendre : « L’Angleterre avait besoin de nous et nous sommes venus. L’Angleterre a gâché notre jeunesse; nous sommes morts ou nous avons survécu. L’Angleterre nous laisse ici pour on ne sait combien d’années et nous demande de nous débrouiller. Eh bien, nous nous débrouillons ! »

Francis Grembert, novembre 2016

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Reverdy, Marius (1894-1961)

Marius Reverdy, Mon journal de guerre 1914-15-16-17-18, Avec les fusiliers marins sur l’Yser, À bord d’un sous-marin en Méditerranée, présentation et notes de Rémy Cazals, Carcassonne, Archives départementales de l’Aude, 2016, 60 pages, illustrations.
Marius Pascal Reverdy est né le 8 avril 1894 à Carcassonne (Aude) où son père était chaudronnier. Il a reçu une bonne éducation primaire et son orthographe est correcte ; il a également su composer des poèmes pendant la guerre. Mais il n’est pas porté sur les descriptions de villes, paysages, coutumes qui auraient pu le frapper au cours des trajets maritimes en Méditerranée ; il ne nous renseigne pas davantage sur la vie des marins à terre. Avant sa mobilisation, il était ajusteur mécanicien et membre de la société de gymnastique « La Carcassonnaise ».
Son journal a été commencé à Salonique en octobre 1915, mais reprend son parcours de guerre depuis le 6 septembre 1914. Son instruction militaire est ultra-rapide, à Toulon, et il est envoyé dans la brigade Ronarc’h de fusiliers marins. Il est gravement blessé « dans la boue des Flandres », le 22 décembre 1914, épisode qu’il décrit avec force détail puisqu’il s’agit de son aventure personnelle : « J’ai mis près de deux heures pour faire 150 mètres » et se réfugier dans un trou où il est pansé par un lieutenant, avant d’être évacué pendant la nuit.
Déclaré inapte à l’infanterie, il sert comme mécanicien sur le cuirassé Patrie puis, à partir du 15 avril 1916 sur le sous-marin Gay-Lussac qui croise en mer Adriatique et en mer Égée. Commence alors un récit certainement très rare, celui de la vie à bord d’un sous-marin français de la Première Guerre mondiale, des quelques combats et des accidents assez fréquents.
En plus du journal, sa famille a conservé diverses photos dont une du Gay-Lussac en surface, avec tout son équipage sur le pont.
Marius se marie pendant la guerre avec sa « Fifine » dont il parle beaucoup dans son journal. La fin de celui-ci témoigne d’une grande lassitude et d’une exaspération croissante.
Il meurt à Carcassonne, le 11 novembre 1961.
Rémy Cazals, octobre 2016

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Blanchet de Pauniat, Guy (1886-1946)

André Antoine Guy Blanchet de Pauniat est né à Versailles le 8 décembre 1886. Son père est alors capitaine instructeur au 3e régiment de cuirassiers. Guy choisit lui aussi la carrière militaire. En avril 1914, il est lieutenant, officier d’état-major.
En août 1914, il est mobilisé auprès de l’armée belge. En mai 1915, détaché dans l’aviation, il entre au camp militaire d’Avord, près de Bourges, comme lieutenant élève-pilote. Son journal commence à cette date. Trois temps marquent son parcours d’aviateur :
– De mai à décembre 1915 : formation au camp d’Avord et au Bourget ; il passe son brevet militaire d’aéroclub à Avord en septembre 1915.
– De décembre 1915 à octobre 1916 : engagé sur le front dans l’escadrille C 28 établie près de Châlons-sur-Marne (Champagne), puis dans la 2e escadrille du 39e CA établie à Moreuil près d’Amiens (Somme), à partir de juillet 1916. Il fait du réglage d’artillerie et photographie les tranchées allemandes, en étant exposé aux batteries anti-aériennes ennemies.
– D’octobre 1916 à juillet 1918 : engagé dans l’armée d’Orient. Après un bref séjour à Salonique en novembre 1916, il rentre en France et accomplit un périple qui le mène en Roumanie, par l’Angleterre, la Norvège, la Suède et la Russie. Il rejoint le commandement du 2e groupe de l’aviation roumaine à Ghidigeni en janvier 1917, puis celui du 3e groupe à Galatz en mars 1917. Dans cette ville, il côtoie les aviateurs russes et dirige des bombardements sur Braïla.
Son journal s’arrête au 30 juin 1917. Guy Blanchet de Pauniat sera promu capitaine, sera blessé à la suite d’une chute d’avion. En juillet 1918, il est détaché en mission auprès du Grand Quartier Général américain. Il est démobilisé en mai 1919, se marie en 1920 et sera de nouveau mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ses cahiers ont été transmis par sa famille aux Archives départementales du Calvados, qui les ont édités dans un recueil contenant deux autres témoignages : celui de l’artilleur Albert Masselin et celui du prisonnier Auguste Elain. Les éditeurs précisent avoir abrégé le texte : « Seul, celui de Pauniat a été réduit : nous avons dû faire un choix, en écartant surtout les parties répétitives (dîner, coucher…) ou familiales » (cf. p. 6). Le texte intégral est disponible en microfilm.

Guy Blanchet de Pauniat débute sa formation de pilote sur un Voisin, puis continue sur des Blériot, Morane, Nieuport, Caudron. Il décrit les divers avions, leurs qualités et leurs défauts, mentionne les pannes techniques et enregistre les nombreux accidents mortels.
Évaluant la différence entre un monoplan et un biplan, il note : « Le monoplan est très délicat, il ne demande pas de fautes, est très léger, obéit mieux ; cela fait une très grande différence avec le biplan qui est lourd et long à répondre. […] D’ailleurs, le critère est que tout monoplaniste peut monter sur n’importe quel biplan en étant sûr d’être de suite un très bon pilote, tandis que dans le cas inverse, non seulement il ne pilotera pas immédiatement, mais il aurait sûrement un accident » (12.08.1915).
Au sujet des accidents, il écrit : « La casse est paraît-il très forte, 80 % dit-on : cela me semble exagéré. J’ai oublié de noter que samedi un maréchal des logis s’est tué sur Farman à 1 km du camp » (20.09.1915).
Sur le front de Champagne, il découvre les réglages d’artillerie et s’indigne du peu de collaboration des artilleurs : « C’est à ne pas croire, mais les batteries boches contre avions, on les connaît et on les laisse tranquilles pour éviter des représailles » (28.12.1915). Il ajoute : « Les artilleurs ne veulent pas tirer de peur des représailles, aussi font-ils tout pour que les réglages ratent par faute soi-disant de l’aviation, de la TSF, etc. » (05.01.1916).
Il estime que « les Nieuport, escadrille de chasse, n’ont pour ainsi dire rien à faire, à côté de notre travail » (20.12.1915). Il constate que les batteries anti-aériennes allemandes tirent continuellement sur les avions français : « recevoir 50 coups de canon est un honneur journalier », tandis que « nos 75 aériens tirent 2 ou 3 obus par mois » (20.12.1915).
Il souligne l’importance de disposer d’un bon mécanicien : « C’est plus intéressant que de toucher un bon coucou » (28.12.1915), et se plaint que « la C 28 est condamnée au moteur Clerget qui est infiniment moins bon que le Rhône, moins fort et souple. Il y a un lot de vieux Clerget à placer, personne n’en voulant, seules 2 escadrilles de Caudron en ont encore, nous naturellement » (03.01.1916).
Il signale le bombardement de Mourmelon effectué le 1er mai 1916 par une vingtaine d’avions allemands, sans aucun appareil de chasse français pour les poursuivre, et enregistre au 19 mai 1916 le premier bombardement effectué de nuit par l’aviation allemande, sur Châlons.
Lors du 1er mai 1917 fêté par les Russes à Galatz, il écrit : « Les députés soldats sont une invention monstrueuse. Plus de sanctions, plus de peine de mort. Les généraux sous le contrôle de leurs soldats, les ordres discutés, chacun en petite république. C’est navrant quand il n’y a pas un sentiment noble pour guider et endiguer tout cela. »
En mai 1917, il obtient une citation à l’ordre de l’Armée pour avoir effectué un raid de 550 km durant 5 heures 45 consécutives, en survolant et photographiant le territoire ennemi de la Dobroudja.
Guy Blanchet de Pauniat mène la vie des officiers aviateurs disposant de soirées festives, et n’hésite pas à pousser des coups de gueule contre ses supérieurs hiérarchiques : « Une petite engueulade au capitaine pour le mettre au pas. Cela va tout de suite très bien » (09.11.1916).

Cahiers de Mémoire. La Guerre de 1914-1918, textes édités et présentés par Françoise Dutour, Louis Le Roc’h Morgère, Hélène Tron, Conseil général du Calvados, Direction des Archives départementales, 1997, 137 pages, « Cahiers de Guy de Pauniat », p. 36-106.

Isabelle Jeger, octobre 2016

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Baracca, Francesco (1888-1918)

Nos amis Irene Guerrini et Marco Pluviano nous ont envoyé cette notice. Nous en donnons le texte original en italien, afin de marquer le caractère international de ce dictionnaire. Il est suivi de la traduction.

Francesco Baracca nasce a Lugo di Romagna, importante centro agricolo e commerciale della provincia di Ravenna, il 9 maggio 1888, in una delle principali famiglie della città. Il padre, Enrico, è un ricco possidente terriero. E’un massone, ed è molto ben inserito nella élite di un’area che travalica Lugo, per comprendere anche altri importanti centri agricoli vicini: un territorio florido ma attraversato da forti contrasti politici e sociali, la cui agricoltura si sta modernizzando. La madre, Paola appartiene ad una famiglia dell’aristocrazia provinciale, i conti Biancoli e, al contrario del marito, è molto religiosa.
Francesco frequenta il liceo a Firenze, per poi iscriversi all’Accademia militare di Modena. La sua scelta non rientra nelle tradizioni di famiglia, e infatti il padre dapprima non la approva: avrebbe preferito che si dedicasse all’amministrazione della prospera azienda di famiglia. Francesco alla fine ottiene il suo consenso, anche grazie al sostegno materno, e inizia i corsi all’Accademia nell’autunno 1907, per diplomarsi nell’estate del 1909. Dopo aver frequentato il corso annuale presso la Scuola di applicazione di cavalleria, nel luglio 1910 viene nominato sottotenente di uno dei reparti di maggior prestigio, il 2° Reggimento di Cavalleria Piemonte Reale. Per due anni divide il proprio tempo tra i doveri militari, la passione per l’equitazione, e la vita brillante di Roma, dove è di guarnigione. La svolta nella vita, personale e militare, giungerà nel 1912 quando, forse ispirato dalle imprese degli aviatori italiani in Libia (molti dei quali erano cavaleggeri), o forse dalla più generale passione per i motori e la tecnologia che pervade quegli anni, chiede di partecipare ai corsi per ottenere il brevetto da aviatore. E a inizio maggio 1912 giunge in Francia, a Reims, presso la scuola di volo del costruttore aeronautico Hanriot dove, il 9 luglio, otterrà il brevetto numero 1.037.
Tornato in Italia vivrà le oscillanti vicende dei primi reparti di aviazione, dei quali l’Esercito non ha ancora deciso che uso fare. Al termine dei lunghi mesi di incertezza e tensione della neutralità italiana, verrà ancora una volta inviato in Francia per addestrarsi sui nuovi aerei che saranno forniti all’Italia. Giungerà a Parigi il 23 maggio (il giorno precedente la dichiarazione di guerra italiana all’Austria-Ungheria), e nelle lettere al padre descriverà con passione la vita dei reparti aeronautici combattenti e gli scontri a cui ha occasione di assistere.
Baracca tornerà in patria alla fine di luglio, e inizierà per lui la guerra aviatoria come pilota da caccia. Un’esperienza che dapprima non è entusiasmante, ed è anzi spesso frustrante: nessun duello, nessuna delle acrobazie a cui aveva assistito in Francia, solo routine e inferiorità tecnica rispetto al nemico. Deve aspettare il 7 aprile 1916 per ottenere la prima vittoria, alla quale ne seguiranno altre trentatre, che lo renderanno il pilota italiano della Grande Guerra con il maggior numero di vittorie, così da essere soprannominato Asso degli assi. Sopravvissuto al disastro di Caporetto, verrà ucciso il 19 giugno 1918 durante un volo di mitragliamento di truppe nemiche sul Montello durante l’Offensiva del Solstizio austriaca.
La vita di Baracca fu complessa, e non facilmente inquadrabile: amante della bella vita, delle donne, del teatro d’opera, del ballo, ma anche soldato serio, preciso e coscienzioso; coraggioso ma poco incline a comportamenti spericolati. Amante della tecnica e della tecnologia, ma anche del coraggio e dell’ardimento e di valori tradizionali quali quelli della cavalleria. Estremamente affezionato alla madre, ma desideroso di condurre una vita autonoma, tanto da non accennarle mai a nessuna delle sue numerose relazioni amorose, e da indirizzare principalmente al padre le lettere dalla Francia durante i due periodi di addestramento.
Tutte queste caratteristiche di Francesco Baracca emergono dal suo epistolario, a cui si deve aggiungere un diario che copre il periodo 21 agosto 1915 – 11 aprile 1916. Le lettere note sono ben più di un centinaio, e vanno dagli anni del liceo ai giorni precedenti la morte. La grande maggioranza sono destinate alla madre, e una più piccola aliquota al padre; è però certo che Francesco scrisse con grande frequenza anche ad amici, fidanzate e amanti, conoscenti di entrambi i sessi. Infatti, nelle lettere che questi gli indirizzarono vi sono frequenti riferimenti alle sue missive. La presenza sovrabbondante delle lettere ai genitori è dovuta a due ragioni: da un lato, il legame forte e moderno (usavano il tu e non il voi) che univa madre e figlio, e una certa complicità maschile che lo legava al padre; dall’altro il fatto che la famiglia ha trasformato le lettere del figlio in una sorta di memoriale, donandole alla Biblioteca Comunale di Lugo “F. Trisi”, ed al Museo del Risorgimento di Milano e, in minor misura, anche alla 91ª Squadriglia da caccia, il reparto che comandava.
Egli fu dunque un corrispondente attento, che utilizzava le lettere per mantenere vivi i rapporti interpersonali di tutti i tipi, ma anche per trasmettere la propria visione della guerra e, prima, della vita militare. Durante il conflitto, poi, le lettere serviranno anche a trasmettere alla madre, e tramite lei ad un assai più ampio uditorio, l’immagine di sé che gli aviatori iniziavano a costruire. Non sono infrequenti le lamentele contro la scarsa considerazione nella quale sarebbero tenuti gli aviatori e ancor più, nella prima fase del conflitto, contro la cattiva organizzazione dei singoli reparti e della specialità aviatoria nel suo complesso. Ma quella che emerge con vigore dalle lettere è la descrizione dell’esperienza del volo e del combattimento, anche con attenzione alla percezione che di essi ha chi è a terra. Ad esempio, riferendosi alla sua vittoria dell’11 febbraio 1917, scrive alla madre: “Immagina quale spettacolo hanno veduto da terra tutta Udine e decine di migliaia di persone! Quattro o cinque apparecchi a 150, 170 chilometri all’ora, a poche decine di metri gli uni dagli altri, fra il fuoco delle mitragliatrici”.
Francesco Baracca è quindi, attraverso le sue lettere, il testimone italiano più attento di un tipo di guerra completamente nuova: quella aerea. Con la sua scrittura formalmente corretta, priva di voli pindarici e dei facili eroismi che popolano le lettere di tanti giovani ufficiali, riesce a rendere la difficoltà del volo e la sua pericolosità nonostante l’autocensura che applica alle situazioni più pericolose per moderare l’apprensione materna.
Le lettere di Baracca sono quindi atipiche nel contesto dei giovani ufficiali: nonostante l’età dello scrivente, che morirà a 30 anni appena compiuti, sembrano inviate da un uomo maturo che abbina ad un forte patriottismo e a un’accettazione convinta del conflitto, la coscienza della sua durezza e ferocia.
Alcune lettere di Baracca o parti di esse sono state utilizzate in volumi a lui dedicati, a partire dagli anni Venti del Novecento. Anche nel nostro volume “Francesco Baracca una vita al volo. Guerra e privato di un mito dell’aviazione” (Udine, 2000), abbiamo utilizzato largamente la sua corrispondenza e il diario.
Irene Guerrini et Marco Pluviano, septembre 2016

Traduction :
Francesco Baracca est né le 9 mai 1888 à Lugo di Romagna, important centre agricole et commercial de la province de Ravenne, dans une des familles principales de la ville. Son père, Enrico, est un riche propriétaire terrien. Il est franc-maçon et très bien inséré dans l’élite du territoire qui, en plus de Lugo, comprend d’autres importants centres agricoles voisins : une région florissante mais traversée de forts contrastes politiques et sociaux, dont l’agriculture est en pleine modernisation. La mère, Paola, appartient à une famille de l’aristocratie de la province, celle des comtes Biancoli, et, au contraire de son mari, elle est très portée sur la religion.
Francesco fréquente le lycée à Florence, puis s’inscrit à l’Académie militaire de Modène. Ce choix ne correspond pas aux traditions familiales et son père, d’abord, ne l’approuve pas : il aurait préféré qu’il se consacre à la gestion de la prospère exploitation familiale. Francesco obtient enfin son consentement, grâce aussi au soutien de sa mère. Il commence ses cours à l’Académie à l’automne 1907 et en sort diplômé en été 1909. Après un an de cours à l’Ecole d’application de la cavalerie, il est nommé sous-lieutenant en juillet 1910 dans une des unités de plus grand prestige, le 2e régiment de cavalerie Piemonte Reale. Pendant deux ans, il partage son temps entre ses devoirs militaires, sa passion pour l’équitation et la vie brillante de Rome où il est en garnison. Le tournant de sa vie personnelle et militaire se produit en 1912 quand, peut-être inspiré par l’action des aviateurs italiens en Libye (plusieurs d’entre eux sont des cavaliers), ou par la passion plus générale pour les moteurs et la technologie qui marque ces années-là, il choisit de suivre les cours pour obtenir le brevet de pilote. Au début de mai 1912, en France, à Reims, il rejoint l’école de pilotage du constructeur aéronautique Hanriot où, le 9 juillet, il obtient le brevet n° 1037. De retour en Italie, il constate les tergiversations de l’Armée quant aux premières unités aériennes : elle n’avait pas décidé de l’usage qu’elle allait en faire. Au bout des longs mois d’incertitude et de tension durant la période de neutralité de l’Italie, il est encore une fois envoyé en France pour s’entrainer sur les nouveaux avions qui seraient fournis à l’Italie. Il arrive à Paris le 23 mai (le jour précédant la déclaration de guerre de l’Italie à l’Autriche-Hongrie) et, dans de nombreuses lettres à son père, il décrit avec passion la vie des unités aériennes combattantes et les affrontements auxquels il a eu l’occasion d’assister.
Baracca revient dans sa patrie à la fin de juillet 1915, et commence pour lui la guerre dans l’aviation comme pilote de chasse. C’est une expérience qui, au début, n’est pas enthousiasmante, mais souvent frustrante : aucun duel, aucune des acrobaties auxquelles il avait assisté en France, seulement la routine et l’infériorité technique par rapport à l’ennemi. Il doit attendre le 7 avril 1916 pour obtenir sa première victoire, à laquelle vont succéder trente-trois autres qui ont fait de lui le pilote italien de la Première Guerre mondiale avec le plus de victoires, l’As des As. Après le désastre de Caporetto, il est tué le 19 juin 1918 au cours d’un vol de mitraillage des troupes ennemies sur le Montello, pendant l’offensive autrichienne dite du Solstice.
La vie de Baracca est complexe et difficile à glisser dans un cadre: amant de la belle vie, des femmes, de l’opéra, du bal, mais aussi soldat sérieux, précis et consciencieux, courageux mais peu enclin à des comportements inutilement périlleux. Passionné par la technique et la technologie, courageux, il était marqué par les valeurs traditionnelles telles que celles de la cavalerie. Plein d’affection pour sa mère, il était cependant désireux de mener une vie autonome jusqu’à ne parler à personne de ses nombreuses relations amoureuses, et il adressa de préférence à son père les lettres de France pendant ses deux périodes d’entrainement.
Toutes ces caractéristiques de Francesco Baracca apparaissent dans sa correspondance, à laquelle il faut ajouter un journal personnel qui couvre la période du 21 août 1915 au 11 avril 1916. Il y a bien plus d’une centaine de lettres qui vont des années de lycée jusqu’aux jours précédant sa mort. La grande majorité sont adressées à sa mère et une plus petite quantité à son père, mais il est certain que Francesco écrivait très fréquemment aussi à ses amis des deux sexes, à ses fiancées et amantes. En effet, dans les lettres qu’ils lui envoyaient, se trouvent de fréquentes références à son propre courrier. La présence surabondante des lettres à ses parents est due à deux raisons : d’un côté, le lien fort et moderne (usage du “tu” et non du “vous”) qui unissait la mère et le fils, et une certaine complicité masculine qui le reliait à son père ; de l’autre, le fait que la famille a transformé les lettres du fils en une sorte de mémorial confié à la bibliothèque municiple F. Trisi de Lugo, et au musée du Risorgimento de Milan, et, dans une moindre mesure à la 91e escadrille de chasse, l’unité que Francesco commandait.
Il fut donc un correspondant attentif qui utilisait sa correspondance pour maintenir vivants les rapports interpersonnels de toute sorte, mais aussi pour faire connaitre sa propre vision de la guerre, et d’abord de la vie militaire. Pendant le conflit, les lettres servaient aussi à transmettre à sa mère et, par son intermédiaire, à un auditoire beaucoup plus large, l’image de soi que les aviateurs commençaient à façonner. Ses lamentations portaient sur la considération péjorative dans laquelle étaient tenus les aviateurs et, encore plus, dans la première phase de la guerre, sur la mauvaise organisation des unités et la mauvaise compréhension des particularités complexes de l’aviation. Mais ce qui émerge avec vigueur des lettres, c’est la description de l’expérience du combat en vol, avec aussi la perception attentive de ce qu’on voyait au sol. Par exemple, à propos de sa victoire du 11 février 1917, il écrivait à sa mère : “Imagine quel spectacle j’ai vu vers le bas, tout Udine et des dizaines de milliers de gens ! Quatre ou cinq appareils volant à 150 ou 170 kilomètres à l’heure, peu éloignés les uns des autres, dans le feu des mitrailleuses.”
Francesco Baracca est ainsi, à travers ses lettres, le témoin italien le plus attentif de ce type de guerre complètement nouveau : la guerre aérienne. Par son écriture de forme correcte, dépourvue d’exagérations rhétoriques et des héroïsmes faciles qui remplissent les lettres de tant de jeunes officiers, il réussit à rendre les difficultés du vol et ses dangers, en tenant compte de l’autocensure qu’il applique aux situations les plus périlleuses pour atténuer l’appréhension maternelle.
Les lettres de Baracca sont atypiques parmi celles des jeunes officiers. Lui-même était jeune : il est mort à 30 ans à peine. Mais elles semblent écrites par un homme mûr qui ajoutait à un fort patriotisme et à une acceptation convaincue du conflit, la conscience de sa dureté et de sa férocité.
Des lettres de Baracca ou des extraits de celles-ci ont été utilisées dans des livres qui lui sont consacrés, à partir des années 1920. Dans notre livre, Francesco Baracca, una vita al volo. Guerra e privato di un mito dell’aviazione (Udine, 2000), nous avons aussi largement utilisé sa correspondance et son journal personnel.
Irene Guerrini et Marco Pluviano, septembre 2016. (Traduit par Rémy Cazals.)

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Elain, Auguste (1885- ?)

Les éditeurs fournissent très peu d’informations sur ce témoin, qu’ils prénomment « Eugène » (par erreur) dans le titre du document et « Auguste » dans le texte de présentation.
Auguste Elain est né le 26 mars 1885 à Grazay (Mayenne), de parents agriculteurs. Il effectue son service militaire à Mayenne. En août 1914, il est mobilisé au 130e régiment d’infanterie. Sa conduite au front lui vaudra plusieurs citations : à l’ordre du régiment (avril 1916), à l’ordre du 4e corps d’armée (octobre 1916), à l’ordre de la division (juin 1917).
Le 15 juillet 1918, il est fait prisonnier par les Allemands, avec presque tout son bataillon, au massif de Moronvilliers (Marne). Les prisonniers rejoignent le camp de Bethinville, à l’est de Reims. Son grade de sous-officier adjudant lui permet d’être regroupé avec les officiers, qui sont séparés des soldats et sergents.
Auguste Elain commence à rédiger un carnet de captivité. En six mois, il va connaître plusieurs camps d’internement en Allemagne : à Rastatt (Bade-Wurtemberg), où ils sont 450 officiers et adjudants (23 juillet–3 août) ; à Giessen (Hesse), où les adjudants sont envoyés pour se faire vacciner (3 août–10 septembre) ; à Meschede (Westphalie), où ils sont 1200 sous-officiers français et anglais (11 septembre–5 octobre). La discipline y est plus sévère et ils ressentent la faim ; leur camp jouxte celui des prisonniers russes et italiens. Puis, à Stargard (Poméranie) (8 octobre–3 janvier 1919), dans un camp occupé par des prisonniers russes, serbes et roumains, qui y sont durement traités ; l’arrivée des Français améliorera leur condition.
À partir de l’armistice signé le 11 novembre 1918, le drapeau rouge est hissé à la grille du camp et les soldats ne saluent plus les officiers, tandis que les prisonniers attendent leur rapatriement en disposant de plus de liberté. Le 21 décembre, un détachement de 2000 Russes quitte le camp pour rejoindre la Russie à pied. Le 3 janvier 1919, les derniers Français de Stargard embarquent à Stettin sur un navire allemand à destination de Copenhague ; le 4, ils quittent cette ville sur un transatlantique américain à destination de Cherbourg (Manche), où ils arrivent le 10 janvier. La captivité est terminée et le récit d’Auguste Elain s’arrête là.

Le site des archives du Comité International de la Croix-Rouge permet de retrouver sa fiche de prisonnier établie au nom de : « Elain, Auguste François, adjudant, 130e RI, fait prisonnier le 15.07.1918, né le 26.03.1885 à Grazay en Mayenne » (http://grandeguerre.icrc.org/fr) (fiche : P 91691 / n° 53).
Le carnet d’Auguste Elain a été transmis aux Archives départementales du Calvados, qui l’ont édité dans un recueil contenant deux autres témoignages : celui de l’artilleur Albert Masselin et celui de l’aviateur Guy Blanchet de Pauniat. Le recueil ne fournit aucune information sur la vie d’Auguste Elain après la guerre.

Ce témoignage est celui d’un homme instruit, qui observe avec intérêt les paysages allemands traversés par son convoi de prisonniers. Comme adjudant, il ne sera jamais soumis au travail sur le front allemand, ni dans les fermes ou les usines allemandes. Il note, en voyant les 2000 hommes qui arrivent dans le camp, le 15 août 1918 : « Ce sont des caporaux et des soldats pris le même jour que nous, mais qui sont restés un mois à l’arrière du front à travailler sans pouvoir écrire à leur famille. Ils sont tous déguenillés, maigres et font peine à voir. »
D’un camp à l’autre, la vie est rythmée par les mêmes préoccupations : envoi de cartes-lettres aux familles, lutte contre les puces et poux, attente des vivres du comité de secours, perception de la solde, colis ouverts par le contrôle, crainte de l’hiver qui approche. Les distractions se limitent aux conférences instructives données par des prisonniers, aux soirées récréatives, à la messe du dimanche, à la lecture des journaux qui apprennent le recul des armées allemandes.
Les prisonniers peuvent améliorer leur condition en recourant aux neutres, tel l’ambassadeur d’Espagne à Berlin, auquel une lettre de réclamation est adressée le 16 août afin d’obtenir le pain de la veille non distribué. Au camp de Stargard, c’est la possibilité de vendre des produits reçus dans les colis ; des Russes ou des Roumains achètent aux Français et Anglais ce qu’ils ont, notamment des savons, du chocolat et des chaussures devenus introuvables en Allemagne, et les revendent ensuite aux Allemands au prix fort (17.11.1918).
Le 10 novembre, la lecture d’un journal leur apprend les conditions de l’armistice ; Auguste Elain juge que « les articles sont durs pour les vaincus ». Les officiers allemands de Stargard invitent les prisonniers à rester calmes, et Auguste Elain note : « Nous serons calmes jusqu’à notre rapatriement, mais camarades jamais, la vieille haine existe toujours » (10.11.1918). Le 6 décembre, il remarque « dans la ville un grand pavoisement, drapeaux et guirlandes en l’honneur du régiment de cette ville qui doit rentrer incessamment du front. Toutes les villes d’Allemagne ont été invitées par le gouvernement à pavoiser en l’honneur des braves qui rentrent ». Le 30 décembre, à la veille de leur départ, les Français font graver sur une plaque de marbre les noms de leurs quinze camarades enterrés dans le cimetière du camp, qui compte un millier de tombes.
Auguste Elain est sensible à la vie des femmes allemandes : ce sont les fermières de Meschede travaillant dans les champs (septembre 1918), les mères recherchant du savon (20.11.1918), et cette mère lui demandant si les prisonniers allemands rentreraient bientôt : « Je lui ai répondu que je n’en savais rien, mais que vraisemblablement, il faudrait encore bien une année avant qu’ils soient là, elle a poussé un soupir et m’a dit qu’elle avait un fils prisonnier à Chartres. J’ai parfaitement compris son émoi » (29.12.1918).

Cahiers de Mémoire. La Guerre de 1914-1918, textes édités et présentés par Françoise Dutour, Louis Le Roc’h Morgère, Hélène Tron, Conseil général du Calvados, Direction des Archives départementales, 1997, 137 pages, « Carnet d’Eugène Elain », p. 108-136.

Isabelle Jeger, août 2016

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Masselin, Albert (1889-1949)

Albert Masselin a retracé les étapes de sa jeunesse dans ses carnets de guerre à la date du 1er novembre 1914 ; des informations supplémentaires sont fournies par les éditeurs.
Né à Besançon en 1889, second fils de six enfants. La famille quitte Besançon pour Le Havre (Seine-Maritime). Après son certificat d’études, le jeune Albert rejoint le monde du travail en intégrant l’usine d’armement Schneider située à Harfleur (près du Havre). La mort de son frère entraîne la misère, mais Albert réussira à gravir les échelons de l’usine, passant de simple tourneur à dessinateur. Il milite au Sillon de Marc Sangnier, s’occupe du patronage paroissial et travaille à la rédaction du journal Havre-Éclair. Après son service militaire accompli à Cherbourg, il continue son activité chez Schneider.
Mobilisé en août 1914, il est maréchal des logis au 1er régiment d’artillerie à pied. C’est un artilleur sur voie ferrée, chargé d’une batterie d’affûts trucks (canons montés sur des plates-formes de chemin de fer), qui peuvent lancer des obus de 100 kilos.
Partie du Havre le 3 octobre, la batterie tire pour la première fois près d’Anvers, le 5. Les jours suivants sont marqués par un repli sur Dunkerque, où affluent des milliers de réfugiés démunis. Le 21 octobre, c’est le départ pour Verdun et sa région, où Albert Masselin reste jusqu’en mars 1915. Après quelques semaines comme agent de liaison entre les armées française et anglaise, il peut reprendre sa place dans l’usine d’armement d’Harfleur et retrouver la vie civile. Il se marie en 1917 et aura trois enfants. En 1924, il crée une entreprise de matériel électrique à Caen (Calvados). Pendant la seconde guerre mondiale, il participe à la Résistance.

Albert Masselin rédige ses carnets du 3 octobre 1914 au 17 mars 1915, puis décide d’en suspendre l’écriture, faute de contenu militaire à inscrire. Les carnets ont été transmis par son fils aux Archives départementales du Calvados, qui les ont édités dans un recueil contenant deux autres témoignages : celui de l’aviateur Guy Blanchet de Pauniat et celui du prisonnier Eugène (Auguste) Elain. Signalons une erreur sur la page de titre du texte d’Albert Masselin (p. 9), indiquant « 12e régiment d’infanterie » au lieu de « 1er régiment d’artillerie à pied ».

Ce que l’on retient de ce témoignage, ce sont les longues périodes d’inactivité de la batterie. Les ordres de tirs n’arrivent pas ou le mauvais temps les empêche. Entre octobre 1914 et mars 1915, la batterie ne connaît qu’une quinzaine de journées de tirs. L’ennui gagne les artilleurs. Albert Masselin note :       « Les ordres n’arrivent toujours pas et les hommes sont durs à tenir » (19.11.1914). « Ce soir, le lieutenant m’a annoncé que le général Joffre désirait être renseigné sur notre compte. Si ce désir nous valait un voyage et une bataille, quelle joie » (21.11.1914). Et encore : « Le tir aura lieu sans doute demain. […] Enfin nous allons donc travailler un peu. Ce n’est pas malheureux : depuis le temps que nous étions inoccupés, un peu de bruit et de mouvement nous feront du bien » (02.12.1914). Au soir du 20 décembre marqué par une pleine activité, il écrit : « A 2 heures, 212 coups ont été expédiés. J’en suis bleu. Je n’aurais jamais cru que les hommes et les pièces puissent supporter pareille chose. »
Le 24 octobre 1914, il relate la visite du député et officier Pascal Ceccaldi (1876-1918) : « […] Ceccaldi a fait un tas d’allusions, mettant la responsabilité du manque d’artillerie lourde sur Poincaré et Millerand et glorifiant Caillaux qui a voté des crédits à cet effet. » Ceccaldi s’était opposé à la loi des 3 ans votée en 1913 pour augmenter la durée du service militaire, et Albert Masselin regrette de ne pas pouvoir le lui reprocher.
En novembre, il discute avec un collègue sur les qualités distinctives des races : « Il [G. Demars] ne veut pas croire que les Français font partie de la première race du monde. S’il trouve qu’il y a au monde un autre peuple ayant nos qualités et susceptible de présenter le spectacle de la France aux mois d’août et septembre 1914, je serais heureux qu’il me l’indique » (14.11.1914).
Ses carnets de guerre sont aussi un journal intime, auquel il confie abondamment l’espoir amoureux qui le fait vivre (la femme aimée deviendra son épouse) et la piété religieuse qui l’anime (il est catholique pratiquant).
D’octobre 1914 à mars 1915, Albert Masselin ne mentionne aucun mort ni blessé parmi les militaires de son entourage. Il a conscience des avantages dont bénéficient les artilleurs, logés dans des wagons : « Je pense aux malheureux soldats qui sont dans la campagne sans abri. Comme ils doivent souffrir ! j’ai déjà vu ramener plusieurs de ces malheureux qui avaient les pieds gelés. Ils étaient dans un état pitoyable, mais leur moral était toujours bon. Quelques-uns cependant ne paraissaient plus réfléchir à rien, ils étaient dans une espèce d’engourdissement physique qui paraissait les priver de leurs facultés mentales. Ceux qui n’auront pas vécu près des lignes de feu, sauront-ils jamais apprécier le dévouement de ces soldats qui vivent dans les tranchées ? » (25.11.1914).

Cahiers de Mémoire. La Guerre de 1914-1918, textes édités et présentés par Françoise Dutour, Louis Le Roc’h Morgère, Hélène Tron, Conseil général du Calvados, Direction des Archives départementales, 1997, 137 pages, « Carnets d’Albert Masselin », p. 9-34.

Isabelle Jeger, juillet 2016

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Duchêne, Joseph (1876-1932)

Joseph, Marie, Jean-Baptiste Duchêne est né le 22 avril 1876 à Massingy (Haute-Savoie), cinquième et dernier enfant d’une famille d’agriculteurs. Son oncle curé le pousse dans ses études. Après le baccalauréat, il obtient une licence de Lettres à l’université de Grenoble en 1898. Service militaire au 30e RI d’Annecy où il devient sergent. En 1902, il part comme professeur de français au lycée de Kielce en Pologne russe. En 1905, il épouse Marie Makarow, également professeur au lycée de filles. Deux fils nés à Kielce.
En août 1914, il rejoint la France en bateau (Odessa-Constantinople-Marseille) et, avec un renfort du 230e RI, il arrive sur le front en Meurthe et Moselle en octobre. Sa famille est restée à Kielce et finit par venir en France en juillet 1915. Les combats de 1914-1915 sont racontés sur deux carnets dont le texte intégral est accessible sur le blog créé par Aline Duchêne :
http://1914-joseph-duchene.eklablog.com
En avril 1916, il est nommé officier interprète auprès de l’état-major de la 1ère brigade russe en France en Champagne. Un seul carnet a été retrouvé sur cette période : quelques lignes sur avril 1916 et quelques pages sur 1917 (de février à juin). Aline Duchêne annonce que le texte sera également bientôt accessible sur le blog.
Les notes prises sur ce carnet sont brèves et, si elles étaient claires pour l’auteur, ce n’est pas toujours le cas pour le lecteur. On voit arriver les nouvelles de la révolution à Petrograd, on a des échos de l’attitude des officiers et de l’agitation des soldats. Le 14 mai, ceux-ci arborent cocardes et drapeaux rouges. Plusieurs photos de la collection personnelle de Joseph Duchêne sont intéressantes.
En même temps, les notes portent sur le recul allemand de mars 1917 et l’offensive Nivelle, secteur de Brimont. Un détail : lors d’un déplacement à cheval et sous un bombardement au gaz, le cavalier veut passer, mais le cheval refuse.
Le 29 juin, Joseph Duchêne signale l’arrivée à La Courtine, mais ses notes ne vont pas au-delà.
Voir la notice Gavrilenko.
Après la guerre, Joseph Duchêne reste interprète de russe et de polonais pour les missions du général Niessel en Pologne et du général Mangin en Russie. Il devient ensuite directeur de l’Office français du commerce extérieur pour la Russie ; en 1929, en Pologne, il est délégué du Groupement des industriels français. Il meurt à Varsovie en mars 1932.
Rémy Cazals, juillet 2016

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West,Arthur (1891-1917)

1. Le témoin
Arthur West est né à Norwich en 1891. Après la mort de leur mère en 1899, Arthur et ses trois frères et sœurs sont élevés par leur grand-mère paternelle et leur tante. Pensionnaire dans un lycée du Devon, il connaît une scolarité difficile. Timide et réservé, peu doué pour le sport, il se refugie dans les livres et cultive son goût pour la solitude. Arthur West intègre Oxford, où il entame des études classiques de lettres et suit la formation universitaire des officiers. Les Corps Universitaires de Formation d’Officiers (O.T.C, Officers’ Training Corps) avaient été créés en 1908 pour garantir à l’armée britannique une réserve potentielle d’officiers de qualité. Sur la base du volontariat, les étudiants pouvaient suivre une ou deux heures par semaine un entraînement militaire et participer à des camps pendant les vacances. Les étudiants ayant suivi cette formation pendant l’année universitaire 1913-1914 ont pu facilement terminer leur entraînement à l’automne pour partir au front en 1915 en qualité de sous-officiers. C’est le parcours que souhaite suivre Arthur West mais il est refusé en raison de sa mauvaise vue. Déterminé à servir son pays, il se porte volontaire en tant que simple soldat au sein du bataillon des Public Schools en février 1915.
Arthur West arrive en France en octobre 1915 et se bat dans les tranchées jusqu’en avril 1916. Il part ensuite en Écosse pour parachever la formation d’officier entamée à l’université. Il est promu sous-lieutenant en août, dans le régiment d’infanterie légère de l’Oxfordshire et du Buckinghamshire. Mais avant de rejoindre ce régiment, il perd toute foi dans la validité du combat à mener. Influencé par des amis pacifistes et la lecture des œuvres de Bertrand Russel (1), il écrit une lettre à l’officier qui commande son bataillon pour lui annoncer son refus de continuer à se battre. Mais au dernier moment, il n’a pas le courage de poster la lettre et repart finalement pour la France, où il est tué dans le secteur de Bapaume le 3 avril 1917.
(1) Pendant la guerre, le célèbre philosophe et mathématicien Bertrand Russel se déclare ouvertement pacifiste, ce qui lui vaut d’être renvoyé de Trinity College puis d’être condamné à six mois de prison en 1918.
2. Le témoignage

Diary of a dead officer est publié en janvier 1919 par Cyril Joad, jeune intellectuel qui avait également milité pour le pacifisme pendant la guerre. L’ouvrage comprend des extraits du journal de bord tenu par Arthur West entre 1915 et 1917, des poèmes et des lettres. Une introduction de Cyril Joad dresse un portrait de l’auteur.

3. Analyse

Diary of a dead officer nous permet de suivre le parcours de combattant d’Arthur West sur deux ans. La première partie, de novembre 1915 à début 1916, ressemble à un journal de bord classique, celui d’un jeune civil en uniforme qui vit la guerre comme un mal nécessaire. Arthur West s’est engagé pour défendre une cause qu’il estime juste mais précise toutefois : « Je n’ai de haine ou d’animosité contre personne, à part contre les soldats en général et quelques sous-offs en particulier. Pour les boches, je ne ressens qu’un sentiment de fraternité : les pauvres gars font les mêmes choses horribles que nous alors qu’ils pourraient être chez eux avec leurs femmes ou leurs livres. » La deuxième partie du journal correspond à sa formation en Écosse pour devenir officier. C’est à la fin de cette période qu’un changement profond s’opère en lui. La discipline militaire l’oppresse de plus en plus et le pousse à définir un nouveau système de valeurs. Rejetant en bloc la religion et la notion de patrie, il verse dans un nihilisme qu’il cherche à analyser le plus précisément possible. « Je suis de plus en plus attiré par l’idée que rien n’existe et j’en retire un douloureux plaisir. » Il songe dès lors à déserter ou à se suicider. Mais ne pouvant se résoudre à aucune de ces deux extrémités, il repart au combat avec l’uniforme d’officier. La troisième partie du journal, qui va de l’automne 1916 à sa mort, en avril 1917, reflète sa tension intérieure. Convaincu du bien-fondé du pacifisme, il ne peut toutefois exprimer ouvertement ses convictions. La guerre n’est plus pour lui qu’une préoccupation secondaire, une série de gestes mécaniques à accomplir.
Ce journal assez court retrace une évolution radicale sur moins de deux ans et témoigne des tiraillements qu’implique une prise de position pacifiste qui ne se traduit pas dans les faits par l’objection de conscience.
Les poèmes inclus dans l’ouvrage, notamment God, how I hate you et Night Patrol, sont dans le style de ce qu’a publié Siegried Sassoon pendant la guerre : des moments de colère non contenue, qui rendent compte avec immédiateté des interrogations et de la rage des combattants. Cette « poésie de dénonciation », minoritaire dans l’ensemble de la production poétique des tranchées, lui permettait d’exprimer sans détour son aversion pour toute réalité militaire.
Francis Grembert, juin 2016

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Wilson, Cameron (1888-1918)

1. Le témoin
Fils et petit-fils de pasteur, Theodore Percival Cameron Wilson est né à Paignton, dans le Devon, en 1888, quatrième enfant d’une famille qui en comptera six. Son grand-père, Theodore Percival Wilson, avait été en son temps un romancier à succès. Après une scolarité en dents de scie, il suit des cours à Oxford en 1907 sans toutefois pouvoir intégrer un des prestigieux Colleges de l’université. Il quitte l’établissement trois ans plus tard sans diplôme et enseigne dans une école primaire. Son premier roman, The Friendly Ennemy, est publié en 1913.
Cameron Wilson s’engage en 1914 dans les Grenadier Guards et devient sous-officier l’année suivante dans le régiment des Sherwood Foresters. Arrivé en France en février 1916, il fait partie de ces nombreux combattants qui condamnent le principe de la guerre tout en étant convaincus qu’il est de leur devoir de se battre. Son poème Des pies en Picardie est publié dans la Westminster Gazette en août 1916. C’est à cette époque qu’il est muté au Grand Quartier Général. Après avoir été promu capitaine, il repart au front et trouve la mort le 23 mars 1918 à Hermies, dans le Pas-de-Calais. Son nom est gravé sur le mémorial d’Arras à côté de 35 000 autres soldats portés disparus dans ce secteur.
Marjorie Wilson, la soeur de Cameron, qui avait été aide-soignante bénévole pendant la guerre, publie en octobre 1918 dans le Spectator un poème intitulé A Tony, âgé de 3 ans – en mémoire de T.P.C.W. Ce type de « poème-hommage » était une façon d’honorer les soldats tués au combat en dédiant leur sacrifice aux jeunes enfants qu’ils ne verraient jamais grandir.
2. Le témoignage
L’ensemble des poèmes de Cameron Wilson est publié en 1919 sous le titre Magpies in Picardy par le poète Harold Monro, qui était aussi son ami. Un autre ouvrage, intitulé Waste Paper Philosophy, paraît l’année suivante. Plusieurs de ses lettres ont également été publiées, notamment dans War Letters of Fallen Englishmen.
3. Analyse
Le poème éponyme du recueil Magpies in Picardy est présent dans la plupart des anthologies de poésie consacrées à la Grande Guerre. Tout comme John McCrae, Noel Hodgson, Julian Grenfell et Alan Seeger, Cameron Wilson fait partie de ces auteurs-combattants passés à la postérité pour un seul de leur poèmes. Si le style de Magpies in Picardy est un peu suranné, il faut toutefois reconnaître qu’il possède une originalité séduisante et un charme pastoral évident. Son aspect documentaire est également à prendre en compte. Les commentaires sur la faune et la flore sont récurrents dans les témoignages britanniques de la Grande Guerre, et les oiseaux y ont une place de choix. L’image de l’alouette volant au-dessus du no man’s land est notamment une notation incontournable dans les écrits de combattants. Les autres poèmes du recueil évoquent les combats, les périodes de repos et les paysages français. Si Song of Amiens et quelques autres poèmes sont des instantanés réussis de « vie française », on peut cependant déplorer des faiblesses de style à bien d’autres endroits du recueil.
Les lettres de Cameron Wilson sont moins connues mais méritent tout autant l’attention que ses poèmes. Son dégoût de la guerre y est énoncé à plusieurs reprises, en des termes plus ou moins semblables, comme s’il voulait à tout prix persuader ses proches de ne pas se laisser leurrer par les discours officiels : « La guerre est incroyablement dégoûtante. Tout homme qui y a participé et l’encense est un dégénéré » (Lettre de mars 1916 à sa tante). « Quand on a vu un beau gars aux yeux bleus se transformer en un stupide pantin désarticulé, avec sa propre cervelle qui lui dégouline sur les yeux, comme je l’ai moi-même vu, on devient soit un pacifiste soit un dégénéré » (Lettre du 27 avril 2016 à sa tante). « Les corps désarticulés sont obscènes, quoique puissent écrire les correspondants de guerre. La guerre est une obscénité. Mais Dieu merci nous nous battons pour qu’il n’y ait jamais plus de guerre » (Lettre du 3 mai 1916 à sa mère). Le ton est radicalement différent de celui des poèmes. La mise en parallèle des deux types d’écriture nous renseigne sur les différentes attitudes, parfois opposées, qui cohabitent chez de nombreux combattants. Pour de nombreux jeunes officiers britanniques, la poésie a été un moyen d’expression privilégié leur permettant d’une part de conserver un lien avec le monde d’avant – pour beaucoup d’entre eux l’université – et d’autre part d’échapper momentanément aux prises de position pour aboutir à une vue distanciée et multiple de la réalité combattante.
Sources :
Magpies in Picardy, T.D Cameron Wilson, The Poetry Bookshop, 1919
Waste paper philosophy, T.D Cameron Wilson, George H. Doran Company, 1920
War letters of fallen Englishmen, Victor Gollancz Ltd, 1930

Francis Grembert

(Tel que publié dans le recueil Magpies in Picardy, 1919)

DES PIES EN PICARDIE

Les pies de Picardie
Sont plus que je ne saurais dire.
Elles planent au-dessus des routes poudreuses
Et ensorcellent les hommes
Qui traversent la Picardie,
La Picardie, prélude à l’enfer.

(Le merle, farouche, s’envole au moindre bruit,
L’hirondelle la lumière inlassablement suit,
Les pinsons ont des allures de dame,
La chouette flotte dans l’air du soir.
Mais la grande et radieuse pie
Vole à la manière des artistes.)

Une pie, quelque part en Picardie,
m’a révélé ses secrets :
La musique qu’abritent ses plumes blanches,
La lumière qui chante
Et danse dans la profondeur des ombres.
De ses ailes, elle me l’a dit.

(Le faucon, cruel et austère,
Toujours nous regarde du haut du ciel ;
La morne corneille traîne de l’aile,
Le rouge-gorge aime la bagarre ;
Mais la grande pie radieuse
A le vol gracieux de l’amour.)

Elle m’a dit qu’en Picardie,
Une génération ou deux auparavant,
Quand ses pères étaient encore dans l’œuf, Toutes ces grandes routes poussiéreuses
Charriaient des soldats qui partaient à la guerre,
La guerre en chantant,
Le long des prés et des champs de Picardie,
Prélude à l’enfer.
MAGPIES IN PICARDY

The magpies in Picardy
Are more than I can tell.
They flicker down the dusty roads
And cast a magic spell
On the men who march through Picardy,
Through Picardy to Hell.

(The blackbird flies with panic,
The swallow goes like light,
The finches move like ladies,
The owl floats by at night ;
But the great and flashing magpie
He flies as artists might.)

A magpie in Picardy
Told me secret things –
Of the music in white feathers,
And the sunlight that sings
And dances in deep shadows –
He told me with his wings.

(The hawk is cruel and rigid,
He watches from a height ;
The rook is slow and sombre,
The robin loves to fight ;
But the great and flashing magpie
He flies as lovers might.)

He told me that in Picardy,
An age ago or more,
While all his fathers still were eggs,
These dusty highways bore
Brown singing soldiers marching out
Through Picardy to war.

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