Eyriès, Pierre (1894-1944)

Sandra Snorrasson a sauvé de la destruction les carnets de guerre 1915-1918 de ce soldat de Draguignan, ainsi que des photos (de qualité technique médiocre) et des dessins (soldats français, anglais, allemands, caricatures, femmes). Elle en a transcrit le texte. L’ensemble sera déposé aux Archives départementales du Var. La version originale des carnets avait été revue, des passages rendus illisibles, d’autres seulement barrés. Les carnets donnent des informations sur l’auteur : sergent au 7e bataillon de chasseurs alpins lorsqu’il arrive sur le front au début de 1915, il devient adjudant en juin 1916 et sous-lieutenant en octobre. Il montre une certaine culture, il cite Verlaine, il lit Barrès et des magazines anglais. Il s’intéresse aux paysages, à l’aspect des villes et à leurs richesses artistiques. Il est passionné de sport et il estime nécessaire de signaler d’innombrables parties de football lorsque son unité est au repos. Sandra Snorrasson a découvert qu’il avait exercé après la guerre le métier de journaliste sportif. Il ne s’est pas marié et n’a pas eu de descendance directe.

Les Vosges

Du printemps 1915 à juillet 1916, il se trouve dans les Vosges. Il décrit les combats de l’Hartmannswillerkopf, de l’Hilsenfirst, les ruines de Metzeral (qui lui inspirent la phrase ironique : « Ah ! C’est beau la guerre ! »), les souffrances endurées, les cadavres et leur odeur, les tranchées dans la neige, le pillage des maisons de Sondernach par les Français. Il estime qu’il participe à la « défense de l’immortelle patrie » contre la racaille boche, et il a confiance en Dieu. Un de ses hommes abat un Allemand de sang-froid. Le 25 juin, à la constatation « Nous allons nous faire tuer », un officier cynique répond « On vous remplacera ». Le 5 juillet 1915, un chasseur joue des valses à l’accordéon dans la tranchée et les Allemands apprécient : « Quelques hoch ! hoch ! approbateurs nous parviennent. » Le 29 décembre, les chasseurs donnent du pain à des prisonniers. Le 2 juillet, la relève se fait dans la « soulographie » la plus complète.

La Somme

Les habitants sont beaucoup moins sympathiques que dans les Vosges. Chaleur intense, soif. Le 4 septembre, « une invraisemblable quantité de blessés passe, français et boches pêle-mêle, tous heureux ». Le 24 septembre, on fusille un soldat qui « avait commis un sale crime ».

Bref retour dans les Vosges fin 1916. Le 1er mars 1917 : « Vouloir juger de l’état moral des troupes par leur correspondance est plutôt aléatoire. On sait bien que tout le monde en a marre mais qu’on ira jusqu’au bout quand même. »

L’Aisne

Le 16 avril 1917, il se trouve sur la rive gauche de l’Aisne entre Maizy et Muscourt. Ordres et contrordres se succèdent. Le moral n’est pas bon. Le 23 avril, circulent des bruits sinistres sur l’échec de la dernière offensive. Le 4 mai, une attaque est décommandée : « On respira. Cette attaque est une folie. C’est vouloir faire bousiller le bataillon. »

Cormicy, Mont Sapigneul, permission à Paris, Fère-en-Tardenois. Le 24 août devant Craonne « pulvérisée ». L’aviateur allemand Fantomas. Un coup de main allemand le 14 septembre. Le 24 octobre, le succès de la Malmaison est ainsi commenté : « Pour nous, nous pensons seulement à nos camarades que l’on fait massacrer dans la boue. »

En Italie

Arrivée le 5 novembre 1917. Lac de Garde, Vérone. Football. La présence des Français provoque l’augmentation des prix. Bassano. Troupes italiennes en retraite.

Le 18 décembre, « toute la haute embusque militaire de la région est venue s’abattre » à Santorso, faubourg chic de Schio. Critique des artilleurs qui se prétendent plus malheureux que les fantassins. Permission fin janvier. Retour au Monte Tomba. « Un Autrichien affamé et minable est venu se rendre » (le 12 mars, avec photo).

La fin

Le 4 avril 1918 : « J’entre dans ma quatrième année de guerre. »

Retour en France. Amiens, Pas-de-Calais (attaque boche avec gaz sur Poperinghe le 25 mai). Vitry-le-François, Main de Massiges.

Le 13 juillet, il a « l’estomac détraqué » et il est évacué le 17. Hôpital à Épinal puis Besançon.
Le 7 septembre, il obtient un mois de convalescence. Son témoignage ne va pas au-delà.

Rémy Cazals, juin 2022

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Genty, Edmond (1883 – 1917)

Trois ans de guerre. Lettres et carnet de route du capitaine Edmond Genty connut une première édition posthume en janvier 1918 chez Chapelot (Paris). L’ouvrage de quelques 80 pages dont on ignore la genèse (choix des lettres ?) a été lu par le critique ancien combattant Jean Norton Cru. Dans Témoins, Cru le place au rang des témoignages médiocres essentiellement en raison du caractère « abrégé » des passages publiés. Les éditions de la Fenestrelle propose en 2022 une nouvelle édition augmentée d’une introduction importante et de notes rédigées par François Pugnière. Elle permette de mieux appréhender lettres et carnets de l’officier d’artillerie de campagne Genty « mort pour la France » le 23 mars 1917 au nord-ouest de Verdun : contexte familial, études, participation aux combats. Elle contient également quelques clichés collectés par Edmond (mars-avril 1917). Ils sont complétés par l’album photographique du maréchal des logis-chef Émile Renaud appartenant à la même unité que Genty dont il fut une partie de la guerre sous les ordres. L’ensemble offre des clés très utiles de compréhension de l’expérience de guerre racontée dans les lettres et carnets de l’artilleur.

Trois ans de guerre s’inscrit dans les témoignages d’autres intellectuels, officiers de réserve comme Maurice Genevoix, Charles Delvert ou André Pézard. La famille du soldat décédé, liée au monde de l’édition (Paul, le frère d’Edmond, travaille au Figaro), profite de l’engouement du public pour les récits de guerre et fait publier une mince partie de la correspondance adressée par Edmond à sa mère, à sa fiancée ou à sa sœur, ainsi qu’une partie de ses carnets. Ce qui n’a pas été publié est aujourd’hui disparu. Une préface est confiée à un ami journaliste Paul Brulat. Elle témoigne d’une volonté de la famille de produire une œuvre panégyrique, mêlant la mémoire du disparu à la description de « l’âme du soldat français », à celle de la « France réconcilié dans la conscience de ce qu’elle doit à ses enfants martyrs. » On retiendra de cette préface le souhait exprimé que l’hécatombe ne soit pas été vaine. Le recueil de texte devient ainsi présenté un monument de papier à la mémoire mythifiée du héros combattant.

Les lettres de Genty à sa famille ont vocation avant tout à rassurer lorsqu’elles sont adressées à sa mère (« je vais bien, je mange bien, je dors bien » (3 octobre), « nous ne sommes guère à plaindre » (6 février 1915). La violence des premiers engagements est minimisée lorsqu’ils sont évoqués sur le moment. Cependant, lorsque Genty rappelle les combats de Dieuze (offensive de Lorraine – août 1914) afin de réhabiliter les troupes du 15e corps accusées de couardises, il souligne les pertes effroyables, la décimation. Lié au monde du journalisme parisien, il tente d’ailleurs de « faire défendre dans Excelsior le 15e corps calomnié » (27 octobre 1914, carnet de route). Rapidement, la lutte contre les éléments (froid, pluie) s’impose : « Quand sortirons-nous de la tempête, de la pluie, de la boue ? Mille fois pires que les obus allemands ! » (20 septembre 1914). Qui tuent pourtant.

A partir d’octobre 1914, la guerre de position s’installe l’artilleur Genty et ses camarades dans une vie de campagne alternant violence et une « vie de garnison », à la merci de la promiscuité et des intempéries. Genty connait plusieurs affectations depuis les premières lignes jusqu’à quelques kilomètres du front, formation de servant de canon de 80 de montagne ou de 75 contre avions. Le temps du combattant est haché. Ennui et routine d’un côté, écrasement et morts nombreuses de l’autre notamment à l’été 1915 sur le front de l’Argonne à l’Ouest de Verdun.

Edmond Genty développe rapidement sentiment d’une guerre longue avec son frère mobilisé dans le Train : « Elle est trop coûteuse et trop engagée pour pouvoir se terminer en queue de poisson » (27 novembre 1914). Il s’agira de détruire les usines en Allemagne sans toucher « les monuments d’art et les villages ». Genty mentionne dans son carnet une exécution d’un soldat français pour « abandon de poste en présence de l’ennemi auquel il assiste le 11 novembre 1914 : « cérémonie peu attrayante ». La « cafard » s’impose et commande de penser à un ailleurs plus actif : « J’envie les troupes et les camarades qui vont aller débarquer en Turquie. » (7 mars 1915). A travers le vocabulaire employé à dessein comme « cafard » ou « cagnas », Edmond Genty témoigne de son adaptation à la guerre, à son environnement matériel comme humain (vocabulaire de l’argot militaire). Les semaines passant, il limite les pensées profondes pour adopter une posture quasi professionnelle, en multipliant les comptes rendus d’opération, les bombardements, etc. Il insiste également sur les paysages lunaires du champ de bataille, de la Marne ou de Verdun. Il visite les ruines des villages, fasciné comme d’autres soldats sur les capacités de destruction de cette guerre où il faut tenir. Le feu, la mort des hommes, des « amis », des camarades, transforme aussi le soldat : « Il y a bien des gens, voire bien des milieux que la guerre n’aura pas dérangés, et certains assurément ne souhaitent qu’une chose : c’est qu’elle dure le plus longtemps possible » (3 juin 1916). Embusqués, profiteurs, dirigeants laissent seuls les soldats (fantassins ou artilleurs) face à la dure condition des tranchées et de la vie au front. Cet état d’esprit sourdre de nombreuses lettres malgré tout derrière l’autocensure manifeste de l’auteur. Jean Norton Cru a souligné l’intérêt de ces paroles lucides de la part d’un officier et d’un intellectuel qui laisse, malgré sa brièveté, un témoignage d’une belle clarté.

Alexandre Lafon, juin 2022

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Breyer Juliette (1885-1962)

1. La témoin

Juliette Deschamps, épouse Breyer (1885 – 1962), est mariée à Charles Breyer, caviste, et le couple tient en 1914 une épicerie (succursale Mignot) à Reims. Ils ont un petit garçon d’un an, André. Charles, caporal au 354e RI, est tué le 23 septembre 1914. Juliette accouche d’une petite fille, Marie-Blanche, en janvier 1915, et reste à Reims jusqu’à 1916. Elle reprend ensuite la succursale d’un magasin d’alimentation en Seine et Oise. Juliette ne s’est jamais remariée (renseignement fourni par Patricia Vincent, son arrière petite-fille, en juin 2021)  et son fils André a été tué comme combattant F.F.I. à Tarbes en 1944, alors que Sylviane, la fille de celui-ci, avait huit mois.

2. Le témoignage

«À mon Charles…, Lettres de Juliette à son mari parti sur le front, (1914 – 1917) », publié aux éditions TheBookEdition (autoédition numérique), a été retranscrit et mis en forme par Jackie Mangeart en 2014 (182 pages). Sylviane Jonval, décédée en 2019, avait recopié un grand cahier manuscrit de sa grand-mère Juliette. Jackie Mangeart (Warmeriville, Marne), a retranscrit ce cahier en respectant au maximum la version d’origine. Merci à lui pour les renseignements donnés (juin 2022) et surtout d’avoir eu la bonne idée de faire revivre ce témoignage original.

3. Analyse

Le corpus se présente comme la reproduction d’un ensemble de lettres de  Juliette Breyer, envoyées à son mari Charles, d’août 1914 à 1916 ; il s’agit en fait plutôt d’un cahier indépendant, que Juliette tenait, en plus des lettres (que nous n’avons pas) qu’elle envoyait à son mari. Ce cahier prend rapidement la forme d’un journal intime, mais adressé à son mari, et il finit par prendre la place du courrier, de toute façon retourné à partir de novembre 1914 (p. 57) « voilà toutes les lettres que je t’avais envoyées qui me reviennent. Oh le retour de ces pauvres lettres, comme cela me déchire le cœur ! ». Ce document intime décrit la vie à Reims de 1914 à 1916, lorsque la ville, proche de la ligne de front, et encore habitée par les civils, et régulièrement bombardée, mais c’est surtout pour la description du cheminement intime du deuil que ce document est précieux : une jeune mariée, mère d’un enfant d’un an, et enceinte du second, décrit, en s’adressant directement à son mari disparu, toutes les étapes de sa souffrance.

1.         Reims

L’épicière décrit le passage des Allemands à Reims, et la courte occupation se passe pour elle sans trop de dommages (5 septembre 1914, p. 17) : « Des Prussiens sont venus acheter mais ils n’ont rien dit et tu vois, mon Charles, cela m’a servi d’aller à Metz. Je connais un peu leur monnaie et je ne m’y perds pas. Ils sont gourmands sur le chocolat. ». Après leur retrait au nord de la ville, c’est la description de la vie quotidienne, des longs et fréquents séjours dans les caves ; la chronique décrit les bombardements, sporadiques ou soutenus, les dégâts rue par rue, et nomme des victimes, connues ou inconnues. Ce témoignage est utile pour l’histoire locale (partie Est de Reims) ; il est du reste référencé par le site « Reims 14 – 18 ». La maison maternelle est assez vite détruite par les obus, la famille en fait le constat  (17 septembre 1914, p. 25) : « Ce que je vois me glace : la maison qui brûle, c’est la nôtre. J’entends déjà maman qui pleure. Je me retourne, maman a vu, elle chancelle. » puis  « Les flammes sortent du haut, du bas, partout, un vrai brasier. On ne voit même plus trace de meubles. On aperçoit un trou là où était ma chambre de jeune fille, là où j’ai rêvé de toi. »  Le secteur dans lequel se trouve l’épicerie, rue de Beine, est assez rapidement interdit aux civils, car les batteries françaises sont très proches. Malgré les précautions prises, l’auteure, qui a dû arrêter son activité commerciale, constate en mars 1915 que le magasin a été presque entièrement pillé. Les longs séjours dans les grandes caves Pommery ne semblent pas trop pénibles (p. 30) «nous sommes bien abrités, étant dans les tunnels supérieurs. On ne souffre pas. André se porte à merveille. », mais les alertes, à la fin de 1915, sont longues aux deux jeunes enfants qui ont besoin de mouvement.

2. Apprendre la mort de son mari

Avec Juliette, diariste consciencieuse, nous avons ici, reportées avec précision, les longues étapes de la prise de conscience de la mort de Charles. Elle mentionne ses inquiétudes, ses doutes, sa douleur, et surtout son refus et sa volonté de continuer à espérer. C’est cette précision dans la description des sentiments et du cheminement psychologique du deuil, pour un drame qui a concerné des centaines de milliers de femmes, qui fait la richesse de ce témoignage. Dans les caves, pendant un bombardement, une vieille voisine lui dit à brûle-pourpoint que son mari a été blessé, mais Juliette ne veut pas le croire (15 septembre). Il semble que son père ne lui communique pas tout ce qu’il sait, mais, malgré le silence de Charles, elle ne perd pas espoir (20 octobre 1914 p. 38) : « « Qu’est-ce que c’est qu’il ne faut pas que je sache ? Je m’en doute bien, que l’on me cache quelque chose et ce que je ne comprends pas, c’est que ton papa me conseille de ne plus t’écrire (…) mais je m’entête (…) Je te quitte toujours aussi triste ». Le 4 novembre (p. 45), un camionneur vient la voir et lui affirme sans précautions: « « Eh bien ! Votre mari a été tué. » Te dire la commotion que j’ai ressentie…. » Elle décrit son hébétude, son désespoir, et seule la présence de son petit garçon l’oblige à se reprendre. Elle écrit à la compagnie de son mari, reprend espoir contre les apparences, et la situation se complique du fait de sa grossesse – il est certain que Charles n’en a pas eu connaissance – (p. 34) « il faut que je te le dise. Je suis sûre maintenant que nous aurons un deuxième petit cadet. Que veux-tu j’en prends mon parti, du moment que tu me sois revenu pour ce moment-là. » Le 17 décembre 1914 (p.55), elle reçoit une lettre du lieutenant de son mari, qui lui annonce sa mort d’une « balle au front » le 23 septembre. Elle s’évanouit, pense devenir folle à son réveil, et mentionne ses journées de pleurs, malgré sa mère qui essaie de la raisonner (p. 56) : « Remets toi et pense à tes deux petits. Aux deux petits de ton pauvre Charles, garde-toi pour eux. ». Noël 1914 se passe très tristement (p. 60)  « ce n’est pas possible, cela ne peut pas être», et le père de Charles tente de la raisonner (p. 61) : « « Ma pauvre Juliette, ne m’ôtez pas mon courage, me dit-il. Il reviendra. Et si jamais le malheur voulait le contraire, nous sommes là pour vous aider à élever vos petits. » Pauvre papa, mais vous ne voyez donc pas. Je sais bien que j’arriverai à les élever, mais c’est mon Charles que je veux. Je ne pourrai supporter l’existence sans lui. C’est atroce puisque je l’aime toujours ; il faut qu’il me revienne. » En janvier les préparatifs de l’accouchement la distraient un peu de sa douleur morale. Après la naissance de la petite fille, le dialogue continue avec Charles dans le journal (19 janvier) « Je vais te raconter (…) car notre fille est venue au monde».

3. Deux réalités parallèles

À partir de février 1915, on sent que Juliette est prise par ses obligations de mère, qu’elle donne pour l’extérieur l’apparence de se faire une raison, mais à l’intérieur, Charles vit toujours, elle lui parle sur le cahier, disant être sûre de le revoir (p. 65) «Quand je passe quelque part et que j’entends dire : « pauvre femme, son mari a été tué ; c’était un ménage en or », cela me retourne. Je leur crierais bien « Ce n’est pas vrai, il est vivant, je le sens.» »À tous les signes tangibles qui s’accumulent (lettres de soldats, documents administratifs) elle oppose sa certitude et c’est ce qui lui permet de survivre. (15 avril 1915, p. 94) « Je suis triste à mourir, je pleure, je me dégoûte de tout et si je n’avais pas mes petits, je ne sais pas ce que je ferais. Je me demande s’il faut que j’espère encore. Pense donc, tit Lou, sept mois sans nouvelles. Si c’était vrai, mon Charles, je ne pourrais jamais vivre une longue vie sans toi. Il ne peut plus y avoir de bonheur pour moi sur terre. On a beau penser aux enfants, c’est une consolation, mais c’est justement en les voyant grandir que je verrai à quel point tu me manques. » A partir de mai 1915, peut-être sent-on à la lecture du journal une douleur plus contenue, moins paralysante, mais les accès de désespoir sont encore fréquents. En juillet 1915, elle consulte une voyante qui, sans surprise, lui annonce qu’elle aura bientôt des nouvelles de Charles, et que cette grande peine est passagère. En août, une cartomancienne se montre également optimiste, et en septembre 1915, c’est une diseuse, qui analyse l’écriture de Charles, dans son dernier courrier connu, et pronostique la vie, mais avec un œil ou un membre en moins (p. 129) « Que m’importe que tu aies un œil en moins, du moment que tu puisses nous voir et contempler tes petits. » De violentes crises de dépression, (août 1915) « je voudrais toujours dormir » ou « je meurs de désespoir », alternent avec des descriptions de la vie quotidienne dans Reims en guerre.

4. « ils disent que tu es mort »

Ce dialogue direct avec le disparu, cette complicité, en parlant avec Charles des autres, de ceux qui prétendent qu’il est mort, ce lien maintenu dure jusqu’à 1916 : c’est à coup sûr ce long déni du réel qui permet à Juliette d’apprivoiser la réalité.  Les mentions se font plus espacées, elles sont plus matérielles et pratiques (janvier 1916, p. 161) : « je m’ennuie à mourir. Aussi j’ai écrit à Paris chez Mignot s’ils pouvaient me rendre un Comptoir (…). Il me faut une occupation ou je crois que je perdrai la tête. » Ce même mois, elle reçoit la lettre d’un soldat du 354e, de la compagnie de Charles, qui lui communique qu’elle recevra bientôt un avis officiel de décès, car il a dû signer le procès-verbal. Ce même camarade entame ensuite une correspondance intéressée, envoie sa photographie, et demande pourquoi Juliette ne lui écrit pas plus souvent  (avril 1916) : « Je vais lui répondre par une lettre très sérieuse, sans le froisser bien entendu, que je tiens à n’avoir aucune correspondance. Ce jeune homme a l’air de manquer d’instruction : c’est pour cela que je l’excuse. Il ne comprend pas que ton souvenir me poursuit et que ce serait profaner tout l’amour que j’ai pour toi de correspondre avec un autre.» L’avant-dernière mention du cahier date du 24 avril 1916, le journal ensuite est délaissé, puis une dernière mention apparaît le 6 mai 1917 (p. 178) : «un an mon Charles sans t’écrire et un an où je n’ai cessé de penser à toi. Aujourd’hui je t’aime comme je t’aimais avant. Mais depuis ce temps, que de choses encore se sont passées. » Elle raconte son déménagement, son installation dans un magasin d’épicerie à Vernouillet (Seine et Oise), et son année de travail. La dernière phrase est «Les débuts furent durs, mais aujourd’hui le commerce va assez bien… » .

Vincent Suard, mai 2022

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Lefebvre Henri (1888 – ? )

1. Le témoin

Henri Lefebvre, né en 1888, est originaire de La Bassée (Nord) où il exerce la profession de boucher. Sophie Lheureux, sa fiancée en août 1914, habite le hameau d’Hocron, sis à proximité de Sainghin-en-Weppes (Nord). Le mariage, prévu en septembre 1914, ne pourra avoir lieu qu’après la guerre. H. Lefebvre fait celle-ci au 233e RI, comme caporal brancardier – musicien. Sa fiche matricule signale qu’en 1936 il a quatre enfants.

2. Le témoignage

Les lettres d’Henri Lefebvre à sa fiancé ont été publiées dans l’anthologie « Correspondances conjugales », de Clémentine Vidal-Naquet (Robert Laffont, Bouquins, 2014, 1088 pages). Cet ouvrage contient la reproduction de la correspondance de neuf couples pendant la guerre. Pour ces fiancés nordistes, il s’agit de la retranscription (p. 295 à 348) d’un tapuscrit conservé au Service historique de la Défense (« Ma chère petite Sophie, Lettres de guerre », cote 1KT682). Ce document réunit des lettres qui ont été retrouvées en 1993. L’auteure m’a précisé (décembre 2021) avoir reproduit l’intégralité des courriers sans coupes, sauf quelques mots pour 1914.

3. Analyse

Le thème du front étanche, qui empêche les soldats des régions envahies de communiquer avec leurs proches, ou même d’en avoir des preuves de vie, est très présent dans les témoignages nordistes. Les lettres d’Henri n’ont pas été reçues à Sainghin, et on sait seulement qu’il a eu de son côté un contact en avril 1915 (p. 310) « Les femmes françaises de la Croix-Rouge ne m’ont pas divulgué leur secret et je n’ai pas eu l’indélicatesse de leur demander ; et puisque ta missive m’est parvenue, la mienne t’arrivera également j’en suis certain.» Il est effondré lorsqu’il apprend au début de 1917, par une dame évacuée de sa connaissance, que Sophie n’a eu aucune nouvelle, alors qu’il lui écrivait régulièrement depuis le début du conflit (mars 1917, p. 325) « j’ai souffert (…) quand j’ai lu que jamais tu n’avais eu signe de vie de ma part depuis deux ans et demi et qu’un soupçon, une angoisse t’étreignant le cœur, croyant qu’on n’osait te l’avouer et que le Bon Dieu m’avait appelé auprès de ces chers Joseph et Aimé [beaux-frères tués à Verdun et dans la Somme]». C. Vidal-Naquet a sélectionné ce texte pour illustrer une des modalités possibles de la relation épistolaire : les lettres n’arrivent pas à destination, mais les protagonistes continuent quand-même à écrire, les textes deviennent des « monologues amoureux », et le propos épistolaire à sens unique finit par prendre la forme du « journal intime », il permet l’épanchement et soulage la douleur morale. Si en 1918, la liaison est ponctuellement rétablie avec des cartes-message, c’est ici, pendant presque trois ans, un document à sens unique assez original ; on insistera par ailleurs sur un autre aspect du corpus, celui de la culture catholique omniprésente de l’auteur.

Le soldat

H. Lefebvre évoque assez peu le détail de ses missions, ou les combats auxquels il participe, il envisage plutôt le futur, les projets pour après la guerre, ou préfère décrire la bonne ambiance de camaraderie de son escouade ; atypique, par exemple, est cette évocation de son rôle dans la bataille (juin 1915, p. 314):  « Il nous fallait prendre ces pauvres malheureux dans des toiles de tente, les traîner en marchant nous-mêmes sur nos genoux et nos mains, et cela pendant 1 km parfois, entendre leurs plaintes, découvrir leurs affreuses blessures. » Il imagine le sort de sa fiancée à Sainghin, tout en signalant assez rapidement ne pas être certain qu’elle y réside encore (avril 1915, p. 312) : « Les Anglais bombardent Illies et Fournes [front d’Aubers], dit-on. Des nouvelles qui nous réjouissent d’abord, puis nous étreignent le cœur à la pensée de savoir que c’est nos propres obus qui dévastent notre cher pays et font peut-être tant de victimes innocentes. ».

Il envisage les événements de la guerre surtout à travers le prisme religieux, et le découragement lié à l’échec de l’offensive Nivelle lui fait évoquer  une solution originale mais finalement assez logique (21 juin 1917, p. 329) : « Et puis sincèrement il semble qu’il nous faudrait une Jeanne d’Arc. Encore la science des hommes a fait faillite et le Bon Dieu semble vouloir forcer nos dirigeants à recourir à lui. » Dans le même domaine d’inspiration, Henri Lefebvre a deux marraines de guerre à Revel (Haute-Garonne), les demoiselles Gayral, à qui il rend visite en permission en 1917 : « tu as deux petites sœurs de guerre qui t’aiment beaucoup déjà et qui aspirent à faire ta connaissance », une autre mention associe plus loin ses marraines (p. 346) à une demande d’adhésion à une neuvaine à « commencer à Noël à la bonne vierge de Lourdes. » Le cas de figure est assez atypique, car en général, ce n’est pas d’abord à une neuvaine que le poilu pense lorsqu’il envisage ses relations avec sa marraine de guerre, il est vrai qu’ici Henri s’adresse à sa fiancée.

Un boucher dévot

Cette religiosité du jeune brancardier-musicien, artisan boucher dans le civil, est omniprésente dans la tonalité de ses lettres. Les cérémonies religieuses sont relatées pour évoquer la consolation morale de la communion, ou la communication possible avec l’aimée, au moment de la messe, par une sorte de « transmission de pensée sacramentelle ». Il prie souvent, va aux vêpres dès qu’il le peut, et cette fin de lettre est typique (octobre 1914, p. 304) : « Nous allons réciter un chapelet maintenant en compagnie de mon ami Alphonse à l’église la plus proche ; nous retournerons ensuite manger la soupe et en avant ! ». C’est à travers cet habitus catholique qu’il envisage ses relations avec sa promise, sa compréhension de la guerre ou sa vision des régions qu’il traverse, comme en Champagne (Souain) où son régiment combat dès octobre 1914  (p. 301) : « J’assiste à la messe tous les matins depuis 8 jours, ma chère fiancée, et je communie fréquemment. Quelle consolation pour ce bon curé de voir que les gars du Nord ont encore de la religion ! Nous vivons ici dans un pays si indifférent ; il est à croire ma chérie, sans parti pris, que le Bon Dieu envoie le châtiment là où il doit passer. » Les lettres racontent aussi les épreuves familiales, avec les deuils de guerre, ou le cafard, que cette correspondance, invocation du « bon Dieu » à l’appui, tente de soulager.

L’auteur évoque à plusieurs reprises des « promesses », ce sont des vœux à réaliser après la guerre, pèlerinages à Lourdes et à Montmartre, promesse d’observer fidèlement le repos du dimanche, vœu d’entrer dans le Tiers Ordre… En 1917 (p. 331), il essaie d’organiser une communauté avec des soldats qui partagent sa piété : « j’ai conçu de trouver dans nos musiciens sept des plus fervents qui consacreraient chacun un jour de la semaine au Sacré-Cœur. Ce jour-là, assistance à la messe et communion si possible ; pénitence quelconque sur la nourriture et le tabac, etc.  J’en ai 5 déjà et j’espère trouver les deux autres, ce serait l’élite. » Il cherche aussi à fonder le Rosaire, «c’est-à-dire 15 personnes disant chaque jour une dizaine de chapelets.» Difficile de connaître la proportion de poilus qui dans son unité partagent sa vision du monde, et à cet égard un passage de mars 1917 (p. 325) est intéressant (mention : « lettre inachevée ») : «dans mon escouade même j’ai deux bons catholiques, 5 ou 6 indifférents et un libre penseur !!! Ah tu comprends, ma chérie, il ne faut pas que ce monsieur vienne dire devant moi qu’il n’y a pas de Dieu et exposer ses doctrines matérialistes. Alors c’est conférence à l’escouade le soir jusqu’à onze heures quelque fois et le matin après la soupe. Naturellement la discussion se termine toujours par une poignée de main car au régiment c’est l’union sacrée. » Évoquant l’avenir, Henri imagine leurs futurs enfants, qu’ils aimeront, et (p. 330) « qui seront notre bonheur. J’ai demandé au bon Dieu qu’il m’accorde la grâce d’en prendre un à son service ; nous lui offrirons tous deux, n’est-ce pas, ma chérie ? ». Que penser en définitive de ce ton si résolument pieux? Le mariage tant attendu s’incarne ici avec une énergie sentimentalo-religieuse, dans un futur strictement dessiné dans des concours de piété : il s’agit de leur culture commune, de leurs références les plus familières. Cette religiosité, qui est naturelle chez H. Lefebvre, et qui est consubstantielle à son éducation et sa sociabilité, n’est du reste pas exceptionnelle (voir par exemple Gabriel Castelain), pour des hommes recrutés dans cette partie sud de la Flandre (Weppes), à l’ouest de Lille. C’est nettement plus atypique pour d’autres espaces, notamment les grandes agglomérations textiles ou minières.

Terminons par une dernière citation, qui montre qu’en politique aussi, ce même prisme religieux est présent (septembre 1917, p. 334) : « Hier encore une dame me disait : « Mon frère qui est au front devient anarchiste, je crois, et cependant il a été bien élevé. » Je ne suis pas encore anarchiste, ma chérie, console-toi. Ah ! j’ai bien une dent contre les mauvais riches, ils sont si nombreux ! »

Vincent Suard, mai 2022

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Flacher Stéphane (1897 – après 1986)

1. Le témoin

Stéphane Flacher est né en 1897 à Saint-Pierre-de-Bœuf (Loire). Cultivateur, il est incorporé à 19 ans au 3e zouave en janvier 1916. Il est évacué « pieds-gelés »  à Verdun en novembre 1917, et on lit aussi sur sa fiche matricule qu’il a été gazé à Villers-Bretonneux en mai 1918, et légèrement blessé à l’omoplate en août 1918. De ce fait inapte à l’infanterie (gêne au passage de la courroie du sac), il termine la guerre dans l’artillerie (54e RA) en septembre 1919. Il restera toute sa vie cultivateur au hameau de Bois-Prieur, et il a 89 ans lors de la publication de son récit.

 2. Le témoignage

L’association « Visages de notre Pilat » (42 410 Pélussin) a publié en 1986 ce petit document de Stéphane Flacher, intitulé : Verdun Cote 344, Témoignage de la guerre de 14/18 (43 pages). Le document est préfacé par Emmanuel et Régis Bouttet. L’auteur indique à la fin du récit avoir rédigé ces lignes en 1979.

3. Analyse

Ce court témoignage d’un jeune soldat de la classe 17 est une curiosité. Centré autour d’une mission d’une semaine, une période de première ligne après une attaque locale à Verdun en novembre 1917, ce récit a une unité de temps (six jours), une unité de lieu, ce petit poste à tenir après une attaque réussie, et une unité de condition, l’immobilité dans le froid mordant qui amène la souffrance et le désespoir. Ce format court n’évoque ni les durs combats de Champagne auxquels l’auteur a participé en octobre 1916, ni l’année 1918, pendant laquelle il a fait six mois de combats d’infanterie. L’auteur, qui a 82 ans lorsqu’il rédige ce texte, a prélevé dans ses deux années de guerre cet épisode très court, et ce choix fait ici irrésistiblement penser, en littérature, au genre de la nouvelle.

Le récit raconte, devant Verdun (Samogneux, cote 344), le 25 novembre 1917, une attaque partielle à réaliser par le régiment (3e Zouave). On vit avec l’auteur la montée en ligne, l’assaut, et surtout la tenue du secteur avancé jusqu’à l’évacuation six jours plus tard pour pieds gelés. La narration est réaliste, froide, c’est un triste récit de souffrance, et en même temps le propos est traversé de prises à témoin du lecteur (« avions nous mérité ce sort ? »). L’aspect tantôt désincarné, tantôt théâtral de la narration, à la fois solennelle et empruntant parfois au style religieux, lui donne une résonance très particulière. L’auteur, non « défaitiste », est fier d’accomplir son devoir, mais il tient à souligner la dureté injuste de ce qu’on lui a fait subir.

Au début du récit, les hommes arrivent dans le parallèle de départ, épuisés après un long cheminement ; accablé de fatigue, l’auteur s’endort brutalement, sans se rendre compte que ses pieds reposent dans une profonde flaque d’eau. (p. 8) « Lorsque je m’éveillai, je me rendis compte que mes pieds étaient pris dans une carapace de glace ; ils avaient commencé de geler pendant mon premier sommeil.» Le récit évoque les pensées qui agitent l’auteur juste avant l’attaque, il a caché à sa famille qu’il montait en ligne pour attaquer. Son style devient solennel (p. 10) « La fumée de l’éclatement des obus rendait le ciel bas et noir, comme au Golgotha. Ceux qui allaient tomber pendant l’attaque se doutaient-ils qu’ils vivraient les dernières minutes de leur vie terrestre ? » Les zouaves prennent leur élan, et S. Flacher, en marchant sur le glacis, évoque ses craintes (p. 13) [faudrait-il se battre à la baïonnette ?] « Cette dernière perspective était pour nous la plus terrible et la plus répugnante car l’homme contraint à se livrer à ce combat horrible se rend bien compte que, bon gré mal gré, il descend vers les bas-fonds de la déchéance et de la dégradation humaine.» De fait, les Allemands rencontrés se rendent, et il le mentionne avec un style marqué par l’usage du passé simple (p. 14) : «Ils levèrent tous spontanément leurs bras comme pour nous demander, dans un geste de supplication, de les épargner (…) nous ne leur fîmes aucun mal (…) nous devions respecter leur vie. »

Il décrit ensuite le départ de son capitaine, blessé lors de l’action, celui-ci lui serre la main au passage (p. 15) « Et je crus voir, dans son regard empreint d’une grande bonté, la peine qu’il ressentait de quitter ses hommes qu’il appelait ses amis. » Son remplaçant se présente en leur faisant un discours d’autorité qu’il termine en faisant ostensiblement jouer son pistolet : « Je n’aurai pas de pitié. Le premier qui flanche, je lui brûle la gueule. ». Ce lieutenant l’emmène ensuite avec deux camarades vers une position à occuper, et l’auteur constate en cheminant la présence de nombreux cadavres allemands : (p. 17) « Je détournais les yeux de ce spectacle d’horreur, et une fois de plus je maudissais la guerre, cause de tant de malheurs et de souffrances pour tous ces hommes qui auraient voulu vivre en paix. » Le chef leur donne un petit poste à aménager, et à tenir coûte que coûte, et il ajoute, en s’en allant « vous êtes bien avertis. Le premier qui recule sans mon autorisation, je l’abattrai comme un chien. »   Commence alors une lancinante description des souffrances causées par le froid, mais aussi par la faim, car les trois hommes n’ont pas de réserves, et le barrage allemand empêche tout ravitaillement. Les heures sont interminables, car à la fin de novembre, les jours sont très courts. Les gelures commencent, les pieds gonflent, et les hommes se donnent un répit passager en ouvrant au couteau le dessus de leurs souliers. La deuxième nuit se termine, et  la douleur augmente (p. 22) « Il nous semblait que des mains invisibles, armées de tenailles, nous arrachaient, lambeau par lambeau, la chair de nos orteils. »  La troisième journée se passe encore dans la solitude, personne ne vient les voir, et S. Flacher mentionne (p. 23) « dans notre désarroi, il nous sembla qu’au-delà de notre avant-poste l’humanité tout entière avait sombré dans le néant. » Alors que pendant la nuit, il assure son tour de garde, il se met à pleureur (p. 24) « comme un enfant, longuement, abondamment, en silence pour ne pas éveiller mes camarades. » Son style devient nettement biblique lorsqu’il prend à témoin les mères des soldats (p .25) « Si vous aviez vu vos fils dans ce dénuement le plus complet, votre cœur eût été transpercé par la douleur ! Ils avaient faim et ils n’avaient rien à manger ; ils avaient froid et n’avaient rien pour se couvrir ; ils avaient peur et n’avaient pas d’abri pour se préserver des dangers.» L’ambiance lunaire, sépulcrale, n’en reste toutefois pas moins extrêmement bruyante (p. 26) : « Nous aurions voulu crier notre détresse à la face du monde, mais, hélas, personne ne nous entendrait, le bruit des canons et le sifflement lugubre des obus qui hurlaient sans cesse à la mort, étouffement de nos plaintes et nos cris de désespoir. » La cinquième nuit, l’auteur signale que leurs pieds sont maintenant inertes, devenus comme des morceaux de bois n’obéissant plus à leur volonté. Il maudit la guerre,  liée à la folie des hommes, aux gros industriels qui (p. 28) « y entassaient des fortunes colossales ». Il fait des va et vient entre ce passé, décrit heure par heure et le présent de la rédaction : « N’est-il pas de notre devoir à nous, anciens combattants, qui l’avons malheureusement vécue, de la maudire et de la dénoncer comme étant l’une des plus grandes calamités ? » Le 30 novembre à 9 heure du matin, un caporal vient enfin jusqu’à eux, et leur annonce leur relève. Il n’y a pas assez de brancards et c’est alors la description d’hommes qui se traînent vers l’arrière, rampant, ou s’appuyant sur des fusils abandonnés et ramassés comme béquilles. Ce n’est pas une débandade larmoyante, car (p. 30) : « nous partîmes vers l’arrière en emportant, au fond de nous-mêmes, une grande satisfaction intérieure, celle de n’avoir pas failli aux consignes sévères qui nous avaient été dictées par notre commandant de compagnie. »  L’auteur signale être arrivé au poste de secours, situé au bas d’une pente, en effectuant les derniers cents mètres sur les mains et sur les genoux. Ils sont immédiatement évacués, et lorsque leur véhicule, dans la zone de l’arrière, commence à rencontrer des civils, l’auteur mentionne avoir entendu une femme, parmi un groupe féminin qui se signait à leur passage, dire (p. 35) « ils ressemblent à des damnés sortis de l’enfer. » Le récit se termine, toujours avec solennité, par un hommage aux morts de Verdun, et à des souhaits de paix (p. 39)  « Je terminerai en souhaitant que notre vie d’ici-bas ainsi que notre cher pays de France, ne revoient plus jamais les horreurs de la guerre. »  Une mention à la dernière page qui suit ce récit lunaire, nous ramène brutalement à la lumière, dans un tintement apaisant de cloches, et plein d’odeur des prés :

 « Récit terminé le 16 juin 1979,

Que j’ai écrit, dans sa plus grande partie, en gardant les chèvres »

Pourquoi ce récit, si intense, pour ce tout petit moment de guerre,  qui semble avoir tant marqué l’auteur ? Dans son registre matricule (AD42 1917-1, 247), on trouve, tout en bas de la grande feuille, une petite note collée, tamponnée « rectification », et datée de 1978, ce qui est très tardif pour ce genre de mention : « Pieds de tranchées le 30.11.1917 au Bois des Caures (Meuse)- Évacué- décision n° 191 du Colonel cdt le BCAAM en date du 18.04.1978 »

On proposera l’hypothèse selon laquelle une réclamation administrative de la part de l’auteur, pour faire reconnaître la totalité de son passé militaire, espérant peut-être ainsi une augmentation de sa pension (il a 10% d’invalidité pour sa blessure à l’épaule de 1918), l’a amené à se replonger dans son passé, et de ce fait, lui a fait ensuite rédiger, pour lui et pour nous, ce témoignage original.

Vincent Suard, mai 2022

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Les frères Bayle, Marius Doudoux, Michel Thonnérieux, Lettres de la guerre 1914 – 1918

1. Les témoins

Les trois frères Bayle sont des cultivateurs originaires de Malleval (Loire). Louis (1886-1916) combat au sein du 11e BCP en 1914 en Alsace, dans la Somme et en Flandre. Passé au 51e BCA, il est en Alsace en 1915 et engagé sur le Linge. Il est tué dans la Somme le 19 juillet 1916. Jean-Baptiste (Antoine à l’état-civil, 1893-1918), sert au 2e Zouave de 1913 à 1918. Une évacuation pour pieds gelés lui épargne l’offensive de Champagne. À Verdun en 1916, il combat devant Reims en avril 1917. Passé au 4e Zouave en 1918, il est tué le 30 mars 1918 à Orvillers (Oise). Jean-Joseph, né en 1892, d’abord ajourné pour faiblesse, est réintégré au 158e RI en novembre 1914. Envoyé en Artois, il est un temps hospitalisé, et il signale avoir ainsi échappé à l’offensive sur Souchez. Après Verdun en 1916, il est muté au 97e RI, et y est blessé. Passé ensuite au 22e BCA, il fait l’attaque du Monte Tomba en Italie, et revient en France en avril 1918. Après la guerre, on sait qu’il se marie en 1921.

Marius Doudoux (1878 – 1940), originaire de Lyon, combat dans les Vosges avec le 54e RAC en août 1914. Gravement blessé au visage le 2 septembre 1914, il passe les années 1914 et 1915 dans différents établissements hospitaliers de la région lyonnaise.

Michel Thonnérieux est né en 1874 à Saint-Michel-sur-Rhône. Ajourné pour faiblesse pulmonaire, il est finalement incorporé au 104e RIT en février 1915. Il y fait presque toute la guerre, qu’il termine au 34e RIT à partir d’août 1918.

2. Les témoignages

L’association «Visages de notre Pilat » (42410 Pélussin) a publié en 2018 « Lettres de la Guerre 1914 – 1918 », un riche volume de 160 pages, qui regroupe des témoignages venant de cinq combattants. Philippe Maret reconstitue l’itinéraire des frères Bayle, de Malleval (p. 9- p. 54) et analyse leurs lettres. Marie Mazoyer a transcrit et présenté les lettres de Marius Doudoux, écrites lors de son hospitalisation (p. 55 à p. 110). Enfin Louis Challet présente Michel Thonnérieux, puis classe et analyse des extraits de ses lettres (p. 111 à p. 160).

3. Analyse

a. Les frères Bayle

Pris isolément, les courriers des trois frères sont sommaires et décevants par leur concision, mais P. Maret procède à une analyse fine, qui apporte des éléments très utiles; ainsi de Louis, classé 0 sur sa fiche matricule (instruction néant, ne sait ni lire ni écrire), on possède 28 lettres. Une analyse graphologique (forme des majuscules) et stylistique (formules de tendresse) permet d’établir qu’il y a eu au moins cinq rédacteurs différents de 1914 à 1916, « Louis n’écrit pas ses lettres lui-même » (p. 14). Il rassure ses parents, évoque le temps qu’il fait, et peut parfois être un peu plus précis avec ses frères (mars 1916, p. 19) : « Les boches nous agasse tout le temps. ». Louis est tué le 19 juillet entre Hem-Monacu et Cléry (Somme), après avoir salué ses parents dans sa dernière lettre le 16 juillet (p. 22) :

« (…) voila quatre jours que je

sui au tranchée Mais sa

y fait pas pas beau on entend

que les grosses marmite

qui nous passe sur la tete

et Defois pas bien loin de nous enfin on a

toujours espoire de sen sortir quand même (…) »

Jean-Baptiste participe à de nombreuses batailles avec son régiment de zouaves, et on dispose de 26 lettres pour presque quatre ans de campagne. Elles sont concises, et P. Maret propose un modèle théorique en cinq parties, qui se retrouve pratiquement dans toutes les lettres (p. 28) :

– introduction, donne de ses nouvelles, espère que tout va bien

– donne sa situation en deux mots : soit au repos, soit aux tranchées

– s’il en a, donne des nouvelles des frères et cousins, ou au contraire en demande

– parfois parle du temps qu’il fait, et/ou évoque les travaux des champs

– termine par une formule disant qu’il n’a plus grand-chose à dire, comme par exemple (22 décembre 1915, p. 29 : « Souvent de la pluis je voi pas grand autre Chose a vous diret pour Le moment.».

On possède 28 lettres de Jean-Joseph, qui alterne période de front et répit à l’arrière (faiblesse pulmonaire). Difficile, avec ces lettres sommaires, de dégager une personnalité, mais son enthousiasme guerrier paraît modéré; En convalescence, il échappe à l’offensive de mai en Artois (1915, p. 41) « mais en tout cas sa sera toujours 2 mois de tirez à l’habrit des balles en attendant que la guerre finisse. ». En juillet 1915, il n’obtient pas la permission agricole qu’il espérait et doit rester au dépôt de Lyon (p. 42) «il aime mieux nous tenir sans rien faire. Enfin faites comme vous pourrait en attendant qu’on soit libérer de se bagne militaire. » Passé au 97e RI en août 1915, il est à l’automne dans les lignes boueuses de l’Artois, avec des tranchées impossibles à entretenir (novembre 1915, Souchez, p. 43). « On ne peut seulement marcher on s’enfonce jusqu’au genout et on glisse comme sur du ver s’est vraiment dégoutant de vivre, se qui nous faut s’est la paix, ou sa ne vat plus marcher on ne peut plus prendre patience. » P. Maret souligne que c’est la formulation de révolte la plus marquée du corpus. Légèrement blessé et intoxiqué en 1918, Jean-Baptiste finit la guerre en Belgique. Ces témoignages des trois frères, même ténus, prennent vie avec cette présentation, et ils montrent que ces paysans n’ont pas été épargnés : la guerre passée, pour la grande  partie, dans des régiments de « choc » (zouaves, BCP…), et au final, deux morts sur les trois frères mobilisés.

b. Marius Doudoux

Marius Doudoux est grièvement blessé à la face le 2 septembre 1914, vers Saint-Dié (Vosges). Il a eu la mâchoire inférieure arrachée, et la partie supérieure est aussi en partie touchée. Ses lettres, uniquement adressées à Eugénie (Ninie) et Elise Reynaud, ses cousines germaines de Chavanay, sont reproduites et annotées par Martine Mazoyer. Elles sont centrées sur sa santé, ses opérations chirurgicales, les lents progrès de sa convalescence, ainsi que sur les aléas de son moral, avec de fréquentes périodes de dépression. Ce qui domine ici, c’est l’évocation de la souffrance physique  (avril 1915, p. 69) « ils vont commencé l’autre opération sa va être terrible s’y tu savait comme sa goute chère de se faire refaire la figure il en faut de la patience enfin il le faut et se qui me console s’est que l’apache de Guillaume II payera tous ça » On entre ainsi dans le quotidien d’une « gueule cassée » sur la durée. Il séjourne pendant près de deux ans aux hospices civils, puis à l’Hôpital Lumière de Lyon. Il signale au début qu’il est nourri uniquement de lait à l’aide d’une sonde, évoque les options chirurgicales  (janvier 1915, p. 65) « enfin c’est décidé qu’on me dépouille la poitrine pour me refaire la figure », ou caractérise ses progrès : il réussit enfin à fumer des cigarettes, malgré l’interdiction. Il a été blessé assez tôt, et il veut transmettre à ses interlocutrices sa haine « de ces sales boches », cause de ses souffrances ; il décrit ainsi des atrocités (janvier 1915, p. 65):  «tient un exemple que j’ai vu, dans un village une bonne femme donc le mari était sur le front français, les boches ont coupé les deux mains a une fillette de dix ans et l’on pendu par les pieds et devant les yeux de sa pauvre mère qu’ils ont emmené prisonnière (…)  – il parle de leur rage, s’ils avaient entre les mains un prisonnier – «  ont l’aurait achevé tellement qu’on était en colère, il y aurait pas eu de capoute qui tienne, car quand ils veulent se rendre prisonniers ils crie capoute camarades, je t’en fourniraient ! (…) enfin je dois t’ennuyé avec cette guerre mais il l’a fallait pour que les jeunes ne l’a fasse pas car près celle là il en aura plus (…). ». Le ton vengeur retombe curieusement à la fin du propos, celui-ci fait penser à une influence extérieure (on trouve plus loin p.74 – « tu as du voir sur le journal …» – ) M. Doudoux s’inquiète aussi pour son avenir (p. 78, en 1915) :« Ha que c’est malheureux de ne pas être marié qui donc me fera à mangé. Il faut conté sur les restaurant (…) ». Même préoccupation en mars 1916 (p. 91) « Quant à m’établir, c’est-à-dire me marier, j’y ai bien réfléchi mais qui voudrait de moi ? Non, non, je n’oserai jamais me présenter devant une personne, moi défiguré. » M. Mazoyer mentionne qu’après-guerre, on sait seulement qu’il s’est marié et a été garde-forestier. À noter enfin que le terme « gueule cassée » », devenu aujourd’hui générique, n’est cité qu’une fois, et pas en forme de locution substantivée, il s’agit de la joie qui accueillera la victoire (p. 75) « ha qu’elle jour béni ce jour voi-tu, que j’ai la « gueule » cassé ou racommodé tan pire je veu le fêté et par une boutielle (…) »

c. Michel Thonnérieux

L’auteur est un « territorial », ajourné deux fois mais rattrapé en février 1915, à 41 ans, et qui passe toute la guerre en alternant travaux sur le front et convalescences à l’arrière, car il est bronchiteux. En juillet 1918, son unité combat toutefois en première ligne. Il écrit très souvent à sa femme Mélanie, et Louis Challet a classé, organisé et en partie retranscrit une portion significative des 500 lettres qui sont restées de cette correspondance. Le transcripteur a organisé une présentation thématique en petits chapitres, illustrés de courts extraits des lettres : « L’épistolier », « le territorial », « le cultivateur », « le viticulteur »… Pour M. Thonnérieux, écrire est une nécessité pour garder le contact avec son village (septembre 1917, p. 122) « Explique-moi bien ce qui se passe au pays, que je le revoie au moins par la pensée. » ; il a besoin de la proximité créée par l’écriture (p. 123, février 1916) « je dors bien plus tranquille après ce babillage que je fais avec toi : il me semble que nous sommes en tête à tête ». L’auteur raconte à son épouse ses différents travaux et à partir de 1917, il devient l’ordonnance d’un officier, faisant la cuisine et la lessive (p. 126) « jamais, Nini, je m’aurais cru si bonne lavandière. » et « Il vaut mieux laver une chemise que de se retrouver au milieu de la feraille. » Il s’agit ici d’un couple harmonieux, les marques d’attention et d’affection sont fréquentes (p. 136) « On a bien des fois quelques moments que ce maudit cafard nous travaille, mais enfin on tache bien moyen de le secouer de l’un à l’autre. Fais-en de même, ma petite femme, chante une chanson quand il te prend trop fort. Et pense qu’il y a plus malheureux que nous. » Les chapitres « le cultivateur » et « le viticulteur » décrivent les préoccupations de l’auteur au sujet des cultures, du bétail, et surtout de son vin : c’est un crève-cœur de ne pas pouvoir le  goûter (avril 1918, p. 143) « Penser que vous allez soutirer le picollot et moi faire le c…, crois-moi bien que c’est dur ! » Les convictions patriotiques de l’auteur sont réelles mais posées, (p. 150  « ne t’en fais pas, je ne m’en fais pas. On y est obligé, c’est pour la patrie »), et il fait cette remarque intéressante en septembre 1916 (p. 150) « on a beau faire semblant devant les copains qu’on est patriote mais je crois et il y en a beaucoup comme qui n’y sont guère … ».

Vincent Suard, mai 2022

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Valentin, Germaine (1895- ?)

Le témoignage de cette jeune fille figure dans les volumes 15 et 16 de la collection « Vécus » (dirigée par Philippe Nivet) des éditions Encrage d’Amiens publiés en 2019 et 2020 : Les exils d’une jeune Compiégnoise (1918-1920) et Une jeune Compiégnoise en guerre (1916-1918). Le premier est la transcription de cahiers trouvés au marché aux puces de la Porte de Vanves par Laurent Roussel. Le collectionneur Frédéric Swider a fourni ensuite d’autres cahiers qui, édités l’année suivante, sont venus compléter le témoignage. Un album de plus de 300 photos datées de 1892 à 1908 a été également acheté aux puces ; il met en scène la réussite sociale de la famille Valentin dans les vins et spiritueux à Compiègne ; il est présenté dans le livre de 2020 avec onze clichés sélectionnés.

Dans un des textes de présentation, Xavier Boniface note que « chaque journal reflète la condition de son auteur, sa situation sociale, générationnelle et culturelle ». Germaine apparaît comme une jeune fille catholique très pratiquante (église, chorale, catéchisme, pèlerinage à Lourdes) invoquant très souvent Notre-Dame, Sainte-Germaine, Saint-Roch pendant l’épidémie de grippe espagnole, et surtout le Sacré-Cœur de Jésus. Celui-ci protège ou limite les dégâts lors des bombardements. Le 11 novembre 1918, Germaine note : « Je crois que le Sacré-Cœur a eu enfin pitié de nous et qu’il a mis un terme à nos souffrances en nous accordant la victoire tant promise. » C’est la religion du « donnant-donnant » : d’un côté, nous offrons nos sacrifices et nos souffrances, de l’autre nous devons recevoir des faveurs (2019, p. 67, p. 112, etc.). Les allusions politiques complètent le tableau. Déroulède est admiré et Caillaux détesté. Germaine serait heureuse si se confirmait la rumeur d’après laquelle Clemenceau et Combes se seraient convertis (2019, p. 54). On peut terminer cette rubrique en posant deux questions. Pourquoi les femmes de cette famille catholique ne se sont-elles pas mises au service des blessés comme tant d’autres ? Et pourquoi les parents font-ils une opposition aussi terrible et « orageuse » lorsque leur fille Yvonne annonce qu’elle veut entrer au couvent ?

Une bonne partie du journal ressemble à un défoulement. Il n’est pas possible de rapporter ici toutes les médisances « de sacristie », mais aussi sur les voisins et connaissances, sur la famille même. Orléans où les Valentin se réfugient est jugée une ville inhospitalière (2019, p. 50) : « Il y a deux France, celle qui souffre et celle qui jouit, qui profite, qui exploite la misère des autres. » On ne peut pas se fier aux soldats anglais ; ils reculent et il faut leur venir en aide. Les membres d’une mission italienne ont « une sale tête » (2020, p. 105). Les Allemands, évidemment, sont détestés ; ils commettent des crimes, détruisent comme des Vandales ; ils pillent et volent les pendules (2019, p. 122). Nos troupes victorieuses devraient « aller chez les boches et leur faire sentir les horreurs de l’invasion » (2019, p. 117).

D’autres éléments appartiennent à la description de l’expérience de guerre. En 1916, on mène à Compiègne une vie monotone au son du canon. Les raids aériens obligent à se mettre à l’abri dans les caves. L’habitude permet de distinguer les types de détonation (2020, p. 46). Le 18 mars 1917, on va recueillir comme souvenirs des morceaux du zeppelin abattu. La famille s’estime privilégiée de n’avoir pas de proches dans les combats. Mais son drame est d’avoir été contrainte à trois exils successifs : en septembre 1914 lors de l’occupation de Compiègne par les Allemands ; en mars et en mai 1918 lors des offensives Ludendorff. Et c’est « un déchirement » d’abandonner sa ville et sa maison, puis de les retrouver en partie détruites.

Rémy Cazals, avril 2022

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Reverzy, Abel (1884-1915)

Un rapport existant entre le prêtre Léon Cristiani et la famille Reverzy, le témoignage d’Abel est publié à la suite de celui de l’ecclésiastique : Un prêtre dans la Grande Guerre, Journal de Léon Cristiani, infirmier militaire, suivi du Journal du capitaine Abel Reverzy, édition établie par Michel Casta, Amiens, Encrage éditions, 2022.

Abel Reverzy est né le 14 janvier 1884 à Aurouër (Allier) dans un milieu modeste. Il a commencé sa carrière militaire comme simple soldat, a pu monter en grade et intégrer l’école d’officiers de Saint-Maixent en 1907. Marié en 1911, il avait deux enfants en 1914. Capitaine au 3e régiment de marche de zouaves, il fut tué lors des attaques du 25 septembre 1915 près de Saint-Hilaire-le-Grand. Son journal est tenu du 30 septembre 1914 au 16 août 1915.

Ce témoignage critique à plusieurs reprises la République anticléricale, un « bourbier politique » responsable de l’impréparation à la guerre. Les fautes strictement militaires commises par des généraux sont quand même imputables au « malheureux régime » qui a causé « la perte du sens moral » (1er décembre 1914). Il ajoute : « Le troupier conscient, la discipline intelligente et voulue, l’officier politicien, voilà les alliés qui ont rendu au Kaiser plus de services que le 420 ou que ses amis d’Autriche. » La mort au combat du capitaine Luca ne répare pas le mal qu’il a fait par ses idées pacifistes. Une note du 14 janvier 1915 sur les réservistes qui « valent largement nos hommes de l’active » dans le cadre de « la nation armée » semble donner raison à Jaurès (sans le citer évidemment). Mais plus tard (5 juillet) Reverzy juge que les régiments de réserve ne paraissent pas « capables de mener à bien une véritable action offensive ».

Ce journal d’un authentique combattant apporte des notations ponctuelles intéressantes :

– Dès qu’un terrain est dangereux, la présence des gendarmes n’est plus à craindre ; soldats et officiers peuvent se livrer au braconnage et à la chasse. Par exemple, le 17 février 1915 : un lapin, douze faisans, deux chevreuils.

– Le 1er octobre 1914, il fait enlever ses galons « pour diminuer la visibilité des officiers ».

– Le lendemain, il note que ses soldats ont compris l’intérêt de creuser des tranchées et que ceux qui ont jeté leurs outils le regrettent.

– Le 20 octobre, il livre une remarque très fine à propos d’une sentinelle qui a tiré sur un camarade retour de patrouille et l’a tué : « Il a tiré comme ils font tous stupidement, sans savoir pourquoi, pour se rassurer en entendant un coup de fusil dans cette obscurité silencieuse. »

– Ses notes montrent la différence de confort entre l’abri de l’officier et la situation précaire des soldats (22 et 23 octobre). Sa femme vient passer quatre jours avec lui à Compiègne.

– Le 12 novembre, il décrit l’échec d’une attaque causé par le 75 qui tire trop court. Et il critique les artilleurs qui n’ont pas assez de contacts avec l’infanterie.

– Le 1er juin 1915, il affirme qu’au moins 50 hommes de son régiment ont déserté. Sur ces musulmans, la propagande turque n’a pas d’influence, mais ils sont mal commandés par les gradés subalternes.

Enfin, la question des relations avec les ennemis est abordée à trois reprises :

– Le 8 octobre : « Il fait trop beau pour s’entretuer. Nos hommes dont les tranchées avancées sont peu éloignées des tranchées allemandes semblent partager cette façon de voir. Le soir la relève des avant-postes a lieu des deux côtés à la même heure. Les groupes adverses, au lieu d’échanger des coups de fusil, se font avec la main des signaux d’adieu. »

– Le 8 novembre : « Nous entendons comme chaque dimanche les Allemands chanter des cantiques dans leurs tranchées. »

– Le 26 décembre, un bombardement français met fin à une tentative de trêve de Noël : des conversations entre sentinelles, « chacun des deux partis était informé du menu de l’autre ».

Rémy Cazals, avril 2022

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Cristiani, Léon (1879-1971)

Léon Cristiani est né le 4 janvier 1879 à Escurolles (Allier) dans un « milieu catholique intransigeant » comme l’écrit le présentateur de son journal. Son père, ancien gendarme, est devenu ermite. Léon a fait des études de théologie, a soutenu une thèse de philosophie sur l’évolution de la pensée de Luther. En 1914, il était professeur à la faculté de théologie de Lille. Il parlait l’allemand.

Son journal de route est à la fois personnel et celui d’un train sanitaire. Il contient aussi des poèmes, chansons, sermons composés par lui, et des copies de dépêches officielles. Il n’avait aucune formation médicale et s’occupait de tâches administratives. Le 15 août 1914, les prêtres représentaient 40 % de l’effectif du train sanitaire. Le parcours à travers la France permet des visites touristiques, Bordeaux, Dôle… Le carnet est interrompu du 22 avril au 25 septembre 1915 et arrêté le 11 octobre de la même année, peut-être parce que la vie « se traîne languissante et sans gloire comme sans intérêt ». Le document final est une copie personnelle réalisée après la guerre. Il est publié dans le livre : Un prêtre dans la Grande Guerre, Journal de Léon Cristiani, infirmier militaire, suivi du Journal du capitaine Abel Reverzy, édition établie par Michel Casta, Amiens, Encrage éditions, 2022. [Léon Cristiani n’était par vraiment infirmier ; voir la notice Reverzy Abel dans ce même dictionnaire des témoins.] La suite de la guerre est évoquée dans ses mémoires : il a toujours occupé des fonctions loin du feu.

Tandis que certains témoins ecclésiastiques ont réfléchi personnellement, Léon Cristiani émet tous les poncifs de la propagande, peut-être parfaitement intériorisés, peut-être par volonté délibérée. Il critique les soldats du Midi (p. 53). Il exprime sa confiance totale dans la hiérarchie et dans l’organisation (la mobilisation se passe dans un ordre parfait, les uniformes sont flambants neufs, la nourriture est « alléchante et nutritive »). Il fait l’éloge de Barrès, de Paul Bourget et de l’historien Hanotaux, et il critique le général Sarrail, marqué à gauche. L’exactitude des communiqués du GQG « demeure incontestée » (p. 105). Le « flot moscovite » est irrésistible. « Un peuple n’est grand que par l’idéal qu’il porte au cœur, et malgré les affreux ravages qu’elle exerce, la guerre a cela de bon qu’elle provoque les plus sublimes élans d’héroïsme, de dévouement et d’honneur. » (p. 22) Pendant la messe du 22 novembre 1914 à Aillevillers, son sermon développe le thème : « Motifs de gratitude envers la Providence que nous offre tout spécialement la guerre actuelle. » Et, le 22 avril 1915 : « On s’aperçoit en France qu’une nation ne peut pas vivre, surtout quand elle est assaillie par l’épreuve, avec les seuls éléments qu’on croyait pouvoir substituer à la religion : l’esprit scientifique, l’ardeur de vivre, la passion de jouir, l’amour de l’argent ! »

Rémy Cazals, avril 2022

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Depreux, Henri (1896 – 1945)

1. Le témoin

Henri Depreux (1896 – 1945), né à Wasquehal (Nord), réside en 1914 à Caudry (Nord) où il est tulliste. Classe 1916, il réussit à échapper aux Allemands en septembre 1914, et après un séjour dans le Sud-Ouest, il est incorporé au 91e RI à Nantes au début de 1915. Il ne voit le front qu’en avril 1916, et intègre le 221e RI devant Verdun. Il fait partie du corps franc de son unité, et finit la guerre (mai 1918 – dernière mention) au 81e RI. Après la guerre, il participe à la construction de pistes de skating (patins à roulettes sur piste en bois). Il décède brutalement alors qu’il était architecte à Saint-Lô, lors des débuts des travaux de la reconstruction en 1945.

2. Le témoignage

Claude Depreux, fils d’Henri Depreux, m’a communiqué en mai 2021 une copie « word » des carnets de guerre de son père (Carnets de route) ; ceux-ci couvrent la période 1914 à 1918 sur 21 pages A 4, taille 14 (10100 mots).

3. Analyse

Ce témoignage d’un très jeune soldat, assez court (21 pages), insiste beaucoup sur certaines périodes, et est très allusif ou muet sur d’autres, mais les trois parties détaillées apportent des lumières utiles, avec par exemple la fuite devant les Allemands, l’accueil des réfugiés dans le Sud-Ouest à l’automne 1914, ou encore la situation des jeunes soldats dans les corps francs des régiments d’infanterie à partir de 1917.

a. Fuite vers Lille

Revenant d’Avesnes en août 1914, il évoque la confusion au Cateau (24 août?), au milieu du bombardement et des tirs de l’artillerie anglaise. Ayant réussi à regagner Caudry, il y décrit l’installation des Allemands, personne n’ayant le droit de quitter la ville. Il mentionne sans précision le 29 août «on signale des atrocités dans les petites localités. » La nouvelle de la chute de Maubeuge jette la consternation, mais celle de la victoire de la Marne redonne du courage (noté 3 septembre, événements jusqu’au 7) « Quelques journaux venant de Lille réussissent à nous parvenir et apportent la confirmation, ils sont lus avec avidité et payés cher. » Les 19 et 20 septembre, les autorités allemandes convoquent la classe 14 pour internement, et l’auteur, avec une cinquantaine de jeunes gens, décide de fuir vers Lille, de nuit et à travers champs. Après 50 km à pied, ils ne sont plus que dix et leur aventure illustre bien ce qu’est cet « l’entre-deux » que constitue la zone située, en septembre 1914, entre Valenciennes occupée et Lille encore libre. Ils arrivent à Marchiennes : « le maire nous apprend que les allemands n’ont fait aucune apparition [à Marchiennes] depuis huit jours, il nous envoie dans un hospice transformé en hôpital dirigé par une jeune fille qui soigne quelques vieillards et quelques blessés allemands: en les voyant nous ne voulions y loger, mais la directrice les fit rentrer dans des chambres où elle les enferma. » Enfin parvenu à Hem (Roubaix), il est hébergé dans la famille et rencontre des réfugiés qui lui racontent (27 septembre) que « les Allemands ont mis le feu à la ville d’Orchies indiquant comme prétexte que les civils avaient coupé les doigts d’allemands morts pour prendre leurs bagues. » En fait la ville est détruite en représailles à l’arrestation, par un poste français, d’une colonne sanitaire allemande. Cette curieuse ambiance de septembre, ni vraiment occupation, ni territoires vraiment contrôlés, se retrouve aussi aux portes de Lille : H. Depreux se met immédiatement à chercher un emploi, et se présente dans des usines de draps. C’est un échec, car les patrouilles allemandes se rapprochent, des combats ont lieu dans les faubourgs, et les usines débauchent.

b. Fuite de Lille

La chronologie donnée par l’auteur n’est pas toujours très précise, et c’est à ce moment (8 octobre ?) qu’il évoque l’ordre donné à tous les hommes de 18 à 48 ans de quitter la ville. « La grande place [de Roubaix] est pleine d’hommes de tous âges discutant avec animation, puis des colonnes se forment et se dirigent sur Lille à la hâte. Les quelques détachements allemands assistent au départ sans intervenir. » Il décrit sa fuite par Englos, le bruit du canon, ils sont plusieurs fois mitraillés par des Allemands, puis rencontrent des goumiers qui les réorientent vers Estaires. Refoulés, ils atteignent Béthune où ils dorment dans des portes cochères. Tenaillé par la faim, épuisé, l’auteur arrive à Abbeville où malade, il est soigné par des habitants ; il y apprend le 20 par des rumeurs que Lille est débarrassée des Allemands [ce qui est faux]. Un peu remis, et avec 6000 réfugiés [– dit-il-], il reprend le chemin de l’Est. Le 22 octobre il est à Lumbres, où il apprend que le front est fermé et Lille toujours occupée. Il repart à Calais où il arrive le 23 octobre, y est hébergé chez des amis de son père, ce qui termine son odyssée à pied. Ici aussi, il essaie de trouver du travail chez des fabricants de dentelles, mais cela lui est interdit, car il faut faire de la place aux Anglais. Embarqué « de force » avec des Belges (femmes et enfants) sur un navire à la malpropreté « repoussante », car il vient d’amener des chevaux d’Angleterre, tout le monde est immédiatement malade et le navire revient à quai : il peut alors embarquer sur le Niagara, à bord duquel il arrive à La Palice (La Rochelle) le 29 octobre. Cette fuite réussie devant l’envahisseur sera valorisée dans une citation  (février 1917) : « (…) quoique prisonnier civil et malgré les menaces de mort pour ceux qui tentaient de fuir, le 21 septembre 1914, a pu s’échapper, et, après bien des difficultés, ayant parcouru près de 50 km dans les lignes allemandes, s’est réfugié en France. Excellent soldat (…) »

c. le Sud-Ouest

Le récit de H. Depreux décrit bien le parcours d’un jeune homme non-encore mobilisable, dépaysé et psychologiquement isolé. Le train des réfugiés arrive à Saint-Sulpice (Tarn), les mineurs sont envoyés à Carmaux, les autres passant la nuit dans les wagons. Puis le train repart, et il y a des descentes à chaque arrêt, des habitants prévenus les attendant avec des charrettes. Les jeunes nordistes restent à une trentaine, et ils sont désorientés : (2 novembre 1914) «  « Les paysans sont là, le béret à la main et attendent des ordres, nous ne comprenons rien à leur langage, nous nous demandons, si nous sommes encore en France. » L’auteur explique que les paysans croyaient qu’ils étaient cultivateurs, et donc voulaient « leur faire conduire les bœufs ». Les réfugiés expliquent qu’ils n’y connaissent rien, et demandent à être  « dirigés sur une ville ». Le préfet intervient, on envoie les tisserands sur Mazamet, et le reste sur Graulhet. L’auteur y  rencontre deux Lillois, avec lesquels il décide de loger, car les trois jeunes gens veulent se tenir à l’écart de leur groupe de nordistes « car ils avaient mauvais genre. ». Il fait ensuite la connaissance de monsieur Doumayrou, qui fait le commerce des œufs à Cordes, et qui l’embauche. L’auteur  commence alors son apprentissage «le travail consiste à emballer et expédier les œufs par caisses, j’apprends aussi la conduite de l’automobile et nous allons dans les foires faire des achats soit en auto soit en voiture, je suis heureux car ce sont de braves gens.»  

d. l’incorporation

Après avoir passé le conseil de révision en janvier 1915 à Cordes, l’auteur rejoint le dépôt du 91e RI, régiment de Charleville-Mézières replié sur Nantes. Il supporte assez mal le début de l’entraînement et est hospitalisé (problèmes pulmonaires) de mai à juillet 1915. Il réintègre le dépôt, puis a une permission en octobre, « j’obtiens une permission de 6 jours que je vais passer chez monsieur Doumayrou à Cordes, je passe quelques jours dans cette famille où je suis si bien reçu. » En mars 1916, il est toujours à Nantes, et devient téléphoniste.

e. Le combattant

Il intègre le 221e RI en juillet 1916, et est positionné, durant l’année 1916 dans la région de Verdun et en Argonne. Il signale avoir été évacué « pieds-gelés » en novembre 1916, avec environ un mois d’hospitalisation/convalescence. En octobre, il a pu faire un séjour en permission à Clermont-Ferrand chez sa marraine, avec laquelle il a commencé une correspondance en 1915. C’était « une agréable permission », et il a fait « des excursions en Auvergne où il y a des sites intéressants. » En janvier 1917, il apprend que sa sœur germaine a été rapatriée, et peu après il peut faire une réunion familiale, précieuse pour le jeune isolé : « 18 janvier 1917 : J’arrive à Paris où j’ai le bonheur de revoir ma sœur et mon frère. » Il décrit ensuite des combats violents en mars 1917, avec attaques et contre-attaques, puis il note en juin (mention unique et complète) : « 17 juin 1917 : Le 221ème remonte 4 jours au mont Cornouillet [Cornillet] les 317ème et 358ème ayant manifesté et refusé de monter les manifestant sont détenus dans le camp et les permissions sont supprimées le colonel et le général sont relevés il y a remaniement du commandement. »

À partir d’août 1917 et jusqu’à mars 1918, il entre comme volontaire dans le corps franc du régiment, ce détachement est créé pour des missions de patrouille et de coups de main. L’auteur mentionne que « ce sont en général des soldats des classes 16 et 17, j’ai beaucoup plus de liberté que dans la compagnie. » Effectivement, on constate qu’entre août 1917 et janvier 1918, il a pratiquement une permission par mois. Son récit, rapide et allusif, est parfois beaucoup plus élaboré, ainsi de la description  d’une mission risquée en février 1918 ; malgré sa longueur, on la donnera ici comme illustration, car c’est un modèle de précision, notamment chronologique, et elle éclaire sur le risque accepté par certains jeunes soldats, pour échapper aux corvées et partir plus souvent en permission. «13 février. Nous recevons l’ordre de remonter en ligne pour faire un coup de main par surprise, notre groupe se compose de 22 hommes, nous répétons la manœuvre qui consiste à capturer une ronde allemande, nous partons à 21 h le temps est propice il fait un grand vent il pleut très fort. C’est le temps attendu depuis longtemps, nous partons en file indienne en rampant sur les coudes et genoux, à 23 h nous arrivons près du réseau allemand, le groupe s’installe dans un grand trou d’obus. Le lieutenant, un sergent, un homme s’avancent pour cisailler le réseau de barbelés. Le travail dure trois h et s’exécute sans bruit, à 2 h1/2 nous franchissons le réseau sans être inquiétés, et gagnons la tranchée de 1ère ligne distante de 20 mètres du réseau et occupons cette tranchée sans résistance, aucune sentinelle, nous sommes entre deux petits postes, nous avions déroulé une bobine de fil téléphonique en partant sans cette précaution il nous aurait été impossible de nous reconnaître pour rentrer dans nos lignes. Nous approchons des 2èmes lignes toujours en rampant, nous percevons des bruits de pas et des voix, 4 hommes débouchent au détour d’un boyau, ils s’arrêtent comme surpris par un bruit insolite, d’un même élan nous bondissons sur les boches en peu de temps ils sont terrassés malgré la résistance qu’ils nous opposent, nous sommes maîtres de la situation mais ils refusent de se rendre et se roulent dans le boyau en se débattant, la situation devient critique, car des hommes venant des petits postes accourent en criant, mais n’osent pas avancer et s’enfuient. Nous avons fait un prisonnier que nous ramenons dans nos lignes, c’est un feldvebel nous le reconduisons au colonel.»

Deux mentions très courtes clôturent le témoignage, il signale en mars 1918 quitter le 221e RI et intégrer le 13e RIT ( ???), puis en mai 1918 être affecté au 81e RI à Montpellier comme secrétaire.

Vincent Suard (mars 2022)

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