Garrigue, Marcel (1883-1915)

1. Le témoin.

Né à Tonneins le 11 septembre 1883, issu d’une famille modeste (agriculteur et cigarier), il pratique le métier de serrurier au moment de la mobilisation d’août 1914. Marié depuis 1906 et père de famille, il est incorporé à 31 ans au 280e RI de Narbonne (régiment de réserve), le même régiment alors que celui du tonnelier Louis Barthas, comme lui soldat ordinaire.

Il est tué à l’ennemi le 12 décembre 1915 à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais, sans avoir revu sa famille, qui l’attendait pourtant pour sa première permission (voir la notice Garrigue, Victoria).

2. Le témoignage.

Marcel Garrigue a tenu une correspondance nourrie avec sa femme et sa famille pendant toute la durée de sa présence au feu.

Une de ces lettres, marquante puisqu’il y décrit l’exécution d’un soldat pour l’exemple (31 juillet 1915) a été publiée dans Paroles de Poilus. Lettres et carnets du front 1914-1918, Paris, Librio-Radio France, 1998. « C’était pour fusiller un pauvre malheureux qui dans un moment de folie, tant que nous étions à Lorette, a quitté la tranchée et a refusé d’y revenir ». Cérémonial réglé, « le crime était accompli ». Alain Glayroux a pu récupérer une grande partie des lettres de Marcel Garrigue et les réponses envoyées par sa femme, ainsi que le carnet de guerre qu’il tint du 29 août au 9 novembre 1914, et les présenter au public dans un recueil Portaits de Poilus tonneinquais, publiées aux éditions La mémoire du Fleuve en 2006. Grâce à son intervention, les Archives départementales de Lot et Garonne possèdent désormais ce fond en version numérisé, ce qui permet de pouvoir suivre l’itinéraire de ce soldat lambda plongé dans un conflit dont très rapidement il ne comprend pas le sens.

3. Analyse

A maints égards, cette correspondance de ce soldat du Sud Ouest peut être rapproché des cahiers du caporal Barthas. Mobilisé dans le même régiment au début de la guerre, Garrigue n’hésite pas à se plaindre du froid ou des combats, de la guerre qui dure, « je pense bien que bientôt finira il le faudra bien pour tout le monde » (18 octobre 1914). L’univers des tranchées déstructure le temps (à plusieurs reprises, il se plaint de ne pas pouvoir suivre le mouvement des jours) et oblige les hommes au confinement (lettre du 20 décembre 1914). Il reçoit très régulièrement des nouvelles de sa femme et de ceux du pays mobilisés comme lui, mais aussi des « boîtes de pâté » et des « prunes » afin d’améliorer l’ordinaire. Il évoque un réveillon de Noël pendant lequel Français et Allemands communiquent, certains de ces derniers profitent de l’événement pour se rendre, ils sont alsaciens ou connaissent la France. Le régiment de Garrigue, en Artois fin 1914, se trouve à proximité des troupes anglaises et rentre en contact avec les Ecossais dont les « conserves » semblent meilleures que celles des Français. Il écrit d’ailleurs à sa femme qu’il s’est fait des « camarades anglais ». On retrouve dans ses propos quelques thématiques communes aux témoins versés dans l’épistolaire : trouver les bonnes cartes postales, commentaires sur les colis envoyés et la vie du village, attente de la permission. Les lettres de Marcel montrent, au-delà de ces quelques remarques, un besoin de dénoncer la guerre, et de croire en une fin prochaine, continuellement phantasmée (lettre du 17 janvier 1915, la guerre doit finir à Pâques), jusqu’à la disparition de Marcel en décembre 1915. Il reproche à sa femme de croire ce que disent les journaux.

Son carnet est beaucoup plus centré sur le quotidien militaire : départ, changement de cantonnements (Vosges, puis Artois), bombardement, tranchées, attaques (dont celle de Vermelles qu’évoque Louis Barthas au début d’octobre 1914, et à la même période), celle d’Annequin où les ordres d’attaque ne peuvent pas être suivis par le commandement.

Alexandre Lafon, février 2008.

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Clerfeuille, Paul (1885-1983)

1. Le témoin.

Né le 13 décembre 1885 à Gençay (Vienne), Paul Clerfeuille a 34 ans lorsque la guerre est déclarée. Marié, père d’un enfant et dans l’attente d’une deuxième naissance, il exerce le métier de roulier à Civray. Classe 1905, il a effectué son service militaire et était rappelé à plusieurs reprises pour des périodes d’exercices (1911 et 1912 notamment au 107e RI d’Angoulême et au 325e RI de Poitiers). Il fait donc partie, à l’instar de Louis Barthas de ces « simples soldats d’origine populaire », installés dans la vie civile et précipités dans la guerre. Témoins précieux qui viennent contrebalancer les récits de soldats plus jeunes, et plus lettrés.

2. Le témoignage.

Il est constitué d’un manuscrit épais de plusieurs dizaines de pages, lui-même dactylographié. Son « livre », composé à partir des carnets originaux abîmés, transportés pendant la guerre dans les poches ou la musette et conservés par la famille, est conçu comme un témoignage pour la jeunesse, il s’adresse d’ailleurs à plusieurs reprises au lecteur dans le corps du texte. Ecrit au présent, le récit est très bien daté : on y suit presque jour pour jour les quatre ans et demi de campagne du soldat Clerfeuille, conducteur, ravitailleur ou combattant en première ligne. En effet, mobilisé du 5 août 1914 au 11 mars 1919, il est d’abord affecté au 325e RI. Malade pendant presque toute l’année 1915, il part pour Salonique en janvier 1916. Evacué en juillet, il est en Champagne en novembre avec le 273e RI puis participe à l’offensive du 16 avril 1917. Il tient ensuite un secteur près de la frontière belge pour revenir dans l’Aisne. En mai 1918, il participe à la défense de Chézy entre Villers-Cotterêts et Château-Thierry, et tient les lignes en Alsace d’août à octobre 1918, puis vers la frontière belge où il se trouve le 11 novembre 1918.

Plusieurs parties du texte ont été publiées. Dans Journal de guerre d’un poilu civraisien, présenté par Gérard Dauxerre, Civray, Les Amis du pays civraisien, 1994, 118 p., l’auteur cite largement le récit de Clerfeuille mais dans une approche thématique. Alors que Rémy Cazals, tout en présentant le profil et le parcours du combattant Paul Clerfeuille, publie des extraits couvrant la période de février à mai 1917 : « Un simple soldat sur le Chemin des Dames : Paul Clerfeuille », dans OFFENSTADT Nicolas (dir.) Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 152-175.

3. Analyse

Pour Paul Clerfeuille, la guerre apparaît comme un « fléau » (p. 214 exemplaire dactylographié), et ce dès la première épreuve du feu où le soldat découvre le mortel champ de bataille (essentiellement du fait des balles de mitrailleuses) : « Quel désolation ! ». Son récit est surtout descriptif : les lieux, les noms des protagonistes, les faits militaires bruts. Il évoque les rumeurs (filles violées, civils exécutés), relève les anecdotes, s’intéresse aux conditions météo. Il décrit les paysages rencontrés (à la fois vers la ligne de front, mais lorsqu’il traverse la France – passage par Toulouse, Bordeaux, Agen (p. 69)), notamment lorsqu’il débarque à Salonique (visites touristiques, découverte des coutumes locales). Mais parfois pointe çà et la des réflexions sur les chefs : ainsi, en évoquant un capitaine « célibataire de 42 ans, officiers de réserve, châtelain ruiné (…) », « encore un qui par plaisir a fait souffrir des hommes, (…). » (p. 72). Son témoignage sur l’offensive du 16 avril 1917 montre en amont les préparatifs, l’intense activité des secteurs devant le Chemin des Dames et les nombreuses victimes de l’offensive perçue rapidement comme un échec. En aval, il est frappant de lire une sorte de retour au calme après que le régiment ait été changé de secteur, et de voir augmenter de façon significative le nombre de permissions accordées pour la fin de l’année 1917.

Dans son récit, le « je » s’éclipse pour laisser la place au « nous », un « nous » générique qui englobe les soldats de son régiment et de sa compagnie. Quelques termes comme « camarades » ou « copains » émergent parfois. Les personnes nommées sont essentiellement les officiers. Au-delà de thèmes comme la vie au front, les déplacements continus, les patrouilles, coups de mains, il note les effectifs réduits des compagnies en 1918 (p. 151) et s’intéresse beaucoup à l’activité de l’aviation, raconte en détails le jour de la signature de l’armistice et la manière dont il fut vécu sur le terrain (p. 213), puis évoque la fin de l’année 1918 et début de l’année 1919 (Marne, Lorraine, Alsace, Allemagne – beaucoup de visites et de descriptions des régions occupées).

Alexandre Lafon, février 2008.

Photo de deux pages du carnet de Paul Clerfeuille dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 137.

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Birot, Louis (1863-1936)

1. Le témoin

Louis Birot est né à Albi (Tarn) le 7 octobre 1863. A la mobilisation, vicaire général de Mgr Mignot et archiprêtre de la cathédrale d’Albi, il a 51 ans. Il est une figure du catholicisme démocratique et social. Il part à la guerre pour assumer son statut de prêtre-citoyen, comme aumônier des ambulances de la 31e Division. Louis Birot est mort à Albi le 10 septembre 1936.

 

2. Le témoignage

Louis Birot, Carnets. Un prêtre républicain dans la Grande Guerre, texte établi, présenté et annoté par André Minet, Albi, FSIT, 2000, XVI + 333 p., illustrations.

Dans l’édition de ses écrits du temps de guerre, les carnets occupent la plus grande place. Ils apportent la vision la plus spontanée, mais même les lettres dénoncent parfois la « folie du monde » qui entraîne tant de pertes et l’attitude des gouvernements qui ne veulent pas faire la paix. Les homélies, à la fin du volume, sont plus traditionnelles.

 

3. Analyse

L’aumônier, à la fin d’août 14, a intercédé pour sauver une vingtaine de coupables de mutilation volontaire. Il est à même de dénoncer le monstrueux gaspillage de vies humaines et l’insuffisance de la liaison inter-armes ; de condamner l’insuffisance du système de santé et les conseils de guerre spéciaux ; de comprendre ce qu’il peut y avoir de démoralisant dans l’inaction sous le bombardement des tranchées. Il note et explique les contacts avec l’ennemi devenu le voisin, les redditions dans les deux camps ; il décrit des exécutions ; il montre l’aspiration des soldats à la fin quelle qu’elle soit. Même chez ce « Jules II à cheval », on peut discerner la montée de la lassitude, au fil des mois, due à « la fatigue nerveuse accumulée ».

 

4. Autres informations

Les Tarnais, dictionnaire biographique, sous la dir. de Maurice Greslé-Bouignol, Albi, FSIT, 1996 (importantes notices de Jean Faury sur Louis Birot, p.46-47, avec portrait, et sur Mgr Mignot, p. 220-221).

Christianisme et politique dans le Tarn sous la Troisième République, textes rassemblés par Philippe Nelidoff et Olivier Devaux, Presses de l’université des Sciences sociales de Toulouse, 2000, 336 p.

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Barbey, Valdo (1883-1964)

Voir la notice Fabrice Dongot, pseudonyme de Valdo Barbey, dans Témoins… de Jean Norton Cru, p. 130-133. Une réédition du témoignage de 1917 a été donnée récemment : Valdo Barbey, Soixante jours de guerre en 1914, Paris, Bernard Giovanangeli, 2004, avec une préface de Michel Mohrt, un portrait de l’auteur, et une biographie par Roland Bruneau.

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Bieisse, Antoine (1893-1947)

1. Le témoin (1893-1947)

Né à Castelnaudary (Aude) le 27 septembre 1893, petit-fils de meunier, fils d’un brigadier d’octroi devenu ensuite percepteur à Saint-Papoul (Aude). Etudes secondaires au collège de Castelnaudary. Joueur de rugby au Quinze Avenir Castelnaudarien (photo dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 74). Au service militaire au 143e RI de Castelnaudary lors de la mobilisation. Gravement blessé, fait prisonnier, il est rapatrié par la Suisse en décembre 1915. Commis des contributions indirectes à Angoulême en 1917, puis à Albi (Tarn) où il se marie en 1919. Il est ensuite percepteur à Cadalen (Tarn) où il meurt le 1er avril 1947.

2. Le témoignage

Antoine Bieisse, « Souvenir de la campagne 1914-1915 », dans Eckart Birnstiel et Rémy Cazals, éd., Ennemis fraternels 1914-1915, Hans Rodewald, Antoine Bieisse, Fernand Tailhades, Carnets de guerre et de captivité, Toulouse, PUM, 2002, 191 p. [p. 133-153], illustrations.

Première édition sous le titre Plus d’espoir, il faut mourir ici !, carnets d’Antoine Bieisse et de Paul Garbissou, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1982, 62 p.

Dans les deux cas, il s’agit de la transcription directe des notes prises pendant la guerre par le témoin.

3. Analyse

Les premières pages contiennent des notes brèves sur l’atmosphère à la caserne du 143e RI en juillet 1914 et sur les premiers jours de la campagne. Arrivé sur le front en Lorraine le 9 août, il est grièvement blessé le 20, et ramassé par les brancardiers allemands le 25. Prisonnier à Ingolstadt, rapatrié via la Suisse en décembre 1915. La publication de son témoignage reprend le texte de son petit carnet rédigé en captivité, qui décrit longuement l’expérience traumatisante de ces cinq jours et cinq nuits passés allongé sur le champ de bataille.

Photo dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 74

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Aribaud, André (1896-1989)

1. Le témoin

Né à Montolieu (Aude) le 27 décembre 1896 dans une famille de cultivateurs, fils de Joseph Aribaud et de Marguerite Combettes. Le lendemain de son succès au certificat d’études primaires en 1909, il entre au travail dans une usine textile (où, à partir de 1915, on produit du drap bleu horizon). Engagé volontaire pour quatre ans dans l’artillerie en 1916. Brigadier le 17 mars 1918. Maréchal des logis le 26 août 1919. Rengagé en 1920. Marié le 14 mars 1922. Sous-lieutenant en 1933. Commandant de réserve en 1953, puis lieutenant-colonel. Médaille interalliée, médaille militaire, chevalier de la Légion d’Honneur en 1950. André Aribaud est mort à Carcassonne le 31 mars 1989.

Photo d’André Aribaud dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 37.

2. Le témoignage

André Aribaud, Un jeune artilleur de 75, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 72 p., illustrations.

Texte rédigé en 1984, à l’âge de 87 ans, en suivant de près ses carnets de notes de l’époque et sans ajouter de commentaires anachroniques.

3. Analyse

Le premier chapitre raconte brièvement son enfance et son adolescence à Montolieu, petite ville d’industrie textile proche de Carcassonne, puis la période des classes au 3e RAC. Il arrive sur le front à Verdun en mai 1917, au 273e RAC (97e division), participe à la reprise de la cote 304 et du Mort Homme, puis à la défense face à l’offensive Ludendorff dans l’Aisne en mai 1918 (seule occasion de pointer à vue sur l’infanterie ennemie). En septembre 1918, le régiment est employé dans la reconquête de la poche de Saint-Mihiel et dans la poursuite jusqu’à l’armistice.

Le récit d’André Aribaud suit de près le contenu de ses carnets originaux, sans prise de position pour ou contre la guerre, mais avec des descriptions concrètes utiles pour illustrer l’accueil des bleus par les anciens, l’angoisse sous les obus à gaz, l’horreur du champ de bataille, la compassion pour les blessés, même allemands… Un chapitre explique précisément le fonctionnement de l’artillerie au front. André Aribaud montre, lui aussi, ce que Jean Norton Cru avait tiré de son expérience personnelle et de ses lectures : l’infanterie allemande sans défense contre un barrage par les batteries de 75, et celles-ci, à leur tour, victimes de l’artillerie lourde ennemie (Témoins…, p. 27). Les derniers chapitres de l’ouvrage portent sur l’occupation en Allemagne, les troubles en Haute Silésie en 1920-21, dans la Ruhr en 1923.

4. Autres informations

– Registre matricule, Archives de l’Aude, RW 642.

– Notice dans Les Audois, dictionnaire biographique, sous la dir. de Rémy Cazals et Daniel Fabre, Carcassonne, 1990, p. 39.

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