Guédeney, Alfred (1872-1958)

Adieu mon commandant. Souvenirs d’un officier (Présenté par Clémence Reynaud et Denis Rolland), Senones, Edhisto, 2018, 346 p.

Résumé de l’ouvrage :
« Pendant toute ma vie militaire j’ai écrit régulièrement à ma mère, lui racontant les détails de tout ce que je faisais, elle a conservé toutes mes lettres et je les ai retrouvées après sa mort. Lorsque j’étais séparé de ma femme je lui écrivais également et elle aussi a conservé cette correspondance. Enfin au cours des diverses campagnes que j’ai faites, j’ai noté au jour le jour sur des carnets le résumé des événements auxquels j’assistais et, la campagne finie, j’ai mis ces notes en ordre. C’est grâce à ces notes et aux lettres que j’ai écrites que j’ai pu rédiger ces souvenirs. C’est ce qui explique la précision de dates, de noms propres et de faits que j’aurais certainement oubliés en partie si je n’en avais pas retrouvé la trace écrite. » C’est par ces quelques lignes que Guédeney débute ses mémoires. Le manuscrit original comporte en tout six cahiers soit 1 500 pages environ couvrant la période 1892-1945. Découpé en 39 chapitres, il couvre l’intégralité de la carrière militaire de l’auteur. L’édition de ce corpus considérable a donc été limitée à l’ensemble des souvenirs de la période de la guerre de 1914-1918, c’est-à-dire les chapitres 14 à 32, et résumer les autres périodes. Ainsi le lecteur, plongé au cœur de la Grande Guerre, aura pris connaissance de la formation de l’officier et de sa carrière d’après-guerre. Le texte est écrit dans un style simple et clair, facile à lire, un peu influencé par le langage militaire. Il est organisé en chapitres cohérents avec résumé en tête. Quelques notes de bas de page le complètent parfois. Nous avons conservé cette présentation, même si elle peut paraître un peu désuète, car elle traduit les intentions de l’auteur et met en évidence les points particuliers du témoignage. Pour faciliter la compréhension du récit, nous avons ajouté des notes de bas de page. Pour les distinguer de celles de l’auteur, les premières sont signalées et précédées d’un astérisque. Les secondes sont numérotées. Ces souvenirs, terminés en février 1935, ont évidemment subi l’influence du contexte politique et social de l’entre-deux-guerres. Ce n’est pas trop sensible pour les événements directement vécus par l’auteur car les faits sont les faits. Il s’est d’ailleurs le plus souvent limité à rapporter les événements dont il a été un témoin direct. Au moment où il rédige ses souvenirs, il est en retraite ce qui lui donne une liberté d’écriture qu’il n’aurait pas eue avant. De plus, à cette date, beaucoup de protagonistes sont décédés. C’est le cas du général Gérard si souvent mis en cause. En revanche, moins de vingt ans après la fin de la guerre, certains épisodes, comme les mutineries de 1917, sont encore mal interprétés. Les explications données par Guédeney sont alors celles les plus communément admises à cette époque. Les notes et commentaires qui ont été ajoutés en bas de page permettent de rectifier ces erreurs. Les sentiments personnels sont pour ainsi dire absents de ses souvenirs, l’auteur ne se livre pas. Cela ne correspond pas à une dureté de caractère mais à un choix délibéré. Il s’agit avant tout de raconter sa carrière militaire et les événements extraordinaires qui l’ont marquée. Ce choix est rarement transgressé, comme lorsqu’il quitte le 9e BCP, le cœur serré écrit-il, « je ne pus m’empêcher de verser des larmes » mais il se ravise immédiatement, raye cette phrase pour la remplacer par « je ne pus m’empêcher d’avoir les larmes aux yeux », car un officier ne pleure pas. En 2013, 2 500 ouvrages pouvant être classés dans la littérature testimoniale ont été répertoriés. Le centenaire en a ajouté plusieurs centaines d’autres. Même si tous ne sont pas des témoignages authentiques, on comprend qu’il est bien difficile de situer celui de Guédeney dans cette immensité. En 1928, Jean-Norton Cru avait étudié 252 témoignages. Il les avait classés en cinq genres (journaux, souvenirs, lettres, réflexions et romans) et six classes, de la meilleure à la moins bonne. Quarante témoignages émanaient d’officiers de carrière et parmi eux, trois seulement appartenaient à la première classe, quatre à la seconde. Son critère de choix était la « vérité du témoin sincère qui dit ce qu’il a fait, vu et senti […]. C’est la vérité que l’historien, le psychologue, le sociologue prisent dans le témoignage. » À lire les souvenirs de Guédeney et tenant compte des recoupements que nous avons faits, il nous semble que son témoignage aurait été retenu par ce critique. Pour connaître la guerre, disait encore Jean-Norton Cru, il faut l’avoir vécu comme commandant de compagnie au maximum : « Seul celui qui vit jour et nuit dans la tranchée sait la guerre moderne… ». Néanmoins il relativisait cette analyse en classant parmi les meilleurs témoignages ceux du contre-amiral Ronarc’h et les lettres posthumes du colonel Bourguet. Ces deux seuls témoignages d’officiers supérieurs ne couvraient que le début de la guerre. Il ne semble pas que Cru ait connu de témoignages comparables à celui de Guédeney. Certes, depuis 1928, beaucoup d’ouvrages ont été publiés, mais on peut considérer que le corpus de 252 témoignages a valeur de sondage, ce qui souligne la rareté de celui de notre auteur. Parmi les ouvrages les plus récents et à titre d’exemple seulement, on peut tenter quelques rapprochements, au moins sur ce que Jean-Norton Cru a appelé « la vérité du témoin ». Sur sa période de commandant d’unité, le témoignage de Guédeney, dans sa précision et ses réflexions sur les combats, n’est pas sans rappeler celui de Paul Tuffrau. Le franc-parler et l’humour du général Guillaumat dans ces correspondances de guerre offrent aussi quelques similitudes avec ce témoin. L’intérêt de ces souvenirs est notablement accru par trois albums contenant plus de 600 clichés dont près de 250 de la Grande Guerre. Le choix éditorial des deux présentateurs de l’ouvrage, Clémence Reynaud, conservatrice du Patrimoine, et Denis Rolland, est en harmonie avec celui des mémoires : la totalité des clichés de la guerre et un nombre limité des autres périodes. Les albums étant parfaitement légendés, la publication des planches photographiques dans un format proche de l’original permet de donner plus d’authenticité à ces vues qui sont quelquefois exceptionnelles et en tout cas inédites.
Lorsqu’on se plonge dans ses souvenirs, on est surpris par la précision du récit. La comparaison avec les journaux de marche et opérations des unités auxquelles a appartenu Guédeney est édifiante. Ces derniers paraissent en effet sans grand intérêt. Il en est de même lorsque, chef d’état-major du 1er corps d’armée, il rédige lui-même le JMO. Dans ce récit, la haine de l’Allemand, omniprésente, n’est guère surprenante. Dans les années qui précèdent la guerre, partout en France elle est caricaturale et assumée. Depuis la guerre de 1870 et la perte de l’Alsace et de la Lorraine flotte un esprit de revanche. Remiremont est à une quarantaine de kilomètres de la frontière avec l’Alsace, ce qui donne un sentiment d’insécurité. Nous l’avons évoqué précédemment, la guerre de 1870 et la séparation de l’Alsace et de la Lorraine ont été mal vécues dans la famille de l’auteur. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner qu’il affiche continuellement sa haine des Allemands. Il semble d’ailleurs que ce sentiment progresse tout au long du texte comme s’il était en rapport avec l’importance des pertes et des destructions. Pétain, par exemple, a fait toute sa carrière en France. Les exactions commises par les Allemands contre les populations civiles au début de la guerre, contraires à la conférence de La Haye de 1907, vont contribuer à accroître le sentiment antiallemand. L’utilisation du mot « boche » participe à l’expression de cette haine. Mais il faut le nuancer, car il est alors couramment employé. L’auteur ne l’utilise d’ailleurs pas systématiquement. Denis Rolland a compté 195 occurrences pour Boche, 190 pour Allemand et 396 pour ennemi. De même, les affirmations sur l’odeur de l’Allemand, qui peuvent paraître extrêmement choquantes aujourd’hui, doivent être replacées dans le contexte de l’époque. Dès le début de la guerre, l’idée s’est répandue qu’une odeur nauséabonde accompagne l’ennemi. Elle imprègne les lieux occupés par les Allemands. Certains affirment même que les cadavres allemands sentent plus mauvais que les Français. Cette forme de dénigrement de l’ennemi est présente dans de nombreux témoignages, correspondances et articles de presse. Dès lors, on ne peut pas considérer qu’il s’agissait d’un simple objet de propagande mais bien d’un préjugé qui avait d’ailleurs trouvé un ancrage scientifique. Un médecin et psychiatre français reconnu, le docteur Edgar Bérillon, avait inventé toute une théorie pour expliquer le mystère de la mauvaise odeur allemande. Cette théorie, qualifiée à juste titre de « délire scientifico-patriotique » par J.L. Lefrère et B. Perche, était selon Bérillon le résultat d’une absence de contrôle des affects entraînant une sudation surabondante. Pour absurde qu’elle fût, cette rumeur s’est transformée en certitude tout comme ces espions qu’on voyait partout. Cette haine de l’Allemand est très fréquente dans les souvenirs des combattants mais elle est rarement si affirmée. Dans son intensité, elle est proche de celle que l’on peut lire dans les carnets de l’aspirant Laby. Mobilisé comme médecin, il réclame même la permission d’aller se poster toute une journée dans une tranchée de première ligne pour pouvoir tuer un Allemand. Pourquoi le fait-il ? Il ne sait pas l’expliquer. On peut se demander si ce n’est pas ce même sentiment obscur de vengeance qui conduit Guédeney à faire exécuter sur-le-champ un Allemand convaincu de pillage par les objets trouvés sur lui. On le voit tout au long du texte, Guédeney est proche de ses hommes, qu’il désigne souvent comme « mes braves gens ». L’expression peut paraître condescendante. Il ne faut pas s’y tromper, il s’agit bien d’une réelle proximité rendue possible par la modestie de l’auteur, par ailleurs soucieux du moral de ses hommes. Pour cela, il sait qu’il faut leur inculquer l’esprit de corps indispensable à la cohésion d’un groupe. Il s’oppose parfois aux ordres supérieurs qui conduiraient à « faire massacrer » ses chasseurs. Tout en mettant au premier plan la discipline, il ne néglige aucun moyen pour maintenir ou relever le moral de ses combattants. C’est ainsi que le 1er janvier 1915, il offre une coupe de champagne à ses officiers et sous-officiers. Il sait aussi fermer les yeux quand il le faut, dans l’intérêt du moral de la troupe. L’un des attraits de ces mémoires est de suivre l’évolution de la machine de guerre : changement de l’équipement du soldat avec le nouvel uniforme « bleu horizon » et le casque Adrian, compositions des unités, effets pervers de la loi Mourier, régime des permissions, etc. On y observe aussi l’apparition des nouveaux armements, mortiers Cellerier et grenades artisanales en novembre 1914, des grenades Viven-Bessière (V-B) et du fusil-mitrailleur en septembre 1916, et enfin des chars en 1918. L’auteur nous explique aussi le mécanisme d’attribution des décorations, qui sont parfois données automatiquement. Comme l’immense majorité des officiers de l’armée française, Alfred Guédeney n’aime guère les hommes politiques et affiche des idées conservatrices. Il n’a pas de mots assez durs pour qualifier l’action des parlementaires qui, selon lui, sont à l’origine de toutes sortes de difficultés que rencontre l’armée française. Toutefois, on peut se demander si ce n’est pas plus le régime parlementaire de l’époque qui est visé par ses critiques que les hommes politiques eux-mêmes. S’il y a bien eu l’Union sacrée pour entrer en guerre, la période 1914-1918 a été marquée par une grande instabilité ministérielle. Le jeu des partis et les luttes pour le pouvoir ne cessent pas durant le conflit, si bien que la majorité des officiers a parfois l’impression que l’intérêt du pays passe au second plan. Il y avait donc un véritable fossé entre les parlementaires et les militaires. Lyautey en a fait les frais avec un ministère de la Guerre qui ne dura que trois mois. Cette incompréhension des politiques est exprimée par l’auteur lorsqu’il relate la visite du vieux général Pédoya, devenu député : « Tout le monde sait que c’est le Parlement qui en est responsable [du défaut de préparation de la guerre], l’armée ayant toujours été jalousée et détestée par nos radicaux-socialistes, aussi fûmes nous stupéfaits d’entendre le général Pédoya faire un éloge dithyrambique des Chambres. À l’entendre c’étaient les députés et les sénateurs qui nous conduiraient à la victoire par les mesures habiles qu’ils avaient prises et qu’ils prenaient. Nous autres militaires, qui recevions les coups et risquions notre vie, nous n’avions qu’à nous effacer devant les bavards du Parlement qui, bien à l’abri, loin de tout danger, sauvaient le pays par leurs discours ». Pourtant l’arrivée du radical-socialiste Clemenceau est saluée par Guédeney. Sans doute parce qu’il est le seul parlementaire à se rendre régulièrement au front et que sa réputation d’autorité ne peut que satisfaire un soldat. Guédeney comprend alors que la France a enfin ce qui lui manque, un chef. Catholique pratiquant, l’auteur a pour autre cible les francs-maçons. Selon lui, ils auraient exercé un véritable contre-pouvoir dans le fonctionnement de l’armée. Le général Gérard aurait ainsi obtenu ses galons de général, puis aurait été protégé, grâce aux loges. Ce n’est pas exclu puisqu’après la guerre il devient président du conseil de l’ordre du Grand Orient. Sarrail, franc-maçon notoire, impliqué dans le scandale des fiches, est limogé en juillet 1915 mais retrouve un commandement à l’armée d’Orient. A contrario Joffre, lui aussi franc-maçon, est tout de même limogé à la fin de 1916. Faute d’étude globale sur ce sujet, il est bien difficile d’évaluer l’influence des loges durant le conflit. On peut d’ailleurs se demander s’il ne s’agissait pas d’un mythe ayant son origine dans le scandale des fiches. Ces fiches avaient été mises en place par le général André, ministre de la Guerre (1900-1904), afin de décider de l’avancement des officiers en dehors des notes de la hiérarchie. Elles étaient établies à partir d’informations fournies par les loges maçonniques du Grand Orient afin de repérer les officiers « réactionnaires ». Tout au long de ses souvenirs, l’auteur porte des appréciations sur ses subordonnés et plus encore sur ses supérieurs ; chaque fois que nous avons pu les confronter avec d’autres témoignages, elles dénotent une objectivité et une sûreté de jugement. Son analyse du caractère du général Mangin nous semble particulièrement pertinente sur laquelle nous reviendrons. Dès lors ces analyses sur les personnalités des généraux sont précieuses et peuvent faciliter l’interprétation de certains événements. Le témoignage apporte ainsi des informations inédites sur la préparation de la bataille du Chemin des Dames en révélant le comportement et le caractère irascible du général Mazel qui peut expliquer, à lui seul, l’échec de la Vème armée. En juin 1918, la désorganisation de l’armée française, consécutive à l’offensive allemande du 27 mai, est admirablement évoquée. Elle met particulièrement en évidence le désarroi du général Duchesne, incapable de maîtriser la situation. Le récit de l’entrée des troupes françaises en Alsace puis en Allemagne n’est pas d’un moindre intérêt. Rares sont les témoignages de militaires qui décrivent avec autant de détails l’accueil enthousiaste des populations aux soldats français en Alsace. Il contraste avec la curiosité respectueuse des Allemands assistant au défilé de ces mêmes troupes. Cette période semble avoir fortement marqué Guédeney, qui s’attache à en faire un récit particulièrement détaillé, accompagné de nombreuses photographies. Au total, on pourra retenir du témoignage de Guédeney un récit passionnant de l’engagement d’un bataillon de chasseurs et de son chef dans une guerre qui a désorienté tous les états-majors. Les problèmes de commandement et de relations avec les hommes y sont évoqués avec une rare acuité. Au fur et à mesure que l’auteur monte dans la hiérarchie, le témoignage se transforme et devient moins proche des hommes, plus sensible aux rumeurs. En revanche, il nous permet de mieux comprendre le poids du haut commandement, avec ses défauts et ses qualités, dans les destinées de la guerre. L’un des apports les plus importants dans ce témoignage est qu’il fut à la tête de la délégation de l’armée française reçue à la mairie de Colmar pour préparer le retour de l’Alsace à la France en novembre 1918 ; un tableau affiché dans la salle d’honneur de la mairie de la ville commémore la réception de cette délégation dirigée par Alfred Guédeney, premier officier français officiellement reçu par la municipalité.

Éléments biographiques :
Alfred Guédeney est né en 1872 à Vrécourt dans les Vosges et décédé à Saint-Priest-Ligoure en 1958. Il est issu d’un milieu relativement aisé. Son père est comptable à la société de construction des Batignolles, une grande entreprise de matériel ferroviaire installée à Paris. Après des premières études à Remiremont, il les poursuit à Paris au lycée Condorcet où il obtient un baccalauréat ès sciences. En 1890, âgé tout juste de 18 ans, il s’engage dans l’armée malgré une constitution jugée un peu délicate. Il écrit dans ses souvenirs qu’il n’a « jamais envisagé une autre carrière que celle de soldat ». Sa vocation a trouvé son origine dans la guerre franco-prussienne, pendant laquelle son père a servi aux zouaves de la garde impériale. Son enfance, passée à Remiremont, près de la frontière imposée par le traité de Francfort, est fortement impressionnée par les récits qu’il entend de ses parents évoquant « sans cesse les évènements de l’année terrible, l’invasion, l’occupation allemande, l’humiliation de la France ». Entré à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr avec un rang médiocre, 378e sur 461, il en ressort en 1892 dans un rang honorable, 85ème sur 454. Parmi ses camarades de promotion, on trouve quelques noms de la guerre, les généraux Serrigny et de Lardemelle, major d’entrée et de sortie. En 1897, il entre à l’école supérieure de guerre, formation indispensable pour accéder aux plus hauts grades de l’armée française. À sa sortie, il est 41e des 78 brevetés de la promotion. C’est honorable car il est particulièrement jeune. Ses camarades sont en effet plus âgés et bénéficient d’une expérience militaire qui manque encore à Guédeney. Au cours de ses années de formation, il s’est avéré être un médiocre cavalier ce qui, à une époque où la formation militaire est empreinte de tradition, aurait pu être un handicap. Dans son appréciation de sortie, le général Langlois, commandant de l’école de guerre, a bien cerné la personnalité du jeune officier : « la modestie lui nuit peut-être un peu. Paraît apte à faire un bon officier d’état-major et ne manque pas de qualité de commandement ». Cette modestie, parfois relevée au cours de sa carrière, a pu l’empêcher de progresser plus rapidement. Mais Guédeney est aussi un calme qui sait dominer ses émotions. Une réelle qualité pour un officier, qui garde son sang-froid dans les situations les plus difficiles. Il ne manque pas d’humour comme en témoigne un article paru dans la revue Armée et Marine du 17 janvier 1904. Avec son camarade Edmond Boichut, il publie une chanson illustrée de dessins de sa main, intitulée « En rev’nant de Montereau – souvenirs de l’école de guerre ». Ce trait de caractère qui vient parfois rompre l’intensité dramatique du récit. Les Garibaldiens puis les Russes en font les frais. En 1900, Guédeney appartient donc à ce corps des officiers brevetés, qui grâce à leur formation théorique de la guerre se considèrent comme l’élite de l’armée française. Ils affichent fréquemment une attitude hautaine vis-à-vis des autres officiers, ce qui ne semble pas être le cas de Guédeney. Certains font carrière dans les états-majors, mais doivent toujours alterner avec des commandements d’unités. Traditionnellement, ils demandent alors leur affectation dans un bataillon de chasseurs. Cela sera d’ailleurs le cas pour la première affectation de Guédeney. Sur les officiers brevetés parfois qualifiés de Jeunes-Turcs, il s’agissait d’unités mobiles chargées de combattre en avant de l’infanterie de ligne. En définitive, à la veille de l’entrée en guerre, par son milieu familial et sa formation, Alfred Guédeney incarne bien l’officier type de l’armée française, doté d’une solide expérience militaire acquise en grande partie en Algérie et au Maroc. Les notes contenues dans le dossier d’Alfred Guédeney sont continuellement très bonnes et parfois même élogieuses. Pour autant cela ne nous renseigne pas sur sa compétence car c’est généralement le cas pour un officier. Celui-ci avait d’ailleurs accès à ses notes et pouvait ainsi, le cas échéant, les contester si elles ne le satisfaisaient pas. En fait, ces commentaires sont plus le reflet de la qualité des relations de l’officier avec son supérieur direct qu’une appréciation sur sa compétence. Tout au plus peut-on dire que le commentaire appuyé de Weygand en 1923, venant de la part d’un général de haut niveau, témoigne d’une excellente compétence dans le poste qu’il occupait alors. Si on examine la progression de Guédeney tout au long de sa carrière, on constate qu’il est dans la moyenne : capitaine à l’âge de 31 ans, colonel à 46 ans. On peut être tenté de la comparer à celle d’un autre Vosgien d’un an son aîné, de formation et d’expérience comparable, Henri Claudel qui sera colonel à 43 ans. En définitive, l’impression générale qui se dégage de la carrière de Guédeney est celle d’un officier sérieux et compétent, passionné par son métier, et qui aurait sans doute pu progresser plus rapidement s’il n’avait pas été aussi modeste et réservé. Dans l’armée française d’avant 1914, un officier doit se marier avec une jeune fille de bonne condition, c’est-à-dire de moralité irréprochable et dotée de revenus suffisants. Une enquête de gendarmerie est d’ailleurs diligentée pour le vérifier. Au final, le ministre de la Guerre délivre l’autorisation de mariage. C’est ainsi qu’Alfred Guédeney se marie en 1903 avec Marie Thérèse Aline Robé. Issue d’une famille de la bourgeoise locale, elle est née en 1880 au Thillot où son père est percepteur. Le couple aura trois enfants, deux filles et un garçon. Quand sonne le signal de la mobilisation générale, Guédeney est rentré du Maroc et vient tout juste d’être nommé à la tête du 9ème bataillon de chasseurs à pied à Longuyon. La guerre déclenchée, la première partie de sa campagne le trouve au feu mais son extraction comme commandant d’unités à celle de l’Etat-major donne un témoignage composite, de la tranchée aux hautes sphères décisionnelles.

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 111 : Sur la différence ente ouvriers et paysans, n’aime pas les socialistes
122 : Conseil de guerre, ce qu’il en pense
124 : Guignol
125 : Sur les protégés des politiques
: Sur le sens du train, Somme ou Verdun
127 : Sur la volonté de combattre sur un brancard
134 : Légion d’Honneur
135 : Providence
142 : Guerre sans une égratignure
158 : Russes imbéciles
162 : Portugais
: Belges
163 : Affaire des chiottes belges non loués pour les officiers
170 : Anglais trop respectueux : « … les anglais sont tellement respectueux de la consigne qu’aux yeux de cet excellent major c’était presque de l’indiscipline de la part de notre infanterie d’enlever un point d’appui en plus des objectifs fixés »
174 : Voit Flameng
175 : Femme et enfants venant en vacances à Boulogne-sur-Mer
178 : Horrifié par les dégradations allemandes
: Noël 1917 à Remiremont
179 : Américains médiocres
197 : Sur sa vision des braves et des lâches
214 : Rétablit la vérité sur le concours américain lors de la 2ème bataille de La Marne
216 : Il n’a pas de mots assez durs pour les Allemands
220 : Justifie les châteaux pour les états-majors
226 : Le 30 septembre 1918, « le quartier général du 1er Corps d’Armée s’installait dans les Vosges à Cornimont. Son rôle actif dans la guerre était fini et nous ne devions plus prendre part à aucune opération sérieuse jusqu’à l’armistice »
229 : Sur la vue des régiments noirs américains inutilisables au front qu’à garder des secteurs calmes
229 : Fin de guerre
230 : Chef de la délégation reçue à la mairie de Colmar pour le retour à la France
234 : Voit Hansi

Yann Prouillet, août 2024

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