Haensler, Alphonse (1885-1986)

Curé de campagne, Paris, La France retrouvée, 281 p.

Résumé de l’ouvrage :
A 93 ans, Alphonse Haensler se penche sur son passé et se souvient de l’ensemble de sa vie et de son parcours religieux, exercé dans les Vosges. Ordonné prêtre le 1er juin 1912, il est mobilisé dans la Grande Guerre comme brancardier divisionnaire à Nancy. Occupé d’abord dans le secteur de Lunéville à la sanitarisation du front, il attrape la paratyphoïde à Bray-sur-Somme, qui l’éloigne de la première ligne. Après sa convalescence, et avouant un certain ennui à l’arrière, il demande à rejoindre le front et est affecté à l’hôpital de Neufchâteau. Il reçoit dans toute leur horreur les blessés du Bois-le-Prêtre ou des Eparges mais en janvier 1916, la Loi Dalbiez l’oblige à se porter volontaire comme brancardier régimentaire au 79e RI où son frère est déjà aumônier. Il connaît l’enfer de Verdun et traverse finalement l’ensemble du conflit en échappant à plusieurs reprises à la mort, nourrissant quelque peu le sentiment d’avoir été protégé, notamment par sa foi. Démobilisé en mars 1919 ; il regagne Thaon-les-Vosges où il avait été affecté comme vicaire juste avant la déclaration de guerre. Sa carrière comme prêtre se poursuit dans différentes petites communes vosgiennes, « vieux pays chrétien », jusqu‘à son entrée en 1968 à la maison de retraite de Docelles.

Eléments biographiques
Le 20 avril 1885 à Mont-lès-Neufchâteau (Vosges), Alphonse Haensler naît dans une famille militaire et paysanne d’origine alsacienne de trois enfants. Son père, dont la famille est de Dambach près de Sélestat, optant, est militaire, affecté à la surveillance du fort de Bourlémont, près de Neufchâteau. Il mourra le 7 novembre 1939. Sa mère, François Clog, épousée en 1884, (morte quant à elle le 14 novembre 1944) est très pieuse. De fait, il cultive très tôt, comme son frère, Eugène, son aîné d’une année (qui mourra le 30 octobre 1930 des suites de gazage au front), une vocation de religieux. Il entre à 15 ans au Petit séminaire de Châtel-sur-Moselle, puis celui d’Autrey, en classe de troisième, en 1902, fait son service militaire en 1905 au 79e RI de Nancy dans un climat particulièrement anticlérical. « L’hostilité était manifeste, les plaisanteries fusaient » (page 74). Il entre en octobre de la même année au Grand séminaire de Saint-Dié et est enfin ordonné prêtre le 1er juin 1912. Le 12, il est un temps vicaire à la basilique du Bois Chenu de Domrémy puis à Thaon-les-Vosges. C’est là que la guerre vient le chercher pour quatre années. Retourné à sa cure en mars 1919, il intègre enfin comme prêtre le petit village de Mortagne en 1927 puis celui d’Housseras en 1930. En pleine Seconde Guerre mondiale, en 1944, il est affecté dans la commune de Bellefontaine puis passe aumônier au couvent des Rouceux, près de Neufchâteau, l’année suivante. En 1948, il est nommé aumônier à l’hôpital d’Epinal. Après une longue vie sacerdotale, il entre à la maison de retraite de Docelles en septembre 1968. Le 2 octobre 1977, il reçoit la Légion d’Honneur et meurt à Saint-Dié-des-Vosges le 20 août 1986 à l’âge de 101 ans.

Commentaires sur l’ouvrage :
La guerre de l’abbé Alphonse Haensler ne représente que 16 pages sur une longue autobiographie de 192 pages. Mais l’intérêt de son témoignage est manifeste : il est particulièrement disert tant sur son métier que sur toutes ses implications, morales comme politiques. En cela le témoignage est précieux car le curé de campagne vosgien n’élude que très peu des sujets qui permettent tant une analyse psychologique que sociologique voire pratique du personnage, qui de plus fait montre d’une fibre politique (il dit page 189 : « Je me sens pleinement socialiste ») marquée, et de sa fonction dans le monde rural sur près d’un siècle, de 1888 à la fin des années 1970. Le 25 juillet 1914, il part en vacances en Alsace avec son frère, alors vicaire à Remiremont. Il y constate la préparation de guerre de l’Allemagne, qui l’impressionne, et rentre pour recevoir, à 2 heures du matin, son ordre de mobilisation. Patriote, il dit : « Nous n’avions qu’une peur : arriver à Nancy après les Allemands » (page 126) mais lucide sur le bellicisme s’appropriant la religion, le « Dieu est avec nous » répondant au « Gott mit uns », il ajoute : « Monstrueuse supercherie, escroquerie sans nom que de s’approprier le Ciel ! » (page 128). La guerre déclarée, il dit : « En tant que prêtre, il n’était pas question de porter les armes. J’avais été rappelé comme brancardier à la 11ème division de Nancy, où j’ai troqué ma soutane contre l’uniforme » (Page 129). Il est immédiatement confronté au vrai visage de la guerre. Il dit « : J’ai découvert l’horreur et l’impuissance, la douleur et la mort » (page 130). Les conditions de vie des premiers mois de guerre et sa fonction de brancardier le font finalement contracter, à Bray-sur-Somme, une paratyphoïde qui manque de le tuer (il réclame même l’extrême onction). Finalement sauvé, il entre en convalescence dans une clinique de Salins-en-Béarn, près de Pau, puis sur Troyes. Honnête, il dit : « J’aurais peut-être pu jouer les planqués jusqu’à la fin de la guerre, mais au bout de quelques mois, j’en avais assez, je m’ennuyais ferme, et par-dessus tout, je ne voulais pas prêter le flanc à la critique. J’ai demandé à être envoyé quelque part et reversé dans l’active » (page 132). Il est donc réaffecté comme infirmier à l’hôpital de Neufchâteau où il reçoit les blessés du Bois-le-Prêtre ou des Eparges. Se succèdent alors tableaux et visions d’horreur, assistant de chirurgien amputant « à tour de bras », s’endurcissant devant l’attitude, protéiforme, des hommes confrontés à la souffrance et à la mort. Le 4 juin 1915, la Loi Dalbiez le menaçant d’être obligé de « prendre le fusil », et entendant « rester fidèle au « Tu ne tueras point » », il demande à partir en première ligne comme brancardier. En mars 1916, il rejoint le front de Verdun et son frère, aumônier au 7-9. Immédiatement il est en pleine fournaise et s’interroge, entre chance et protection divine, lorsqu’un obus n’éclate pas entre eux deux ou quand il échappe aux balles en juin 1917. Voyant se succéder à son endroit ce type de miracle, il en nourrit une conviction qu’avec l’aide du Sacré-Cœur, il bénéficie en effet d’une protection divine. Il dit : « Dans cet enfer quotidien, je priais Dieu, et de toute la guerre, je n’ai jamais eu peur. J’avais le sentiment que Dieu me protégeait, qu’il ne m’arriverait rien » (page 138) ou plus loin, alors qu’une de ses messes est bombardée, il prie en disant « Pas maintenant seigneur » ! (page 141). Non combattant, il reçoit pourtant en juillet 1916 dans la Somme la Médaille militaire après avoir, brandissant le fanion du Sacré-Cœur, entraîné les hommes à l’attaque. L’arrêt des combats le cueille à Hirson, à la frontière belge : « … nous étions tous fous de joie, on s’embrassait comme des gosses, ivres de bonheur. C’en était donc enfin fini des balles, des obus, du cortège des blessés et des morts, du froid, de la boue, de l’horreur. Subitement, le silence s’est installé sur tous les fronts et il a fallu du temps pour s’habituer » (page 141). Il est démobilisé à Nancy en mars 1919. Dans son ministère d’après-guerre, celle-ci reste source d’inspiration : « J’avais mis sur pied une troupe de théâtre dont le répertoire était souvent puisé dans le registre patriotique de la Grande Guerre » (page 144). Sa guerre, courte mais dense, contient peu de précisions et quelques erreurs toponymiques (Arancourt pour Arracourt, page 130 ou place Hirson sur la côte belge, page 141). Le reste du témoignage, rédigé en toutes connaissances de cause, Haensler citant Bernanos et son Journal d’un curé de campagne, conserve un caractère référentiel sur la diversité des sujets touchant à un ministère de prêtre, avant et après la Grande Guerre, sa psychologie et sa matérialité dans le monde politique comme dans son évolution dans une société connaissant elle-même de profonds bouleversements sociologiques. Ce témoignage possède également un indéniable intérêt anthropologique, distillant anecdotes sur les us, coutumes, légendes et quotidienneté, entrant dans le paradigme des Arts et Traditions Populaires, y compris pour le vocabulaire. Il ne manque pas non plus d’humour (notre témoin n’hésitant pas à évoquer qui s’est endormi lors d’une confession !) et décrit même l’économie de son métier. C’est aussi un témoignage autoanalysé de la fonction « politique » du prêtre, entre loi séparative, anticléricalisme, communisme, tant Haensler n’hésite pas à s’aventurer sur le terrain politique quand la nécessite, notamment communale, s’impose. L’ouvrage se termine par une longue analyse chiffrée des prêtres et de l’église dans le temps du témoignage du curé Haensler par Julien Potel, membre de l’association française de Sociologie religieuse et Roger H. Guerrand, chargé de cours à l’EHESS. Cet appendice permet de densifier le témoignage sur des concepts, (hydre du modernisme, du presbytère à l’usine), des chiffres (le diocèse et les inventaires, les curés sacs au dos morts dans la Grande Guerre, le nombre de prêtres en fonctions des époques, la loi de séparation de 1905)) ou des notions (le mythe du bon curé, etc.).

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 20 : Réflexion sur la sexualité et son évolution sociétale (vap 163 sur la tentation des jeunes filles, traumatisme du curé d’Uruffe ou par le défroquage de celui d’Housseras)
107 : Nom des différentes prières de la journée
121 : Rétribution des prêtres en 1912, prix des meubles
124 : Est en Alsace fin juillet 1914, vision de l’armée allemande prête à envahir la France, « magnifiquement équipée »
130 : Décrit la réalisation d’une fosse commune : « … pour qu’ils tiennent moins de place, j’ai dû les ranger dans une grande fosse commune de quatre mètres de profondeur, j’y suis descendu les coucher les uns à côté des autres, leur mettre la capote sur la tête et passer à un autre rang »
132 : Horreur des blessés du Bois-le-Prêtre puis des Eparges, dégoût et foi vacillante, puis finit par s’endurcir
133 : Attitude et diversité des blessés
135 : Honte de la Loi Dalbiez, qui envoie les prêtres au front
136 : Tu ne tueras point est un problème en guerre
138 : Horreur d’un pilote d’avion abattu, description du corps après sa chute
139 : Evoque Claire Ferchaud et le Sacré-Cœur de Jésus. Le 26ème RI de Nancy surnommé « régiment du Sacré-Cœur », retour à la foi
141 : Messe au front
145 : Après-guerre, invente un cerf-volant « de propagande » répandant des messages sur Thaon-les-Vosges
148 : Vin de messe venant de Bordeaux, vicaire de Saint-Dié assistant à la vendange
149 : Affaire du nom d’un voleur assassin donné par la victime mourante, problème du secret de la confession
155 : Affaire de l’empoigne, coutume locale des habitants de Mortagne
156 : Scandale des petites filles dénudées lors des visites médicales
182 : S’endort lors d’une confession !
186 : Location de chaises à l’église et les trois classes d’enterrement, inégalité
194 : Sur André Lorulot, libre-penseur et anarchiste contre qui s’est opposé Haensler (vap 261)
195 : 9 mai 1940, bombardement de Rambervillers
196 : Fidèle à, Pétain car ancien combattant de 14-18
198 : Son rôle pendant la 2ème Guerre mondiale, évoque la Résistance mais n’en fit apparemment pas partie
206 : Son hygiène de vie, sa longévité, ses jubilés

Yann Prouillet, août 2024

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