Le témoignage du général Messimy, sous le titre Mes souvenirs, a paru en 1937 aux éditions Plon à Paris, selon la volonté de l’auteur d’attendre après sa mort (1er septembre 1935) pour la publication. Il comprend une introduction de 22 pages sans nom d’auteur, le texte principal de 382 pages et des documents justificatifs en annexe sur 42 pages. Le texte de Messimy est divisé en trois parties chronologiques : 1869-1911 ; 1911-1914 ; 1914. Il ne traite pas des commandements exercés à partir de septembre 1914, mais l’introduction en donne le résumé. À la fin de la guerre il était général de brigade, commandant une division.
La première partie évoque sa naissance à Lyon le 31 janvier 1869, fils de notaire, et son enfance dans une famille bourgeoise. Études classiques, Saint-Cyr, école de guerre. Il assiste à la dégradation de Dreyfus, persuadé comme tous les Français de la culpabilité du capitaine juif, puis la campagne de Zola lui ouvre les yeux. Il décrit ainsi les antidreyfusards :
« Dans le clan antidreyfusard, une foule de braves gens, ardents patriotes et Français de vieille souche, qui, n’ayant jamais lu que le Petit Journal ou l’Éclair, considéraient la culpabilité de Dreyfus comme une des bases fondamentales de la défense nationale, vérité révélée qu’il était criminel de discuter. Tout amour-propre mis à part, c’était là qu’on rencontrait le plus d’imbéciles. »
« Mis au ban de la société », selon son expression, il démissionne en août 1899 de l’armée dans laquelle on ne peut parler librement et dont l’honneur aurait été de réviser elle-même le procès Dreyfus. Il exerce alors pendant trois ans la profession d’agent de change en continuant à s’intéresser aux questions militaires. Dans un article qui attire l’attention, il préconise un service court, l’utilisation intensive des réserves et la forte organisation de l’armée de couverture. Il se lance en politique en devenant en 1902 député radical du 14e arrondissement de Paris.
La deuxième partie commence avec 1911, « l’année d’Agadir ». Messimy occupe le poste de ministre des Colonies pour un temps très court. Surtout il est le ministre de la Guerre du cabinet Caillaux, de juin 1911 à janvier 1912, pour quelques mois seulement, mais en une période critique. Messimy admire Caillaux, « un homme au cerveau lucide, qui désirait la paix mais ne la bêlait point » et qui a su obtenir un accord favorable à la France sur la question marocaine. Pour le poste de commandant en chef des armées françaises en cas de guerre, il faut choisir entre deux candidats, Gallieni et Joffre. Le premier invoque son grand âge, et Joffre est retenu. Messimy reconnait ses qualités de calme et d’organisation rigoureuse, mais il aura en période de guerre, dès 1914 et au cours des années suivantes, à le critiquer et à constater la supériorité de Gallieni :
« Pendant les années 1915 et 1916, alors que, commandant de régiment ou de brigade, je recevais l’ordre de préparer, sans raisons plausibles, des attaques vouées à l’échec certain et que je considérais comme des sacrifices inutiles, j’ai souvent maudit Joffre, son grignotage sanglant, son entourage d’officiers brevetés qui n’avaient jamais marché à l’ennemi sous le feu des mitrailleuses et des canons. Et je me suis adressé bien souvent le véhément reproche de ne pas avoir choisi Gallieni. »
Messimy rectifie une erreur commune selon laquelle l’idée de renforcer l’artillerie lourde aurait été combattue par le Parlement ; en fait, l’opposition est venue des services techniques de l’artillerie attachés au canon de 75. Quant à développer les forces locales en Afrique du Nord, l’opposition aurait été celle des colons inquiets de l’armement des indigènes.
Aux élections législatives de 1912, Messimy choisit le département de l’Ain, plus sûr que Paris. Dans ses souvenirs, place est faite à l’épisode amusant qui voit l’ex-ministre de la guerre résister aux avances de Mata Hari, pourtant « d’un éclat de beau fruit doré au soleil ». En mars et avril 1913, il visite les champs de bataille de Thrace où il apprend beaucoup des conditions de la guerre moderne. Conscient du danger pressant en 1913, il est cependant contre la prolongation inutile de l’encasernement mauvais pour le moral. Il s’oppose au pantalon rouge avec des arguments sensés mais se heurte à l’Écho de Paris, l’Illustration, l’Éclair et divers politiciens intervenant au nom du prestige de l’uniforme : « Faire disparaitre tout ce qui est couleur, tout ce qui donne au soldat son aspect gai, entrainant, rechercher des nuances ternes et effacées, c’est aller à la fois contre le goût français et contre les exigences de la fonction militaire. » (L’Illustration, 9 décembre 1911, cité par Messimy)
La troisième partie est centrée sur sa nouvelle fonction de ministre de la guerre dans le cabinet Viviani, de juin à août 1914. Il est d’abord question de la non-application des poursuites prévues au carnet B, puis d’aider Joffre à « ne pas perdre la guerre », tant ses plans sont ineptes. Messimy affronte « l’écrasante tache de porter la France sur le pied de guerre ». Il fait appel aux troupes d’Afrique. Il obtient l’accélération de l’offensive russe contre l’ennemi principal en Prusse orientale. Il s’occupe de la liaison avec les armées britannique et belge. Il nomme Gallieni gouverneur militaire de Paris et il oblige Joffre à lui donner des forces pour attaquer le flanc de l’aile droite allemande.
Messimy reconnait que l’article du sénateur Gervais stigmatisant les troupes du Midi du 15e Corps était « une injustice, une erreur et une maladresse », et qu’il aurait dû le censurer : « La vérité m’oblige à dire que d’autres grandes unités, originaires d’autres régions de France, ne tinrent pas mieux dans les premières rencontres. » Le 15e Corps n’est pas responsable de l’écroulement du plan de campagne du général en chef.
Les rapports avec le GQG sont difficiles, Joffre ne donnant pas d’informations au gouvernement, surtout quand les nouvelles sont mauvaises, et elles le sont. D’autre part, le conseil des ministres est composé d’hommes « pour lesquels parler c’est agir ». La « brutalité » de Messimy et son franc-parler déplaisent. Pour faire place à une combinaison politique intégrant Millerand, Delcassé et Briand, Messimy est écarté. Nouveau ministre de la Guerre, Millerand restera inféodé à Joffre, et celui-ci sera intouchable après la victoire de la Marne qui doit beaucoup à Gallieni.
Le témoignage est intéressant à lire et assez convaincant. Comme il est de règle pour les personnalités ayant exercé de hautes responsabilités, Messimy présente les documents nécessaires à la justification de son action. Bien que plusieurs de ses positions sur l’organisation de l’armée soient proches de celles de Jaurès, cette proximité n’est jamais revendiquée.
Rémy Cazals, février 2024.
On peut consulter le livre de Christophe Robinne, tiré de sa thèse d’histoire, Adolphe Messimy 1869-1935, Héraut de la République, Paris, Éditions Temporis, 2022.