Trois ans de guerre. Lettres et carnet de route du capitaine Edmond Genty connut une première édition posthume en janvier 1918 chez Chapelot (Paris). L’ouvrage de quelques 80 pages dont on ignore la genèse (choix des lettres ?) a été lu par le critique ancien combattant Jean Norton Cru. Dans Témoins, Cru le place au rang des témoignages médiocres essentiellement en raison du caractère « abrégé » des passages publiés. Les éditions de la Fenestrelle propose en 2022 une nouvelle édition augmentée d’une introduction importante et de notes rédigées par François Pugnière. Elle permette de mieux appréhender lettres et carnets de l’officier d’artillerie de campagne Genty « mort pour la France » le 23 mars 1917 au nord-ouest de Verdun : contexte familial, études, participation aux combats. Elle contient également quelques clichés collectés par Edmond (mars-avril 1917). Ils sont complétés par l’album photographique du maréchal des logis-chef Émile Renaud appartenant à la même unité que Genty dont il fut une partie de la guerre sous les ordres. L’ensemble offre des clés très utiles de compréhension de l’expérience de guerre racontée dans les lettres et carnets de l’artilleur.
Trois ans de guerre s’inscrit dans les témoignages d’autres intellectuels, officiers de réserve comme Maurice Genevoix, Charles Delvert ou André Pézard. La famille du soldat décédé, liée au monde de l’édition (Paul, le frère d’Edmond, travaille au Figaro), profite de l’engouement du public pour les récits de guerre et fait publier une mince partie de la correspondance adressée par Edmond à sa mère, à sa fiancée ou à sa sœur, ainsi qu’une partie de ses carnets. Ce qui n’a pas été publié est aujourd’hui disparu. Une préface est confiée à un ami journaliste Paul Brulat. Elle témoigne d’une volonté de la famille de produire une œuvre panégyrique, mêlant la mémoire du disparu à la description de « l’âme du soldat français », à celle de la « France réconcilié dans la conscience de ce qu’elle doit à ses enfants martyrs. » On retiendra de cette préface le souhait exprimé que l’hécatombe ne soit pas été vaine. Le recueil de texte devient ainsi présenté un monument de papier à la mémoire mythifiée du héros combattant.
Les lettres de Genty à sa famille ont vocation avant tout à rassurer lorsqu’elles sont adressées à sa mère (« je vais bien, je mange bien, je dors bien » (3 octobre), « nous ne sommes guère à plaindre » (6 février 1915). La violence des premiers engagements est minimisée lorsqu’ils sont évoqués sur le moment. Cependant, lorsque Genty rappelle les combats de Dieuze (offensive de Lorraine – août 1914) afin de réhabiliter les troupes du 15e corps accusées de couardises, il souligne les pertes effroyables, la décimation. Lié au monde du journalisme parisien, il tente d’ailleurs de « faire défendre dans Excelsior le 15e corps calomnié » (27 octobre 1914, carnet de route). Rapidement, la lutte contre les éléments (froid, pluie) s’impose : « Quand sortirons-nous de la tempête, de la pluie, de la boue ? Mille fois pires que les obus allemands ! » (20 septembre 1914). Qui tuent pourtant.
A partir d’octobre 1914, la guerre de position s’installe l’artilleur Genty et ses camarades dans une vie de campagne alternant violence et une « vie de garnison », à la merci de la promiscuité et des intempéries. Genty connait plusieurs affectations depuis les premières lignes jusqu’à quelques kilomètres du front, formation de servant de canon de 80 de montagne ou de 75 contre avions. Le temps du combattant est haché. Ennui et routine d’un côté, écrasement et morts nombreuses de l’autre notamment à l’été 1915 sur le front de l’Argonne à l’Ouest de Verdun.
Edmond Genty développe rapidement sentiment d’une guerre longue avec son frère mobilisé dans le Train : « Elle est trop coûteuse et trop engagée pour pouvoir se terminer en queue de poisson » (27 novembre 1914). Il s’agira de détruire les usines en Allemagne sans toucher « les monuments d’art et les villages ». Genty mentionne dans son carnet une exécution d’un soldat français pour « abandon de poste en présence de l’ennemi auquel il assiste le 11 novembre 1914 : « cérémonie peu attrayante ». La « cafard » s’impose et commande de penser à un ailleurs plus actif : « J’envie les troupes et les camarades qui vont aller débarquer en Turquie. » (7 mars 1915). A travers le vocabulaire employé à dessein comme « cafard » ou « cagnas », Edmond Genty témoigne de son adaptation à la guerre, à son environnement matériel comme humain (vocabulaire de l’argot militaire). Les semaines passant, il limite les pensées profondes pour adopter une posture quasi professionnelle, en multipliant les comptes rendus d’opération, les bombardements, etc. Il insiste également sur les paysages lunaires du champ de bataille, de la Marne ou de Verdun. Il visite les ruines des villages, fasciné comme d’autres soldats sur les capacités de destruction de cette guerre où il faut tenir. Le feu, la mort des hommes, des « amis », des camarades, transforme aussi le soldat : « Il y a bien des gens, voire bien des milieux que la guerre n’aura pas dérangés, et certains assurément ne souhaitent qu’une chose : c’est qu’elle dure le plus longtemps possible » (3 juin 1916). Embusqués, profiteurs, dirigeants laissent seuls les soldats (fantassins ou artilleurs) face à la dure condition des tranchées et de la vie au front. Cet état d’esprit sourdre de nombreuses lettres malgré tout derrière l’autocensure manifeste de l’auteur. Jean Norton Cru a souligné l’intérêt de ces paroles lucides de la part d’un officier et d’un intellectuel qui laisse, malgré sa brièveté, un témoignage d’une belle clarté.