André Letac est né le 12 décembre 1890, deux ans après son frère, Jules (1888-1981). Leurs parents tiennent une boucherie aux Authieux-sur-Calonne, un village normand situé près de Pont-l’Évêque (Calvados) ; leur père, qui est aussi éleveur de bétail, fait partie des notables locaux. Les deux frères sont scolarisés au collège de Pont-l’Évêque. Jules se marie en 1912 et s’installe comme boucher à Honfleur. André se marie en février 1914 et reprend la boucherie de son père aux Authieux ; il est aussi commissaire en bestiaux, chargé de vendre les animaux de ses clients à La Villette (Paris).
En août 1914, les deux frères sont mobilisés : André comme sergent au 5e RI et Jules au 119e RI. Ces deux régiments normands forment la 12e brigade de la 6e division d’infanterie ; ils sont engagés en Belgique et combattent près de Charleroi. Le 29 août, André Letac est blessé à Guise, pendant la retraite, puis évacué. En novembre, il rejoint son régiment dans l’Aisne, au nord de Reims, où il restera jusqu’en avril 1915. À cette date, André Letac est nommé adjudant de bataillon. De mai 1915 à février 1916, le 5e RI combat en Artois (secteur de Neuville-Saint-Vaast) et dans la Somme. En mars 1916, André Letac est promu sous-lieutenant. En avril 1916, le 5e RI est engagé à Verdun, notamment à Douaumont, où André Letac est fait prisonnier le 1er juin. Il est interné à Mayence jusqu’en décembre 1917, puis à Strassburg en Prusse orientale. Le 16 décembre 1918, il est rapatrié à Dunkerque.
En mars 1919, André Letac reprend ses carnets de guerre et rédige ses souvenirs sous forme de récit continu. Ses cahiers seront découverts après sa mort, en 1957, par son épouse, qui les confie à Jules Letac. C’est la petite-fille de Jules, Marie-Josèphe Bonnet, qui les publie en 2010.
Pendant la nuit de Noël 1914, le sergent André Letac donne l’ordre de tirer : « Nous avions remarqué les Allemands construisant, dans la journée, un autel dans leur tranchée. Nous signalons ce fait au commandant, mais nous recevons comme réponse l’ordre de les laisser tranquilles… sans doute ses convictions religieuses l’empêchent-elles de faire tuer des ennemis ce jour-là, c’est dommage, car la cible est excellente. […] Bientôt, nous voyons se dérouler une procession. […] Malgré l’ordre, je fais tirer immédiatement ; la procession s’évanouit » (p. 65 et p. 68). Il ajoute : « Cette musique et ces chants par cette belle nuit étoilée, dans une trêve coupée de rares coups de feu, empoigne littéralement. On oublie que notre mission est de tuer, on ne songe qu’à goûter quelques minutes agréables sans se soucier du lendemain » (p. 68).
Les 16 et 17 février 1915, il participe à l’attaque du bois du Luxembourg (au nord de Reims), qui se solde par la mort de 1471 hommes et qu’André Letac qualifie de « carnage sans nom ». Il note : « Je considère cette attaque comme l’attaque type au début de la guerre de tranchée, attaque qui ne trouve sa raison d’être que dans quelques lignes supplémentaires au communiqué officiel » (p. 81).
En février 1916, il relate un bombardement français, qui a dévasté un petit bois occupé par des Allemands au sud de Lihons (Somme), ce qui provoque l’indignation de la relève : « Le 26, vers 4 heures, nous sommes relevés par le 308e RI rentrant de Crèvecoeur. Les soldats sont outrés de la façon dont nous avons agité leur secteur. Ils appellent la 6e division d’infanterie division rouge. Fini le secteur calme. Envolées les relèves tranquilles où un accord tacite faisait le danger presque nul » (p. 131).
Si André Letac s’exprime en patriote : « la sublime défense de la Patrie » (p. 104), « nos brillantes offensives de septembre 1915 » (p. 134), cela ne l’empêche pas de dénoncer les fautes du commandement militaire (p. 43-45, 74, 76, 81, 92, 95, 115-117, 123-126, 132, 136, 159-160), ni de relever les souffrances : « qui pourra dire jamais les souffrances endurées par ces pauvres êtres imprégnés d’eau et de boue à qui était confiée la défense de notre belle France ! » (p. 91-92 ; voir aussi p. 22, 114, 132).
Il décrit avec sensibilité la vie dans les tranchées et le piteux accoutrement des combattants (p. 69-72), les soirs de bataille peuplés de blessés et de morts (p. 40, 77, 102-105), les cantonnements de repos infects (p. 123-126), une relève de nuit près de Verdun (p. 137-141), les périls encourus par les pourvoyeurs d’artillerie à Verdun (p. 144-145), les troupes entassées dans le tunnel de Tavannes (p. 152-153).
A Mayence, ils sont environ 400 officiers français, anglais, belges et russes prisonniers dans la forteresse. André Letac détaille les aspects quotidiens de la captivité : discipline, promiscuité, nourriture, activités, etc., et souligne l’importance des lettres et des colis reçus : « Les lettres empêchent la folie de beaucoup de prisonniers, mais c’est grâce aux colis qu’ils sont sauvés de l’inanition » (p. 183). Il mentionne un lieu de représailles établi dans une gare bombardée par les Alliés : « Une quarantaine de nos camarades dirigés sur Arnage Pencourt [cette localité est-elle bien orthographiée ?] y endurèrent un véritable martyre et rentrèrent dans un état de dépression épouvantable. La cause avouée de cette conduite inhumaine était d’obliger la France à évacuer les prisonniers allemands dans une zone située à au moins 30 kilomètres de la ligne de feu » (p. 201). Il arrive ensuite au camp de Strassburg, situé au-delà de la Vistule. La discipline y est stricte car les conditions de détention visent à faire pression sur la France, pour qu’elle accepte l’échange des prisonniers et l’internement en Suisse des prisonniers les plus anciens.
Le texte contient diverses inexactitudes : localités mal orthographiées (comme « Senchez » mis pour « Souchez », p. 87) ; dates erronées (comme « 22 mai » mis pour « 22 septembre » [1915], p. 100) ; confusions (comme « la pauvre 5e » mis pour « le pauvre 5e » [RI], p. 59 ; « La bataille de Verdun » mis en titre p. 127 avec la date du 21 février 1916, alors qu’André Letac n’arrive à Verdun que le 6 avril p. 135).
André Letac, Souvenirs de guerre 1914-1918, Présentation et notes de Marie-Josèphe Bonnet, Editions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, 2010, 237 pages.