Élie Frédéric Bessière est né le 8 octobre 1880 à Mazamet, de Pierre Bessière (entrepreneur en maçonnerie à Hautpoul) et de Noémie Sire (elle tenait une auberge dans la gorge des usines sous le village perché d’Hautpoul : repas pour les ouvriers, débit de boissons, il parait que pour tenir tête à certains clients avinés elle utilisait un fouet pour se faire respecter). Il avait un frère, Émile qui a pris la suite du père (maçonnerie).
Il semble qu’il ait fait des études jusqu’au niveau 6e-5e et ait obtenu le certificat d’études (aux dires de son fils, Pierre). Par la suite il a été un temps maçon puis a changé en devenant compagnon du tour de France en tant que charron. Il a été formé à Sérignan dans le Bas-Languedoc, son chef d’œuvre a été la réalisation d’une paire de sabots en bois de citronnier.
Il s’est installé en ville à Mazamet en 1903 et a épousé en octobre 1913 Julie Bonnet (1887-1994) qui était bonne dans une famille de Mazamet, fille d’un tisserand et d’une ménagère originaire du hameau des Raynauds, commune de Saint-Amans-Soult.
Julie avait mis une condition au mariage : elle ne reprendrait pas le bistrot dans la gorge de l’Arnette. Ils se sont alors construit une maison au lieu-dit « la Maylarié », commune d’Aussillon, limitrophe de Mazamet.
De leur union sont nés deux enfants : Juliette en 1914, et Pierre en 1920.
Frédéric a été charron-entrepreneur toute sa vie. Il est décédé le 10 septembre 1951 d’une crise cardiaque, à Aussillon.
Service militaire : classe 1900, bureau de recrutement Carcassonne, n° registre matricule 1305. Incorporé au 15e RI à compter du 14/11/1901 jusqu’au 16/09/1902 ; mobilisé le 01/08/1914, passé au régiment mixte colonial de la 1ère division du Maroc le 24/09/1914, puis au 6e bataillon colonial le 07/11/1914. Porté disparu le 18/12/1914 à Mametz, Somme (le courrier officiel annonçant sa disparition à son épouse est en date du 09/04/1915). Prisonnier (voir ci-dessous). Rapatrié le 15 janvier 1919, démobilisé le 27 février 1919.
Prisonnier de guerre : au camp de Mersebourg (près de Leipzig), 4e compagnie n° matricule 5738 A. Les cahiers ont été rédigés dans le camp de Wetzlar-sur-Lahn (près de Coblence). Il a participé aux travaux des champs où un compagnon de détention (surnommé « le feignant de Tanus », originaire de Vaour, Tarn) lui aurait appris à « saboter » l’effort de guerre allemand en détruisant les récoltes. Au cours de sa captivité il a réalisé de petits objets d’artisanat : ma famille possède encore un petit sac en macramé, un petit coffret sculpté et de petits cadres pour exposer des photos (le tout en merisier, le bois provenant de planches allemandes…).
Renseignements fournis par son arrière-petit-fils Baptiste Bessière.
Les deux cahiers contenant ses souvenirs de guerre sont allemands, aux couvertures illustrées de drapeaux, de cartes de la Saxe et de l’Allemagne, d’un résumé chronologique d’histoire, des tables de multiplication. Titre : « Mémoires. Impressions et souvenirs tragiques de ma campagne. Traduit [pour : transcrit] au camp de Wetzlar, près Coblence ».
Départ de Toulon en présence d’une foule enthousiaste, le 25 septembre 1914. Voyage dans de froids wagons à bestiaux. Au nord d’Epernay. Découverte des maisons détruites, chevaux morts, petites croix de bois et tas de terre fraichement remuée. Marches. Arrivée dans des tranchées profondes de 50 cm. Attaque arrêtée par les mitrailleuses : il ne reste qu’à se coucher et à creuser un trou à la cuillère. Les cris des blessés : quelle horreur chez des peuples que l’on disait en marche vers le progrès. Une deuxième attaque met hors de combat 784 hommes sur 1200.
Vers le domaine des Marquises, trouvé un blessé du 162e qui était dans un trou depuis trois jours (« un homme de 32 à 35 ans, à peu près de mon âge »). Le soir, Bessière et des camarades vont le chercher et le conduisent au poste de secours où ils sont menacés de punition par le major (attitude indigne).
1er et 2 octobre sous le feu. Corvées d’alimentation impossibles. Les soldats sont brûlés par la fièvre, presque fous ; les sapins sont hachés ; un obus sur une tranchée occupée par des Algériens tue 18 hommes, pulvérisés, têtes, bras, jambes… Le 4 octobre, patrouille vers une tranchée allemande abandonnée à des cadavres qui empestent ; découverts, les Français sont pris sous le feu et ont des tués.
« Je me demande quand cette impitoyable guerre finira. »
Mort du capitaine Reynaud, aimé de ses soldats, bon père de famille.
Repos dans l’Oise à Orvilliers : jours merveilleux.
9 décembre, tranchées pleines d’eau à Lassigny. Attaques à la baïonnette. Défilé devant le général de Castelnau. Repos : rencontre de camarades de Mazamet.
Attaque de Mametz (16 décembre). Dans le terrain détrempé, les obus font des trous énormes mais cela supprime les éclats. L’attaque réussit, puis échoue par manque de renforts. Il faut la tenter de nouveau. Bessière et son camarade Jougla ont ordre de sortir les derniers et de tirer sur ceux qui reviendraient en arrière. Jougla est tué, puis l’adjudant, puis le capitaine. Coincés dans un boyau par le tir des mitrailleuses, Bessière et quelques camarades sont capturés (impossible de se défendre à la baïonnette dans un boyau). Les Allemands sont d’une politesse extrême, nous appelant « Camarades français » (voir la notice Tailhades Fernand). « Vous êtes des braves commandés par des ânes », leur dit l’officier, en français (Bessière est surpris de voir tant d’officiers allemands parlant le français).
Le lendemain matin : « Camarades français levez-vous, une Française veut vous donner du café et du lait. »
Le texte de Frédéric Bessière s’arrête là, sur cette phrase.
La famille a l’intention de confier ces documents aux Archives du Tarn pour numérisation.
Rémy Cazals, novembre 2016