Le témoin
Amédée Muyls, septième enfant d’une famille de cultivateurs, a fréquenté l’école jusqu’à douze ans. Jardinier depuis 1910 à Saint-Pol-sur-Mer près de Dunkerque, il est mobilisé au 310e Régiment d’infanterie en août 1914. Au front jusqu’en février 1915, il est blessé et évacué à Quimper ; malade, il passe par Breuzec et La Ferté Bernard, et revient après avril 1916 comme brancardier au 110e RI jusqu’à la fin de la guerre.
Le témoignage
Jean-Marie Muyls, vice-président de la société « Généalogie et Histoire du Dunkerquois », a retrouvé en 1994 dans le fond d’une vieille malle un petit carnet de 42 pages manuscrites qui contiennent les notes de campagne d’Amédée Muyls son grand-père. Ces notes vont de la mobilisation à février 1915. Une suite à ce carnet, dont l’existence est avérée, a disparu. Nous avons consulté un envoi électronique de 18 pages format A4, avec des photos ajoutées qui viennent des archives familiales (conversation téléphonique avec J.M. Muyls juin 2016). Le carnet est visible intégralement sur le site « chtimiste.com » (carnet 3).
Analyse
Les notations sont rapides et brèves, les informations concises (deux ou trois lignes par jour), elles évoquent les lieux, les combats ; l’auteur insiste sur la fatigue, les conditions météorologiques ou l’alimentation. C’est au début de la campagne que ses impressions sont les mieux décrites, comme par exemple dans cet extrait qui évoque les civils belges : 25 août 1914 p. 10 à 11 «on est épuiser de fatigue, plutôt mort que vivant. L’on voit toujours tous les habitants avec leurs petits enfants qu’il ne font que pleurer jour et nuit, se sover et ne save même pas où. La plus grande part viennent en France. » Les préoccupations liées à la nourriture sont centrales, avec les interruptions de ravitaillement, la nourriture que l’on doit manger froide et les désordres liés aux mouvements importants (août et septembre 1914). Le style très oral et l’orthographe aléatoire obligent à une lecture verbalisée et nous rendent plus proche ce combattant : 30 août 1914 p. 13 à 14 « Ont pillier et voler tout sur notre passage pour tenir notre vie, ont nous nourisser rien qu’avec des pommes et des fois une bouteille de cidre que l’on voler dans des caves car il n’y avait plus d’habitant nul par et tout était abandonner. » On note une mention rare de parlementaires pendant la guerre de mouvement: 4 septembre 1914 p.17 à 18 « Nous avons vue des parlementaires pour demander une armistice pour pouvoir enterrer les morts. » puis après octobre les mentions se raréfient et le carnet devient allusif : 1er au 5 novembre p. 35 et 36 « Aux tranchées, aux postes d’écoute à 200 mètres des Allemands. Toujours debout et comme repos dormir sur la terre. Fusillade et cannonade. Une fois à manger par jour. J’ai grand rum, par la froidure de la mort. »
Vincent Suard, novembre 2016