Née le 6 juin 1893 à Larrazet (Tarn-et-Garonne). Ses parents sont d’origine paysanne : son père (mort en 1917) exerçait le métier de maquignon. À son décès, sa mère continue à s’occuper des terres et des vignes. Marie n’a pas suivi d’études dans le secondaire ; malgré cela son écriture est belle, ses phrases sont très bien tournées et surtout elle a un style qui réussit à faire vivre les événements du quotidien, bonheurs et peines, horreurs de la guerre, dans une farandole qui ne donne qu’une envie : lire la prochaine lettre pour connaitre la suite de l’histoire.
Le 17 aout 1912, elle épouse Anselme Coureau, lui aussi Larrazetois. Ils ont deux filles : Anne-Marie en 1914 et Denise en 1916. Anselme n’est mobilisé dans le service auxiliaire qu’en mai 1917. Auparavant, il a participé à la rédaction du journal de guerre du village avec quatre notables : voir la notice Larrazet.
Après la mobilisation d’Anselme, commence une correspondance quotidienne où elle écrit pour le distraire, pour lui faire partager son quotidien, pour le relier à Larrazet qu’il aime tant. Elle essaie de lui remonter le moral, ne lui dit pas toujours toute la vérité sur sa santé, pour ne pas l’inquiéter et lui raconte les événements du village, mais aussi ce qu’elle lit dans la presse ou ce qu’elle apprend de la bouche du maire ou de personnes qu’elle rencontre dans le train ou bien encore ce que racontent ou écrivent les autres soldats de Larrazet. Ainsi : « Je serai contente de t’annoncer quelque chose. Cela te fera vivre un peu de ma vie. » Plus de 300 lettres nous plongent dans le quotidien de cette période de guerre. Marie a toujours vécu à Larrazet mais elle a un regard, une analyse sur l’Homme, sur tous ces événements qui étonnent de par la richesse et la vérité de l’écriture.
Elle a des avis sur tout : les réquisitions, le pain noir si mauvais, les pénuries de pétrole qui l’empêchent à une certaine époque de lui écrire, le soir, autant qu’elle le voudrait, les permissions des Larrazetois, les réfugiés du nord qui sont accueillis, les nouvelles des voisins partis à la guerre qui sont blessés, portés disparus, prisonniers, décorés ou morts. Les vols dans les maisons (un jour un voisin qui cachait son argent dans un trou dans une grange a été cambriolé et on lui a laissé 3 pièces d’or ; pourquoi ? cela fera couler beaucoup d’encre et de salive mais le mystère ne sera jamais éclairci), l’épidémie de grippe espagnole qui vient à bout d’une jeune Larrazetoise, Mathilde Dauch, victime de son dévouement (voir la plaque au cimetière), l’agonie d’un jeune marié blessé à l’usine d’armement de Castelsarrasin et dont le nom figure sur le monument aux morts (Joseph Nadal), la grève des ouvrières à la poudrerie de Toulouse.
Il faut dire qu’elle est bien placée pour être au courant de tout. En effet, elle habite en face de l’église à une époque où il y a plusieurs services religieux par jour. La mairie est à quelques maisons de chez elle ainsi que la gendarmerie. Les villageois se retrouvent souvent dans cette rue, ils échangent leurs informations issues des lettres reçues et consultent souvent le maire, Monsieur Carné, notaire, rédacteur du journal de guerre du village, porteur des circulaires officielles et lecteur des journaux locaux et nationaux.
Grâce à ses lettres, on partage aussi le quotidien d’une femme du début du XXe siècle : la lessive et le repassage qui durent plusieurs jours, l’éducation des jeunes enfants qui vont à l’école maternelle, le couvent payant, la confection de vêtements avec du vieux car les tissus manquent, l’achat d’un corset, la prise en charge d’un vieil oncle qui perd la tête et qui refuse l’autorité des femmes, les travaux des champs qu’il faut accomplir, l’importance du courrier qu’elle écrit, celui qu’elle reçoit ou qui est retardé, les colis envoyés pour améliorer le quotidien du soldat parti, etc.
Une des plus belles lettres est celle du 11 novembre 1918 où elle lui raconte avec précision comment Larrazet, petit village de 600 habitants, a vécu la nouvelle de l’armistice. Tout est raconté avec tant de détails que si l’on ferme les yeux la scène prend vie : les cloches et le tambour qui sonnent pendant longtemps, le clocher pavoisé aux couleurs de la France où l’on joue du clairon et où brille une lanterne, les fenêtres des maisons pavoisées et illuminées, les enfants qui font une retraite aux flambeaux précédés du garde champêtre qui joue du tambour, coiffé pour la circonstance d’un casque de pompier. Le texte intégral de la lettre est donné ci-dessous.
Françoise Defrance (qui conserve les lettres à Larrazet)
Larrazet, ce 11 novembre 1918, Mon très cher amour adoré,
Enfin ce soir à 2 h, nous avons eu confirmation de cette nouvelle depuis longtemps attendue. Le moment a été grave tu peux le penser, à certains ça leur a renouvelé leurs peines et nous, malgré notre grande joie, nous n’avons pu nous retenir nos larmes, elles étaient de joie car c’est un très grand soulagement que de penser que vous êtes délivrés de cet enfer. M. Carné a donné immédiatement l’ordre de sonner les cloches et le tambour, on les a sonnés pendant longtemps. Joseph Rouzié, du haut du clocher, a joué du clairon, puis ensuite il a mis des drapeaux tout le tour, et ce soir il a mis tout à fait en haut une lanterne. Beaucoup de fenêtres ont arboré le drapeau et maintenant elles sont illuminées. A cinq heures il y a eu retraite aux flambeaux dirigés par Capmartin. Les enfants l’ont faite, ils avaient de longs roseaux et au bout une lanterne. Annette en portait une, je t’assure qu’elle était contente. Capmartin jouait du tambour, pour la circonstance il s’était mis un casque de pompier.
Au même instant j’entends le train qui arrive en gare, et lui aussi veut annoncer la fin du carnage, car il siffle beaucoup et longtemps. je cherche à me représenter la joie qui a été ressentie au front au moment où on a annoncé à tous nos héroïques poilus la signature de l’armistice, on ne peut pas se le représenter tant la joie a dû être immense, il va leur sembler que ce n’est point possible d’être libéré d’un joug pareil, pauvres hommes depuis le temps qu’ils souffrent toutes sortes de maux, vous pourrez au moins cet hiver vous mettre mieux à l’abri, vous chauffer, vous n’aurez plus ce pressentiment de dire peut être tout à l’heure je ne serai plus de ce monde.
Et nos pauvres prisonniers depuis le temps qu’ils sont par-là à souffrir les pires maux, quelle réjouissance pour eux, quelle gaité de cœur qu’ils ont dû ressentir à la pensée qu’ils allaient enfin revoir la France et leurs chères familles qu’ils n’ont pas vues depuis 4 ans.
Hier au soir j’ai eu ta lettre du 8, je suis très contente de tous les renseignements que tu me donnes au sujet de ta maladie, tu vois que tu ne m’avais jamais dit que tu avais été évacué pour la grippe ou bronchite grippale tout cela est à peu près. Je suis très heureuse que cette infirmière ait bien pris soin de toi, tu la remercieras bien pour moi, je t’assure que si elle était là je serais toute heureuse de pouvoir le faire.
Tâche de te fortifier avant de venir, crainte de rechuter en route, ce ne serait vraiment pas du tout agréable.
D’après ce que tu me dis, la manifestation qui a eu lieu à Louviers a dû être très belle, mais je suis à me demander qu’aura été celle de ce soir, alors que la nouvelle est officielle.
Tu as perdu ton pari tu vas être obligé de le payer sans doute bientôt quand vous serez rentrés au centre. Comptes-tu y revenir pour longtemps ou bien au dépôt ?
Ma mère aujourd’hui va mieux.
Aujourd’hui nous avons semé le blé à la Plagnète, demain nous allons faire de l’eau de vie, nous allons procéder comme la dernière fois.
Nous sommes en excellente santé et je désire de tout mon cœur que ma lettre te trouve de même.
Odette et Rosa de Moissac sont très gravement malades, ils ont télégraphié à Anna d’y aller. Allemann l’y a portée en automobile, Odette ne l’a pas connue.
Marie Simon arrive de la gare, elle dit qu’on lui a dit que les Allemands qui sont à Terride [des prisonniers de guerre employés dans l’agriculture ; voir les notices Brusson]criaient au passage du train : « À bas le Kaiser, vive la République. » Tu comprends tout de même qu’il faut qu’ils en aient assez.
Doux baisers de nous toutes.
Ta mignonne adorée pour la vie.
Marie