Les trois frères Fangeaud, d’Oran, sont venus combattre en France. La Lettre du Chemin des Dames de mars 2015 (n° 34) a publié plusieurs documents les concernant, avec quelques photos (p. 16 à 23). Voir les notices Fangeaud Émile, Fangeaud Jules et Creugnet Georges.
François était commis postier vers 1910. En 1913, il faisait le service militaire dans le Génie à Montpellier. Après un séjour à Timgad, il s’embarque pour Marseille et arrive au 2e Génie vers Soissons. Il est tué le 8 janvier 1915 à Vauxrot, au premier jour de la bataille de Crouy.
Sa lettre du 9 décembre 1914 évoque la proximité des deux lignes ennemies et la peur éprouvée sous les balles et les obus. Le 25 décembre, il décrit un colonel donnant ordre à quelques soldats de sortir de la tranchée pour aller couper les fils de fer en préalable à une attaque : « Ils hésitent un peu car c’est la mort certaine qu’ils voient devant eux, le colonel leur renouvelle l’ordre et les menace de les faire fusiller sur le champ. » Les camarades sortent et sont fauchés par les mitrailleuses, de même qu’une deuxième équipe : « Notre attaque a complétement échoué et bénéfice net une centaine de blessés et une trentaine de morts. »
Le repas du 1er janvier, grâce aux colis reçus et mis en commun, apporte un dernier moment de joie. Le 7 janvier, il écrit à son frère Émile qu’il s’agit peut-être de sa dernière lettre car une attaque est prévue pour le lendemain « au petit jour » : « Je vois la peine que vous aurez s’il m’arrivait malheur, j’ai eu jusqu’à présent du courage et j’en aurai jusqu’au bout car je suis algérien et avant tout français et je tiens à défendre mon pays lâchement attaqué par cette maudite race teutonne. » Et il donne la liste des personnes à prévenir en cas de décès.
Il peut cependant écrire encore à son frère le lendemain matin : « J’en ai marre d’être dans les tranchées depuis près d’un mois sans y sortir ; ce n’est pas le filon et j’ai un conseil à te donner : si tu peux rester à Hussein-Dey, restes-y, ne fais pas l’imbécilité d’être volontaire en quoi que ce soit ; demande plutôt d’aller à Ghardaïa ou à Biskra que de venir en France, car le plus mal que tu puisses être dans le bled, tu seras bien mieux qu’à ma place car ce n’est plus une vie que nous menons, étant à chaque moment exposés aux plus grands dangers ; lorsque nous étions à Kouba, il nous tardait de partir, mais maintenant que l’on y est il nous tarde de revenir. »
La contradiction de ton entre les deux dernières lettres s’explique par le fait que celle du 7 janvier, destinée à être lue par toute la famille, doit conserver une dimension patriotique affichée. Celle du 8 décrit la réalité de la situation et des sentiments de François et s’adresse uniquement à son frère afin de lui donner des conseils de sauvegarde personnelle.
Une série de lettres de Georges Creugnet, camarade de François Fangeaud, adressées à Émile entre le 9 janvier et le 4 février 1915, constitue un bon exemple de la façon d’annoncer avec précaution une mauvaise nouvelle (voir la notice Creugnet). En fait, François Fangeaud a été tué sur le coup le 8 janvier vers 10 heures, au cours de l’attaque.
Rémy Cazals