Dans le cadre des activités de la bibliothèque patrimoniale du Grand Cahors, Didier Cambon et Sophie Villes ont recueilli des témoignages lotois sur la période de la Grande Guerre et les ont regroupés en chapitres thématiques : Didier Cambon et Sophie Villes, 1914-1918, Les Lotois dans la Grande Guerre, tome 1 Les Poilus, préface du général André Bach, Les Cahiers historiques du Grand Cahors, 2010, 197 p.
Jean-Baptiste Delcayre était cultivateur à Meyronne (Lot) avant la guerre. On a de lui 250 lettres adressées à sa famille. Parti au 131e RIT, il a été d’abord ordonnance d’un officier, puis affecté à diverses missions de transport. Avant même son départ, il a décrit la « grande animation » qui règne au chef-lieu, le 7 août 1914, la population cherchant à encourager les soldats : « Tous les régiments qui passent pour aller à la frontière sont salués par des bravos et Vive la France. C’est curieux à voir. Notre détachement est rentré à la caserne le jour de notre arrivée en chantant la Marseillaise et drapeaux en tête. Les officiers étaient joyeux, mon commandant nous a félicités. » En même temps, il se préoccupe du prix payé par la réquisition pour la jument de sa ferme. Et, peu après (30 septembre), il commence à donner des conseils pour les travaux agricoles : « Je vous recommande de laisser assez mûrir le tabac, vous verrez bien d’abord lorsque les autres le couperont et vous n’aurez qu’à leur montrer d’abord ; j’ai confiance avec Portal Gaubert car lui laisse assez mûrir, écoutez bien ses conseils. »
La séparation et les mauvaises conditions de vie sont pénibles à supporter, mais il y a de plus malheureux (3 décembre 1914) : « Pense aux habitants des pays ravagés où le mari est sur la ligne de feu, sa famille éparpillée à droite ou à gauche, sans correspondance dans des pays sans connaitre personne, souvent sans ressources, leurs récoltes ravagées, leurs maisons pillées ou incendiées ou écroulées à coups de canons. »
Le 29 mai 1917, il fait de manière un peu confuse une remarque de bon sens sur le rapport ambigu des soldats avec la presse : « Les communiqués, je ne les regarde plus mais les journaux viennent intéressants quand même si ce n’est que pour nous bourrer le crâne ; pardonnons-les quand même car en attendant ça nous relève le moral, car sans cela il commencerait à être bien bas et il y a de quoi. » Comment s’en sortir ? « Il n’y a pas d’autre cas de gale, mais d’abord c’est rien du tout que de la chance pour celui qui l’attrape. Celui qui n’a qu’un bras ou une jambe, on le réforme, il est content car il a la vie sauve mais cela ne veut pas dire que ça soit tout bonheur. Il faut être malade pour être réformé, il faut un cas sérieux mais en ce moment on est content de tout pour se sortir de cette tuerie » (17 septembre 1917).
Fin décembre 1917, « pour la quatrième fois », Jean-Baptiste est obligé d’envoyer ses vœux par lettre : « Tout de même, c’est bien triste de vivre ainsi de longues années séparés de ceux que l’on aime. Je vous souhaite une année avec une santé parfaite et que tous vos désirs surtout se réalisent car alors ça sera mon retour, j’en suis sûr. » En effet, l’année 1918 sera la dernière année de guerre, grâce aux tanks et aux Américains. Le 5 juillet, Jean-Baptiste écrit à son petit Marcel qui a bien grandi : « Tu me dis que tu penses à moi, crois-moi cher petit Marcel que moi aussi je pense à toi et à tous, il ne se passe guère de moment que je ne pense à vous tous et ainsi depuis 4 ans. Ceux qui prétendent qu’on s’y fait à la guerre ne doivent pas en avoir goûté. Cependant plus que jamais il faut le courage et la patience. Serait un lâche celui qui reculerait devant les sacrifices qu’il peut rendre [sacrifices ou services ?]. Aujourd’hui, mon cher petit Marcel, un millier de soldats américains sont à nos côtés. Ils ont couru de grands dangers pour venir sur notre sol. Ils sont curieux à voir. […] C’est frappant quand on voit ces hommes venir de si loin pour défendre notre cause. Ce sera dur encore quelques mois, mais le jour viendra où nous aurons la supériorité. Je voudrais bien t’avoir à côté de moi pour te montrer beaucoup de choses. Tu verrais ces avions français voler toute la journée au-dessus de nos têtes et en quantités. Ces régiments d’Américains avec leurs grands chapeaux, ces tanks que nous ramenons du combat et qui sont criblés de balles mais aucune ne peut traverser, pas même les éclats d’obus, ça ne fait que lui lever la peinture. »
Rémy Cazals, avril 2016