Albert Huet est né le 14 décembre 1897 à Dame-Marie (canton de Bellême, Orne), un petit village de Normandie. D’un milieu très modeste, il apprend sommairement à lire et à écrire. Son livret militaire lui attribue la profession de domestique. En janvier 1916, il fait ses classes au 102e RI à Chartres. La guerre a débuté depuis deux ans et tout le monde sait que les choses sont très dures : les morts se comptent déjà par centaines de milliers et tous les villages sont touchés. Une épidémie d’oreillons lui fait gagner du temps, mais le voici dans les tranchées en ce terrible hiver 1916-1917. Comme beaucoup d’autres soldats, il signale que le pain et le vin sont gelés. Au printemps, il estime que les « généraux ivres de carnage », parmi lesquels « le fameux Nivelle », ont lancé « une offensive idiote nous coutant des pertes terribles ». En conséquence, écrit-il encore, se produit la révolte des armées, et « on fusilla à tort et à travers » (ce qui est inexact, mais ce qui nous intéresse chez un témoin c’est ce qu’il a pensé).
Lui-même ne connait le baptême du feu que le 26 juin en Champagne au sein du 363e RI, formé de débris de régiments où l’on rencontre des gars du Midi, des Bretons, des Parisiens. Là, en Champagne pouilleuse, « la terre constamment remuée par les obus laisse apparaitre des ossements humains constamment enterrés et déterrés ». En septembre 1917, il est au Chemin des Dames où il connait « 18 jours de misère terrible ». En permission, il a du mal à supporter les réflexions des notables qui lui font la morale. En 1918, il participe à la résistance à l’avance allemande, puis à la contre-offensive en encadrant les bleus de la classe 18 et en lien avec les Américains. Fin septembre, son masque à gaz étant percé par des éclats d’obus, on peut toujours en trouver un autre : « En cherchant un peu, il y a là des anciens copains qui n’en ont plus besoin. » Atteint par les gaz, il est soigné, il part en convalescence puis en permission et il note : « Si jamais la guerre n’est pas finie comme on le chuchote, je ne sais pas ce que je ferai, j’en ai marre de la guerre, je le dis à tout le monde, j’aime mieux la prison. » Au final, il s’estime bien heureux de s’en être tiré, et sans blessure.
Après la guerre, il se marie avec la sœur d’un copain de régiment de son village et part vivre en région parisienne où il a trouvé du travail dans une compagnie de chemin de fer. De son passage à l’armée il a conservé une terrible addiction au tabac qui se transforme en un cancer du larynx en 1955. Après une trachéotomie d’urgence, ablation du larynx et des cordes vocales et traitement au radium, il survivra et dira souvent : “les boches n’ont pas réussi à m’avoir, ce n’est pas un cancer qui m’aura”. Il meurt le 23 novembre 1977.
Il a écrit ses souvenirs de la guerre dans les années 1950, sur 19 pages d’un cahier d’écolier. Les sentiments exprimés semblent ceux de l’époque de la guerre ; ils n’ont pas été retouchés ou atténués au moment de l’écriture. Le cahier a été retrouvé par hasard en 2013 par sa petite fille. Il est désormais numérisé. Une transcription du cahier page par page se trouve sur le site de son arrière-petite-fille Hélène Huet aux côtés de quelques photos retrouvées d’Albert et de son régiment.
Le cahier : https://helenehuet.org/albert-huets-diary/
Les informations : https://helenehuet.org/about/
Rémy Cazals, mars 2016, à partir de renseignements fournis par Hélène Huet. Complément juillet 2018.
Septembre 2020 : Hélène Huet a réalisé une carte permettant de situer des lieux importants pour Albert. Chaque point renvoie à une page du cahier manuscrit et à une explication bilingue français-anglais. Voir https://helenehuet.org/wwi-diary-of-albert-huet-the-map/