Albert Filoche est né le 25 mars 1883 à Grazay en Mayenne.
Ses parents tiennent une auberge et une boucherie dans le centre du bourg et font le commerce des bestiaux. Il fréquente l’école de son village avant de passer deux ou trois ans dans une institution de la ville voisine de Mayenne. Il est musicien, aime chanter et accompagne volontiers sa soeur au piano. Adulte, il devient marchand boucher à son tour.
Mobilisé comme trois de ses frères en août 1914, Albert Filoche, de santé fragile, ne rejoint le front qu’en février 1915. Il devient brancardier en juillet de la même année (par volonté de faire son devoir sans être contraint de donner la mort à ses semblables) et le reste pendant presque toute la durée du conflit. Son unité, le 124e régiment d’infanterie, change plusieurs fois d’affectation mais c’est en Champagne qu’Albert vit l’essentiel de son temps de soldat : deux ans et demi. Il se trouve aussi à deux reprises dans le secteur de Verdun et pour une courte période dans la Somme.
Après une attaque aux gaz, il meurt le 13 août 1918 à 35 ans.
Albert Filoche est un de ces poilus qui ont beaucoup écrit. Des lettres, des notes rédigées quotidiennement pendant tout le temps où il est front, des contes fantastiques et visionnaires, des récits, des romans inspirés de sa vie passée. Albert Filoche n’a jamais repris ou retouché ses textes, ceux-ci ont été rangés comme des reliques avec les papiers de famille après la mort du brancardier.
Les notes constituent la majeure partie de l’ensemble. Elles sont le résultat d’un va-et-vient entre les tâches du soldat, la lecture des journaux, les rumeurs, les bavardages, les angoisses et les espoirs de ce marchand de bestiaux peu ordinaire qui s’intéresse passionnément aux autres hommes. Tous retiennent son attention : compagnons de tranchées, civils rencontrés au hasard des pérégrinations du régiment, responsables politiques et chefs militaires qui tiennent le sort du monde entre leurs mains. Aussi le poilu Filoche s’interroge-t-il autant sur la situation internationale, les difficultés économiques, les problèmes sociaux, les révolutions que sur les opérations auxquelles il participe ou les batailles dont l’écho se propage d’un front à l’autre. Profondément attaché à la campagne et à sa Mayenne natale, il trouve un peu de répit dans la nature quand il s’éloigne de la « zone de mort ». Sa foi religieuse lui permet de tenir malgré doutes et tourments, du moins au début. Avec le temps, les doutes l’emportent. Tiraillé entre le bien et le mal, la liberté et l’aliénation, la justice et l’iniquité, l’ironie et la compassion, le courage et la peur, la beauté de la nature et l’horreur des champs de bataille, Albert Filoche prie Dieu pour se donner une raison de vivre et se consoler de devoir mourir.
Doué d’une plume alerte et mordante, Albert Filoche écrit comme on se parle à soi même, rapidement par la force des choses et longuement, hanté par le sort des hommes.
Trop étonnants pour tomber dans l’oubli, les textes d’Albert Filoche ont été présentés sous le titre, Moissons rouges, Albert Filoche, brancardier au 124e RI, 1915-1918, par Jocelyne et Michel DLOUSSKY, éditions de L’Oribus, 2004 (328 pages).
Ce titre reprend l’intitulé d’un poème composé en 1915 sur le front de Champagne. En août 1918 alors qu’il se retrouve presque dans la même zone de combat, le poilu Mayennais écrit encore :
« Moissons blondes, combat pour la vie dans la paix,
Moissons rouges, marche à la mort. »
Albert Filoche sur le front
Champagne, mars 1915 – avril 1916
Verdun, mai – juin 1916
Champagne et Oise, juillet – décembre 1916
Somme, janvier – février 1917
Verdun, mars – mai 1917
Champagne, mai – août 1917
Hospitalisation en Champagne, août – novembre 1917
Champagne, novembre 1917 – février 1918
Mourir en Champagne, février – août 1918
Jocelyne DLOUSSKY, docteur en histoire, auteur d’ouvrages sur le Bas-Maine et la Mayenne
Michel DLOUSSKY, correspondant de l’Institut de l’Histoire du Temps Présent – CNRS