Chaléat, Louis (1877-1942)

Cultivateur, marié, deux enfants, il a 37 ans en 1914 (né à Livron, Drôme, le 3 septembre 1877). Ses lettres de guerre se préoccupent de « ce qui se passe au pays » et donnent à sa femme des conseils pour le travail agricole : « Maintenant, tu me dis que vous avez avancé votre travail et que vous pourrez enfin soigner votre bétail. Vous ferez comme vous pourrez, car il ne faut guère compter sur moi. Vous engraisserez les moutons et tout à votre guise ; pour le fourrage, s’il ne vaut pas d’argent, garde bien ce qu’il faut, mais les pommes de terre, vends-les, cela te débarrassera et te fera de l’argent. Maintenant, pour l’engrais aux fourrages, vous ferez comme vous l’entendrez, mais je te conseille pas d’en mettre si tôt, surtout à la Ramière, car s’il venait m’arriver malheur et que vous ne puissiez continuer, ce serait de l’argent perdu pour vous. »
Un long extrait (3 septembre 1915) éclaire la situation et les sentiments de Louis : « Ma chère Eugénie, j’ai reçu avec grand plaisir ta lettre en m’apprenant que vous êtes tous en bonne santé. Je puis vous en dire de même, je me porte assez bien quoique ayant tous les jours les jambes raides et les reins courbaturés. L’on ne peut de moins faire : il ne fait que pleuvoir, l’on est toujours mouillés, il faut que les effets se sèchent sur toi, tu es éloigné de tout endroit habité et tu ne peux te soigner. Et par comble de bonheur, le colis que tu m’as envoyé et qui m’aurait tant rendu service, je n’ai eu le plaisir d’en profiter, l’on me l’a volé dans ma musette du temps que je n’y étais pas. Par bonheur j’avais pris un picodon [petit fromage de chèvre] et le nougat. Ils ont répudié la petite boîte de thon, mais m’ont pris le saucisson et deux picodons. Et je te jure que quand je m’en suis aperçu, j’en aurais pleuré tant cela allait me rendre service et que toi tu te sacrifies et t’en prives ainsi que les enfants pour améliorer mon sort. Mais que veux-tu, jamais il ne m’avait rien manqué, mais il ne faut qu’un bandit pour faire ces tours-là ; mais avec cela, je ferai comme si j’en avais profité et je t’en remercie bien quand même. Tu me dis sur ta lettre que tu allais battre et que tu avais bien du tourment. Tâche de ne pas t’en faire trop et te soigner le plus possible, car il faut songer que tu as deux enfants à élever et qui ont encore besoin de toi et de tes conseils. Mais ce qui me console c’est que tu es capable d’en faire de bons citoyens. »
Les diverses lettres décrivent la vie « souterraine », dans des « terriers », sous la pluie ; la boue et les pieds gelés ; les rats, les poux, les puces qui « nous vont faire la guerre autant que les Boches ». Il faut vivre en pensant « que cette maudite guerre n’a pas de fin et tant qu’il restera un homme valide cela ne finira pas. Et pour en arriver à ce but, cela va être long et je te réponds que ceux qui sont été tués au début ont eu rudement de la chance car ils n’ont pas eu la souffrance que nous avons eue » (29 juin 1915). Comme beaucoup d’hommes des tranchées, Louis exprime la hantise d’une nouvelle campagne d’hiver (17 juillet 1915). Dès le 9 novembre 1914, il avait remarqué avec un grand bon sens : « Ce sera, je le crois, le plus qui pourra résister en vivres qui aura la victoire.»
Louis Chaléat (294e RI) a combattu dans la Marne, de l’automne 1914 à l’été 1915 ; après une période d’hospitalisation et de convalescence, il est revenu en 1916 en Champagne, dans la Somme et l’Aisne. Blessé au bras droit en juin 1917, il est resté handicapé par sa blessure.
Rémy Cazals
* Je suis mouton comme les autres, Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., Valence, Peuple libre et Notre Temps, 2002, p. 283-302.

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