Témoin
Né le 20 mars 1894 au sein d’une famille de cultivateurs de Sierentz (alors en Alsace allemande), Joseph Haby passe devant le conseil de révision le 11 septembre 1914 et est déclaré apte à servir dans l’infanterie. Après quelques jours passés à Heitersheim en Bade (du 23 septembre au 6 octobre), il retourne en Alsace pour être intégré à une unité de travail. Il participe ainsi aux aménagements défensifs à Ittenheim et Wolfisheim, à l’est de Strasbourg. Le 1er décembre il part pour Breslau (Wroclaw, en Pologne) où il reçoit une instruction jusqu’au 8 juin 1915, lorsqu’il est dirigé sur le front russe, vraisemblablement au sein de l’Armierungs-Bataillon 111. Il travaille alors à l’aménagement routier qui suit la progression des troupes. Après une permission en Alsace, il retrouve sa compagnie à la fin de septembre dans le village russe de Karolin (dans les environs de Grodno/Hrodna). Suivent de longues marches, interrompues par des périodes de cantonnement et de travaux divers, comme l’abattage d’arbres ou la récolte de pommes de terre. La nouvelle de sa mutation soudaine à Dantzig vient rompre ce quotidien à la fin du mois d’octobre. Il obtient d’être affecté dans l’artillerie plutôt que l’infanterie, et intègre en décembre la 3e batterie de réserve du 72e régiment d’artillerie de campagne à Graudenz. L’instruction achevée, il prend part à une colonne qui quitte la caserne en direction de Šwenčionys, au nord-est de Wilna (Vilnius). Avec une partie de la colonne, il prend ses quartiers dans un château comtal vers le 10 février 1916, en arrière de la zone des combats. Un mois plus tard, il rejoint le front. En dehors de son poste de canonnier, il est souvent occupé à remettre en état le câble de liaison entre les postes d’observation et les batteries d’artillerie, parfois sous les bombardements russes. Les semaines qui s’écoulent jusque la mi-juillet voient alterner des périodes de combats et des périodes plus calmes, occupées à des travaux au front ou à l’arrière. Après son retour de permission (effectuée du 17 juillet au 1er août 1916), on lui demande de remplacer un téléphoniste, ce qui contribue nettement à améliorer ses conditions de vie. Décoré de la Croix de fer 2ème classe le 5 juin 1917, il part ensuite en permission du 15 juin au 11 juillet. A son retour, il remplace le secrétaire du commandant local de Komarow (au sud-est de Varsovie). Bientôt, les nouvelles des pourparlers puis de la paix avec les Russes sont accueillies avec beaucoup d’enthousiasme. Il s’ensuit une pénétration des troupes plus en avant en territoire russe, avant d’entamer un mouvement inverse à partir du 11 novembre 1918, en direction de Wilna puis de Berlin. De retour à Sierentz au début de l’année 1919, il reprend ses activités dans l’exploitation familiale, avant d’être embauché au service cartonnage de l’entreprise textile Dollfus-Mieg & Cie à Mulhouse.
Témoignage
Joseph Haby, Ma guerre 1914-1918. Traduction de son journal manuscrit retraçant sa guerre 14-18 par Claude Munch, éditions Yadlavie, 2007, 43p.
Joseph Haby a vraisemblablement pris des notes au cours de la guerre, qu’il a compilées à son retour dans un cahier intitulé Meine Erlebnisse im Weltkriege 1914-1918. Ses notes sont par moment très parcellaires, en particulier pour l’année 1918. Dans l’ensemble, son récit est assez court. Le présent fascicule en présente la traduction, œuvre de Claude Munch, qui y a également ajouté quelques précisions. Il est préfacé par l’ancien ministre André Bord. En outre, des documents, notamment photographiques, enrichissent le corps du texte.
Analyse :
Le témoignage de Haby nous donne à voir l’expérience de guerre d’un soldat alsacien de l’armée allemande. Dans l’ensemble, elle ne diffère pas de celle de ses camarades allemands. On trouve ainsi des renseignements sur les dernières journées d’avant-guerre, avec le rappel des permissionnaires le 30 juillet, le départ de régiments mulhousiens en direction des frontières, l’appel de réservistes, puis la déclaration de guerre, les réquisitions puis l’évacuation du village et le passage furtif des premières troupes françaises. On constate que nombre de ses camarades alsaciens comme lui obtiennent des sursis de mobilisation après avoir déposé une réclamation, sans doute pour des raisons agricoles. Ces réclamations participent plus largement de stratégie consistant à éviter les dangers du front dans la mesure du possible. Elle n’est pas entièrement étrangère à son choix pour l’artillerie, qu’il sait moins dangereuse que l’infanterie. L’enthousiasme de servir dans une arme qu’il a choisi ne s’en trouve que renforcé. Le plus souvent affecté à l’arrière du front, ou au moins en retrait de la première ligne, son récit ne s’attarde guère sur les combats auxquels il participe. Les singularités des villes et des contrées qu’il sillonne, autant que des populations qu’il y rencontre, retiennent davantage son attention.
Son identité régionale semble s’intégrer sans mal dans une identité nationale allemande plus large, sans qu’elle s’y trouve en contradiction. La seule distinction négative qu’il relève, engendrée par la suspicion dont les Alsaciens-Lorrains faisaient généralement l’objet, se produit à son arrivée à la caserne de Breslau, en Silésie : « nous les Alsaciens, fûmes regardés avec étonnement, comme si nous étions des malfaiteurs » (p.15). Certes, son lien avec sa « petite patrie » est fort, entretenu par l’échange épistolaire important, autant que par les moments passés avec des camarades alsaciens à chaque fois que l’occasion se présente. Mais si la francophilie de certains Alsaciens et le phénomène de désertion ne lui sont pas étrangers (dès le 1er juillet 1914, il rencontre un ami mulhousien qui s’inquiète de la montée des tensions et songe déjà à rester en Suisse pour éviter de devoir prendre les armes contre la France), de tels sentiments ne semblent pas l’habiter. Face à l’Autre, par exemple les Polonais en octobre 1915, il se définit comme Allemand (« nous, Germanski », p.20). Il partage son quotidien avec des camarades venus de tout l’Empire (« Je passai de bonnes fêtes de Noël auprès de ma colonne à Korki », p.36), entretient vraisemblablement de bonnes relations avec ses officiers, et se réjouit des victoires de son armée (« Comme nous étions heureux d’apprendre que les Russes avaient entamé des pourparlers avec nous, qui devaient aboutir à un traité de paix ! Ce fut le premier signe qu’un des adversaires avait fléchi », p.41).
Raphaël Georges, février 2015