De l’émouvante rencontre, lors de l’année scolaire 1984-85, entre l’ancien combattant de 14-18 Jean Decressac et les élèves du lycée Guez de Balzac d’Angoulême, lycée qu’il avait lui-même fréquenté au début du XXe siècle, est sorti un PAE (Projet d’action éducative), passionnant pour ceux qui l’ont réalisé comme pour ceux qui en ont eu connaissance.
Jean Decressac avait 18 ans en 1914. Lui et son frère jumeau Georges, fils de médecin, étaient nés à Angoulême le 17 juin 1896. Brillants élèves, ils avaient remporté plusieurs prix, parmi lesquels on peut noter le 1er prix de géographie de Jean en classe de philosophie quelques jours avant la mobilisation. Les jumeaux étaient destinés à « faire médecine ». En décembre, conscient que la guerre allait durer et que les risques étaient trop grands dans l’infanterie, leur père leur conseilla de devancer l’appel, ce qui donnait le droit de choisir l’arme, pour eux l’artillerie. Après avoir fait leurs classes, ils arrivèrent sur le front en Artois, au 52e RAC. Jean Decressac fut blessé à Verdun le 10 mai 1916, évacué vers Angoulême où il fut opéré par son père. Il revint au front en mars 1917, entra en juin à l’école d’application de Fontainebleau pour devenir officier. Sous-lieutenant, il combattit de janvier 1918 jusqu’à l’armistice, tandis que son frère Georges était envoyé en Orient. Les deux frères firent partie des survivants.
Jean Decressac tenait régulièrement ses carnets de notes. Il les mit au propre en 1919, puis les recopia en 1927-28. Dans le cadre du PAE, les originaux ont été reproduits en quelques exemplaires déposés aux Archives départementales de la Charente, à la Bibliothèque municipale d’Angoulême, au CDDP (qui a d’autre part publié une pochette de 24 diapos à partir des 300 photos du combattant), etc. La publication citée ci-dessous expose également la méthode de travail et l’histoire d’un PAE exemplaire (on retiendra, par exemple, les textes sur la description des paysages, sur l’univers auditif du combat, sur l’omniprésence de la blessure et de la mort).
Quelques passages significatifs peuvent encore être relevés : l’arrivée à Angoulême des premiers blessés, le 25 août 1914, dont la plupart n’avaient pas vu un seul Allemand ; la distribution de gnole, signe qui ne trompe pas à la veille de l’attaque du 25 septembre 1915 ; les Allemands capturés qui « riaient et semblaient enchantés d’être prisonniers » (29 octobre 1915) ; l’officier (Jean Decressac lui-même) qui ne traduit pas en conseil de guerre trois soldats qui ont abandonné leur poste de veille pour aller boire un coup (1er juillet 1918). Ce dernier cas est représentatif du caractère aléatoire de la justice militaire.
Après la guerre, Jean et Georges ont repris leurs études et sont devenus médecins. En mars 1985, après l’expérience du PAE, ils ont adressé une lettre aux élèves du lycée pour les remercier de leur avoir fait revivre « des heures inoubliables » (p. 81 du compte rendu de PAE).
Rémy Cazals
*14-18 : les carnets de guerre d’un combattant, par la classe de 1ère A2 du Lycée Guez de Balzac, Angoulême, CDDP, 1985, 235 p.