Née dans une famille nombreuse protestante de l’Albret (Lot-et-Garonne), Léonie Bonnet trouva à vingt ans et après plusieurs expériences professionnelles sa vocation de garde malade puis d’infirmière à Bordeaux. Elle partit ensuite pour le Doubs, soigna les premiers blessés en Alsace en 1914 avant de revenir à Bordeaux au côté du médecin colonel Bergonié à l’hôpital complémentaire de Grand Lebrun. Elle devient en avril 1916 infirmière militaire titulaire. La jeune femme fut mandatée en mars et avril 1917 pour suivre à Paris, à l’école Édith-Cavell et à l’Institut Pierre-Curie, les cours de manipulatrice en radiologie de Marie Curie. À la fin de son stage, munie de son diplôme d’aide-radiologiste, elle revint à l’Hôpital complémentaire n°4 où elle reprit son poste jusqu’au début du mois de juin 1917. Sans doute pour fuir une relation pesante, elle quitte avec deux de ses camarades Bordeaux le 21 juin 1917 pour l’hôpital militaire de Belfort près du front. Entre juin et juillet 1918, elle intègre une équipe chirurgicale mobile dans la Meuse et termine finalement la guerre à Bordeaux, dans un service de grands blessés, et ce encore bien après l’armistice de 1918.
Elle laisse de cette période une correspondance, un journal (21 juin – décembre 1917) et quelques photographies qui ont bénéficié d’une publication aux Editions d’Albret en 2008. L’ensemble de ces sources directes permet de suivre le travail d’une infirmière militaire soumise aux bombardements des avions et de l’artillerie lourde allemande, soumise au stress de l’arrivée massive de blessés lors des grandes offensives. Celle du printemps 1918, lancée par les Allemands, est de ce point de vue la plus éprouvante : « Jamais je n’avais eu si horreur de la guerre ; je n’étais plus une infirmière mais une ensevelisseuse (…) » (lettre du 2 avril 1918). Loin des caricatures patriotiques et des discours mobilisateurs, Léonie Bonnet donne à lire un témoignage poignant de ce que pouvait être le quotidien d’une infirmière en guerre. Animée d’une volonté de servir, Léonie s’emploie à faire le maximum pour venir en aide aux blessés. Tantôt image de la mère, de la femme, de l’amante, elle décrit avec empathie le sort des soldats diminués et relève le 2 juillet 1917 : « ces chers petits (…) ne chantent plus comme en août 1914, lorsque nous les regardions passer des fenêtres de l’hôpital de Montbéliard. » Le travail harassant devient difficile lorsque Léonie perd certaines de ses camarades tuées lors des bombardements allemands.
Plus qu’un récit de guerre, le journal intime de Léonie Bonnet livre aussi les réflexions d’une jeune femme éprise de liberté et d’autonomie, qui trouve dans le conflit un espace pour sortir d’un destin tout tracé « A Bordeaux, jamais je ne serais sortie ainsi, ici je ne connais personne, ça m’est égal et je suis folle de joie de me sentir enfin en liberté sous ce déguisement civil » (9 juillet 1917). Elle admire en cela le courage de certaines de ses amies qui arrivent à se faire prendre en photo dans Belfort au côté de plusieurs soldats.
Un tel témoignage conduit ainsi l’historien à la fois sur le terrain de l’histoire militaire, sociale, mais aussi vers l’histoire des genres et celle des corps, abondamment accessibles par le témoignage de Léonie Bonnet, infirmière de guerre.
Bibliographie : LAFON Alexandre, PIOT Céline, « Aimer et travailler ». Léonie Bonnet, une infirmière militaire dans la Grande Guerre, Nérac, Éditions d’Albret, 2008, 191 p.
Alexandre Lafon, juin 2012