Henri-Louis Vaubourg est entrepreneur de travaux Publics au Val d’Ajol dans les Vosges, société créée en 1850 et située en face de la gare. Il a 39 ans et est donc mobilisé comme réserviste. Technicien, cela semble logique qu’il soit affecté au 5e régiment du génie de Versailles auquel il dit appartenir en août 1914 (page 13). Il effectue en guerre de multiples emplois et dit après sa blessure, « le 10 février 1919, je quittais l’hôpital de Beauvais. Deux jours après, à Bourges, par un détournement de majeure, je ravissais à l’assistance Publique sa plus jeune surveillante » (page 323). On sait après guerre qu’il aura des enfants, dont Jacques, né en 1924, à qui il dédiera son pacifisme.
Vaubourg, H., O crux ave. Morituri te salutant. Val d’Ajol (Vaubourg), 1930, 323 pages.
Henri Vaubourg reçoit l’ordre de mobilisation à Versailles et rejoint le régiment du 5e génie, affecté à la compagnie de réserve des chemins de fer à Lyon. Il précise alors que la mobilisation effectuée par train nécessitait de la part de la compagnie des chemins de fer un effort énorme et de la part du gouvernement une surveillance accrue pour éviter d’éventuels sabotages. « Dans toutes les régions de France, une compagnie de sapeurs de chemins de fer fut envoyée à la mobilisation, avec tout le matériel de secours nécessaire. Stationnant à un nœud important de voies ferrées, elle était prête à intervenir immédiatement pour réparer les dégâts, si un accident se produisait dans son rayon d’action ». Ce qui ne se produira pas, reléguant Vaubourg à des emplois éloignés de la guerre. Il est alors affecté comme chef de gare à Pont-à-Mousson où un accident stupide – l’éclatement d’un détonateur d’obus – l’oblige à un séjour hospitalier à Nancy dont il décrit l’ambiance. Sorti peu de temps après, Noël 1914 est passé « au front », dans la forêt de Champenoux.
Milieu avril 1915, il est affecté dans une compagnie de réservistes territoriaux à Lempire (Landrecourt-Lempire), dans la région meusienne où il participe à des constructions de voies ferrées. Il en profite pour visiter et décrire Verdun et quelques impressions avant de bouger à nouveau pour participer à la construction du funiculaire de Bussang, dans les Vosges, qu’il quitte à la veille de Noël 1915. Il est affecté à Perrigny où un grand centre de triage ferroviaire est projeté puis à Clermont-Oise pour du terrassement et enfin à Proyart (Somme) où un ravin est à combler de remblais.
Septembre 1916, le territorial doit organiser la gare de Montauban-de-Picardie puis de Guillemont (Somme).
Aux alentours du début de 1917, sur sa demande, Vaubourg parvient « au piston » à se faire verser dans une unité combattante et rejoint le 152ème R.I. au dépôt divisionnaire de la 164e DI à Château-Thierry. Il va d’ailleurs, à cette place, contempler la détresse de l’armée qui sombre dans les remous des mutineries de 1917. Témoin de réunions antimilitaristes, il nous affirme qu’ « à l’arrière, c’est lamentable ». Les trains dégradés amènent un lot d’apaches débrayés, pris de boissons fortement, gardés par les gendarmes avant que le général Pétain ne « brise dans l’œuf l’anarchie naissante ». Pour ce faire, il créée des sections de discipline divisionnaires, unités chargées de mater les punis (à une moyenne de cinq ans de travaux publics avec suspension de peine) et les récalcitrants. Il en explique d’ailleurs le fonctionnement et les caractéristiques des sections disciplinaires (page 162 à 166). Gradé, Vaubourg en sera l’unique volontaire et fera ses armes à Dormans où il prend en main, hors du front, cette bande d’hommes « peu sûrs ». La discipline étant la force des armées, ces sections seront un véritable succès et la rébellion définitivement matée.
Le 25 juin 1917, le 152e est à Craonnelle, où il participe à l’affaire de la Caverne du Dragon et l’hiver 1917 transporte la section de discipline à Verdun, où elle est chargée du ravitaillement des troupes en ligne. Six mois plus tard, la section passe au 133e RI à Blainville-sur-l’Eau, dans la forêt de Parroy puis Neuilly-Saint-Front (Aisne) où s’est déclenchée la Friedensturm. Balancé sur divers points de l’arrière front, il se trouve le 17 juillet à Chezy-en-Orxois (Aisne). Le 15 août, il sauve des blessés contaminés par un obus à gaz et est atteint aux yeux ; aveugle, il est transféré à l’hôpital de Bourges. Là, il fait un long rêve allégorique (41 pages) emmenant ses hommes au Paradis. Il termine la guerre sur son lit de souffrances, qu’il ne quittera que fin décembre. Attiré par les femmes, qu’il parvient à côtoyer tout le long de sa campagne, il se marie au début de 1919.
3. Résumé et analyse
L’auteur nous donne à lire un livre simple et très singulier. En effet, mobilisé comme réserviste, il ne verra le front que par épisodes encore éloignés et bien que gradé, n’accèdera pas à une unité combattante. Vaubourg ne nous trompe pas d’ailleurs et l’affirme lui-même à plusieurs reprises ; « je ne vis pas grand’chose à la bataille ». Il donne ainsi une bonne définition de lui-même « guerrier jusqu’auboutiste pour la défense de mon pays, je répugnais au meurtre, même dans l’exercice de la guerre. Je suis rigoureusement certain de n’avoir tué, ni blessé personne, même par imprudence, mais sans le savoir par une balle perdue car je n’y ai jamais tiré un coup de fusil ». Militaire pacifique, il abhorre les bellicistes tout en restant lucide : la force et la résolution sont les garantes de la tranquillité des peuples. Son ouvrage, autoédité, paraîtra d’ailleurs avec un bandeau intitulé « Le droit chemin du pacifisme ».
L’ouvrage est également un bon témoignage sur les réservistes du train, arme méconnue du conflit où l’absence de gloire apparente de la fonction a peu fait écrire les protagonistes. Dans l’ensemble, Vaubourg décrit bien, par épisodes, ce qu’il a vu de sa guerre. Il se rappelle les lieux et les hommes et pointe de nombreuses anecdotes vues ou rapportées sans détail et avec un certain regard philosophique. Toutefois, comme souvent, ces témoignages ne sont pas vérifiés et la part de légende ou de fausseté est parfois importante. Qu’en est-il quand, au cimetière du Faubourg Pavé de Verdun, il dit être témoin de ses fossoyeurs jouant aux boules avec une tête de mort (page 57). Il en est ainsi aussi de quatre historiettes sensées se dérouler à Senones (Vosges) pendant la guerre, narré par procuration, et vantant la bonté des Allemands occupants la ville-front. L’histoire de cette localité sous le feu de la guerre pendant quatre ans ne fut en fait que souffrances et privations croissantes et aucune autre source ne vient corroborer ces histoires extraordinaires.
Singulier est aussi son rapport avec les femmes qu’il parvient à côtoyer sur les arrières de la guerre. Il en parle d’un ton badin mais avec finesse.
Globalement d’un grand intérêt, l’ouvrage pêche principalement par 41 pages d’allégorie religieuse, grand délire comateux amenant l’auteur au Paradis pour discuter avec la Sainte Trinité. Les lignes sont belles mais l’historien y perd en témoignage sur la matière.
L’ouvrage est finalement un mélange de témoignage, de roman et d’inutile. La partie témoignage est intéressante du fait de la position de réserviste de Vaubourg qui nous dépeint, certes superficiellement, mais correctement des aspects méconnus de la guerre (réserve du train ou sections de discipline). Sa vision des choses et des hommes qui l’entourent est réfléchie, teintée d’un humour fin et agréable. L’homme ne fait aucune esbroufe et ne ment pas sur sa qualité de guerrier non-combattant. Il ne raconte que peu de combats auxquels il n’a pas pris part. Quelques renseignements sont donc à tirer de l’ouvrage dans lequel l’attrait principal peut être trouvé dans les portraits des unités spécifiques qu’il intègre et les réflexions de guerre exprimées par l’auteur. Il convient donc de se reporter au texte pour retrouver les passages intéressants et pour suivre le déplacement de l’auteur au sein des arrières des 152e et 233e RI.
On peut suivre l’itinéraire géographique de Vaubourg tout au long de son périple et quelques dates éparses permettent une chronologie utile. En frontispice, un portrait de l’auteur.
Yann Prouillet, CRID14-18, décembre 2011