1. Le témoin
Il est né le 28 décembre 1898 à Murat (sur Vèbre), Tarn, dans une famille de cultivateurs. Lui-même poursuivra sur l’exploitation familiale. De la classe 18, célibataire, il est mobilisé au 3e RAC à Carcassonne en 1917. La période d’instruction lui paraît « un des plus heureux temps » de sa vie. Il arrive sur le front en janvier 1918 à Arras, dans la boue. Il passe au 208e RAC et considère que les servants de la pièce forment « une véritable famille ». Il combat lors des attaques allemandes du printemps, puis lors de la contre-offensive, jusqu’au 24 octobre 1918, jour de son départ en permission. Le 11 novembre, en route pour un retour au front, il note sa satisfaction de n’avoir plus à « tirer la ficelle ». Il fait alors un séjour en Belgique puis à Aix-la-Chapelle avant d’être envoyé en Orient. De retour chez lui en juin 1920, il constate : « J’étais civil et pour de bon. »
2. Le témoignage
C’est alors, et jusqu’au 24 février 1921, qu’il a rédigé ses souvenirs, conservés par la famille, retranscrits dans Cahiers de Rieumontagné, n° 42, août 1999.
3. Analyse
Lors des combats de 1918, fin juin, l’artilleur écrit : « On n’arrêta pas de tirer pendant deux heures trente, les pièces étaient rouges, on refroidissait les tubes avec de l’eau qui en sortait bouillante. Dans la matinée, on avait tiré 600 obus par pièce, ce qui commençait à compter. » En août, il voit les chars Renault à l’attaque. En septembre, au moment de la prise de Noyon, les prisonniers allemands disent « qu’il ne faisait pas bon être face à notre artillerie ». En octobre, sa pièce explose, tuant deux hommes et en blessant deux autres : « Voir tomber mes meilleurs amis, je ne pus accepter cette vision, et je restais comme fou un moment. »
La suite est intitulée « Deuxième phase de mes campagnes, ou Campagne d’Orient et du Levant ». Passant à Naples, Romain Julien constate : « Sur la droite, dominant la ville, le Vésuve jetait, de temps en temps, une fumée noire ressemblant à l’éclatement d’un obus de gros calibre. » Dans les Dardanelles, le bateau avance lentement « avec la crainte de rencontrer quelque mine à la dérive ». À Constantinople, il visite « une bonne partie de Stamboul, Sainte-Sophie, d’autres mosquées et tout un tas de choses intéressantes, ainsi que le pont de Galata et le quartier environnant. On se payait quelques bonnes parties de rire avec leur religion musulmane et les femmes voilées. » Devant Odessa, des navires de guerre de toutes les puissances alliées ont leurs canons braqués sur la ville ; on débarque et : « Les civils miséreux nous regardaient défiler d’un œil éteint. »
Il faut cependant évacuer, à l’approche de l’Armée rouge. Les bolchevistes accordent 48 heures. Les Français obtempèrent après avoir défoncé des tonneaux de gnole « à coups de hache ». « Aussi, dans cette belle armée, ce jour-là, ce n’étaient pas les hommes qui conduisaient les mulets mais tout le contraire, sans compter ceux qu’on avait montés ivres morts dans les voitures ! » Les soldats en ont assez ; des sentiments de révolte apparaissent. Des quantités de matériel militaire sont abandonnées. Le retour se fait par la Bessarabie et la Bulgarie, puis a lieu un transfert vers la Syrie où il faut lutter contre les Turcs. Le groupe, qui aspire à « la classe », est enfin rapatrié, de Beyrouth à Marseille.
Rémy Cazals