Alrhic Buffereau en mai 1915
1. Le témoin
Alrhic (ou Alric) Armel Onésime Buffereau est né le 17 novembre 1896 à Naveil (Loir-et-Cher) de Anatole et de Lucie Norguet, cultivateurs possédant également des vignes. Ayant un frère, Alcide, né trois ans après lui, il est issu d’une famille modeste, dans un milieu rural où « peu de gens lisaient les journaux locaux. Bien des ménages et jamais sortis du « pays » (page 9). Il sort de l’école à 14 ans avec le certificat d’études primaires mais dit de son avenir : « Sans ambition à la sortie de l’école, ma place est toute trouvée : je devais remplacer à la maison le domestique que mon père embauchait tous les ans de la Chandeleur à la Saint-Martin » (page 9). Le 15 décembre 1914, l’appel de la classe 16 le mène au conseil de révision qui le déclare bon pour le service. S’il rejoint le 15 avril 1915 le 46e RI de Fontainebleau et fait son instruction de guerre à Estissac, dans l’Aube, il n’arrive au front qu’en novembre 1916, à Oulchy-le-Château dans l’Aisne. Là, il fait de nouvelles classes pour intégrer une compagnie de mitrailleuses, stage qui le tient éloigné des premières lignes encore quelques mois à l’issue desquels il entre dans la 3e compagnie de mitrailleuses du 53e RI de Perpignan, en ligne au Mont Têtu, en Champagne. En octobre, il gagne Dommiers, dans l‘Aisne jusqu’au début de 1917 où il monte dans le terrible secteur des Eparges. Il y connaît la guerre de tranchées dans un secteur bouleversé par les mines et sous le bombardement permanent des minenwerfer. A l’été 1917, il occupe à nouveau le secteur des Monts de Champagne et c’est à Verdun qu’il échoue au début de septembre, au tunnel de Tavannes, pour quelques jours. Il retourne en Champagne quand la situation alliée défaille sur la Somme. Il arrive en pleine bataille à Ailly-sur-Somme le 3 avril 1918. Constatant que « je n’ai que 21 ans et je suis le plus ancien de la compagnie » (page 60), il répond alors une demande de volontaires pour le poste de mitrailleur aérien. Contre toute attente, il part le 8 mai pour le 1er groupe d’aviation de Dijon commencer sa formation. Il change radicalement de condition, travaille correctement et est désigné « bombardier de jour » au camp de Châteaudun. Mais avant qu’il y parvienne, au cours d’une « épreuve de hauteur », l’avion, touché par un éclat d’obus au-dessus des lignes, atterrit en territoire ennemi. Buffereau est fait prisonnier avant même d’avoir été combattant aérien, le 28 septembre 1918. Il est interné au camp allemand de Bernau puis à celui de Lechfeld où il apprend la fin de la guerre le 25 novembre seulement. Le lendemain, les portes du camp sont ouvertes et il parvient à rentrer en France le lendemain de Noël 1918. Après guerre, de 1921 à 1967, il épouse Louise Toussaint et tient pendant 46 ans un café-restaurant dans sa commune de naissance, Naveil. C’est à sa retraite qu’Alrhic Buffereau décide de se remémorer sa terrible guerre et en rédige 200 pages de notes, adjointes de lettres, cartes postales, documents ou photos. Il décède à Naveil le 13 novembre 1985.
2. Le témoignage
Alrhic Buffereau, Carnets de guerre, 1914-1918, Vendôme, Libraidisque, 1983, 91 pages.
D’un indéniable intérêt, ces « carnets de guerre » en forme de souvenirs recomposés par leur auteur soixante années plus tard – si le présentateur parle de 1967, la dernière date notée est 1974 –, pêchent par leur minimalisme. Où sont les 200 pages de notes et de lettres évoquées par M. Ferrand, présentateur, tant il ne reste qu’une soixantaine de pages éditées sur cette masse. Comment s’est opérée la réduction ou l’épuration ? Dès lors, comment partager l’optimisme du préfacier sur la réalité du « mérite de l’auteur (…) d’avoir parfaitement réussi à coordonner les notes qu’Alrhic Buffereau portait sur des cahiers, lorsque les combats le permettaient, rendant ainsi plus sensibles la cohésion et l’unité du livre » (page 7). Il n’en reste hélas que trop peu pour conclure à un témoignage référentiel. En effet, si les différents épisodes de la guerre de Buffereau sont abondants quoique survolés, l’ensemble manque de précision et de délayage. Toutefois, on peut deviner en filigrane les évocations peu rencontrées par ailleurs de la misère sexuelle dont s’épanche épisodiquement l’auteur, exhaussant quelque peu l’intérêt de ces trop courtes notes. Mal introduit, l’ouvrage est ponctué de trop nombreuses fautes et erreurs toponymiques qui dénotent une absence de rigorisme de vérification (cf. la Loi Dalbiesse page 46 ou Cormontreuille page 28) et les noms de personnes sont caviardés.
3. Analyse
Ses premiers souvenirs concernent le climat de mobilisation : « Je me rappelle avoir passé la première nuit à garder un carrefour, à Naveil, un fusil de chasse à la main. Nous avions l’ordre d’arrêter tout le monde et de demander le mot de passe : « Cambronne », car soi-disant, le pays était infesté d’espions » (page 18). Suivent une vision intéressante de la classe 16 à l’arrière avant sa mobilisation : « Sachant que les femmes ont besoin de nous, nous jouons aux caïds. (…) Personne pour nous réprimander, nous en profitons. Les distractions étant toutes supprimées (bal, cinéma, fête foraine…), le dimanche, nous nous réunissons dans les caves, et buvons, buvons, pour oublier. » (page 20). Il fustige les pistonnés, amis d’un député influent, qui parviennent à se faire réformer et participe, le 12 janvier 1915, à une « chasse aux réformés » (page 23). Enfin arrivé au front, il assiste à la vision traumatique de l’exécution d’un jeune soldat : « C’est pénible à voir. (…) Lorsque nous revenons au campement, tous écoeurés, nous n’avons échangé aucune parole. Pauvre gars fusillé à vingt ans pour avoir eu peur. Ce spectacle reste gravé dans notre esprit pour toujours » (page 34). Tout aussi traumatique est l’impression dégagée par une permission, à l’été 1917 : « Les quelques civils du train nous fuient. (…) Dans les cafés, la clientèle se compose uniquement d’ouvriers réformés ou retirés de l’armée pour travailler dans les usines comme spécialistes ou des galonnés qui font l’instruction dans les centres mobilisateurs. Moi j’appelle ces messieurs des « embusqués ». En uniforme fantaisie, ils paradent et parlent de la guerre comme s’ils savaient ce qui se passe au front. (…) Je vais rendre visite à une cousine de Villiers. Pour me remonter le moral, elle me dit : « T’es donc encore pas mort ! » (…) Mes dix jours écoulés, il faut reprendre le chemin du retour. Ecœuré par toutes les réflexions entendues, fatigué par une journée entière passé dans le train, c’est le cœur gros que je retrouve mes camarades qui, comme moi, ont été déçus par les propos tenus par « l’arrière » (page 42). Il n’est pas non plus tendre avec les officiers ; en repos vers Vitry-le-François : « Les officiers se font voir, ils n’ont plus peur, même à l’exercice » (page 45). Il relate aussi sa misère sexuelle. Dans un café, il parvient « en cachette à embrasser la bonne » (page 46) ; « Il est vrai que le soldat trouve toutes les filles belles » (page 69). Y revenant ponctuellement, il constate que « les maisons publiques regorgent aussi de soldats, surtout de gradés en uniforme fantaisie qui dansent avec de belles filles maquillées, presque nues (…). Lorsque nous entrons là-dedans avec nos brodequins, bandes molletières, capotes et ceinture, personne ne fait attention à ces pauvres poilus. Nous nous contentons de regarder une demi-heure en sirotant un demi. C’est là tout le plaisir que nous avons. » (page 46). Il revient sur ces bordels car « un beau jour, [s]a section doit assurer un service de garde à la maison close » où « assis sur un banc, nous contemplons le défilé, un défilé incessant qui permet de regarder tous les régiments possibles et imaginables, même des tirailleurs sénégalais. Parfois il y a de la bagarre tant ils sont pressés (…) C’est l’abattage (cent clients par jour). (…) C’est pire qu’à l’usine : 9 heures-midi et 14 heures-20 heures, sans arrêt, ni buvette, ni musique. » (page 53). Buffereau rapporte aussi quelques rumeurs ; « J’ai entendu des choses incroyables qui se colportent : des Sénégalais avec des oreilles ennemies embrochées tout au long de leurs baïonnettes, des gendarmes pendus à des crocs de boucher à Verdun… » (page 54). Enfin, dans les souvenirs de sa captivité ressortent plus particulièrement une nourriture invariable, « pas de travail (…) rien à lire, aucun jeu. Nous restons avachis sur nos lits et parfois l’on s’amuse à « brûler des pets » ! (page 75). L’ouvrage s’achève sur un rappel chiffré du bilan, d’une conclusion de Buffereau, d’une chanson, « La valse des réformés » et d’une lettre sur l’hécatombe de sa section.
Liste des communes citées (date – page) :
1914 : Naveil (Loir-et-Cher) (17-25).
1915 : Fontainebleau, Estissac (26-27).
1916 : Oulchy-le-Château, Grisolles (avril – 28-29), Cormontreuil, Oulchy-le-Château (juin – 29), Dampierre-le-Château, mont Têtu, Ville-sur-Tourbe, bois d’Auzi (26 juin – 1er octobre – 30-34), Mareuil-en-Dole, Dommiers (octobre – décembre – 35-36).
1917 : Nançois-Tranville, colline des Hures, Rupt-en-Woëvre, les Eparges, Point C (janvier – juillet – 37-42), Mont Haut (12-27 juillet – 43-45), repos à Saint-Amand-sur-Fion (28 juillet – 8 septembre – 45-46), Verdun, caserne Marceau, ravin de Hassoule, ravin des Rousses, tunnel de Tavannes (9-20 septembre – 47-51), Epernay, Flavigny, Avize (repos) (22 septembre – 19 novembre – 51-52), Prosne, ferme de Constantine, Mourmelon (20 novembre 1917 – 20 mars 1918 – 53-55).
1918 : Bois de la Pyramide, Sept-Saulx (20-27 mars – 54), Ailly-sur-Noye, Mailly-Raineval, Amiens, Estrée-Saint-Denis (3-9 avril – 55-58), Champagne, Sept-Saulx, les Marquises, Mont Cornillet, Mont Blon, Mont Haut, Mont Perthois, Mont Sans-Nom, la Cage à Poule (mai – 59-60), école d’aviation de Cazeau, La Teste, Arcachon, Le Crotoy (mai – septembre – 61-65), Allemagne, camp de Bernau, camp de Lechfeld, retour en France (septembre 1918 – février 1919 – 65-82).
Yann Prouillet, CRID14-18, septembre 2011