1. Le témoin
Ferdinand Belmont est né le 13 août 1890 à Lyon de Régis et de Joséphine Marguerite Raillon. Issu d’une famille implantée à Grenoble depuis 1893, il a six frères et une sœur ; Jean, Joseph, Maxime, Paul, Émile, Jacques et Victorine, tous élevés dans la foi catholique. Son père est le neveu de monseigneur Belmont, évêque de Clermont et sa mère est l’arrière petite nièce de monseigneur Raillon (évêque de Dijon et archevêque d’Aix). Quand la guerre survient, Joseph se destine à être prêtre, Jean est en classe préparatoire à l’institut polytechnique de Grenoble alors que Ferdinand fait des études de médecine. Maxime deviendra un brillant architecte et le conservateur des antiquités et objets d’art des Hautes-Alpes. Ferdinand Belmont fait son temps militaire au 14ème BCA de 1908 à 1910, qu’il quitte comme sous-lieutenant, grade avec lequel il entre en guerre avec le 51e BCA avant d’être nommé lieutenant le 2 septembre 1914 et capitaine le 23 octobre suivant. Gravement blessé par éclat d’obus dans les environs du Hirztein, il meurt le 28 décembre 1915 à Moosch (Haut-Rhin).
2. Lé témoignage
Belmont, Ferdinand, Lettres d’un officier de chasseurs alpins. (2 août 1914 – 28 décembre 1915), Paris, Plon, 1916, 309 pages. Le texte paraît d’abord sous la forme d’extraits commentés par Henry Bordeaux dans le numéro 1216 du Correspondant du 25 septembre 1916.
Le 7 août 1914, le sous-lieutenant Belmont, du 51e BCA est en garnison à Annecy pour une période de garde à la frontière Italienne, à Macot (près de Bourg-Saint-Maurice), afin de se préserver d’un éventuel basculement de ce pays vers l’entente. Cette latence, qui ronge le patriotisme du fougueux officier s’achève enfin le 22 août avant qu’un trajet de trois jours de train dépose le 51e à Saint-Dié (Vosges). Dès lors, les choses s’accélèrent pour celui qui veut combattre à tout prix et montrer sa valeur car le baptême du feu, au hameau de Dijon (2 km à l’est de Saint-Dié) sera terrible ce 26 août 1914 et les jours suivants. Epuisé, affamé, sale et au moral atteint, Belmont a livré ses premiers combats, cerné par la mort de camarades et de ses supérieurs, à l’héroïsme inutile et sacrificiel et occasionnant au 51e des pertes sans nombres. « Du 51e, il ne reste que des débris. Je ne sais pas combien d’hommes sont tués ou blessés. Il n’y a plus de capitaines ; la moitié des lieutenants ou sous-lieutenants sont tués ou blessés ; il y a des hommes égarés qui ne nous ont pas retrouvés » (page 35). « Ainsi s’égrène le 51ème Chasseurs ! » (page 38) tant et si bien que ce bataillon est dissous et les lambeaux de compagnies restantes, exsangues, se fondent dans les effectifs du 11ème B.C.A., tout aussi terriblement éprouvé. Nous sommes le mercredi 2 septembre, date qui coïncide avec la nomination de Belmont au grade de lieutenant.
Les combats sont maintenant moins violents, ponctués par les canonnades d’artillerie avant que les défenseurs de la Haute Meurthe ne s’aperçoivent, le 11, de la retraite de l’ennemi. Saint-Dié est immédiatement réoccupé et le bataillon n’est désormais plus utile dans ce secteur. Le 15, il est transporté à Magnières (au nord de Rambervillers) puis Clermont, Fournival-l’Argillière avant Péronne où le 11e est éprouvé dans cette « Course à la mer » qui l’a amené sur la Somme. Rapidement l’enlisement s’installe et c’est désormais sous la surface du sol que vont se poursuivre les engagements durant le mois d’octobre qui verra tout de même, le 18, la reformation et le rééquipement du 51e BCA. Le 11e est aussi réorganisé et notre officier garde le commandement de la 6e compagnie avec le grade de capitaine qui suivra très vite (le 23).
Le 12 novembre, nouveau déplacement du bataillon qui va connaître les Flandres de manière tragique, puisque le train qui les emmène en gare d’Hazebrouck percute un autre convoi, occasionnant la mort de deux soldats. Là, Belmont côtoie le flegme et l’organisation britanniques mais aussi la grisaille et le malheur belges dans le village de Dickebusch (ou Dikkebus).
Les attaques et les périodes de repos se succèdent sous le froid et la boue du Nord tout le reste de l’année 1914, où le front s’est définitivement cristallisé et enterré. Le 5 janvier 1915, le bataillon est au cantonnement et au repos à Gérardmer. La ville est paisible et n’a l’aspect d’une ville en guerre que par suite de l’affluence militaire et Belmont va jouir de cette relative quiétude jusqu’au 4 février où il est commandé pour une reconnaissance en Alsace par le Rudlin et le Lac Blanc. Mais en fait, c’est une globale inactivité qui ponctue la vie de Belmont qui ne s’accommode que très mal de l’ordinaire.
Le 20 février, les combats reprennent pour l’officier dans les bois du Sattel (près de Munster) mais ils vont dès lors dépasser en horreur ce que Belmont avait juqu’alors connu. Le 11e va encore souffrir tant de l’ennemi que du froid et de la neige. Des attaques successives, inutiles, vont se suivre et se ressembler dans la violence et le sacrifice pendant toute l’année 1915 sur les hauteurs de Metzeral, au Linge, au Schratzmannele, au Reichackerkopf ou Braunkopf. Un cours répit au début de juillet, pendant lequel Ferdinand Belmont pourra embrasser une dernière fois sa famille avant de remonter vers le « tombeau des Chasseurs ».
Le 30 juillet, il attaque « sur ces fronts bardés de fer et hérissés de citadelles, défendus par des engins de plus en plus écrasants… ». Il y sera d’ailleurs légèrement blessé d’un éclat. Mais le Linge est un sommet inexpugnable et le 20 août est une hécatombe. Une attaque un temps victorieuse est contre-attaquée et reprise si vivement que Belmont refuse de proroger le massacre qui laisse le 11e en ruine, avec 70 hommes en ligne. « Je ne sais pas quand on nous relèvera ; nos poilus sont en loques, les godillots bâillent, les pantalons sont encore bien plus inquiétants. De se laver, il n’est pas question. Les hommes n’ont pas pu changer de linge depuis un mois, et quand il ne fait pas trop froid, ils se distraient en faisant la chasse à leurs poux ! »
Le 4 septembre 1915, Ferdinand Belmont bénéficie d’une nouvelle permission de quelques jours. Un court repos à Corcieux avant un autre sommet sanglant, le Schratzmannele surnommé le Schratz où également règnent le froid, la boue et le brouillard.
Le 28 décembre, à 4 heures du matin, sur les pentes inférieures de l’Hartmannsvillerkopf, au seuil de l’Alsace, Belmont, pris sous un violent bombardement, est frappé d’un éclat d’obus au bras qui se révélera mortel et c’est le lieutenant Verdant qui apprend la nouvelle à sa famille, que l’officier avait pris soin, tout au long des mois et des lettres, de préparer à cette issue qu’il acceptait en toute piété.
3. Analyse
Dans une très grande préface (54 pages) Henry Bordeaux, savoyard, ami de la famille Belmont, magnifie la valeur testimoniale exceptionnelle de qualité de l’officier de chasseurs et reprend en panégyrique la biographie de l’officier. Cette amitié avec Henry Bordeaux est également due au fait que le 11e BCA commandé par le lieutenant-colonel Bordeaux, frère de l’écrivain. Toutefois, ses envolées, par trop littéraires et mystiques, n’atteignent pas la qualité d’expression de leur sujet.
Cet ouvrage offre au lecteur un témoignage d’une grande philosophie, d’une humanité teinté au fil des pages de la plus grande piété et de la conscience du sacrifice ultime. Ferdinand Belmont rédige avec un style simple et particulièrement bien écrit, décrivant souvent avec beaucoup d’à propos les lieux, les faits et les personnes qu’il côtoie. Ce sont surtout ses sentiments qu’il dépeint en toute circonstance, conscient du rôle qui lui est dévolu et de son infinie petitesse « perdu dans cet océan d’hommes« .
Doué d’une grande clairvoyance mais aussi d’un souci très profond de l’Homme, il a semblé un chef très humain, allant jusqu’à refuser l’attaque (page 239) sans le regret de l’insubordination militaire. Belmont a conscience de son rôle d’officier, qu’il analyse opportunément (page 284). Ces lignes sont finalement admirables de style et de clairvoyance et l’on peut y trouver le rapport assez fidèle non seulement de ses faits d’arme mais aussi de son état d’esprit du moment. On peut également trouver une multitude de détails techniques dépeints par Belmont avec précision mais aussi avec franchise, souvent censurée par ailleurs. Il faut se souvenir que les lettres reproduites ont été envoyées par l’épistolier sans aucun souci de parution ultérieure et que sa plume n’est guidée que par les sentiments du moment et une très grande dévotion parentale. Ainsi, sauf le sentiment de souffrance qui est volontairement éludé pour préserver sa famille des angoisses, Belmont ne cache rien de ses sentiments et des ses perceptions et c’est intact que nous sont livrés ces éléments indispensables à l’historien. Ainsi, il a conscience de ne pas s’appartenir dans la guerre : « Je ne puis vous dire à quel point, depuis le début de cette guerre, la sensation de n’être rien par moi-même ; je ne me rends nullement compte de la part que je prends effectivement à ce que je fais, et il me semble être comme une feuille saisie dans un ouragan » (page 118).
Belmont nous décrit assez superficiellement les lieux traversés, les combats auxquels il prend part, les personnes qu’il côtoie, sans que les noms ne soient occultés. Il reste médecin, notamment quand il perçoit les effets de l’alcool sur la santé de la population savoyarde (page 12) et s’interroge sur la présence d’alcools divers mais aussi d’éther sur les soldats allemands faits prisonniers (page 154). Il décrit également une opération d’exhumation, accompagnée d’honneurs et du culte des morts (page 274). Il fait œuvre de peu de bourrage de crâne et l’espionnite (page 156) n’est que rapportée, non constatée. Faisant esprit d’analyse, il digresse parfois sur des considérations comparatives entres les esprits allemand et français (page 160) ou alsacien (page 169) et loue l’organisation allemande (page 192). Multipliant les descriptions, panoramas et anecdotes, son témoignage fourmille de détails, y compris dans les rapprochements entre belligérants (tel ces contacts entre ennemis par des échanges de boîtes à messages et de journaux lestés de pierres page 268). Il est possible ainsi de suivre l’officier chronologiquement et géographiquement de manière très précise, ce qui permet de vérifier et de confronter cette richesse d’enseignements avec les autres textes existants sur le même front. Sans conteste, les lettres de Belmont sont une référence qualitative sur les opérations des Vosges et des Hautes Vosges. Les Lettres d’un officier de chasseurs alpins sont donc à classer dans le panel très restreint des ouvrages dont l’utilisation pour l’étude est indispensable tant les enseignements sont à retirer dans l’ensemble de ce témoignage de tout premier ordre sur les opérations des Vosges.
Bibliographie complémentaire
Dussert A., Ferdinand Belmont d’après les lettres d’un officier de chasseurs alpins (2 août 1914 – 28 décembre 1915). Grenoble, Allier Frères, 1917, 41 pages.
Crenner Pierre (Col), Les belles lettres du capitaine Belmont. Colmar, association du Mémorial du Linge, 1998, 14 pages.
Huguet (Abbé), Ferdinand, Jean, Joseph Belmont (1914-1915). Lettres de Mgr Caillot, évêque de Grenoble. Mgr Girayr, évêque de Cahors. Notices de Mr le chanoine Martel, Supérieur. Insérées dans le Livre d’Or du Rondeau-Montfleury. Slnd.
Bulletin de l’Académie Delphinale, Abbé A. Dussert, Grenoble 1917.
Bulletin de la Société d’Histoire du Canton de Lapoutroie – Val d’Orbey, Jecker L. 1995.
Huguet G., Livre d’or du Rondeau. Anciens maîtres et élèves tombés au champ d’honneur pendant la guerre 1914-1919. Imprimerie Guirimand (Grenoble), 1921, 520 pages. La notice sur Ferdinand Belmont figure en page 62.
Lien Internet utiles
http://hwk68.free.fr/belmont_177.htm
http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Ferdinand_Belmont
Autres témoignages rattachables à de cette unité :
COUDRAY, Honoré, Mémoires d’un troupier. Un cavalier du 9ème Hussards chez les chasseurs alpins du 11ème B.C.A. Bordeaux, Coudray A., 1986, 228 pages.
ALLIER, Roger, Roger Allier. 13 juillet – 30 août 1914. Cahors, Imprimerie Coueslant, 1916, 319 pages.
BOBIER Louis, Il avait 20 ans en 1913. Louis Bobier un Poilu de Bourbon dans la Grande Tourmente. Bourbon, L’Echoppe, 2003, 447 pages.
JOLINON, Joseph, Les revenants dans la boutique. Paris, Rieder F., 1930, 286 pages (roman).
Yann Prouillet – 10 janvier 2011