1. Le témoin
Maurice Faget avait 37 ans en 1914. Il est né à Cassaigne (Gers) le 5 juillet 1877 dans une famille de propriétaires ruraux aisés. Ses études l’ont porté jusqu’au « niveau bac », après quoi il a géré les propriétés familiales. Il ne s’est marié qu’après la guerre, en 1920. Son fils est né en 1921. Maurice Faget est mort pendant la Deuxième Guerre mondiale, à Cassaigne, le 20 août 1942.
2. Le témoignage
Du 7 août 1914, au lendemain de sa mobilisation à Agen au 129e régiment territorial d’infanterie, jusqu’au 22 janvier 1919, peu avant sa démobilisation, il a écrit à sa famille, principalement à ses parents et à sa sœur aînée, Gabrielle, veuve, ainsi qu’à son neveu, également mobilisé. Il est toujours resté 2e classe, au 129e RIT jusqu’à la dissolution du régiment en août 1917, puis au Groupement de Brancardiers du Corps d’Armée. Son fils Henri a retrouvé 535 lettres et les a publiées à petit tirage : Henri Faget, Lettres de mon père, 1914-1918, chez l’auteur, château de Cassaigne, 32100 Cassaigne (henri.faget459@orange.fr). Le livre est illustré de deux cahiers de photos (Maurice Faget, ses camarades, les tranchées, ruines de Souain…).
3. Analyse
Il arrive en Champagne fin octobre 1914. Le 10 janvier, il y décrit le rôle des Territoriaux : « Quoique nous allions à notre tour en première ligne, nous n’occupons pas, nous territoriaux, les postes très dangereux et lorsqu’il s’agit d’attaquer nous sommes toujours remplacés par l’active, d’ailleurs la meilleure preuve, c’est que depuis le début de la guerre, notre régiment n’a pas de mort, ni blessé dans le service des tranchées. » En période de « repos », ils sont « occupés du matin au soir à différentes corvées toujours pour améliorer ou refaire les tranchées. Quand donc pourrons-nous lâcher les pioches et les pelles du gouvernement ? » (29 mai 1915). Ou bien (3 juin) : « Demain soir, nous rentrons au camp pour cinq jours, mais on ne désire guère plus ce séjour car du matin au soir il faut faire l’exercice comme des bleus. »
Pendant toute la guerre, Maurice Faget reçoit d’assez gros mandats et beaucoup de colis de nourriture, dont il fait le commentaire en retour. Au dire même de son fils, éditeur des lettres, le livre est « un véritable inventaire de la gastronomie gasconne, foies gras, confits, civets, ris et cervelles, volailles en accommodements les plus variés, gâteaux pastis, crêpes, merveilles, etc. » Le soldat y puise réconfort, de même que dans les lettres reçues, qui « chassent les idées noires » (7 mai 1915).
Car, les idées noires, oui, elles sont exprimées : « sale guerre » (15 janvier 1915) ; « les plus las sont les officiers qui se font évacuer en masse » (29 janvier) ; lui et ses camarades sont « rassasiés de la guerre, mais que faire ! » (7 mai). Comment la guerre pourrait-elle finir ? « Enlever une par une toutes les tranchées est, à mon avis, impossible ou bien c’est l’anéantissement complet de tous les Français valides » (18 mars 1915). « A moins d’événements extraordinaires, mon opinion, malgré tout ce que racontent les journaux, est que nous sommes encore pour longtemps sous les armes. Ça coûte trop cher de prendre des tranchées. Je crois que c’est par la famine qu’on aura les Boches et personne ne connaît leurs approvisionnements » (27 avril).
Passant à Châlons-sur-Marne, le 25 juin 1915, il note : « Je vous assure que ce mouvement de grande ville m’étonnait un peu depuis plusieurs mois que nous vivons en dehors de la vie ordinaire. » Par contre Suippes (12 juillet), Souain (13 juillet) sont en ruines. Ce sont des visions qui dépriment, de même que les faveurs accordées aux « embusqués, ordonnances, flatteurs, etc. » pour le tour de permission.
Le 26 septembre, lors de l’attaque de Champagne : « Ça chauffe ferme pas très loin de nous, mais nous ne risquons rien, ma Compagnie est affectée à amener à l’arrière les prisonniers. » Le 2 octobre : « Nous sommes occupés toute la journée à nettoyer les tranchées boches et françaises. Nous entassons le matériel abandonné et enterrons cadavres d’hommes et de chevaux. C’est plutôt navrant mais petit à petit on s’habitue à ces tristes choses et, l’égoïsme poussant, on aime mieux être croque-mort que monter à l’assaut. Il me tarde d’être plus vieux de quelques jours pour connaître le résultat de cette poussée malheureusement très dure. » Déception, le 10 octobre : « On s’attendait à un plus grand résultat de cette attaque qui nous a coûté très cher en hommes. » « Et ce sera une campagne d’hiver à recommencer, et ce printemps prochain nouvelle attaque ! C’est désespérant. » Cette hantise d’une nouvelle campagne d’hiver revient fréquemment dans les témoignages des combattants, des fantassins en particulier.
Maurice Faget obtient sa première permission en décembre 1915. En 1916, il est dans la Somme, puis dans l’Oise. Planton auprès du commandant, c’est une « gâche » qui lui permet de se chauffer « auprès d’un bon poêle » et de plaindre « les pauvres poilus qui sont dans la tranchée », mais ne l’empêche pas de soupirer après « la paix !!! », le 1er avril 1916, comme le 15 juillet après la fête nationale : « Nos quarts auraient été levés avec plus de gaieté si ce mousseux avait apporté la paix. »
Il ne participe pas aux combats de Verdun et de la Somme en 1916, mais, au 16 avril 1917, il est au Chemin des Dames, pour la seule semaine de guerre véritable qu’il a connue (d’après ses propres dires recueillis par son fils, voir p. 210). Le 20 avril, il écrit : « Nous voilà hors de la fournaise depuis hier soir et Dieu sait si on respire d’aise après les huit jours passés sur les lignes. Par miracle le 129e a eu très peu de casse à déplorer, mais hélas tous les régiments ne peuvent en dire autant. Le 2e Corps colonial dont nous faisons partie a été décimé et pour quel résultat : une avance à peu près de 1500 mètres. Je ne veux pas me souvenir de l’horreur du champ de bataille, avec tous ses morts couverts de boue. […] Nous ne savons rien de l’ensemble des opérations, depuis huit jours nous sommes sans journaux, il me tarde que le cycliste les porte, mais quelle confiance accorder à leurs dires ? D’ici une dizaine de jours on verra le résultat de l’offensive, mais déjà, pour moi, je crois bien qu’elle n’a pas donné les résultats qu’on escomptait. »
En mai 1917, il est près de Lunéville et remplit des fonctions de secrétariat : « La paperasse continue toujours à affluer, c’est effrayant. Je n’avais jamais tant usé de plumes de ma vie. Il vaut mieux bien faire ça que de monter la faction » (4 juin). En août, il est transféré au GBC. « Je fais fonction de secrétaire de l’office d’état civil du champ de bataille, chargé d’identifier les morts, recueillir leur succession et les inhumer (4 octobre). « Quand donc finiront ces massacres ? »
Rémy Cazals, juillet 2009
peu de livres sont écrits sur les poilus de la ‘territorial’ et ces lettres outre les colis reçus et la gastronomie, nous donne les détails que vivaient les poilus à l’arrière du front tout en étant prés de celui-ci et surtout avec forces détails.
Je le conseille à ceux qui ont lu aussi « je t’écris de la tranchée » de R DORGELES ou « de la mort,de la boue,du sang » du Cdt Henri Benard,