1. Le témoin
Né le 2 juin 1884 à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), fils d’un inspecteur des écoles. Après des études secondaires au lycée de Brest, c’est à Paris qu’il acheva sa formation. Ingénieur des Ponts-et-Chaussées sans être polytechnicien, il exerça dans les chemins de fer de 1919 à 1939, notamment les lignes contrôlées par l’Etat (réseau de l’Etat et chemins de fer d’Alsace-Lorraine) puis à la SNCF dont il fut directeur général de 1937 à 1939. Administrateur extraordinaire de la ville de Marseille en 1939 et 1940, préfet des Bouches-du-Rhône en 1940, ingénieur des Ponts-et-Chaussées de 1941 à 1944, conseiller d’Etat de 1944 à 1954, il a assumé alors diverses fonctions dans l’administration ou dans l’économie. Parmi ses distinctions et engagements, notons qu’il fut membre de la fondation Carnegie.
2. Le témoignage
Le but explicite de l’auteur est de retracer sa carrière à « [s]es chers petits-enfants ». Il part même de sa notice dans le Who’s Who pour se mettre à l’écriture d’une autobiographie largement professionnelle qu’il intitule « Causeries du grand-père ». La Grande Guerre n’est traitée que dans l’équivalent de 5 des 203 pages de ce texte dont la rédaction a été terminée en août 1970 (p. 50-56), dont une page sur une captivité qui a duré plus de quatre ans.
Les mémoires de Frédéric Surleau ont été publiées, avec celles d’un de ses collègues plus jeune d’une dizaine d’année, Robert Lévi [voir notice Lévi], dans la Revue d’histoire des chemins de fer, Hors série n°8, Mémoires d’ingénieurs, destins ferroviaires. Autobiographies professionnelles de Frédéric Surleau (1884-1972) et Robert Lévi (1895-1981), 2007, 346 p. (p. 7-210 pour le texte de Frédéric Surleau), édition présentée et annotée par Marie-Noëlle Polino.
3. Analyse
La guerre commence alors que l’auteur, déjà âgé de 30 ans, vient de terminer avec succès deux ans de formation à l’Ecole des Ponts-et-Chaussées. Mobilisé comme sous-lieutenant du 23e régiment d’infanterie coloniale, il doit la veille du départ, le 6 août 1914, rejoindre l’état-major de la division coloniale où sa qualification professionnelle serait d’une grande utilité dans le génie. Après quelques instants d’hésitation, il demande à son épouse d’informer l’état-major qu’il n’a pas reçu la note de service l’y affectant : « J’avais formé ma section au 23e colonial, choisi mes gradés, fait connaissance avec mes hommes : les abandonner à l’heure du départ aux frontières pour aller dans un de ces états-majors que les combattants considèrent -à tort bien souvent- comme étant le refuge des pistonnés et des froussards me parut être une lâcheté » (p. 51). Plongé dans les combats du début de la guerre, il est fait prisonnier fin août. Il doit alors attendre la fin de la guerre au camp de Torgau-sur-Elbes puis à celui de Strasburg-Westpreussen, bien plus à l’Est. Interné en Suisse en juillet 1918, il arrive à Paris où il retrouve sa famille le 11 novembre.
Exercice commun dans ce type de texte, loin de se limiter à ce conflit, il note ses rencontres avec des personnages importants (Joffre) et il insiste sur les rapports hiérarchiques, citant ainsi un de ses subordonnés agonisant : « Mon lieutenant, mon lieutenant, j’ai une balle dans les reins » (p.53). La brièveté de l’expérience des combats explique peut-être l’absence de description des souffrances des soldats. Quelques passages de ce court texte insistent sur des détails (comme la description des imperfections de sa tenue du sous-lieutenant au moment de la mobilisation, p.51) sans grand intérêt, un peu comme si ce grand-père devait allonger un peu le récit d’une guerre qui, pour lui, n’a pas duré un mois. Ce texte, écrit pour les petits-enfants de l’auteur, se veut alors une leçon d’histoire et n’oublie pas l’attentat de Sarajevo ni les différents plans mis au point par l’état-major ou l’origine du verbe « limoger », limitant ainsi la partie la plus personnelle. Ecrit un demi-siècle plus tard, ce court récit de la Grande Guerre de Frédéric Surleau est aussi largement rédigé en fonction de ce qui est survenu ultérieurement : « Je dirai seulement que, d’une façon générale, les militaires allemands de l’époque de Guillaume II ne déshonoraient pas l’espèce humaine, alors que cela a été trop souvent le cas à l’époque hitlérienne » (p.55-56). Il serait néanmoins intéressant de confronter ce texte à d’autres document pour percevoir la manière dont s’est construite la mémoire de l’auteur : qu’en fut-il ainsi de ces « plusieurs [cas d’insolation] mortels [qui] jalonnèrent cette route interminable » (p.52) lorsque les soldats de son régiment colonial marchaient à la mi-août 1914 en direction de la Belgique ?
Christian Chevandier, novembre 2008