1. Le témoin
Née le 15 février 1901 à Bois-Colombe (Hauts-de-Seine) dans une famille d’origine lorraine, Marcelle Lerouge est fille unique de Jules Eugène, chef de bureau d’assurances et de Marguerite Huard, semble-t-il sans profession. Elève au lycée Jean-Racine de Paris, elle a 13 ans lorsque qu’éclate la Grande Guerre et c’est dès le 1er août 1914 qu’elle débute un journal. Après avoir suivi sa famille en exode de Bois-Colombe à Paris puis à Caen pour rentrer le 28 septembre 1914, elle décrit la guerre dans l’ouest parisien mais également à Ancerville (Meuse), où demeure sa grand-mère, et où elle vient en vacances. Là elle côtoie plus intimement la guerre, devenant même en février 1917, marraine de soldat (Albert Sainte-Croix, Meurthe-et-Mosellan de la classe 16). Marcelle Lerouge décède le 24 février 1974.
2. Le témoignage
Lerouge, Marcelle, Journal d’une adolescente dans la guerre 1914-1918. Paris, Hachette, 2004, 495 pages.
Jean-Yves le Naour, qui présente l’ouvrage dans une longue préface, indique que Marcelle n’a pas tenu de journal en dehors de la période de guerre. Son écriture évolue toutefois avec le temps : « dans les premiers mois, mis à part quelques rares défaillances en octobre et novembre 1914, Marcelle est extrêmement régulière et rédige quotidiennement ses cahiers, le soir, après ses cours au lycée Jean-Racine. Mais le 1er janvier 1916, elle décide de ne plus tenir son journal qu’une fois par semaine, le dimanche. (…) En 1917 et 1918, enfin, les entrées du journal ne sont plus que bimensuelles mais toujours à date fixe, avec cette régularité de bonne élève qui la caractérise » (page 9). Le préfacier complète sur la justification d’écriture et son support : « Marcelle y fait le choix de raconter la guerre plus que de se raconter elle-même, mais les quelque vingt-deux cahiers qui forment son journal constituent indéniablement un témoignage de valeur sur la vie quotidienne d’une jeune fille issue d’un milieu bourgeois et patriote durant les quatre années du conflit, et plus encore sur la représentation de la guerre à l’arrière, à travers la lecture de la presse d’information. De fait, il ne s’agit pas d’un véritable journal intime » (page 9). En effet, Marcelle Lerouge « ne se confie pas », « ne considère pas son journal comme le lieu d’expression libre de ses sentiments personnels » (page 10).
3. Analyse
Quasi uniquement constitué de la reproduction d’une presse entre désinformation et bourrage de crâne, la place réservée au journal personnel de Marcelle Lerouge se révèle étique. En effet, peu d’informations sur sa vision et ses impressions du conflit transpirent de ses pages formatées à l’esprit de la propagande d’Etat dans un journal qui se veut consigner tant les évènements généraux que connaît le monde que les micro évènements familiaux qui ponctuent son quotidien. Dès lors, elle se fait l’écho des idées et des évolutions de son temps, reflet d’une opinion sociale uniquement forgée par la presse, et s’érige en chroniqueuse des évènements parisiens du temps de guerre, surtout marqués par les bombardements et les privations. Son écriture est celle d’une spectatrice de la guerre par procuration. La période écrite s’étend ainsi du 1er août 1914 au 11 novembre 1918. Jean-Yves Le Naour justifie toutefois l’édition de cet ouvrage comme complétif dans l’absence éditoriale des journaux d’adolescents. Certes l’auteure est en guerre mais elle est tant vécue par la procuration médiatique, si peu directement éprouvée au gré des raids d’aéronefs sur Paris, qu’elle apparaît tragiquement éloignée. Et Jean-Yves Le Naour, conscient de cette faiblesse, de rappeler que « Le journal de Marcelle, loin d’être intime, est presque entièrement consacré aux évènements politiques, militaires et diplomatiques » (page 19). Dès lors, l’analyse politique est inintéressante et d’une naïveté là aussi relevée. Car l’enfant croît en tout, ne comprend pas tout et sombre dans la lassitude dès 1916, regroupant les dates et ne donnant plus pour l’année 1918 que 34 pages. Même si on peut analyser, dans le conformisme certain de ces pages, l’écriture adolescente, la pression médiatique sur la psychologie civile, la perception des hommes politiques, les conditions de vie filigranées de la bourgeoisie parisienne patriotique, bref, l’apport à la « culture de guerre », ces questions sont toutefois à extraire de cet étalage paraphrasé de la guerre de mauvaise presse. Peu annoté, quelques erreurs de transcription ne sont pas commentées (tels Carton de Wiarf page 105 ou La Razée page 249) et le livre n’est pas illustré outre la reproduction d’une page manuscrite et d’un portrait de l’auteure en première de couverture.
4. Autres informations
Rapprochements bibliographiques – journaux d’enfants ou d’adolescents
Congar, Yves, Journal de la guerre 1914-1918 de l’enfant Yves Congar. Paris, Cerf , 1998, 287 pages.
Cremnitz (Mme), Journal d’une petite alsacienne. Paris, Boivin, 1915, 315 pages.
Genestoux, M. du, Noémie Hollemechette. Journal d’une petite réfugiée belge. Paris, Hachette, 1918, 184 pages.
Nin, Anaïs, Journal d’enfance. 1914-1919. Tome I. Paris, Stock, 2001, 418 pages.
Prache, Gaston, Dans mon pays envahi. (Journal d’un adolescent). (Deux tomes). Paris, Hélène Humeau, 1968 et 1969.
Yann Prouillet, août 2008
Je suis surpris de découvrir autant de chose sur une aïeul décidément connue aujourd’hui. Marcelle était mon arrière-arrière grand-mère et être de sa famille me remplit le cœur de joie car les autres noms de ma familles sont peu connus et je ne peux rien découvrir sur eux.
Heureux d’avoir appris plus de choses sur une personne que je n’ai pas connu.
Jean-Baptiste B.