1. Le témoin
Né à Homps (Aude) le 14 juillet 1879, fils de Jean Barthas, tonnelier, et de Louise Escande, couturière. La famille s’installe ensuite à Peyriac-Minervois dans le même département. Louis Barthas est allé seulement à l’école primaire, mais il a été reçu 1er du canton au Certificat d’études. Grand lecteur : dans son témoignage de guerre figurent de nombreuses citations tenant à l’histoire (Valmy, Crécy, Attila, Turenne, Louis XIV, Louis XVI, Napoléon, chevalier d’Assas, César, les Francs et les Wisigoths), à la littérature (Victor Hugo, Anatole France, Goethe, Mme de Sévigné, Courteline, André Theuriet, Dante, Homère), à la mythologie (Bacchus, Damoclès, les Danaïdes, Tantale, Mars, Vulcain, Borée).
Marié. Deux garçons, 8 et 6 ans en 1914. Tonnelier et propriétaire de quelques arpents de vigne.
Il se dit lui-même chrétien, il est de culture catholique (Jésus, le Calvaire, Sodome et Gomorrhe). Anticlérical sans excès (allusion aux rigueurs de l’Inquisition, au supplice du chevalier de la Barre).
Adhère au parti socialiste (très nombreuses allusions anticapitalistes). Antimilitariste.
Sa situation ne change pas après la guerre. Il meurt à Peyriac-Minervois le 4 mai 1952.
2. Le témoignage
L’édition la plus complète et la plus accessible est celle « du Centenaire » : Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, introduction et postface de Rémy Cazals, cahier photo de 8 p., croquis de localisation, Paris, La Découverte poche, 2013, 567 p.
En 1977, la FAOL, à Carcassonne, avait publié des extraits réunis dans une brochure de 72 p. La 1ère édition par Maspero en 1978, grand format, ne comporte pas de postface. La première édition de poche par La Découverte date de 1997, avec une couverture différente. Edition en néerlandais : De Oorlogsdagboeken van Louis Barthas, tonnenmaker, 1914-1918, Amsterdam, Bas Lubberhuizen, 1998, 472 p., illustrations [6e édition 2014].
Les 19 cahiers originaux sont conservés par le petit-fils de Louis, Georges Barthas, à Carcassonne. Sur les originaux sont collées 333 illustrations dont 309 cartes postales, qui n’ont pu être reproduites dans l’édition. Existent en version numérisée aux Archives départementales de l’Aude.
Il s’agit de notes du temps de guerre mises au propre après la guerre. Abel Barthas a vu son père les recopier sur des cahiers d’écolier. Les notes originales elles-mêmes ont malheureusement disparu. Quelques phrases ont été rajoutées : remarques sur ses compagnons d’armes décédés, sur sa lecture d’Henri Bordeaux, sur la construction du monument aux morts de Peyriac-Minervois. Elles sont immédiatement identifiables. Il faut surtout souligner l’exactitude des dates (confirmée par la consultation des JMO des régiments), des lieux, des descriptions. Ses camarades, et même ses chefs, savaient qu’il rédigeait l’histoire de leurs souffrances. Il serait faux de dire qu’il a réécrit ses carnets avec d’autres sentiments que ceux qu’il avait pendant la guerre (voir ci-dessous la référence aux travaux de Romain Ducoulombier).
L’histoire du livre, son accueil, sont évoqués dans la postface à l’édition de poche.
3. Analyse
Du 4/8/14 au 6/11/14 : caporal au 125e RIT à Narbonne et garde de PG à Mont-Louis (P.-O.)
Du 8/11/14 au 20/12/15 : caporal au 280e RI de Narbonne, en Artois.
Du 20/12/15 (dissolution du 280e) au 5/3/16 : caporal au 296e RI de Béziers, même secteur.
Du 5/3/16 au 28/5/16, cassé de son grade, il est simple soldat.
Du 11 au 18/5/16 : Verdun, cote 304.
Du 28/5/16 au 26/9/16 : caporal au 296e RI, Champagne (autour de Suippes).
Du 26/9/16 au 28/1/17 : dans la Somme.
Du 29/1/17 au 31/5/17 : Valmy, Main de Massiges, Mont Cornillet.
Du 31/5/17 au 16/11/17 : La Harazée, secteur calme.
Du 20/11/17 (dissolution du 296e) au 6/4/18 : caporal au 248e RI de Guingamp. Meuse.
6/4/18 : évacué, hôpital de Châlons, puis Bourgoing, puis au dépôt à Guingamp.
14/2/19 : démobilisation.
Quelques mots-clés, parmi des centaines d’autres possibles :
prisonniers, fraternisations, bourrage de crâne, tranchées, pillages, soif, escouade, attaque, bombardement, alcool, humour, rats, panique, révolte, corvées, blessés, mort, décorations, baïonnette, embusqués du front et de l’arrière, détresse, poux, boue, déserteur, permission, gaz, destructions, coup de main, profiteurs, langages, mutineries, Gustave Hervé, Clemenceau, Poincaré, messe, coutelas, fine blessure, refus de sortir, brimades, gendarmes, camaraderie, cavaliers, artilleurs, censure, grignotage…
Le récit de Louis Barthas repose sur une observation précise et une curiosité toujours en éveil. Il fait connaître les sentiments profonds que les poilus n’expriment pas souvent en dehors de la petite famille qu’est l’escouade, en particulier sur la hiérarchie. Il donne une typologie intéressante des trêves et fraternisations (voir Marc Ferro et al., Frères de tranchées, Paris, Perrin, 2005, p. 76-85). Sa vision de la guerre est celle du combattant de première ligne, au ras du sol. En même temps il est capable de comprendre la nature de cette guerre de tranchées et d’artillerie. Ses pages sur les mutineries de 1917 sont confortées par les analyses les plus récentes des historiens (voir Denis Rolland, La grève des tranchées. Les mutineries de 1917, Paris, Imago, 2005, p.278-279). Très intéressant sur toutes les formes de sociabilité, il montre aussi les spécificités des combattants du Midi. Le talent et la capacité de réflexion du caporal tonnelier ont donné un grand livre alors que lui-même ne l’avait pas destiné à la publication, estimant toutefois qu’il avait écrit pour la postérité.
4. Autres informations
Sources
– Etat-civil, communes de Homps et Peyriac-Minervois.
– Registre matricule, Archives de l’Aude, RW 451.
– JMO du 280e RI et du 296e RI, SHDT 26N 737 et 26N 742.
– Lettre de Louis Barthas au député Brizon, 17 août 1916, dans Nous crions grâce. 154 lettres de pacifistes, juin-novembre 1916, présentées par Thierry Bonzon et Jean-Louis Robert, Paris, Les Editions ouvrières, 1989, p. 76-77.
– La Grande Guerre 1914-1918, photographies du capitaine Hudelle, Carcassonne, Archives de l’Aude, 2006, 128 p.
Bibliographie
– Rémy Cazals, « La culture de Louis Barthas, tonnelier », dans Pratiques et cultures politiques dans la France contemporaine, Hommage à Raymond Huard, Montpellier, Université P. Valéry, 1995, p. 425-435.
– Pierre Barral, « Les cahiers de Louis Barthas », dans Sylvie Caucanas et Rémy Cazals, éd., Traces de 14-18, Carcassonne, Les Audois, 1997, p. 21-30.
– Rémy Cazals, « Les carnets de guerre de Louis Barthas », dans Les Cahiers de la Cinémathèque, Revue d’histoire du cinéma, n° 69 « Verdun et les batailles de 14-18 », novembre 1998, p. 77-82.
– Rémy Cazals, « Deux fantassins de la Grande Guerre : Louis Barthas et Dominik Richert », dans Jules Maurin et Jean-Charles Jauffret, éd., La Grande Guerre 1914-1918, 80 ans d’historiographie et de représentations, Montpellier, ESID, 2002, p. 339-364. Voir une version plus exacte sur le site http://dominique.richert.free.fr ou sur le site du Crid 14-18.
– Philippe Malrieu, La construction du sens dans les dires autobiographiques, Toulouse, Erès, 2003, p. 163-175, « La personne dans la cité de servitude. L’assujettissement de la personne dans l’état de guerre ».
– Romain Ducoulombier, « La Sociale sous l’uniforme : obéissance et résistance à l’obéissance dans les rangs du socialisme et du syndicalisme français, 1914-1916 », communication au colloque « Obéir/désobéir, Les mutineries de 1917 en perspective », Craonne-Laon, novembre 2007, Actes à paraître.
Iconographie
– En dehors des illustrations de l’ouvrage proprement dit et des photos de la collection Hudelle mentionnées ci-dessus, des reproductions de pages des cahiers originaux se trouvent dans le n° 232 de la revue Annales du Midi, « 1914-1918 », octobre-décembre 2000, et dans Rémy Cazals et Frédéric Rousseau, 14-18, le cri d’une génération, Toulouse, Privat, 2001.
Barthas dans l’espace public
Le caporal a inspiré une chanson de Marcel Amont, et la pièce de théâtre Caporal tonnelier avec Philippe Orgebin dans le rôle principal. Le livre a été au cœur du travail de Jean-Pierre Jeunet pour le film Un long dimanche de fiançailles (voir Jean-Pierre Jeunet, Guillaume Laurant, Phil Casoar, Un long dimanche de fiançailles, Album souvenir, Paris, les Arènes, 2004). Le monument pacifiste de Pontcharra-sur-Bréda (Isère) porte une phrase de Louis Barthas (voir Danielle et Pierre Roy, Autour de monuments aux morts pacifistes en France, FNLM, 1999, p. 55-56). D’une façon générale, voir : Rémy Cazals, « Témoins de la Grande Guerre », dans Réception et usages des témoignages, sous la dir. de François-Charles Gaudard et Modesta Suarez, Toulouse, Editions universitaires du Sud, 2007, p. 37-51.
Compléments :
Un article : Alexandre Lafon, « La camaraderie dévoilée dans les carnets de Louis Barthas, tonnelier (1914-1918) », Annales du Midi, avril-juin 2008, p. 219-236.
Une exposition à la BnF (Paris), reprise aux Archives de l’Aude qui en ont publié le catalogue : Sur les pas de Louis Barthas 1914-1918, Photographies de Jean-Pierre Bonfort, Archives de l’Aude, 2014, 80 pages.
Les Archives de l’Aude ont également publié : Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier 1914-1918, 2014, 44 pages (textes de Georges Barthas et de Rémy Cazals, reproduction des cahiers et de documents d’archives). Et : Entre Histoire et Fiction, Autour de la bande dessinée Notre Mère la Guerre de Kris et Maël, 2015, 124 pages (Louis Barthas a inspiré ces deux auteurs et notamment le personnage du caporal Perrac).
Traduction en anglais par Edward M. Strauss : Poilu, The World War I Notebooks of Corporal Louis Barthas, Barrelmaker, 1914-1918, Yale University Press, 2014, 426 pages (en paperback en 2015). Traduction en espagnol par Eduardo Berti : Louis Barthas, Cuadernos de guerra (1914-1918), Madrid, Paginas de Espuma, 2014, 647 pages.
* Rémy Cazals, « Louis Barthas et la postérité. Réflexion sur la relation entre documents privés et publics », dans Ecrire en guerre, 1914-1918. Des archives privées aux usages publics, sous la direction de Philippe Henwood et Paule René-Bazin, rennes, PUR, 2016, p. 173-180.
Dans la bibliographie, ajouter : Alexandre Lafon, « La camaraderie dévoilée dans les carnets de Louis Barthas, tonnelier (1914-1918) », dans Annales du Midi, n° 262, avril-juin 2008, p. 219-236.
Je viens de relire le livre de Louis Barthas et je peux vous dire que sa vie aux tranchées est fabuleusement triste mais bien réelle, c’est écrit avec une merveilleuse franchise, comme j’aurai voulu connaître cet homme formidable. C’est un être intelligent, sincère, chaleureux………… Pauvres poilus de cette affreuse guerre inutile qui ont été massacré pour rien !. J’y pense à tous ces jeunes partis bien trop tôt et qui ont souffert le martyr aux tranchées.
Mon grand-père (que je n’ai jamais connu) a été gazé, la guerre a été fini pour lui à cause de cela et il a vécu jusqu’à l’âge de 46 ans. Un de mes grand-oncle y est mort aussi…….et d’autres dans ma famille.
J’ai vraiment la haine pour ceux qui organisent une guerre au dépend du simple soldat.
Je conseille à tous de lire le livre de Louis Barthas.
« Pauvres poilus de cette affreuse guerre inutile qui ont été massacré pour rien !. J’y pense à tous ces jeunes partis bien trop tôt et qui ont souffert le martyr aux tranchées »
Les Français de l’époque n’avaient pas l’impression de faire une guerre inutile. Louis Barthas exprimait une opinion plutôt minoritaire. Les poilus s’opposaient à une invasion en règle de leur territoire et ils ont tenu grâce à leur patriotisme. Si mutinerie il y a eu, c’était contre la façon de faire la guerre et l’incompétence de certains chefs, pas sur le sens de la guerre. D’ailleurs, dès l’été 1917, l’armée française s’est reprise et a pu contre-attaquer en 1918. Seul le patriotisme et la volonté de vaincre peuvent expliquer cette bonne tenue des poilus.
Mon grand-père aussi a combattu dans cette guerre et il en était fier. Il en est revenu avec les poumons brûlés et il a souffert jusqu’à son décès en 1958. Il était chasseur alpin et durant la guerre il a frappé un « planqué » qui voulait lui prendre sa place au théâtre de Dijon. Il a été sur le front décoré de la croix de guerre.
Curieux cette attitude française qui consiste à dénoncer une guerre faite par la République pour s’opposer à l’invasion de son territoire. On a vu les conséquences de cette attitude en 1940. Le pacifisme et la lâcheté ont conduit à la défaite les descendants des poilus de la Grande Guerre et même certains à la Collaboration. Dans ma petite famille d’artisans, on a senti immédiatement le danger de Hitler. Mon grand-père s’est engagé dans la résistance assez vite malgré ses problèmes de santé. Mon oncle (son fils) dès 1942 a rejoint la résistance armée, puis les maquis et enfin en 1944, l’armée de Lattre.
Si ceux de 1940 avait tenu comme ceux de 14, sans céder au bourrage de crâne des pacifistes bien incapable de nous expliquer comment on détruit Hitler, le nazisme et l’armée allemande par la seule voie de la paix. D’ailleurs nombre de pacifistes ont rejoint la collaboration. Le plus grand nombre s’est réfugié dans l’attentisme et la Libération s’est faite sans eux. Je plains ceux qui découvrent que le père où l’oncle ou le grand père, tous aimés et chéris, n’étaient que des lâches pendant l’Occupation.
Quand son pays est envahi, il n’y a pas de guerre inutile. On se bat, un point c’est tout. C’était la règle dans ma famille et je suis fier d’eux.