Dans son livre fondamental, Témoins, publié en 1929, Jean Norton Cru avait analysé 300 livres de témoignages publiés par 250 combattants de 1914-1918 (voir la chronique Brefs souvenirs 2/12). Et il avait signalé l’existence de très nombreux autres textes qui pourraient sortir un jour des greniers. Il le précise à deux reprises : « la masse énorme de documents personnels manuscrits qui dorment dans les tiroirs de presque toutes les maisons de France » (p. 265) et « il y a en France plusieurs millions de liasses de lettres de guerre dans les tiroirs » (p. 492).
La sortie au jour des documents personnels des « gens ordinaires » s’est effectuée lentement, depuis 1929. Notre livre collectif 500 témoins de la Grande Guerre et le dictionnaire des témoins en ligne sur notre site ont bien montré la floraison de publications et de dépôts en Archives publiques à partir du dernier quart du XXe siècle. Les Archives départementales de l’Aude ont, par exemple, numérisé les originaux du tonnelier Barthas conservés pendant longtemps dans une boîte en carton dans un placard et dont les éditions successives ont dépassé le tirage de 150 mille exemplaires. L’abondante correspondance croisée de la famille Papillon, trouvée dans une malle dans le grenier de la maison familiale à Vézelay, a été déposée par Antoine Bosshard à La Contemporaine (ex BDIC, voir le site www.lacontemporaine.fr). Une opération systématique a été lancée en 2013 par les Archives de France et la Bibliothèque nationale, en collaboration avec la Mission du Centenaire, invitant les particuliers à apporter en dépôt public leurs documents familiaux sur la guerre de 1914-1918. Dans le livre dont la couverture illustre ce « bref souvenir », les organisateurs indiquent le chiffre de 325 mille documents numérisés et invitent à consulter le site www.lagrandecollecte.fr.
Reste à digérer cette masse considérable, à contextualiser les témoignages. Identifier les individus : âge, situation familiale, milieu social, études, attitude religieuse, engagement politique… Pour les militaires : arme, grade, durée de l’expérience guerrière, secteurs… Et pour tous, définir les conditions de l’écriture, le moment, la mise au propre par les bons élèves de l’école primaire, en tenant compte, dans les correspondances, de la censure et de l’autocensure. Les témoins rassemblés par la Grande Collecte auront peut-être un jour une notice dans notre dictionnaire en ligne.
Celui-ci s’étoffe régulièrement grâce à un travail collectif. Nos remerciements vont en particulier à Isabelle Jeger et à Vincent Suard, auteurs de nombreuses notices de combattants et de civils français. Francis Grembert nous a envoyé plusieurs textes sur des témoins britanniques. Nous venons de recevoir la contribution de Romain Fathi sur le dessinateur australien Will Dyson. Après la notice sur la reine Marie de Roumanie (photo ci-dessous), Dorin Stanescu en annonce d’autres sur les témoins de son pays qu’il avait déjà évoqués dans sa communication au colloque de la Mission du Centenaire sur les batailles de 1916. Ainsi se confirme le caractère international de notre CRID 14-18.
Rémy Cazals